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« Pourquoi je veux mourir en Syrie » : confession d’un djihadiste franc?ais


« Pourquoi je veux mourir en Syrie » : confession d’un djihadiste franc?ais
SENEGO

13/02/2014,

Salahudine est un Franc?ais de 27 ans parti combattre en Syrie, il y a sept mois, aux co?te?s des djihadistes. Avant de mourir en martyr, il a voulu raconter son histoire pour « laisser une trace » de son existence.
Salahudine est un djihadiste franc?ais, a?ge? de 27 ans et originaire de la re?gion parisienne, parti combattre il y a sept mois en Syrie. Parce qu’il connaissait depuis plusieurs anne?es notre journaliste Charlotte Boitiaux, il a accepte? de se confier, a? elle seule, sous couvert d’anonymat. Gravement blesse? au de?but du mois de fe?vrier a? Alep, Salahudine a envoye? son dernier message le 8 fe?vrier. Depuis, il n’a donne? aucun signe de vie. Voici son te?moignage.

« Je vais mourir en Syrie. Biento?t, su?rement. Sur cette terre que je ne connais que depuis sept mois. Le djihad, c’est une fac?on de vivre – et de mourir. Mais avant de rejoindre Allah, j’aimerais bien laisser une trace de mon court passage sur Terre. C’est pour c?a que je t’ai contacte?e. Parce que tu es journaliste, certes, mais surtout parce que j’ai confiance en toi. On est gagnants tous les deux. Un Franc?ais parti combattre aux co?te?s des djihadistes syriens dans les rangs du Front al-Nosra, avoue-le, c’est un sujet en or, non ?

J’ai mis le pied sur le sol syrien le 11 juillet 2013, si je me rappelle bien. Ici, on oublie les dates et le temps. Je ne suis jamais reparti. J’ai pris le nom de Salahudine al-Faransi [Salahudine le Franc?ais]. On ne se bat jamais sous sa ve?ritable identite?. Ma femme Khadija*, Franc?aise elle aussi, et ses deux filles, Mariam*, 8 ans, et Fatima*, 6 ans, sont parties avec moi. A? part elles, j’ai tout abandonne? pour venir ici. J’avais une bonne situation professionnelle, je gagnais environ 3 000 euros par mois. Il fallait tout la?cher. C’est comme c?a qu’Allah voit notre since?rite?.

