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L’escalade de tensions au Moyen-Orient que provoque la sortie américaine de l’accord nucléaire avec l’Iran


The Huffington Post
18/05/2018

Il n’est pas rassurant de constater que la guerre et la paix sont suspendues à l’inexpérience brouillonne du Prince héritier saoudien et aux foucades du Guillaume II de la Maison Blanche.

François Heisbourg
Conseiller spécial à la Fondation pour la Recherche Stratégique de Paris, Président de l’IISS

AFP/Getty Images
Des Iraniens durant des manifestations anti-américaines à Téhéran le 11 mai 2018.

La décision américaine de quitter l’accord nucléaire avec l’Iran (JCPOA, Joint Comprehensive Plan of Action) est l’acte politique le plus lourd de conséquences internationales pris par le Président Trump depuis son investiture: relations transatlantiques, non-prolifération des armes nucléaires, rapports avec les grandes puissances, système financier et commercial international sont tous affectés à des degrés divers dans la durée. C’est cependant au Moyen-Orient que l’impact stratégique est le plus immédiat et le plus porteur de guerre, à la fois pour des raisons géographiques évidentes et parce que l’affaire s’inscrit dans un ensemble plus large de décisions américaines récentes dont le soutien militant à la politique extérieure de l’Arabie saoudite et l’installation de l’ambassade américaine à Jérusalem, reconnue comme capitale de l’Etat d’Israël.

Le premier impact, manifeste dès le lendemain de l’allocution de rupture de Donald Trump, est le durcissement et l’accélération de la confrontation israëlo-iranienne en Syrie. Le conflit avait certes commencé à prendre de l’ampleur dans les mois précédant la sortie américaine du JCPOA. L’arrivée de soldats et miliciens des forces spéciales iraniennes en nombre croissant et dans des installations en dur, la mise en place en Syrie de fusées iraniennes plus précises, entraînaient des frappes aériennes israéliennes. Cette guerre d’abord discrète, puisque ni Israël, ni la Syrie ni l’Iran n’évoquaient ces affrontements, le conflit devenait de plus en plus ouvert depuis le mois de février. Cependant, Israël procédait avec retenue, de manière à ne pas mettre en difficulté une Russie fermant par ailleurs volontiers les yeux lorsque Tsahal frappait les actifs d’un Iran qui n’est qu’un partenaire de circonstance de Moscou. Israël ‘tondait le gazon’ comme le disent les stratèges de l’Etat hébreu plus qu’il ne cherchait l’escalade: après tout, avec le JCPOA en place et l’Iran placé sous la surveillance étroite de l’ensemble des membres permanents du Conseil de Sécurité, rien ne pressait jusqu’à la levée progressive des contraintes de l’accord entre 2025 et 2030.

Désormais, Israël doit partir du principe que l’Iran puisse relancer son programme nucléaire du jour au lendemain.

Désormais, Israël doit partir du principe que l’Iran puisse relancer son programme nucléaire du jour au lendemain. Devant les incertitudes politiques en Iran même, l’Etat hébreu peut aussi devoir faire face à un redoublement d’activité des Pasdaran en Syrie même. Certes, ni l’un ni l’autre ne sont des certitudes, mais la version stratégique du principe de précaution impose de faire monter la pression rapidement. La vigueur des dernières frappes israéliennes en Syrie en témoigne. Certes, Tel Aviv opère avec précaution: Netanyahou rend visite au Président Poutine pour limiter les risques de malentendu, et Tsahal a soigneusement évité de bombarder des cibles syriennes ou celles du Hezbollah: il ne s’agit ni de provoquer Moscou ni de pousser le Hezbollah et l’Iran à agir de conserve. Dans toutes les hypothèses, c’est à une montée des tensions qu’il faut s’attendre: reste à savoir si l’escalade restera sous contrôle. Cela dépendra de Moscou (qui continuera ou non de laisser les Israéliens s’en prendre aux Iraniens en Syrie), à l’Iran (qui choisira ou non de renforcer sa pression directement et/ou avec le Hezbollah), du Hezbollah (qui choisira ou non de déchaîner le feu de ses dizaines de milliers de fusées dans l’espoir de saturer les défenses israéliennes) et d’Israël, qui au nom du principe de précaution risque d’agir avec précaution…

Si Téhéran le souhaite, un terrorisme palestinien de grande ampleur, car adossé au professionnalisme technique et organisationnel du Hezbollah, fera son retour.

L’autre impact du côté d’Israël et de la Palestine est politique. Devant le partenariat stratégique de fait d’Israël avec l’Arabie saoudite, les Emirats et l’Egypte, et vue la mise en quarantaine d’un Qatar peu à même d’aider le Hamas à Gaza, le désespoir palestinien alimenté par l’ouverture de l’ambassade américaine à Jérusalem profitera à l’Iran, tout chiite et persan qu’il soit. Cela se verra progressivement, avec le cas échéant, si Téhéran le souhaite, le retour sur la scène d’un terrorisme palestinien de grande ampleur car adossé au professionnalisme technique et organisationnel du Hezbollah en la matière.

Enfin, et peut-être surtout, l’Arabie saoudite pourrait être tentée de provoquer une guerre avec l’Iran dans le Golfe Persique. Cela permettrait de fixer les Américains dans la région alors que Donald Trump a exprimé à plusieurs reprises sa volonté de réduire la présence militaire américaine au Moyen Orient. La monarchie saoudienne peut espérer de cimenter l’unité nationale alors que l’opinion publique est soumise à la transformation économique et sociale du royaume, mettant en cause l’Etat-Providence saoudien.

L’Arabie saoudite pourrait être tentée de provoquer une guerre avec l’Iran dans le Golfe Persique.

Certes, l’histoire des guerres enseigne que ce type de calcul non seulement ne produit généralement pas les effets escomptés mais débouche le plus souvent sur des catastrophes. Mais l’histoire enseigne aussi et de façon non moins claire, que l’expérience héritée du passé par les uns ne pèse guère sur les décisions concernant l’avenir prises par d’autres. Il n’est certes pas rassurant de constater que la guerre et la paix dans le Golfe sont suspendues entre autres à l’inexpérience brouillonne du Prince héritier saoudien d’un côté et aux foucades du Guillaume II de la Maison Blanche de l’autre.

Mais ainsi va le monde, un monde dans lequel les Européens ne pèsent guère, ni individuellement ni collectivement, comme ont pu le constater le Président Emmanuel Macron, la Chancelière Angela Merkel et le Premier ministre Theresa May dans les semaines précédant la sortie des Etats-Unis du JCPOA.
Stock

« Comment perdre la guerre contre le terrorisme », de François Heisbourg, éditions Stock

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