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‘Ce ne sont pas des êtres humains, mais seulement des Palestiniens’ : en Israël, un mal plus grave que le coronavirus


par lecridespeuples

Par Gideon Levy

L’esprit de Tsahal en une phrase : ce ne sont pas des êtres humains, ce sont des Palestiniens.

Source : Haaretz, le 22 février 2020

Traduction : lecridespeuples.fr

Nous devons remercier le conducteur du tracteur militaire qui est devenu fou dans les rues de Kfar Qaddum l’autre jour, et même lui décerner une citation à l’ordre du mérite : il a fourni une image incroyablement précise de la réalité d’Israël, tant pour les Israéliens que pour le monde extérieur.

Jetez un œil au clip vidéo qui circule sur les réseaux sociaux : voici ce qu’est l’occupation. Voilà à quoi ça ressemble. Voilà comment elle se comporte. Elle est lourde, violente et débridée. Il est difficile de penser à une image qui reflète mieux la situation que ce véhicule en acier se dirigeant sauvagement dans les rues d’un village palestinien, fonçant dans une foule qui essaie de fuir pour sauver sa vie [les images d’enfants brûlés par du phosphore blanc, d’autres tués d’une balle dans la tête ou de destructions d’immeubles avec leurs habitants à l’intérieur viennent également à l’esprit]. Peu importent les réprobations dubitatives : ce tracteur parle la langue de Tsahal, plus que toute autre chose. Oubliez le Coronavirus, c’est là la véritable épidémie, avec des millions de porteurs partout en Israël.

Qaddum est l’un des derniers villages palestiniens combattants. Les habitants s’y battent tous les jours de la semaine pour la réouverture d’une route de sortie qui a été bloquée en raison de la colonie illégale de Kedumim. Une vidéo de neuf minutes prise par des résidents il y a quelques jours montre des dizaines de jeunes gens courageux et en colère jetant des pierres sur des soldats, qui leur tirent des gaz lacrymogènes dans une chorégraphie de mort. Deux enfants y ont reçu une balle dans la tête ces derniers mois. Les soldats tirent, les jeunes se retirent, et c’est un combat du lance-pierre de David contre les lance-grenades, avec Jonathan Pollak du côté de la résistance et des cris amers qui s’élèvent en arrière-plan.

Et puis vient le tracteur. Il accélère rapidement vers les manifestants, le conducteur étant assis en hauteur et protégé. Il ne peut même pas discerner s’il écrase ou non des gens. Et il ne semble pas que cela le dérange. Ce ne sont pas des êtres humains qui lui font face. Ce sont des Palestiniens. Si quelqu’un glissait en fuyant, il serait écrasé à mort et le conducteur ne ressentirait rien. Personne n’appellerait cela une attaque par voiture-bélier. Le terrorisme n’est commis que par des Palestiniens.

Aux yeux du conducteur, il y a un troupeau devant lui qui doit être déplacé. Même les animaux ne doivent pas être repoussés de cette manière, mais c’est Qaddum, c’est l’occupation et c’est ainsi qu’elle fonctionne. Il n’y a aucune raison de se plaindre du conducteur, car il n’y a pas d’autre moyen de maintenir l’occupation et de maîtriser la résistance justifiée qui s’est réveillée.

Ce tracteur n’est pas un avion sophistiqué qui bombarde Gaza ou un missile intelligent qui peut exploser dans une chambre. Ce n’est qu’un tracteur. Une machine destinée à détruire des maisons et à évacuer les gens des routes. Mais le conducteur est sans aucun doute fier de son service militaire. Quelqu’un doit faire ce travail. Il y a quelques années, le type qui occupait ce poste s’appelait Dubi Kurdi. Son vrai nom était Moshe Nissim mais le système de communication de Tsahal dans le camp de Jénine lui a donné le surnom de Dubi Kurdi. Oh, le bon vieux temps qui reviendra ! Kurdi a détruit le camp de réfugiés de Jénine. Pendant 75 heures, il s’est assis dans un bulldozer D-9 et, avec ses amis, a effacé 530 maisons de réfugiés de la surface de la terre. Il a dit qu’il avait apprécié chaque instant, et qu’il regrettait seulement de ne pas avoir été autorisé à terminer son travail.

Le 31 mai 2002, au plus fort de l’opération Bouclier défensif (qui a tué 497 Palestiniens et en a blessé 1447 selon l’ONU), Yedioth Ahronoth a publié le récit de Dubi Kurdi. La vengeance de son tracteur reflétait l’esprit du temps. Le même esprit existe aujourd’hui. Peut-être s’est-il vanté en vain, peut-être qu’il a parlé ouvertement. Avec une bannière du club Beitar Jérusalem sur son bulldozer, une bouteille de whisky dans la boîte à gants et une grande chanson dans son cœur, Kurdi voulait aplatir une colline et transformer le camp de réfugiés de Jénine en stade Teddy (stade de football à Jérusalem). Il a obtenu ce qu’il voulait. Son unité a reçu une médaille.

« Pendant trois jours, j’ai écrasé ces maisons encore et encore. Je n’ai vu personne à l’intérieur tandis que les maisons s’effondraient, mais s’il y avait eu des gens à l’intérieur, je ne m’en serais pas soucié. Je suis sûr qu’il y avait des gens qui sont morts à l’intérieur. Mais c’était difficile à voir. Il y avait beaucoup de poussière. J’ai eu beaucoup de plaisir à voir toutes les maisons qui s’étaient écroulées. Parce que je savais qu’ils ne se soucient pas de mourir ; perdre une maison les blesse davantage. Détruisez une maison et vous avez enterré 40 à 50 personnes pour les générations à venir. J’en ai tiré beaucoup de satisfaction. J’ai beaucoup aimé. »

C’est l’héritage de Tsahal. L’autre jour, nous avons vu que cela n’avait pas changé.

