Réorganisation de la guerre impérialiste américaine en Afghanistan et en Asie centrale
avril 25, 2021
Par Patrick Martin et Robert Bibeau
L’auteur de l’article ci-dessous, Patrick Martin, écrit ceci: « Bref, après avoir détruit le pays, les Américains laissent une situation exactement la même que celle qu’ils avaient rencontrée il y a vingt ans lors de l’invasion: les taliban à la porte du pouvoir. Ces centaines de milliers de morts ou blessés afghans pour soi-disant libérer la femme afghane de sa burqa, combattre le « terrorisme » et s’emparer des richesses pétrolifères et gazières du sous-sol. Une guerre inutile et désastreuse.» (Voir l’analyse de Patrick Martin ci-dessous)
Cette agression américaine (soutenue par l’OTAN) a tué, blessé et déplacé des centaines de milliers d’Afghans et a détruit un pays déjà exsangue. Pire, cette invasion impérialiste semble avoir été inutile en termes de combat contre le terrorisme (taliban, Al-Qaïda, Daesh). Pour tirer un bilan de ces vingt années de guerres meurtrières imposées au peuple afghan, il faut bien comprendre les objectifs de cette agression d’une superpuissance capitaliste contre l’un des pays les plus pauvres de la planète ne bénéficiant d’aucune richesse naturelle (ni pétrole ni gaz) sauf le pavot pour produire l’héroïne vendue sur les marchés occidentaux. L’Afghanistan est un pays sous-développé vivant sous le mode de production et les rapports de production féodaux.
L’objet de l’invasion américaine, soutenue par l’OTAN, n’était pas d’éradiquer le terrorisme – que les Yankees financent et supportent depuis des décennies – mais de mater certains groupes terroristes (taliban entre autres) afin qu’ils acceptent de jouer les mercenaires à la solde des USA dans sa guerre planétaire contre l’Empire chinois en progression. Oubliez les fadaises à propos de la guerre de libération de la femme afghane voilée, ou de l’éradication d’Al-Qaïda qui deviendra Daesh et autres acronymes publicitaires. Oubliez la guerre pour établir la démocratie bourgeoise dans ce pays d’aristocratie clanique féodale que les États-Unis subventionnent grassement. Cette guerre génocidaire ne visait pas non plus à s’emparer du pétrole et du gaz afghan inexistant.
Pa cette guerre asymétrique la puissance américaine voulait faire de l’Afghanistan géostratégiquement bien située une base militaire avancée sur la route qui relie la Chine à l’Iran, au Kazakhstan, et à la Russie d’où les éventuels mercenaires talibans seraient partis pour miner et dynamiter Les Nouvelles Routes de la Soie Chinoise. https://les7duquebec.net/archives/263354
Il y a 20 ans déjà la Chine impérialiste avait annoncé ses intentions de s’étendre à l’Ouest via « Les nouvelles routes de la Soie », un mégaprojet d’infrastructure de transport partant du cœur de la Chine (l’atelier du monde) et se dirigeant par terre, par mer et par les airs vers l’Europe de l’Ouest le premier marché mondial (500 millions de consommateurs) et vers l’Iran et son pétrole si nécessaire à la Chine en expansion. Le projet de l’impériale Chine (1000 milliards USD d’investissement), toujours en cours, prévoit entre autres la construction de gazoduc, d’oléoduc, d’autoroutes, de voies ferrées, de ponts, de tunnels de gares ferroviaires, traversant l’Asie centrale et l’Afghanistan en direction de l’Iran, de la Turquie, puis de la riche Europe consommatrice en tout genre. Les Nouvelles Routes de la Soie sont le nom de code de la stratégie chinoise dans sa guerre commerciale contre l’Occident décadent. https://les7duquebec.net/archives/261211 et ici : https://les7duquebec.net/archives/260155
Pour déterminer si cette guerre meurtrière a été utile ou futile pour l’empire yankee, il faut savoir si « l’accord de paix » (sic) signée entre l’agresseur américain et les taliban vainqueurs permet aux USA de se servir du territoire afghan pour espionner, attaquer et détruire les infrastructures chinoises construites à proximité de ce pays enclavé. Personnellement je parie que oui, contre rémunération. Voilà pourquoi l’administration Trump, suivi par l’administration Biden, a annoncé le retrait du gros de ses troupes et une subvention annuelle pour payer les services des nouveaux mercenaires afghans. Le peuple d’Afghanistan ne verra pas un dollar de cet argent mal acquis…ni de la paix promise. Les Américains s’étant assuré que la guerre civile interclanique se poursuivrait sur cette terre féodale de crimes et de rapines. (Robert Bibeau. Éditeur).
