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Dernière chance pour la démocratie, par Israël Adam Shamir L


ENTRE LA PLUMEob_f649e7_palmyre ET L’ENCLUME
Dernière chance pour la démocratie, par Israël Adam Shamir

Publié le 21/09/2016

Dernière chance pour la démocratie, par Israël Adam Shamir

Les élections parlementaires russes se sont déroulées sur du velours. Le parti au pouvoir, Russie unie, a conquis une confortable majorité au Parlement, tandis que les trois autres partis, les communistes (CPRF), les nationalistes et les socialistes se partageaient le reste. Les partis pro-occidentaux n’ont pas atteint le seuil requis et sont restés en dehors du Parlement, sans changement.

La participation a été faible. Officiellement, 48%, mais en fait beaucoup moins. 20% à Moscou, 16% à St Pétersbourg. Ces chiffres ont commencé à grimper, inexplicablement, après cinq heures du soir, et Edouard Limonov, écrivain connu, et fin observateur de la scène politique, reste convaincu que le score a été artificiellement « amélioré ». Le nouveau système électoral (une combinaison spéciale entre système majoritaire et proportionnel) avait été infléchi pour favoriser le parti au pouvoir. Difficile de dire si les élections russes ont été falsifiées et si c’est le cas, jusqu’où. En tout cas, si un parti peut avoir été floué, ce sont les communistes, certainement pas les nationalistes pro-occidentaux ni les libéraux. Malgré ce que vous avez peut-être entendu dire, les communistes représentent la seule alternative véritable au régime de Poutine, car les partis pro-occidentaux sont minuscules et excessivement impopulaires; les communistes, tout comme les deux autres partis, sont amicaux avec Poutine; ils soutiennent la politique étrangère de Poutine, et soutiendraient tout autant une politique plus active. Ils ont approuvé de tout cœur le retour de la Crimée dans le giron russe, et ils se sont exprimés en faveur d’une intervention militaire en Ukraine.

Poutine est, à côté d’eux, l’homme politique le plus modéré et acceptable pour le public ; toute alternative démocratique viable serait plus radicale, plus procommuniste ou nationaliste. Tous les politiciens russes d’un certain âge ont été membres du parti communiste ; les socialistes (Russie juste) constituent une écharde, un doublon du parti communiste monté par le Kremlin pour réduire l’audience du CPRF.

Dans ces élections, il y a eu des partis communistes alternatifs mis en place par le Kremlin, et beaucoup de Russes ont voté pour eux par erreur, en croyant qu’ils votaient pour les “vrais” communistes. Si les magouilleurs politiques russes devaient gérer la campagne de la Clinton, ils multiplieraient les candidatures de simili-Trump en espérant que beaucoup de partisans de Trump se tromperaient et voteraient pour le mauvais Trump.

En fait, tout en soutenant et en approuvant la politique étrangère de Poutine, les communistes, les socialistes et une minorité sensible du parti au pouvoir Russie unie sont en désaccord avec la politique économique et financière de Poutine. Ils aimeraient supprimer les oligarques, introduire des contrôles monétaires, re-nationaliser des industries privatisées et renforcer la protection sociale.

Mais ils ne peuvent pas le faire ; même s’ils devaient obtenir une majorité claire aux élections, Poutine pourrait encore demander par exemple au libéral Medvedev ou à l’archi-libéral Koudrine de former le gouvernement. Le problème, c’est que les pouvoirs du parlement russe sont extrêmement limités. La constitution a été rédigée par les libéraux russes et leurs conseillers US afin d’empêcher les Russes de récupérer jamais leurs biens massivement détournés par une poignée d’affairistes juifs. La constitution a donné au président le poids d’un tsar, et a minimisé les pouvoirs du Parlement. Elle a été imposé à la Russie en 1993, après que le parlement précédent avait destitué Boris Eltsine. Au lieu de s’effacer poliment, il avait envoyé les tanks et bombardé le Parlement. Les défenseurs de celui-ci sont allés en prison, Eltsine s’est imposé, et Poutine a hérité du poste. Notre ami le Saker a dit: “ces élections ont été une grande victoire personnelle pour Poutine”. Mais est-ce que c’est bien vrai? Russie unie inclut des gens aux opinions largement divergentes, depuis des privatiseurs pro-occidentaux, jusqu’à des crypto-communistes. Leur plateforme commune, c’est leur adhérence au pouvoir. Ils sont tout aussi capables de soutenir Poutine que de le condamner et de l’expulser. Ils sont semblables au Parti des régions qui dirigeait l’Ukraine au temps du président Yanoukovitch, ou au Parti communiste soviétique à l’époque de Khroutchev. Si les choses se gâtent, ils prendront le large et laisseront seul le président.

