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Irak – Naji Haraj : « Les milices pro-iraniennes ont commis des violations des droits de l’homme en Irak »


Publié par Gilles Munier sur 18 Avril 2023, 07:45am

Catégories : #Irak

Un jeune étudiant irakien manifestant à Bagdad contre le gouvernement irakien

Par Shathil Nawaf Taqa (revue de presse : Le Comptoir – 17 avril 2023)*

Naji Haraj est un ancien diplomate irakien ayant représenté son pays à l’Organisation des Nations unies à Genève. Aujourd’hui, il est le directeur exécutif du Geneva International Centre for Justice (GICJ), une organisation non-gouvernementale dont l’objet est la promotion et le renforcement des engagements des États envers les droits de l’homme. Depuis 2003, Naji Haraj se consacre à la lutte contre les violations des droits de l’homme, notamment en Irak. Il intervient régulièrement lors des conférences et dans les universités.

Le Comptoir : Aujourd’hui, le monde entier commémore les vingt ans de l’invasion de l’Irak. Comment évaluez-vous ces vingt dernières années en Irak en termes de droits de l’homme ?

Naji Haraj : Vingt ans se sont écoulés depuis l’invasion de 2003, mais les destructions qu’a causé la guerre sont toujours là. Les droits de l’homme et la justice sociale se sont détériorés à tous les niveaux, et l’état des infrastructures du pays reste désastreux. La malnutrition et les maladies ont réapparus à grande échelle. Les tensions ethniques et le sectarisme sont devenus un élément majeur de la vie sociale irakienne, les arrestations arbitraires et la torture sont devenues systémiques et les taux d’exécution ont atteint des sommets. L’invasion a été menée sans justification, une guerre d’agression qui, selon le Tribunal de Nuremberg, est non seulement un crime international, mais aussi le crime international suprême qui contient en lui-même l’essence même du mal. D’ailleurs, l’acte d’agression est reconnu comme un crime international dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Deux décennies plus tard, la dure réalité de la guerre en Irak est devenue de plus en plus apparente. L’occupation dévastatrice et l’anéantissement du pays ont été caractérisés par le démantèlement de tous les repères de la société irakienne avec des difficultés inimaginables. Par ailleurs, les citoyens irakiens eux-mêmes, ont subi de graves violations des droits de l’homme telles que la torture, les exécutions arbitraires, les disparitions forcées, les violations contre les défenseurs des droits de l’homme et une diminution globale de leur capacité à exercer leurs droits fondamentaux.

En 2021, lors de la 48ème session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, vous avez alerté la communauté internationale sur le fait que la situation desdits droits en Irak méritait l’attention du Conseil. Quelle est la réaction des organes de l’ONU face à la situation des droits de l’homme en Irak ?

La communauté internationale et les organes des Nations Unies n’ont jusqu’à présent pas enquêté de manière sérieuse sur les graves violations des droits de l’homme commises en Irak lors de l’invasion et de l’occupation illégale. Ces derniers n’ont pas discuté en profondeur de la situation en Irak lors des sessions du Conseil des droits de l’homme et d’autres réunions pertinentes, contredisant les mandats de ces organes et donnant un exemple flagrant de leur double standard et de leurs préjugés politiques. Les réponses contrastées des organes des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies à l’invasion de l’Irak en 2003 qui a suivi par la suite sont perceptibles. La différence de réaction entre l’invasion de l’Irak en 2003 et l’invasion de l’Ukraine en 2022 révèle les mécanismes de différenciation qui ont cours en matière d’octroi du soutien international et de dénonciation de crimes.

« Les tensions ethniques et le sectarisme sont devenus un élément majeur de la vie sociale irakienne. »

L’Irak a besoin d’une attention immédiate de la part de la communauté internationale et des organes des Nations Unies, sans préjugés politiques, doubles standard et racisme. C’est pourquoi, je continue mon combat en exhortant le Conseil des droits de l’homme pour qu’il prenne toutes les mesures nécessaires pour enquêter sur toutes les violations qui se sont produites à la suite de l’occupation et de l’invasion de l’Irak et pour engager la responsabilité de tous les auteurs de violations de droits de l’homme.

Depuis octobre 2019, la jeunesse irakienne se mobilise régulièrement pour lancer des campagnes innovantes visant à promouvoir la justice et à tenir pour responsables les individus et entités responsables de violations des droits de l’homme. Le 18 juillet 2021, des jeunes irakiens sont descendus dans les rues de nombreuses villes du pays, soutenus par la diaspora irakienne, pour manifester pacifiquement, demandant au gouvernement et aux décideurs politiques de mettre fin à l’impunité en Irak. Quel regard portez-vous sur ce mouvement ?

