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Arrive-t-on encore à voir des signes de Dieu dans « cet enfer qu’est devenu Alep » ?


La Rencontre Catholiques-Orthodoxes de Solesmes
Organisation conjointe avec la Fraternité Chrétienne

Nous lançons un appel à l’aide matérielle pour 5 familles grecques melkites catholiques qui ont été sauvées, par miracle, le 17 octobre 2013, des takfiristes d’al-Nosra alors qu’ils vivaient près du barrage de Tabqa en Syrie.
« Les âmes des justes sont dans la main de Dieu, et le tourment des méchants ne les atteindra pas. Ils ont paru mourir aux yeux des insensés; ils sont pourtant dans la paix, Alleluia…. » Chant de l’offertoire de la liturgie grégorienne de ce 1er Novembre, jour de la Toussaint chez les Latins.

Nouvelles de l’Orient Chrétien
Arrive-t-on encore à voir des signes de Dieu dans « cet enfer qu’est devenu Alep » ?

publié le 18 oct. 2013 par Jean-Pierre Fattal

Notre ami, Claude ZEREZ a bien voulu répondre, d’Alep, à nos questions. Merci Claude d’avoir bien voulu libérer votre esprit des menaces quotidiennes qui vous assaillent pour nous dire ce que représente pour vous en ces circonstances, la prière.

1° – Comment voyez-vous l’issue pour les chrétiens d’Alep ?

J’ai l’impression que Dieu, en nous faisant naître sur cette terre de Syrie, avait un plan pour nous et sur nous ; il nous demandait ainsi de continuer à porter le flambeau de la foi que nous ont transmis nos ancêtres qui avaient du subir avant nous, les souffrances de la persécution.

J’apprends aujourd’hui que les chrétiens de  Yabroud et de Kalamoun  ont été forcés à payer une « jizya » mensuelle aux « takfiristes »[1].

Le danger qui nous menace est très grand, et les conseils de prudence nous poussent à nous éloigner des régions chaudes et même à laisser le pays en attendant une issue à la guerre.
Beaucoup de martyrs chrétiens sont tombés. Nos enfants, nos soldats, nos femmes ; presque toutes les familles sont atteintes. Par ailleurs, des centaines de familles chrétiennes ont perdu leurs maisons et se sont retrouvées dans la misère, prises par la faim ou entraînées dans la perdition.

En dépit de l’émigration de dizaines de milliers de Chrétiens syriens, il y en aura toujours, nous le savons, qui resteront sur place et qui continueront à éclairer, par la vivacité de leur foi, la lumière du Christ.

2° – Pensez-vous que le sort des Chrétiens d’Alep est différent de celui du reste de la Syrie ?

Je crois qu’Alep est la ville qui a le plus subi les méfaits de la guerre par les destructions de plus de la moitié de la ville certes, mais également par la pénurie de nombreux biens essentiels à la vie quotidienne. Toutefois, d’autres villes comme Raqqa, Tabqa, Ya’coubieh et Mahloula, ont été vidées de toute présence chrétienne, par la destruction des églises et les massacres des familles chrétiennes…

Il faut reconnaître que la tentation de quitter la Syrie aujourd’hui reste grande. A Alep, des chrétiens pauvres mais aussi des membres de la bourgeoisie aisée, restent attachés à leur ville. Ceux qui demeurent sur place ne peuvent survivre qu’en comptant sur l’appui des Musulmans avec lesquels ils partagent le quartier, la souffrance et le siège de la ville, mais encore et aussi sur celui des militaires de l’armée arabe syrienne.

3° – Quel est le sentiment qui vous anime alors que vous êtes assiégés à Alep ?

Le sentiment serait-il le même que celui qui a animé ma grand-mère en 1915, lorsque les Ottomans avaient égorgé trente-huit membres de sa famille à Mardin en Turquie ? A cette période, des prêtres et des évêques Arméniens étaient aussi tombés sous les lames des soldats turcs. Mon sentiment est un mélange d’inquiétude, de confiance en Dieu, de proximité avec les martyrs et notamment avec ceux des premiers temps du christianisme. On dirait que l’histoire se répète.