Poutine aurait peut-être une assiette plus ferme s’il donnait plus de liberté et de démocratie, de façon à gagner des soutiens plus convaincus, des poutinistes authentiques, et non pas des carriéristes. Mais il préfère des carriéristes souples. Nous verrons bientôt s’il aura des raisons de le regretter, comme Yanoukovitch quand il a perdu ses soutiens et son poste de président élu.

Ça ne va pas loin, la démocratie, direz-vous, si un parlement impuissant est en fait ficelé par des carpettes sans visage. Le parlement n’est pas un lieu de débat, a dit Boris Gryzlov dirigeant de Russie unie et porte-parole du parlement. « Ce n’est pas le lieu pour la bagarre politique, les batailles idéologiques. C’est le lieu où l’on fait les lois, de façon constructive, a-t-il ajouté. La liberté de parole russe (qui n’a presque pas de limites) est totalement déconnectée de l’action, et c’est très frustrant. Même les manifestations sont étroitement limitées, et peuvent vous conduire au poste. Dans les termes de Gryzlov, « les rues ne sont pas faites pour les actions politiques et les réclamations, mais pour les festivités. »

Si telle est bien la fonction du parlement, pourquoi le prendre au sérieux ? Qui pourrait blâmer la majorité des électeurs russes de rester loin de la ville, dans leurs confortables villas (les célèbres datchas) alors qu’on est en plein glorieux été indien ?

Plus grave, il y a le fait que les gens ont de moins en moins de raisons d’aller voter, dans tous les pays. En Europe, la différence entre partis a pratiquement disparu.

Considérez la France; quelle différence entre Sarkozy le droitiste et Hollande le gauchiste? Le premier a fait exploser la Libye et a réintégré la France dans l’Otan, tandis que le second veut pulvériser la Syrie et se soumettre à tous les ordres US. Aucune différence non plus entre les partis suédois. Ils veulent tous recevoir un milliard de réfugiés, condamner les racistes en leur sein, rejoindre l’Otan et faire mousser la menace russe. Quelle différence entre Cameron le conservateur et Blair le travailliste ? Aucune ; Otan, bombes, exemption d’impôts pour les riches, ils sont pour, tous les deux.

Parlement et peuples signifient bien peu de choses maintenant en Europe, aussi peu qu’en Russie. Les Anglais ont voté pour le Brexit. Et alors ? Après, il ne s’est rien passé du tout. Le nouveau gouvernement non élu de Theresa May a juste repoussé à plus tard la décision, dans les dossiers non-urgents, à côté d’une demande de budget supplémentaire pour le zoo. Peut-être qu’elle rouvrira le dossier à Bruxelles dans un an ou deux, à moins que les gens aient oublié leur vote d’ici là.

Dans quelques mois, Mrs May dira comme Stephen Daedalus quand on lui demandait quand il rembourserait la livre qu’il avait empruntée : « Dans cinq mois. Toutes les molécules ont changé, je suis un autre moi-même, maintenant. C’est l’autre qui a gardé la livre ». L’autre Angleterre a voté pour le Brexit, mais toutes les molécules ont changé. Re-votons, ou mieux encore, oublions donc tout ça.

Bien des gens à qui je me suis adressé répètent, à l’unisson, le nouveau mantra de l’ère post vote du Brexit : « il n’y a que les vieux et les chômeurs racistes, qui ont voté pour le Brexit. » Mrs Clinton leur a donné un nom : les déplorables. Ce nom américain pour les futurs électeurs de Trump leur va comme un gant, aux partisans du Brexit. Déplorable, c’est la personne qui ne souscrit pas au paradigme néo-libéral dominant et à sa sœur jumelle, la politique communautariste.

Clinton a parlé des déplorables lors de sa rencontre avec les riches pervertis de Wall Street, à cent mille dollars la place. Que vous cassiez les banques ou que vous fournissiez des emplois, cela ne vous servira à rien, vous les saintes victimes LGBT de la persécution mâle blanche. Certes, mais cela nous sera utile à nous, les gens qui travaillons. Nous n’en avons que faire, des toilettes unisexe, nous ne sommes pas obsédés par les pourcentages de PDGées. Nous avons d’autres soucis ; comment obtenir un CDI et un logement décent, et de quoi nourrir les enfants. C’est ce qui nous rend si déplorables aux yeux des riches dégénérés.