***

Le porte-parole de Tsahal annonce : Continuez de tirer sur les enfants palestiniens

Par Gideon Levy

Source : Haaretz, le 15 février 2020

Traduction : lecridespeuples.fr

Les soldats israéliens tirent sur les enfants. Parfois, ils les blessent et parfois ils les tuent. Parfois, les enfants se retrouvent en état de mort cérébrale, parfois handicapés. Parfois, les enfants ont lancé des pierres sur les soldats, parfois des cocktails Molotov. Parfois, par hasard, ils se retrouvent au milieu d’une confrontation. Mais dans toutes les situations, ils ne mettent presque jamais la vie des soldats en danger.

Parfois, les soldats tirent intentionnellement sur les enfants, parfois par erreur. Parfois, ils visent la tête des enfants ou le haut du corps, et parfois ils veulent tirer en l’air et se ratent, touchant les enfants à la tête. C’est ce qui arrive quand un corps est petit.

Parfois, les soldats tirent avec l’intention de tuer, parfois de punir. Parfois, ils utilisent des balles réelles et parfois des balles recouvertes de caoutchouc ; parfois ils tirent à distance, parfois en embuscade, parfois à courte portée. Parfois, ils tirent par peur, par colère, par frustration ou encore par sentiment de n’avoir aucune autre option, ou par perte de contrôle ; parfois, ils tirent de sang-froid. Les soldats ne voient jamais leurs victimes par la suite. S’ils voyaient ce qu’ils ont causé, ils pourraient arrêter de tirer.

Les soldats israéliens sont autorisés à tirer sur des enfants. Personne ne les punit pour avoir tiré sur des enfants. Quand un enfant palestinien est abattu, ce n’est pas une histoire. Il n’y a pas de différence entre le sang d’un petit enfant palestinien et le sang d’un adulte palestinien. Ils sont tous les deux bon marché. Quand un enfant juif est blessé, tout Israël tremble, mais quand un enfant palestinien est blessé, Israël baille d’indifférence. Israël trouvera toujours, toujours une justification pour ses soldats tirant sur des enfants palestiniens. Il ne trouvera jamais, jamais de justification pour que des enfants lancent des pierres sur des soldats qui lancent un raid sur leur village.

Depuis six mois, un garçon nommé Abd el-Rahman Shatawi est en convalescence à l’hôpital de rééducation de Beit Jala. Depuis 10 jours, un de ses proches, Mohammed Shatawi, est à l’hôpital universitaire Hadassah, Ein Karem, à Jérusalem. Tous deux sont originaires du village de Qaddum en Cisjordanie. Des soldats israéliens leur ont tiré dessus, tous les deux en pleine tête. Les soldats ont tiré des balles réelles à grande distance sur Abd el-Rahman alors qu’il se tenait à l’entrée de la maison d’un ami, et ils ont tiré une balle recouverte de caoutchouc sur Mohammed depuis le sommet d’une colline, tout en essayant de se cacher d’eux sur cette même colline. L’armée a déclaré qu’il avait mis le feu à un pneu.

Abd el-Rahman a 10 ans et semble petit pour son âge. Mohammed a 14 ans et semble plus âgé que cela. Ce sont les enfants de la réalité palestinienne, tous deux suspendus entre la vie et la mort. Leur vie et celle de leurs parents ont été détruites. Le père d’Abd el-Rahman conduit son fils chez lui de Beit Jala à Qaddum une fois par semaine pour qu’il passe un week-end dans le village, et le père de Mohammed ne s’éloigne pas de la porte de l’unité de soins neuro-intensifs de Hadassah Ein Karem, où il est seul face à son fils et son sort. Aucun de ces enfants n’aurait dû être abattu. Aucun des deux n’aurait dû être atteint d’une balle dans la tête.

Après que Abd el-Rahman a été abattu, le bureau du porte-parole de l’armée a déclaré que « lors de l’incident, un mineur palestinien a été blessé ». Après que Mohammed a été abattu, le porte-parole a déclaré: « Une plainte concernant un Palestinien blessé par une balle en caoutchouc est connue de nos services. » Le bureau connaît la plainte. Le porte-parole de l’armée est la voix de l’armée israélienne. Tsahal est une armée populaire, c’est pourquoi son porte-parole parle également pour Israël.

Les porte-parole publient leurs déclarations sanglantes dans un nouvel immeuble de bureaux à Ramat Aviv, près de Tel Aviv, où le bureau a récemment déménagé. Ils qualifient un garçon de 10 ans de « mineur palestinien » et font remarquer que « la plainte palestinienne est connue » à propos d’un garçon qui lutte pour sa vie parce que des soldats lui ont tiré une balle dans la tête. La déshumanisation des Palestiniens a atteint les porte-parole de Tsahal. Même les enfants ne suscitent plus de sentiments humains tels que le chagrin ou la miséricorde, certainement pas dans Tsahal.

Le bureau du porte-parole de Tsahal fait bien son travail. Ses déclarations reflètent l’esprit du temps et du lieu. Il n’y a pas de place pour exprimer le moindre regret d’avoir tiré des balles dans la tête d’enfants, il n’y a pas de place pour la pitié, des excuses, une enquête ou une punition, et certainement pas pour une quelconque compensation. Tirer sur un enfant palestinien est considéré comme moins grave que de tirer sur un chien errant, pour lequel il y a encore une chance pour que quelqu’un fasse une enquête.

Le porte-parole de Tsahal annonce : Continuez de tirer sur les enfants palestiniens.

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