La guerre américaine en Afghanistan : Un crime historique
Par Patrick Martin
Le président américain Joe Biden a annoncé mercredi que l’intervention militaire américaine en Afghanistan prendra fin le 11 septembre 2021 et que le dernier soldat américain quittera ce pays quelques semaines avant le 20e anniversaire de l’invasion et de la conquête américaine de ce pays d’Asie centrale, le 7 octobre 2001.
Biden est le troisième président américain à promettre de mettre fin à la guerre en Afghanistan. Même si les quelque 3 500 derniers soldats américains quittent le pays, il restera des milliers d’agents de la CIA, de mercenaires et de parachutistes qui soutiennent le gouvernement fantoche du président Ashraf Ghani. Et le Pentagone continuera à larguer des bombes et à tirer des missiles plus ou moins à volonté sur ce que les États-Unis appellent des cibles « terroristes ». Un nouveau déploiement de troupes de combat, comme en Irak, est tout à fait possible.
Mais l’annonce de M. Biden est l’occasion de dresser le bilan de la plus longue guerre de l’histoire des États-Unis, une guerre qui a produit des souffrances incalculables pour le peuple afghan, dilapidé de vastes ressources et brutalisé la société américaine. Selon les chiffres officiels, plus de 100 000 Afghans ont été tués dans cette guerre, ce qui est sans doute une vaste sous-estimation.
Les États-Unis ont mené cette guerre par les méthodes de la « contre-insurrection », c’est-à-dire par la terreur : bombardements de fêtes de mariage et d’hôpitaux, assassinats par drones, enlèvements et torture. Dans l’une des atrocités qui ont couronné cette guerre, en 2015, des avions américains ont mené une attaque d’une demi-heure contre un hôpital de Médecins sans frontières à Kunduz, en Afghanistan, tuant 42 personnes.
Les brèves remarques de Biden annonçant le retrait militaire n’ont fait aucune référence aux conditions désastreuses dans le pays, dont l’impérialisme américain porte la principale responsabilité.
La guerre, fondée sur une déformation délibérée des objectifs réels des États-Unis, a été vendue à la population américaine comme une réponse aux événements du 11 septembre 2001, qui n’ont jamais fait l’objet d’une enquête sérieuse. Il s’agissait, en réalité, d’une guerre d’agression illégale, visant à dominer et à subjuguer une population historiquement opprimée dans la poursuite des intérêts prédateurs de l’impérialisme américain.
Personne n’a été tenu responsable des crimes perpétrés par l’armée américaine en Afghanistan, y compris les responsables de l’administration Bush, qui l’a lancée, et de l’administration Obama, qui l’a perpétuée. George W. Bush est dernièrement loué comme un homme d’État parce qu’il est moins ouvertement grossier et dictatorial que Donald Trump.
Barack Obama est traité par les médias comme une célébrité alors qu’il est le seul président américain à avoir fait la guerre tous les jours où il était en fonction. Ses principaux collaborateurs, de Donald Rumsfeld à Hillary Clinton, bénéficient de retraites millionnaires. Le vice-président d’Obama occupe désormais la Maison-Blanche. Cette guerre criminelle a été soutenue par toutes les sections de l’establishment politique américain, républicain et démocrate, y compris le sénateur Bernie Sanders, qui a voté pour.
La nature de cette guerre ou de toute autre, son caractère progressif ou réactionnaire, est déterminée non pas par les événements immédiats qui l’ont précédée, mais plutôt par les structures de classe, les fondements économiques et les rôles internationaux des États qui sont impliqués. De ce point de vue décisif, l’action actuelle des États-Unis est une guerre impérialiste. Le gouvernement américain a initié la guerre dans la poursuite d’intérêts internationaux de grande envergure de l’élite dirigeante américaine.
Quel était l’objectif principal de la guerre ?
L’effondrement de l’Union soviétique il y a dix ans a créé un vide économique et donc politique en Asie centrale, qui abrite le deuxième plus grand gisement de réserves prouvées de pétrole et de gaz naturel au monde. La région de la mer Caspienne, à laquelle l’Afghanistan offre un accès stratégique, recèle environ 270 milliards de barils de pétrole, soit quelque 20 % des réserves prouvées mondiales. Elle contient également 665 trillions de pieds cubes de gaz naturel, soit environ un huitième des réserves de gaz de la planète.
L’intervention américaine en Afghanistan a commencé, non pas en 2001, mais en juillet 1979, lorsque l’administration Carter a décidé d’aider les forces qui combattaient le gouvernement soutenu par l’Union soviétique, dans le but, comme l’a dit le conseiller à la sécurité nationale Zbigniew Brzezinski, de « donner à l’URSS sa guerre du Vietnam ».
