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La milliardaire préférée d’Obama


INVESTIG’ACTION

Nick Burt

13 juin 2013

Barrack Obama a désigné Penny Pritzker comme Secrétaire au Commerce des Etats-Unis. Elle aura pour mission d’encourager, de promouvoir et de développer le commerce à l’étranger et dans le pays. Un poste-clé pour la première puissance économique. Et le CV de Pritzker en dit long sur les intentions de celui qui était censé incarner l’espoir et le changement. (IGA)

Quand il passait en revue les candidats potentiels au poste de Secrétaire au Commerce — dont le rôle principal est de servir de porte-parole pour les milieux d’affaires des États-Unis —, le Président Obama avait l’embarras du choix. Il pouvait parcourir les rangs du monde de l’entreprise pour jeter son dévolu sur un membre sans scrupules de l’élite capitaliste. Il pouvait également récompenser un généreux donateur. Il pouvait tout aussi bien se replier sur le milieu politique corrompu de Chicago, là où il avait fait ses premières armes, et choisir quelqu’un du cru. En fin de compte, Obama trouva tous les trois en la personne de Penny Pritzker.

Quand, à gauche, on évoque la classe dominante, on a d’habitude en vue plus qu’une seule personne. Or, Pritzker a le don d’être personnellement liée à toute une série d’affaires bourgeoises plus ou moins louches. Même si elle a évité d’attirer l’attention publique avant d’être proposée au poste de ministre du Commerce, elle a la chance que Chicago soit la ville de Rahm Emanuel à présent.

Ce maire de combat est la figure publique centrale cautionnant un projet néolibéral des plus agressif. Dans une ville sans Emanuel, ce serait Pritzker le méchant de service parmi les 1 % (les plus riches) du coin — un genre de soeur de Koch qu’il n’aurait pas revue depuis longtemps, portant un blazer rouge
(républicain) dans un état bleu (démocrate).

Quand l’on appelle Pritzker « la » un pour cent parmi les 1 %, il s’agit moins de la description de son personnage que d’une réalité mathématique. Avec une fortune estimée à 1,85 milliard de dollars, elle s’avère l’un des habitants les plus riches non seulement de l’Illinois, mais également du monde tout entier (elle pointe à la 825e place cette année, dans le palmarès établi par la revue
Forbes [2]).

Le « Chicago Tribune », sur lequel on peut toujours compter pour venir en aide aux « élites » locales, s’est hâté de louer cette sélection. « Elle mérite la nomination », annonçait-il dans son éditorial du 3 mai[3]. « Pritzker a le potentiel pour devenir une Secrétaire au Commerce réformatrice ». Faisant écho aux
griefs de ceux qu’il appelle « les leaders des affaires », la Tribune se lamente que « quand Obama forma son premier gouvernement, il négligea le monde des affaires en choisissant comme Secrétaire au Commerce un juriste et un politique en la personne du gouverneur de l’État de Washington, Gary Locke. Pritzker, au contraire, “possède une expérience d’encadrement dans le monde réel et l’envergure personnelle nécessaires pour constituer un représentant hors pair des affaires en Amérique.”

On était en droit d’attendre que des dizaines de milliers d’écoliers de Chicago tirent profit de telles qualifications quand Pritzker fut nommée au Bureau des Écoles Publiques de Chicago(CPS) en 2011. Pritzker, nommée par Emanuel et les autres membres de cet organisme non élus impulsèrent une refonte radicale du système d’écoles publiques de la ville. Le plan relève d’une logique de quasi-privatisation, ouvrant de nouvelles charter schools (écoles à charte) gérées par des intérêts privés, “remettant en ordre  » un certain nombre d’écoles publiques en les plaçant sous la tutelle d’opérateurs de chartes, et en fermant ou en mutualisant d’autres. Et ce, tout en attaquant en même temps le Syndicat des Professeurs de Chicago, ou bien face à face — comme pendant les négociations
sur leur contrat et la grève de l’automne dernier — ou en sous-main, en remplaçant le personnel des écoles publiques par des enseignants non syndiqués. Son œuvre de démolition étant déjà en bonne voie, Pritzker démissionna en mars dans l’attente de sa nouvelle affectation au poste de Secrétaire au Commerce.

