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La Syrie, pièce embarrassante dans le puzzle américain .


 Analyse –  Géopolitique et stratégie – Réflexion

 Mardi 13 décembre 2011

Interview de Mohamed Hassan par Tony Busselen et Bert De Belder du PTB.

Si on ne se fiait qu’aux hommes politiques et aux médias européens ou américains, il semblerait bien que le monde entier veuille un changement de régime en Syrie. Ailleurs, c’est moins évident. Mohamed Hassan situe la Syrie dans le grand puzzle du Moyen-Orient et de l’Asie centrale.

Qui sont les forces vives qui veulent un changement de régime en Syrie et pourquoi le veulent-elles? ?

Mohamed Hassan : Ce sont les États-Unis, Israël et les régimes arabes réactionnaires du Golfe, surtout l’Arabie saoudite et le Qatar. Et, ensuite, les sunnites libanais veulent également que le président Al-Assad s’en aille.

Pour eux, l’actuelle Syrie constitue un pont entre l’Iran, les Hezbollah chiite au Liban et le Hamas dans la bande de Gaza.

Depuis la guerre contre l’Irak, la Ligue arabe est aux mains des dirigeants féodaux d’Arabie saoudite et des États du Golfe. En fait, la Ligue est davantage un prolongement de la politique étrangère américaine qu’une Ligue censée défendre les intérêts du monde arabe. Depuis cette même guerre en Irak, tous les gouvernements progressistes ont été marginalisés.

En 2006, la Ligue arabe était déjà aux côtés d’Israël quand l’armée israélienne a envahi le Liban : la Ligue arabe a condamné à l’époque le Hezbollah, prétendument parce qu’il provoquait Israël. Pour les États-Unis, Israël et les régimes arabes réactionnaires, la défaite d’Israël au Liban a été un choc énorme. L’armée israélienne, qu’on estimait invincible, avait dû céder face au Hezbollah? !

Pendant la guerre en Libye aussi, la Ligue arabe et les États du Golfe ont joué un rôle important.

Mohamed Hassan : C’est un fait. Depuis lors, nous savons que nous vivons une période dans laquelle les choses peuvent aller bien plus vite que nous le pensons. Mais la question de la Syrie est quand même plus compliquée que celle de la Libye. Personne ne peut prévoir comme va évoluer la situation en Syrie et dans la région.

Pour les États-Unis et les États du Golfe, la principale menace au Moyen-Orient réside dans l’influence croissante de l’Iran. L’occupation de l’Irak s’est soldée par un fiasco et l’influence de l’Iran en Irak n’a jamais été aussi grande. Après la Chine, l’Irak est le plus important partenaire commercial de l’Iran.

L’Iran est-il une grande puissance régionale qui peut faire reculer l’influence américaine? ?

Mohamed Hassan : Effectivement. En compagnie des cinq autres grands fournisseurs de gaz de la région – Russie, Chine, Turkménistan, Ouzbékistan et Kazakhstan –, l’Iran veut former une sorte d’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole, NDLR) des pays producteurs de gaz, de sorte qu’ils puissent obtenir des prix plus élevés pour celui-ci.

On assiste à une collaboration croissante, pour l’approvisionnement en gaz, entre l’Iran et des pays comme l’Inde et le Pakistan : un « pipeline de la paix » est en construction et il y a de grands projets en cours pour la construction d’une raffinerie de gaz en Iran, en compagnie de l’Inde. Les tensions entre l’Inde et le Pakistan diminuent dans la mesure où les deux pays ont davantage d’intérêts économiques communs.

Une grande partie du grand Moyen-Orient risque d’échapper à l’influence des États-Unis. Du Pakistan en passant par l’Iran et l’Irak jusqu’en Syrie et à la Méditerranée. Ce scénario est un cauchemar pour les Américains, pour Israël et pour les régimes arabes féodaux et réactionnaires. Un changement de régime en Syrie est pour toutes ces forces d’une importance cruciale afin de pouvoir contrer l’influence croissante de l’Iran.

Comment voyez-vous le rôle de la Turquie, qui intervient de plus en plus? ?

Mohamed Hassan : La Turquie a elle aussi l’ambition de devenir une grande puissance régionale relativement indépendante. Le Premier ministre Erdogan utilise un langage très dur à l’égard d’Israël, ce qui fait que la Turquie s’est rendue très populaire dans le monde arabe.

Et la Turquie se projette comme un pays qui entend contrôler l’industrie du gaz dans la mer Égée, au détriment de la Grèce et de la Syrie. Dans les Balkans aussi, la Turquie gagne en influence : le commerce avec des pays comme la Roumanie, la Bulgarie, la Macédoine et l’Albanie s’accroît.

La Turquie a tout intérêt à entretenir des rapports de bon voisinage avec l’Iran et la Syrie et, jusqu’il y a peu, les relations entre la Turquie et la Syrie étaient très bonnes. Par ailleurs, elle préfère à nouveau voir un gouvernement sunnite au pouvoir à Damas. Scénario qui serait possible en cas de chute du gouvernement syrien. On obtiendrait alors une situation qui ressemblerait à celle de l’ancien Empire ottoman, lorsque la Turquie contrôlait la Syrie avec l’aide de la noblesse féodale sunnite.

La chute du président syrien Assad signifierait en même temps un affaiblissement de l’Iran, le principal rival de la Turquie en Asie centrale. Dans des pays comme le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan, la langue véhiculaire est en effet apparentée au turc.