Après l’invasion soviétique de décembre 1979, la CIA a collaboré avec le Pakistan et l’Arabie saoudite pour recruter des fondamentalistes islamiques afin qu’ils se rendent en Afghanistan et y mènent une guérilla, une opération qui a permis d’amener Oussama ben Laden en Afghanistan et de créer Al-Qaïda.
Les taliban sont également le fruit de l’armement et de l’entraînement pakistanais, du financement saoudien et du soutien politique américain. Bien que le groupe fondamentaliste ait émergé des camps de réfugiés au Pakistan comme une sorte de « fascisme clérical », sous-produit de décennies de guerre et d’oppression, l’administration Clinton a approuvé sa prise de pouvoir en 1995-96 comme la meilleure perspective pour restaurer la « stabilité ».
De 1996 à 2001, les relations des États-Unis avec l’Afghanistan ont tourné autour des projets de pipelines destinés à acheminer le pétrole et le gaz du bassin de la mer Caspienne sur un itinéraire qui contournerait la Russie, l’Iran et la Chine. Zalmay Khalilzad, l’éternel envoyé américain dans la région, et Hamid Karzai, le premier président afghan soutenu par les États-Unis, travaillaient tous deux pour le géant pétrolier Unocal.
L’administration Bush a menacé d’engager une action militaire contre les talibans à plusieurs reprises en 2001. Les attentats terroristes du 11 septembre, loin d’être des événements qui ont « tout changé », ont déclenché une attaque planifiée de longue date. Et il existe de nombreuses preuves que les agences de renseignement américaines ont permis aux attaques du 11 septembre de se produire afin de fournir le prétexte nécessaire.
On a analysé la conquête rapide de l’Afghanistan et l’effondrement du régime taliban comme un événement qui a révélé la férocité criminelle de l’impérialisme américain, puisque des milliers de personnes ont été tuées dans les bombardements américains et que des milliers d’autres ont été massacrées par les milices soutenues par les États-Unis.
Le régime établi à Kaboul
Était une alliance instable d’anciens responsables talibans comme Hamid Karzai, chef d’une tribu pachtoune, et de l’Alliance du Nord, fondée sur les minorités tadjik, ouzbèke et hazara. L’invasion américaine a eu un effet non moins déstabilisant sur la géopolitique, car tous les États voisins, y compris l’Iran, la Russie, la Chine et le Pakistan, ont considéré l’énorme force expéditionnaire américaine, qui a atteint 100 000 hommes à différents moments sous les administrations Bush et Obama, comme une menace permanente juste au-delà de leurs frontières.
L’administration Bush allait ensuite commettre un acte de barbarie encore plus sanglant, avec l’invasion de l’Irak en 2003, qui a créé les conditions d’une déstabilisation plus large de l’ensemble du Moyen-Orient, aujourd’hui dévasté par des guerres civiles et des interventions impérialistes en Syrie, en Libye et au Yémen. Les administrations Bush et Obama ont combiné des budgets militaires record avec des mesures d’état policier à l’intérieur du pays, le renforcement de l’état de surveillance et l’austérité économique – coupes budgétaires, réductions de salaire et détérioration du niveau de vie de la majorité des travailleurs.
Fin de la phase « guerre du Golfe » et amorce de la phase « assaut contre la Russie »
La guerre en Afghanistan faisait partie d’une invasion de l’impérialisme américain, débutant avec la guerre du Golfe de 1991, visant à compenser le déclin économique des États-Unis par des moyens militaires.
Le dernier quart de siècle de guerres déclenchées par les États-Unis doit être étudié comme une chaîne d’événements interconnectés. La logique stratégique de la volonté américaine d’hégémonie mondiale s’étend au-delà des opérations néocoloniales au Moyen-Orient et en Afrique. Les guerres régionales en cours sont des éléments constitutifs de l’escalade rapide de la confrontation des États-Unis avec la Russie et la Chine. https://les7duquebec.net/archives/263533
L’une des principales considérations qui sous-tendent les plans de Biden pour le retrait des forces militaires américaines d’Afghanistan est de concentrer les ressources de l’armée américaine sur l’escalade du conflit avec la Russie et, surtout, la Chine. Ces dernières semaines, Biden a supervisé une série d’actions de plus en plus provocantes en Asie de l’Est, et l’armée américaine a inscrit dans sa doctrine officielle la nécessité de se préparer à un « conflit entre grandes puissances ». https://les7duquebec.net/archives/263153
Robert Bibeau | 24 avril 2021 à 10 h 24 min | Adresse URL : https://les7duquebec.net/?p=263598