Obama fut encore plus élogieux à son égard flatteur que la Tribune. Flanqué de Pritzker et de son candidat comme représentant américain du Commerce, Michael Froman, à l’annonce de sa sélection, le président attira l’attention sur l’expérience de Pritzker, qui aurait créé sa propre entreprise. On pourrait espérer que de telles louanges soient étayées par des preuves que Pritzker sait
mettre la main à la pâte. Or, parmi les nombreux termes que l’on pourrait appliquer à Pritzker, “self-made” semble le moins indiqué.

Depuis un siècle, la famille Pritzker fait partie de l’aristocratie des affaires de Chicago, propriétaire ou actionnaire de toute une série d’entreprises, des banques aux navires de croisière. Dix membres de la famille figurent d’ailleurs sur la liste des 400 individus les plus riches de la planète établie par Forbes. En hommage à de nombreux autres membres de sa famille, Chicago possède son parc Pritzker, son
pavillon Pritzker, sa bibliothèque militaire Pritzker, son lycée Pritzker, son laboratoire Pritker et sa Faculté de Médecine Pritzker, entre autres — Penny aime appeler les choses par son propre nom. Il en est de même pour ses entreprises, telles que PSP Capital Partners et le groupe immobilier Pritzker.

Un article vraiment étonnant de Bloomberg.com de 2008 [4] décrit comment la fortune de la famille Pritzker a été accumulée et entretenue : évasion fiscale, fonds offshore, se servant peut-être trop généreusement dans les bénéfices de l’entreprise, contrats d’affaires douteux, et même une incursion dans les prêts subprime. Selon Bloomberg, la première transaction commerciale gérée par
Pritzker fut un échange de propriété immobilière arrangé pour réduire le montant des impôts dus par Hyatt. L’entreprise approuva cette démarche, Pritzker obtenant ainsi un rôle dans l’entreprise familiale.

Ce n’est que dans les délires les plus farfelus des 1 pour cent qu’un départ tonitruant tel que celui de Pritzker pourrait être considéré comme une réussite à partir de rien. “Les Pritzker sont des escrocs, a affirmé à Bloomberg un déposant qui perdit de l’argent dans l’effondrement d’une banque gérée par
Pritker.Ils se moquent éperdument des gens, qui pourtant passent leut vie toute entière à chercher à faire des économies.”

Obama semble tirer une conclusion différente : “Penny comprend que, tout comme les grandes entreprises renforcent autour d’elles les communautés, les communautés fortes et les individus doués aident les entreprises à prospérer.” Cela semble effectivement être le cas, puisqu’elle n’a pas perdu de temps pour exploiter à la fois la communauté et les travailleurs.

Pritzker et le Bureau de l’Education faisant état d’un déficit budgétaire, rejetant la faute sur le syndicat des Professeurs de Chicago et exposant des projets pour fermer au moins 120 écoles publiques (pour finir par s’accorder sur le nombre de 54), la ville approuva une subvention publique de $5,2 millions pour la construction d’un hôtel Hyatt dans le quartier huppé de Hyde Park.

La subvention provient du programme controversé de ‘Tax Increment Financing’ (TIF) de la municipalité — essentiellement des prêts que la ville s’octroie en détournant des taxes foncières vers une caisse noire que la ville contrôle pour financer des projets de développement. En théorie, les fonds doivent être récupérés à l’expiration du TIF, mais les observateurs considèrent généralement
ce programme comme des dons aux promoteurs immobiliers aux dépens des projets d’utilité publique auxquels reviendraient autrement les impôts. Les écoles publiques pourraient en bénéficier, par exemple.