Je ne sais pas trop quel a e?te? le de?clic, a? quel moment j’ai de?cide? de devenir un terroriste aux yeux de la loi franc?aise. Tout s’est fait progressivement. De?s le de?but du conflit syrien, en 2011, j’ai mal supporte? l’indiffe?rence du monde a? l’e?gard de mes fre?res musulmans. Au de?but, je ne savais pas quoi penser. Dans les mosque?es franc?aises, on ne te parle pas de c?a. On t’apprend juste a? bien faire tes ablutions. On te demande d’e?tre respectueux. On ne te dit jamais que dans un contexte d’affrontement, l’islam, c’est œil pour œil, dent pour dent. C?a, je l’ai appris sur Internet. Quand j’ai commence? a? regarder des vide?os et a? e?couter les pre?ches de Ben Laden. Un milliardaire qui la?che tout pour de?fendre sa conception du monde. J’ai e?te? e?mu par son discours. Tu appelles c?a de la
« radicalisation religieuse », moi une « prise de conscience ».
J’ai abattu un soldat de Bachar
Un mois avant mon de?part, je ne dormais plus. Allah m’a fait comprendre que ma terre n’e?tait plus ici, en France. Il fallait que j’aille en Syrie pour racheter mes pe?che?s. Avant, je sortais en boi?te, je buvais de l’alcool, j’e?tais un mec de la dounia [qui n’est inte?resse? que par les biens mate?riels, NDLR]. Le djihad est devenu une obligation. Je n’ai fre?quente? aucun re?seau, crois-moi. Je ne connaissais personne. J’ai pre?pare? mon voyage tout seul. Pendant une semaine entie?re, j’ai retire? 1000 euros par jour a? la banque. Puis ce fut le grand de?part. Nous sommes partis la dernie?re semaine de juin. Depuis Lyon, ou? nous sommes descendus, nous avons transite? par avion a? Istanbul, Antalya puis Hatay, en Turquie, avant d’atteindre, en car, Kilis, a? la frontie?re turco-syrienne.
Les premiers temps n’ont pas e?te? faciles. Je n’avais aucun contact. Aucun point de chute. Il fallait faire vite, je ne voulais pas mettre les filles en danger. Nous sommes alle?s a? Alep, dans le quartier de Salaheddine. C’est la? que j’ai rapidement fait la connaissance de quelques combattants de « l’E?tat islamique en Irak et au Levant » (EIIL). Ils e?taient mes voisins. Pour e?tre tout a? fait honne?te, quand je les ai approche?s, je ne savais me?me pas qui ils e?taient. Je n’avais jamais entendu parler d’eux. Tout ce que je voulais, c’e?tait combattre aux co?te?s de ceux qui voulaient instaurer un E?tat islamique en Syrie et imposer la charia. Rejoindre l’Arme?e syrienne libre (ASL) ne m’inte?ressait donc pas trop : nous partageons le me?me ennemi, mais pas le me?me objectif. Le leur est de?mocratique, je crois.
J’ai rapidement re?alise? que lorsque tu es e?tranger, on ne t’accueille pas a? bras ouverts. On se me?fie de toi, on te prend pour un espion. La confiance, c?a se gagne sur le champ de bataille. L’EIIL m’a forme? dans un camp militaire de Cheikh Souleimane [dans le nord du pays]. Pendant un mois, j’y ai appris a? tirer, a? ramper, a? tuer. On m’a ensuite envoye? au front, dans la re?gion d’Alep a? chaque fois. Je ne suis pas passe? par la « plonge » ou par les cuisines, comme tu sembles le penser. Les me?dias ve?hiculent cette ide?e pour de?courager les combattants e?trangers de venir nous rejoindre. Quelques jours seulement apre?s mon arrive?e, j’ai vu pour la premie?re fois des he?licopte?res de Bachar balancer des barils de TNT sur la population. Une fois, dix-sept barils sont tombe?s en une seule journe?e. Je ne sais pas comment te de?crire ce que j’ai ressenti.
Peu de temps apre?s, j’ai abattu un soldat de Bachar. C’e?tait dans la province d’Alep. Il faisait beau, c’e?tait un matin de septembre. On se battait depuis trois jours. Il e?tait derrie?re un mur. J’e?tais derrie?re un mur. On s’est tire? dessus jusqu’a? ce que l’un de nous deux tombe. Ce fut lui. Je m’en souviens, parce que c’e?tait le premier. Pas une seconde je n’ai culpabilise?, je l’avoue. Tu devrais voir ce qu’ils font subir a? la population. Ici, la plupart des combats se font a? distance, entre tirs de mortier et attaques de snipers. Il n’y a presque jamais de corps a? corps. Pendant cinq mois, mes journe?es ont e?te? les me?mes : combats durant des journe?es entie?res et tours de garde le soir, pendant deux heures. Le temps libre est re?serve? au nettoyage des armes et a? la lecture du Coran. C?a caille, d’ailleurs, le soir. Et il pleut souvent. Parfois, j’ai les pieds trempe?s et glace?s.
Les filles m’appellent Superman
En novembre 2013, j’ai change? de camp et j’ai rejoint le Front al-Nosra. Je ne me sentais plus tre?s a? l’aise avec l’EIIL. Je ne savais pas que « l’E?tat islamique en Irak et au Levant » se battait aussi contre les soldats de l’ASL. Moi, je n’ai aucun proble?me avec les rebelles. Je ne te dirai pas grand-chose de plus. Je ne sais pas ou? sont les otages franc?ais [retenus prisonniers par l’EIIL] dont tu me parles. Je ne suis qu’un petit combattant. On ne partage pas ce genre d’informations avec moi. Contrairement a? ce que tu penses, personne ne m’a conside?re? comme un trai?tre quand je suis passe? de l’un a? l’autre. Al-Nosra et l’EIIL ne sont pas ennemis. Et puis, tu es libre de choisir dans quel camp tu veux te battre.
Dans ma nouvelle « famille » d’Al-Qai?da, mon quotidien n’a pas vraiment change?. Mais mon champ de bataille s’est agrandi. J’ai combattu a? Alep, Homs, Damas. J’ai peaufine? mon e?ducation militaire. J’ai du? choisir entre une formation aux explosifs, une formation de sniper et une formation de commando au sol. Al-Nosra m’a oriente? vers la troisie?me option.
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Entre deux combats, nous rencontrons souvent des civils. Ils n’ont pas peur de nous. Au contraire. Souvent, les enfants se moquent de moi quand je parle franc?ais…. Et me?me quand je parle arabe d’ailleurs ! Je ne mai?trise pas encore tre?s bien la langue. Chaque mois, nous sommes re?mune?re?s 8 000 livres syriennes (environ 50 euros). Une somme amplement suffisante pour vivre, sachant que le logement, les armes et la nourriture sont fournis par Al-Nosra. Moi, je me suis achete? ma propre Kalachnikov au marche? noir. Elle m’a cou?te? 1 200 dollars. C’est cher mais au moins, elle est a? moi. Je me suis fabrique? une ceinture d’explosifs aussi. Si jamais, un jour, je n’ai plus de munitions ou de solution de repli, je pourrais foncer sur l’ennemi et me faire sauter. Autant en emporter un maximum avec moi.
Tu t’inquie?tes pour les filles. Mais elles ne sont pas malheureuses. Leurs vies sont entre les mains de Dieu. Elles ne sont pas non plus en danger. Elles restent avec les femmes et les enfants des autres combattants, loin des combats, mais je ne te dirai pas ou?. Je ne les vois presque jamais, en re?alite?. Quand je pars au front, je m’absente pendant des semaines entie?res. Tout ce que je peux te dire, c’est que le Nutella leur manque. Quand une zone devient trop dangereuse, Al-Nosra les de?place. Il y a un mois, elles e?taient a? Harithan [non loin d’Alep], et a? cause des affrontements de plus en plus violents entre l’ASL et l’EIIL, elles ont e?te? de?place?es. Al-Nosra les a transfe?re?es a? la frontie?re turco-syrienne. Quand je pleure, Mariam et Fatima sont incroyables, elles m’appellent Superman ! C?a me fait rire a? chaque fois. C’est fou comme elles s’adaptent a? toutes les situations. (Au fait, c?a va e?tre complique? de te mettre en contact avec Khadija. Si elle sait que je parle a? une autre femme, me?me journaliste, elle me tue !)
Je ne rentrerai jamais
Vendredi 31 janvier, tu as cherche? a? me joindre toute la journe?e. Mais j’e?tais au front, a? co?te? de Homs, a? Talbisseh. C’e?tait vraiment chaud. J’ai perdu mon meilleur ami ce jour-la?. Il avait 27 ans lui aussi, il e?tait belge. Un sniper l’a abattu, au de?tour d’une rue. Je suis alle? le chercher. Il est mort dans mes bras.

