La vielle ville d’Alep ravagée par la guerre
octobre 21, 2016
France-Irak Actualité
Publié par Gilles Munier sur 21 Octobre 2016,
Par Claude Gaucherand (revue de presse : RT en français – 20/10/16)*
Dans une nation qui se veut une démocratie, ce n’est pas aux hommes politiques ou aux militaires, mais plutôt à la population d’approuver ou non l’engagement dans une guerre ou sa continuation, selon contre-amiral français (2S) Claude Gaucherand.
Il n’est de jour où nous n’entendons parler de guerre, comme d’une chose terrible et pourtant quotidienne, condamnable pour les uns, juste pour les autres. Mais de quoi parlons-nous exactement?
Quelques définitions
Il y eut la guerre en dentelle, summum de la civilisation si l’on en croit le major général J.F.C Fuller. Les batailles étaient réservées à la belle saison et les populations civiles en principe préservées. Puis selon l’auteur, avec la révolution française ce fut le retour à la barbarie avec le peuple en armes et la mobilisation des masses. La guerre de sécession fut l’occasion pour l’humanité de découvrir la guerre totale avant de faire quelques décennies plus tard l’expérience d’une Première Guerre mondiale.
Pour mémoire l’humanité a fait et continue de faire l’expérience des guerres coloniales, civiles, révolutionnaires, d’indépendance, indienne, toutes sortes de guerres qui peuvent se conjuguer bien évidemment, sans omettre les guerres de religion ni la guerre froide ou nucléaire, une exclusivité étatsunienne dont un important général a dit récemment qu’elle pouvait être de proche actualité. Un secrétaire d’Etat a rappelé dans le même temps que l’attaque nucléaire préventive faisait partie de la doctrine en vigueur à Washington.
Dernier avatar, la guerre contre le terrorisme. Déclarée juste parmi les guerres justes et présentant la caractéristique d’être mondiale et asymétrique. Sans fin prévisible, comme toutes les autres guerres mais davantage encore car le mal est métastasé à l’ensemble de l’humanité dans un univers désormais mondialisé. Sa longévité est d’ores et déjà acquise ! Ceux qui gouvernent le regrettent-ils tous ?
Enfin depuis quelques décennies la guerre a changé d’identité et peut se nommer opération extérieure, opération de maintien de la paix sous l’ombrelle de l’ONU ou encore intervention humanitaire même si au bout du compte il s’agit toujours de guerre avec ses morts, ses blessés, ses destructions, ses ruines et ses populations affamées. Sous cette identité, elle ne nécessite pas de déclaration.
Quelques questions
Les questions que pose la guerre en général sont multiples :
– en tout premier lieu celle des causes forcément diverses qui relèvent de l’économie, des traités d’alliance (traité de l’Atlantique nord) ou d’accords de défense, de la psychologie des dirigeants et de celle des masses plus ou moins conditionnées, des religions voire des confessions, de projets de civilisation, de la volonté de puissance et de conquête, de la démographie, des ethnies en présence, de frontières mal dessinées, de minorités asservies, du contrôle des matières premières, etc
– viennent ensuite quatre questions plus simples auxquelles nous allons tenter de répondre car elles sont d’une actualité brûlante pour la nation française qui se déclare par la voix de ses dirigeants urbi et orbi une démocratie, mère des droits de l’homme et du citoyen. Le mot citoyen revêt ici une importance particulière comme nous le verrons plus loin.
Qui en décide ? Qui la conduit ? Qui la fait ? Qui en subit le coût et les conséquences ?
Qui en décide ?
Sous la quatrième République comme sous la cinquième, l’exécutif décide ; dans le cas de la quatrième, seul le Parlement pouvait autoriser la déclaration de guerre, depuis 1958 ce n’est plus tout à fait le cas car comme le stipule l’article 35, si…
«La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement.
Le gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote.
Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort.»
Ce fut le cas en Libye en 2011, et c’est encore dans le cas précis des théâtres d’opération de Libye, de Syrie et d’Irak où une unité d’artillerie vient d’être mise en place à l’occasion de la bataille de Mossoul.
Qui la conduit ?
La formule de Clemenceau, prononcée en 1887 alors que le général Boulanger en était le ministre titulaire, «la guerre est une chose trop grave pour être confiée aux militaires», fut mise en pratique par le même, devenu président du conseil des ministres en 1917, soit trente ans plus tard, avec une autre formule incisive lors de sa déclaration au Parlement :
«Ma politique intérieure ? Je fais la guerre ; ma politique étrangère ? Je fais la guerre.»
Et de fait il écarta le maréchal Joffre qui, jusqu’alors, décidait en dernier ressort de la conduite des opérations. Il convient cependant de se poser la question de savoir si le rôle d’un homme d’Etat en matière de politique étrangère n’est pas plutôt de rechercher par la diplomatie la voie conduisant à l’armistice puis à la paix, la finalité de la guerre, «continuation de la politique par d’autres moyens», étant de gagner la paix, la victoire n’étant qu’un objectif vers le but à atteindre.
De ce point de vue l’histoire est sévère à l’endroit du trio Wilson, Lloyd George, Clemenceau qui, forts de leur victoire commune, réussirent le prodige de semer les germes de la Deuxième Guerre mondiale par le traité de Versailles qu’ils avaient dicté, humiliant une Allemagne vaincue.