Cette conception de Pritzker de la justice économique s’étend également à d’autres facettes de son travail. La famille, Penny compris, a engrangé les profits de Hyatt en gagnant des conflits du travail contre une main d’œuvre en grande majorité féminine et immigrée. Le syndicat UNITE HERE mène depuis longtemps un boycott de la chaîne hôtelière Hyatt, qu’il nomme le ‘pire employeur hôtelier d’Amérique.’ La campagne est orientée autour de l’utilisation fréquente par Hyatt de sous-traitants, ce qui lui a permis de réduire ses coûts, tout en se déchargeant de ses responsabilités quant aux conséquences. Les employés évoquent des cadences accélérées, des heures de travail non payées,
ainsi que des d’accidents du travail plus fréquents chez Hyatt qu’ailleurs dans le secteur hôtelier.

BeyondChron.org de San Francisco cite un exemple [5] : Le 31 août 2009, tous les employés des trois Hyatt de Boston furent licenciés.Ils furent sommés de vider leurs casiers et de partir. Certains travaillaient dans ces hôtels depuis plus de 20 ans. Mais ils étaient loin d’être des licenciés économiques. A la place, Hyatt fit appel à un sous-traitant qui paierait les concierges de remplacement seulement $8 l’heure.

Pour éviter toute critique publique, Hyatt offrit ensuite aux concierges des emplois en intérim. Les employés refusèrent, insistant qu’ils tenaient à leurs emplois antérieurs. Ils ne voulaient pas non plus être utilisés comme intérimaires pour remplacer d’autres travailleurs, justement ceux qui avaient pris leur place.

Les tensions entre les concierges et Hyatt s’intensifièrent pendant l’été 2011, quand la direction du Park Hyatt Chicago alluma les lampes à chaleur extérieures de l’hôtel pour contrer les employés en grève. (Par la suite Hyatt fit une déclaration comme quoi cette action ne correspondait pas à leur habitude de “respecter les droits de leurs associés et de s’intéresser à leur bien-être.”)

Tout ceci serait peut-être suffisant, mais Pritzker ajoute à sa série de titres celui de “philanthrope.” Depuis l’an 2000, son mari, l’opthamologue Brian Traubert, et elle-même co-président la Fondation Pritzker-Traubert pour les Familles, qui a distribué des centaines de milliers de dollars aux charter
schools ainsi qu’à des organismes de ‘remise à flot’, tels que l’Académie pour le Leadership en Education Urbaine (AUSL) et le réseau des établissements à charte de Noble Street. Rien que cette année, AUSL compte sur la fondation pour obtenir plus d’un quart de million de dollars.

Comme c’est le cas pour beaucoup de fidèles de la classe des affaires des milieux urbains, les allégeances politiques de Pritzker vont tout d’abord vers le Parti Démocrate. En 2008, son rôle le plus prestigieux fut celui de présidente de la campagne de collecte de fonds d’Obama. En 2012, elle fut la
co-présidente de la campagne de réelection d’Obama. Elle a aussi servi de collecteur de fonds (individu ayant beaucoup de relations qui utilise ses réseaux pour obtenir de larges contributions) récoltant plus d’un demi-million de dollars pour ses campagnes de 2008 et 2012.

C’est maintenant au président de renvoyer l’ascenseur. Comme l’a fait remarquer Rick Perlstein du ‘Nation’ [6] : “Certains attendaient que Barack Obama, libéré des contraintes liées à sa réélection, brise sa coquille et déploie ses ailes comme le vrai libéral qu’ils ont toujours cru qu’il était. Eh bien, nous y voilà…”

D’un certain point de vue, la Tribune a raison : Obama a trouvé la voix des milieux d’affaires américains. Et c’est précisément là que le bât blesse.

Une version de cette article est déjà parue dans la ‘Occupied Chicago Tribune’
[7].

Source originale : Occupied Chicago Tribune

Traduit de l’anglais par JP-L pour Investig’Action

Source : Investig’Action

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