Si tu voyais, notre armement est de?risoire par rapport a? celui des hommes du re?gime. On n’a que des armes le?ge?res. Eux, par exemple, ont des lunettes de vision nocturne. Nous, on creuse des tranche?es pour se prote?ger, c’est tout ce qu’on peut faire pour ne pas e?tre vus par l’ennemi. C’est peut-e?tre pour c?a que certains djihadistes se tournent vers les ope?rations martyres. C’est vrai, j’ai la possibilite? de m’inscrire sur une liste pour devenir kamikaze. Je ne sais pas si je vais le faire. Je n’ai pas pris de de?cision. Quoi qu’il en soit, je te promets de me connecter a? Facebook, tant que je suis vivant. Si je tombe au combat, personne ne te pre?viendra. Personne ne sait que je te parle. On n’aime pas trop les journalistes par ici. Ne t’inquie?te pas. La mort est une re?compense pour moi.

Je me fous comple?tement d’e?tre repe?re? et surveille? par les services franc?ais sur les re?seaux sociaux. Je ne rentrerai jamais. Je ne te demande qu’une chose : ne pas me trahir. Ne donne pas ma ve?ritable identite?. Mes parents, mes deux fre?res et ma petite sœur ne savent rien. Ils pensent que je parcours le monde. Peut-e?tre se doutent-ils de quelque chose. Je ne sais pas. Mais que pouvais-je leur dire ? Ils ne comprendraient pas. C?a leur ferait de la peine. Ne raconte pas tout a? ta famille. Elle n’appre?ciait de?ja? pas beaucoup mon adoration pour Allah. Elle serait inquie?te de me savoir ici. Tiens-moi juste au courant pour la parution de ce te?moignage. Essaie de le publier avant que je meurs Oui, je sais, humour de merde.
France 24

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