Je considère personnellement que le mouvement de la jeunesse irakienne depuis octobre 2019 représente un tournant historique dans la situation politico-social en Irak. C’était la première fois depuis 2003 que les citoyens irakiens élèvent clairement la voix contre l’ensemble du « régime Muhassasa »¹ et contre l’ingérence iranienne en Irak.

En tant qu’organisation des droits de l’homme, nous avons reçu des informations quotidiennes et avons été en contact avec de nombreuses organisations et comités de manifestants en Irak. Il en ressort qu’il y eu de violations graves et généralisées des droits fondamentaux contre les manifestants irakiens. Le ciblage systématique et l’augmentation des actes de violence contre les militants et les défenseurs des droits de l’homme étaient évidents. Ainsi, le GICJ souligne que l’impunité et l’absence totale de responsabilité perpétuent ces graves violations des droits de l’homme, qui sont davantage exacerbées par l’absence d’un système judiciaire indépendant.

Mettre fin à l’impunité en Irak a été l’une des demandes répétées du GICJ depuis l’invasion de 2003 et l’occupation illégale qui en a suivi. C’est pourquoi nous avons soutenu l’appel des manifestants à rompre le silence sur l’impunité, afin d’assurer la responsabilité et la justice pour les graves violations des droits humains qui ont été commises en Irak.

Les manifestants irakiens ont été vus à plusieurs reprises en train de chanter des slogans contre le régime iranien. Comment expliquez-vous cette colère contre le régime iranien ?

Il me semble évident que l’influence iranienne sur les dirigeants du pays a pesé lourdement sur tous les aspects de la vie des Irakiens et des Irakiennes. Cette intervention est devenue encore plus scandaleuse lorsque la population a pris conscience de l’énorme quantité de revenus pétroliers irakiens acheminés clandestinement vers l’Iran par des agents gouvernementaux et des chefs de milices.

« Le ciblage systématique et l’augmentation des actes de violence contre les militants et les défenseurs des droits de l’homme étaient évidents. »

En plus de cela, les milices pro-iraniennes ont commis de graves violations de droits de l’homme contre le peuple irakien, puis contre les manifestants eux-mêmes. Parmi ceux-ci figuraient les attaques à balles réelles contre les manifestants, les assassinats d’éminents défenseurs des droits humains et l’enlèvement de nombreux autres, sans compter la menace continue qui pèse sur quiconque ose élever la voix contre l’intervention iranienne en Irak. C’est pourquoi nous avons vu les manifestants, et le peuple irakien en général, être si en colère contre le régime iranien, ils l’ont exprimé sans peur à travers les manifestations, et en incendiant des photos personnalités iraniennes – ce qui était tabou – voire même critiquer les clercs tels que Khamenei et feu Khomeiny, et d’autres ayatollahs iraniens.

Comment voyez-vous l’avenir des droits de l’homme en Irak ?

Il est difficile de prévoir, et cela dépend de la situation, si ce régime de Muhassasa continue de diriger l’Irak, cela signifie que nous continuerons d’assister à différents types de violations des droits de l’homme. À court terme, cela semble être la situation, et nous avons documenté ces jours-ci des violations croissantes des droits de l’homme dans certains endroits comme le gouvernorat de Diyala et dans les prisons. Aussi, nous avons documenté les assassinats de plusieurs intellectuels irakiens en février et mars 2023. Néanmoins, je sais aussi qu’il y a une bonne prise de conscience du peuple irakien depuis octobre 2019 sur la situation des droits de l’homme dans le pays et cela semble se développer grâce à de nombreuses manifestations connexes.

Nos Desserts :

Geneva International Centre for Justice (GICJ) tient régulièrement des sessions pour suivre la situation des droits de l’homme en Irak
Au Comptoir, nous avons écrit sur la révolution des jeunes manifestants irakiens en Octobre 2019
Vous pouvez lire le rapport annuel d’Amnesty international sur l’Irak

Notes :

[1] Le régime du « Muhassasa » : mis en place depuis 2003 sous le patronage américain, ce système des quotas ethniques et confessionnels dans la distribution du pouvoir politique en Irak a été pointé du doigt comme étant à l’origine des maux dont souffre le pays.

*Source : Le Comptoir

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