Une nouvelle génération de partis sort de terre, dans toute l’Europe: le parti des déplorables. En Suède, pour le moment, il y a un « Parti des démocrates suédois », le SD, le seul parti qui s’exprime contre l’Otan, contre l’UE, contre le fait que la question des migrants ait été exclue du débat public. Deux partis importants, la droite et la gauche, ont oublié leur longue animosité et ont constitué un gouvernement ensemble, juste pour maintenir en dehors le SD, parce que ce sont des déplorables. Le résultat a été paradoxal : encore plus de gens se sont mis à soutenir le déplorable parti !

Le FN de Marine Le Pen en est un autre. Elle veut sortir la France de l’UE et de l’Otan ; et faire barrage aux vagues d’immigrants. Droite et gauche seraient plutôt prêts à se soumettre à l’Arabie saoudite et à transférer le pouvoir aux cheiks, plutôt que de permettre aux déplorables de gagner : c’est ce qu’envisage Houellebecq dans son roman Soumission.

Autre déplorable, Jeremy Corbyn, qui a presque été expulsé de la direction du parti travailliste par ses pairs. Ils ont préféré garder leur parti dans le rôle de clone des conservateurs et ne laisser à l’électorat aucun vrai choix. Mais Corbyn se bat, et on peut espérer qu’il gardera son parti en main, et marchera vers la victoire.

Plus de pouvoir, toujours plus d’argent, plus de contrôle entre les mains d’un groupe de plus en plus restreint. Nous avons été dépossédés de nos droits sans nous en apercevoir. Les financiers et leur nouvelle noblesse « de discours » se sont emparés du monde aussi complètement que l’aristocratie au XIX° siècle.

La Russie, avec sa démocratie pourtant très limitée s’en sort mieux : leurs néo-nobles, alias Maîtres du Discours, ont obtenu moins de trois pour cent aux dernières élections, alors qu’ils sont encore lourdement représentés au gouvernement.

La dernière bataille décisive pour la préservation de la démocratie se tient maintenant aux US. Son champion invraisemblable, Donald Trump, est détesté par l’establishment politique, par les médias achetés, par les minorités téléguidées, autant que Poutine, Corbyn ou Le Pen sont détestés. Le Huffington Post a publié cette « Note de la rédaction »: « Donald Trump incite régulièrement à la violence et c’est un menteur récidiviste, un xénophobe rampant, un raciste, un misogyne et un nataliste qui a recommandé plusieurs fois d’interdire à tous les musulmans (soit 1,6 milliards de membres d’une religion toute entière) d’entrer aux US. »

Un homme aussi détesté par les ennemis de la démocratie est quelqu’un qui mérite notre soutien. Quand la révolution arrivera, tous ceux qui auront traité leur frère de « xénophobe, raciste, misogyne » seront alignés contre le mur et fusillés. Ce ne sera probablement pas la révolution selon Sanders.

J’ai bien peur que ses ennemis ne permettent pas à Trump de fêter sa victoire: ils diront que Poutine a truqué les machines à voter, et ils renverront l’affaire devant la Cour suprême; ou bien ils essaieront de l’assassiner. Mais d’abord, laissons-le gagner.

Les conséquences de sa victoire sont difficiles à prévoir. Newsweek a souligné (à propos du débat sur l’aide US à Israël) : « une victoire de Trump introduirait un niveau d’incertitude dans le monde qu’Israël redoute. Personne n’a la moindre idée de ce que Trump ferait en tant que président et c’est quelque chose de nouveau dans les relations internationales. »

Voilà qui déjà passablement excitant. Israël redoute la démocratie, redoute la paix au Proche Orient, redoute la désobéissance européenne, redoute que les juifs perdent leurs places réservées dans le salon des premières classes sur le pont des officiers, dans les comités de rédaction et dans les bureaux des directeurs de banque. A la bonne heure, qu’ils tremblent!

Les conséquences d’une victoire de Trump seront incalculables. Nous reprendrons notre foi en la démocratie. L’Otan va rétrécir, l’argent servira à réparer les infrastructures US au lieu de servir à bombarder la Syrie et la Libye. Et les Américains seront aimés à nouveau.

Les conséquences d’une victoire de la Clinton seront aussi provisoires que nous-mêmes, car elle nous gratifiera d’une horrible guerre nucléaire, et de la dictature éternelle du talon d’acier.

Ces élections, c’est comme le choix entre la pilule bleue et la pilule rouge. « Tu prends la bleue, et l’histoire finit là. Tu te réveilles dans ton lit, et tu crois ce que tu as envie de croire. Tu prends la rouge, tu restes au Pays des merveilles, et on descend ensemble au fond du gouffre dans le terrier du lapin blanc ». Heureusement, grâce à Dieu, nous savons quelle est la couleur de Trump, et quelle est la couleur des Clinton.

Première publication: Unz Review

Traduction : Maria Poumier

Pour contacter l’auteur: adam@israelshamir.net

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