Alep assiégée, manquant de l’essentiel, nous rapproche des pays les plus pauvres, des populations déshéritées d’Afrique soumises aux aléas du climat, que l’on regardait, de chez nous, parfois avec indifférence. Désormais, je ne regarderai plus, de la même manière, ces peuples privés par la nature.

Cette crise que nous vivons au fond de nous a fait remonter à la surface les bons moments de notre existence qui nous avions vécus avant les débuts de la guerre, mais dont nous nous plaignions à tort. Ces moments étaient finalement si doux.

4° – Parvenez-vous à prier au cœur de la violence ? Quelle prière dites-vous ?

Au cœur de cette violence et avec la disparition de notre fille bien-aimée, Pascale, la prière est devenue plus profonde, une vrai relation s’est développée avec Dieu qui nous donne la confiance et nous procure le repos intérieur ; Il est notre bouée dans cette mer de violence et de haine. Tous les jours, je me remets à l’écoute des chants qu’interprétaient ma fille, notamment la prière byzantine de l’hymne Acathiste et le Paraclicis de la Sainte-Vierge, Mère de Dieu.

5° – Arrive-t-on encore à voir des signes de Dieu dans « cet enfer qu’est devenu Alep » ?

Certainement, on a vu des prêtres, des moines et des laïcs, plein de bonne volonté, organiser des programmes d’actions d’aide aux familles totalement démunies.

L’immobilité et la difficulté de sortir de chez soi, a amené une ouverture des cœurs. Les relations entre voisins se sont transformées. Voisins au sein du même immeuble, appartenant à la même religion ou membre d’une autre confession, nous avons fini par devenir une grande famille. « L’humanité divine », au milieu de la brutalité et de la bestialité, ressemble au retour de la nature dans une ville désertée ; elle revient en force et n’a alors plus peur de rien. A Alep, nous devons pouvoir dire que l’humanité divine se lit par exemple dans la solidarité, la sympathie et la fidélité des bédouins, cette catégorie sociale souvent considérée par certains comme non-civilisée, mais dont le courage et la valeur nous a édifié durant notre épreuve.

6° – Les jeunes ont-ils encore le goût pour la prière ?

Ce qui nous inquiète le plus, ce sont les jeunes sans travail qui n’ont plus d’avenir clair et qui vivent dans un vide spirituel. Désormais trop de jeunes se sont éloignés de la prière, préférant s’engager dans des voies qui ne sont qu’autant d’impasses humaines : milices combattantes, exil en ayant recours à des voies illégales, drogues etc.

Si la prière a perdu du terrain auprès de la jeunesse, les mouvements d’église ont en revanche trouvé un regain d’intérêt tel que le scoutisme, la JEC et la JUC.

7° – A-t-on encore le cœur à chanter dans Alep ? A-t-on la force d’aimer ?

Même dans les moments difficiles durant les menaces franco-américaines de frapper la Syrie, alors que le monde craignait une troisième guerre mondiale, les Syriens continuaient à vivre normalement. La vie continue et les instants de joie existent toujours aux occasions de mariages, de rencontres familiales ou amicales. Cela n’empêche pas l’inquiétude voire l’angoisse de continuer à régner dans les cœurs.

8° – Quelles prières conseillerez-vous aux amis des Chrétiens de Syrie, qui vivent loin de chez vous ?

Nous n’avons pas de prières précise à conseiller. L’important c’est de prier, même d’une prière simple.

9° – Pouvez-vous nous citer la prière que vous trouvez la plus belle dans chacun des rites grec-melkite catholique, grec orthodoxe, maronite, syrien catholique, syrien orthodoxe.