La cinquième république qui n’a plus d’ennemi à ses frontières, n’a donc pas connu de guerre à proprement parler mais des opérations de maintien de l’ordre en Algérie conduisant toutefois à mobiliser une armée de 500 000 hommes, et des opérations extérieures soit par application d’accords en matière de défense avec d’anciennes colonies devenues indépendantes en 1962, soit dans le cadre d’opérations dites de maintien de la paix et/ ou de caractère humanitaire sous l’égide de l’ONU : Tchad, Côte d’Ivoire, Gabon, Congo Brazzaville ou Kinshasa, Liban, Yougoslavie, Afghanistan, Libye, Mali, Irak, Syrie, liste non exhaustive des pays où ont été et éventuellement sont encore engagées les armées françaises.
La conduite de ces opérations relève à l’évidence du politique, ne revient aux militaires que leur exécution. Et comme le dit Alain Juppé avec beaucoup de finesse, «un militaire ça ferme sa gueule». S’il devient président de la République, il sera chef des armées….
Qui la fait? Qui en subit le coût et les conséquences ?
Naturellement ce ne sont ni ceux qui en décident ni même ceux qui l’autorisent, à de rares exceptions près, mais la part de la population active de la nation qui la fait et l’ensemble de la nation qui en subit les effets. Avec 1 350 000 morts au combat de 1914 à 1918, c’est 10,5 % de sa population active, 27% des 18/27 ans que la France a perdus en termes de vies humaines, abstraction faite des grands blessés et invalides, sans omettre 300 000 disparus et 300 000 civils.
De 1939 à 1945 la France a encore perdu 217 000 morts au combat auxquels ajouter 30 à 40 000 Alsaciens Lorrains sous uniforme allemand et pour les civils entre 200 et 400 000 morts selon les évaluations.
Depuis 1792 et jusqu’en 1999 les armées françaises ont été des armées de conscription. Au cours de toutes ces guerres – à l’exception de la guerre d’Indochine – les combattants étaient l’émanation même de la nation ne comprenant qu’un noyau dur de professionnels dans toutes les catégories, hommes du rang, sous-officiers et officiers. Ce que l’on a appelé la guerre d’Algérie, tout à la fois guerre d’indépendance et guerre civile où le terrorisme joua un rôle sans équivalent avec ce que vit aujourd’hui notre pays, fut la dernière où le contingent a joué un rôle déterminant. Certains de nos hommes politiques y participèrent, dont le futur président Jacques Chirac et le futur ministre de la défense Jean Pierre Chevènement. Du côté des forces de l’ordre 24 000 militaires environ dont 5 000 supplétifs musulmans y périrent, 55 à 66 000 y furent blessés, et près de 5 000 « Pieds noirs » furent tués ou portés disparus.
Depuis 1991, c’est-à-dire avant même la guerre d’Irak conduite sous la bannière de l’ONU, la France n’a plus engagé d’appelés du contingent sur les théâtres d’opération.
La professionnalisation décidée le 28 mai 1996 par le président Chirac a vu la libération des derniers appelés le 30 novembre 2001. Les opérations extérieures – OPEX – sont désormais exécutées par des professionnels. Dans la nation, les pertes qu’elles occasionnent n’ont pas vraiment de retentissement, elles sont considérées comme le tribut des risques du métier que ces professionnels ont choisi d’exercer.
Cependant toutes ces opérations ont un coût non seulement en hommes mais en matériel, en munitions, en équipements sans omettre les actions dites terroristes et il ne vient à l’idée de personne de demander au peuple français son avis sur tout cela. Les médias, nationaux ou pas, répondent pour eux d’une seule voix, celle du pouvoir en place qui en décide et qui en conduit le cours. Ils ne peuvent que l’approuver.
Le succès des armées françaises et britanniques en Libye avec le soutien des Etats Unis ne doit pas cacher les conséquences désastreuses que cette opération sous couvert de l’ONU eut pour les Libyens tout d’abord, puis pour le Mali. Décidée par le président Sarkozy, la participation des armées à cette opération reçut l’aval de l’ensemble de la classe politique et médiatique, à de rares exceptions près. L’un quelconque de ceux qui l’ont décidée puis autorisée a-t-il été questionné ? Inquiété ? Condamné ? Non, aucun d’entre eux. Satisfaits de ce qui a été accompli, les mêmes tout en intervertissant quelques rôles n’ont eu et n’ont encore de cesse de vouloir rejouer le même scénario en Syrie. Sans en préciser le coût ! Avec l’approbation de la nation ?
En guise de conclusion
Si l’on admet avec Georges Clemenceau que «la guerre est une chose trop grave pour être confiée aux militaires», si l’on pense avec Alain Juppé qu’«un militaire ça ferme sa gueule», si l’on soutient avec Clausewitz que «la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens», et qu’elle sanctionne les erreurs des politiques dans la conduite de la paix, nous pouvons en conclure que ce n’est donc à aucune de ces deux catégories de citoyens de décider et d’approuver l’entrée en guerre de la nation. Au vu des souffrances et du prix à payer par la population toute entière, dans une nation qui se veut une démocratie, – et ce mot a une signification étymologique – ce devrait être à elle d’en approuver ou non l’engagement puis la continuation. A l’heure de l’informatique individuelle et de la transmission instantanée, on devrait pouvoir compter sur l’imagination d’un homme ou d’une femme politique véritablement démocrate pour en proposer les modalités. C’est le vœu que je formule bien que sans illusion de le voir un jour exaucé.
Sans espoir, sans réussite, il nous faut toutefois persévérer.
*Claude Gaucherand est un contre-amiral et écrivain français. Attaché naval à Londres (1981-1984), il a servi au SGDN de 1986 à 1988 ; assumé de 1992 à 1996 le commandement interarmées des forces françaises au Cap Vert (Sénégal) et de la zone maritime de l’Atlantique sud. Il a quitté la Marine en 1996.
Source : RT en français
Photo : La vielle ville d’Alep ravagée par la guerre