Enfin, il y a un lien croissant avec des pays comme l’Arabie saoudite, où Turkish Airways a multiplié par cinq son chiffre d’affaires ces dernières années et dont, dans un même temps, les investissements en Turquie n’ont cessé d’augmenter. Une collaboration pour faire tomber Assad pourrait encore améliorer la bonne intelligence avec l’Arabie saoudite et renforcerait ainsi la Turquie. Voilà toutes les raisons pour la Turquie de soutenir un changement de régime en Syrie. Mais Ankara joue toutefois avec le feu dans une région si instable, avec tant d’acteurs et d’intérêts différents.

La Turquie est membre de l’Otan. N’est-elle pas, dans ce cas, un État vassal des États-Unis? ?

Mohamed Hassan : Militairement, la Turquie collabore effectivement avec les États-Unis, mais ce n’est pas encore ce qui en fait un État vassal. Les Turcs voient la chose comme une situation où les deux parties sont gagnantes. Ainsi, la Turquie a accepté d’accueillir les installations radar du bouclier balistique américain en échange d’un accès aux drones (appareils sans pilote, NDLR) sophistiqués américains, qu’elle compte utiliser dans la lutte contre le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, NDLR). À l’égard de l’Europe aussi, la Turquie suit une stratégie habile : elle veut bien entrer dans l’Union, mais pas dans la zone euro. Elle pourrait conserver ainsi un avantage dans ses exportations, avec sa monnaie faible face à un euro plus fort, tout comme la Pologne.

Quelle est la stratégie des États-Unis dans la région? ?

Mohamed Hassan : Les États-Unis sont plongés dans une profonde crise économique et politique. C’est, comme pour l’Europe, l’expression de la crise générale du capitalisme. Obama veut épargner sur les nombreuses et coûteuses bases disséminées à travers le monde. Il attache beaucoup d’importance à la combinaison des forces spéciales et des drones, qui sont surtout utiles pour des interventions militaires ponctuelles. En même temps, il essaie de répercuter autant que possible les interventions militaires sur les alliés et les sous-traitants locaux, tel le Qatar.

Le secrétaire général de l’Otan, Rasmussen, et le ministre américain de la Défense, Panetta, ont tiré les mêmes leçons de la guerre contre la Libye. Finalement, l’intervention américaine en Libye a été décisive, alors que l’Europe aurait dû aborder cette guerre elle-même, puisque c’était dans son propre jardin? ! La leçon est donc que les États européens membres de l’Otan doivent d’urgence investir dans la grosse artillerie militaire. Mais, en ces temps d’économies, ce n’est pas une chose facile à défendre.

Pour les États-Unis, la Chine est le principal rival à l’échelle mondiale. Washington se rend compte qu’elle ne pourra jamais remporter la lutte économique contre la Chine, et certainement pas dans un environnement de paix. Aussi la stratégie des États-Unis est-elle centrée sur le blocage de l’influence économique croissante de la Chine.

Si les États-Unis ne peuvent pas garder le terrain solidement en main, ils créent le chaos afin de plonger l’adversaire dans les difficultés. Ils viennent d’installer un régime réactionnaire en Libye. Au Pakistan, ils soutiennent les Baloutches et leur lutte pour l’indépendance, et ils œuvrent contre le pipeline prévu entre le port de Gwadar et la Chine.

Ils poussent le gouvernement et l’armée du Pakistan à mener la guerre contre leur propre population sous prétexte de lutter contre les Talibans afghans. Le chaos qu’ils créent en Somalie sévit sur toute la Corne de l’Afrique. Et, au Sud-Soudan, qui vient à peine de se séparer, les Américains veulent emporter le pétrole via un pipeline direct vers le Kenya, sans passer par le Nord-Soudan.

Enfin, il y a le facteur du printemps arabe.

Mohamed Hassan : Avec les révoltes populaires en Tunisie et en Égypte, l’impérialisme a été quelque peu perturbé, mais, récemment, il a de nouveau marqué des points. Ces « révolutions » n’ont encore rien changé de fondamental. Il faut bien tenir compte du fait qu’un pays comme l’Égypte a connu quarante ans de démantèlement économique. Ce pays avait besoin d’une révolution? ! Aujourd’hui, il n’y a encore eu guère plus qu’une étincelle, mais les troubles se poursuivront dans le pays tant que rien ne changera fondamentalement.

On peut tenir des élections et en même temps tenter de poursuivre le maintien d’une dictature militaire et, finalement, la population n’a pas d’autre choix que de se révolter jusqu’à ce que vienne un système politique qui corresponde à ses intérêts. Et on a quand même atteint quelque chose.

L’Égypte de Moubarak avait perdu toute souveraineté : elle était soumise à Israël, elle ne contrôlait pas vraiment le canal de Suez et elle envoyait des médecins militaires en Afghanistan.

Le fait que les Égyptiens ont pris d’assaut l’ambassade d’Israël aurait été impensable il y a un an. Mais cela s’est bel et bien produit, voici quelques semaines. Aujourd’hui, Le Caire refuse encore de fournir du gaz à Israël en dessous du prix du marché, comme naguère, et il a déjà laissé naviguer un vaisseau de guerre iranien dans le canal de Suez…

Mohamed Hassan  mardi 13 décembre 2011

Tony Busselen et Bert De Belder

Source : le site du PTB

http://www.ptb.be/weekblad/artikel/interview-de-mohamed-hassan-la-syrie-piece-embarrassante-dans-le-puzzle-americain.html

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