Chez les grecs melkites catholiques et les grecs orthodoxes, celle que l’on peut qualifier de plus belle prière, est l’incantation qu’ont récité les fidèles dans l’Eglise Sainte Sophie au moment où ils invoquaient la Sainte Vierge, à la veille du siège de Constantinople par les Ottomans : « O Mère de Dieu nous sommes tes serviteurs, nous demandons des signes de victoire, Ô protectrice invincible. Nous t’offrons nos remerciements comme sauveur des dangers. Mais comme tu es invincible, libères-nous de tout genre de dangers. Ainsi nous te crions, réjouis-toi, Ô épouse sans époux ».

Pour les maronites, « Ô Mère de Dieu, Ô Tendre, Ô trésor de grâce et secours aie pitié de nous et de nos morts. Même si ton corps est loin, Ô Vierge notre Mère. Tes prières nous rassemblent et restent avec nous et nous protègent. Intercède auprès de ton fils pour nous pardonner nos péchés, par sa tendresse. Ne nous abandonne pas » …

Les Syriens [syriaques] catholiques et orthodoxes prient: [Al Sahranah] « La veilleuse » : « Ouvre nous la porte de tendresse, Ô Mère de Dieu bien bénite, car en comptant sur toi nous seront exaucés et sauvés de tout danger. Tu es le « sauveur » de tous les chrétiens »…

10° – Selon vous, dans l’histoire, qu’a apportée la prière à la Syrie et à son peuple ?

Les pères de l’Eglise d’Orient avec Saint-Ephrem, Romain le Mélode d’Emèse [Homs], Saint-Jean Damascène, Saint-Basile-le-Grand, Saint-Grégoire-de-Nysse, Saint-Jean-Chrysostome dit Bouche-d’Or, Saint-Marron, les moines, les ermites, les stylites avec St Siméon l’ancien et ceux qui l’on suivi, nous ont tous laissé des prières très belles et d’une grande richesse, hélas méconnues des fidèles eux-mêmes. Peut être que cette crise syrienne va-t-elle faire ouvrir les yeux des Chrétiens sur leur patrimoine d’invocation et leur faire prendre conscience de la nécessité de mettre plus souvent la prière de leur père dans leur coeur et sur leur lèvres et celles de leurs enfants.

11° – A part la prière, quel type d’aide espérez-vous de l’extérieur ?

Nous espérons des peuples occidentaux qu’ils montrent à leurs dirigeants politiques les erreurs de jugement qu’ils ont commises. Les gouvernements occidentaux ont suivi une voie inique et inhumaine. Par leur politique déséquilibrée, ils ont tué la notion de justice ; comment voulez-vous que les peuples y croient encore ? Leur discours sur la protection des minorités en Occident s’est révélé un propagande fallacieuse. Soixante ans de communisme n’ont pas eu raison de la foi russe. Deux siècles de révolution française et d’erreurs philosophiques n’auront pas raison de la vocation chrétienne des peuples qui ne peuvent vivre sans un Dieu proche d’eux, consolateur et miséricordieux; la philosophie des lumières ne connait ni consolation, ni miséricorde dont le siège est le coeur. Elle n’a donné de place qu’à la raison sèche, un produit du cerveau. Nous les Chrétiens du Proche-Orient, notre histoire a prouvé que notre raison était vivante car elle était soumise à la foi et pour cette raison nous ne sommes nul autre qu’un membre de ce corps ecclésial tout entier.

Oui, nous demandons l’aide de nos frères d’Occident pour qu’ils secouent leur dirigeants mais dans l’urgence, nous avons aussi besoin d’un soutien matériel. Que peut un corps malade et fragile insuffisamment muni ? Autour de nous, il y a un pressant besoin du minimum vital. Soyez en sûrs, ce n’est pas le caprice alimentaire qui est en danger, mais la nourriture vitale qui manque. Si l’adulte peut mieux résister au manque, s’il est capable de trouver sa nourriture même dans l’adversité, serait-ce le cas de nourrissons, des vieillards, des femmes fragiles ?

Merci pour toutes les bonnes intentions.

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