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Ville de lumière, qu’ont-ils fait de toi…


15/01/2014

Ville de lumière, qu’ont-ils fait de toi…

Cher(e)s ami(e)s,

Avec la guerre de Syrie et le soutien d’Erdogan à Al Qaïda, Antioche, modèle mondial de paix et de solidarité entre chrétiens, juifs, sunnites, alaouites et athées devient peu à peu un cloaque où germe la misère, la prostitution, la concurrence et la méfiance intercommunautaire dont les victimes sont autant les malheureux réfugiés syriens que les populations locales.

Bonne lecture.

Bahar

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A Antakya, base arrière des rebelles syriens en Turquie
Par Gokan Gunes, envoyé spécial dans le Hatay, publié le 06/01/2014 à 10:57
Frontalière de la Syrie et réputée pour la beauté de ses paysages et son patrimoine historique, la province turque de Hatay, n’échappe pas à la guerre. Les réfugiés et les combattants ont remplacé les touristes. Reportage.

A Antakya, base arrière des rebelles syriens en Turquie
A Antakya, les réfugiés et les combattants syriens ont remplacé les touristes russes ou allemands.
photo: G. Gunes

Alors que les combats se sont intensifiés ce week-end entre djihadistes et rebelles, autrefois alliés contre le régime de Bachar el-Assad, les divergences des opposants se dessinent aussi de l’autre côté de la frontière, en Turquie, où ont trouvé refuge de nombreux Syriens, déplacés et combattants.
Pour faire la guerre, en Syrie, c’est simple: il suffit d’être un peu bricoleur. Une ceinture de TNT, qu’on enroule autour d’une bombonne de gaz, et un mortier fabriqué de bric et de broc en guise de propulseur font l’affaire. « Le fracas de l’explosion terrorise les chiens de Bachar el-Assad », se réjouit Abou Hamza, en sirotant un thé dans un restaurant d’Antakya, dans le sud-est de la Turquie. Cet émir du Jabhat Al-Nosra, un groupe d’implantation locale inféodé à Al-Qaïda, explique que les combattants d’Alep, où serait née l’arme, l’ont baptisée jahannam. « Enfer », en arabe. L’ennui, de l’aveu même du chef terroriste, c’est que le jahannam est plutôt imprécis. « Il nous arrive de frapper à côté et de tuer quelques habitants, concède-t-il. Grâce à Dieu, ça n’arrive pas très souvent. »
Situé en plein centre-ville d’Antakya, le « Restaurant de Damas », qui n’a de restaurant que le nom, est le point de rendez-vous de nombreux rebelles. Ce soir, cinq gaillards se serrent autour d’Abou Hamza, la quarantaine, barbe taillée, vêtu de noir de la calotte aux chaussures. La gargote offre un aperçu du patchwork qu’est devenue l’opposition au régime, plus divisée que jamais, comme le montre l’offensive actuelle des rebelles contre les djihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), un groupe issu d’une tentative avortée de fusion entre la branche irakienne d’Al-Qaïda et Al-Nosra.
Abou Hamza, émirr du Front al-Nosra et le salafiste Abou Aziz, dans le
Abou Hamza, émirr du Front al-Nosra et le salafiste Abou Aziz, dans le « Restaurant de Damas »
photo: G. Gunes
Il y a là un combattant de l’Armée syrienne libre, principale force militaire modérée de la « révolution », qui ne cache pas son hostilité envers Abou Hamza. Lorsque ce dernier incite la fille du premier, venue servir le thé, à porter une écharpe noire avec l’inscription de la chahada, la profession de foi musulmane, en échange d’un gros billet de banque, une violente dispute éclate, aussitôt calmée par Abou Aziz, leur voisin de table. Cet homme imposant à la barbe hirsute dirige une katiba (brigade, ndlr) salafiste dans le Djebel Akrad, une zone de montagnes boisées dominant Lattaquié où il habitait avant la guerre. Il a quitté le front pour rejoindre sa femme, réfugiée à Antakya, qui a accouché de leur troisième fils. Après son « congé paternité », il retournera se battre. Assis dans un coin, un autre homme écrit frénétiquement. Abou Moussa est un déserteur des moukhabarat, les puissants services de renseignement syriens. Il recense dans son carnet les réfugiés du quartier en prévision des dons pour la fête traditionnelle de l’Aïd.
Situé en plein centre-ville d’Antakya, le « Restaurant de Damas » est le point de rendez-vous de nombreux rebelles.
Situé en plein centre-ville d’Antakya, le « Restaurant de Damas » est le point de rendez-vous de nombreux rebelles.
photo: G. Gunes
Ces combattants ne passent pas inaperçus à Antakya, une petite ville paisible entourée d’oliviers et de champs de pastèques connue, en Turquie, pour sa richesse gastronomique. On y vit lentement, comme le fleuve Oronte, qui serpente entre les ruines romaines et les églises délabrées, témoins muets de l’histoire. Avant la révolution, la bourgeoisie d’Alep venait y passer ses week-ends. Une myriade de camions surchargés traversaient chaque jour la frontière. Des petits groupes de grands-mères turques se rendaient à Alep en taxi pour leurs emplettes, moins chères de l’autre côté, et rentraient vendre leur butin, dégageant de quoi améliorer le quotidien de la famille. Tout cela est fini. Les réfugiés et les combattants ont remplacé les touristes russes ou allemands qui, apeurés, ne viennent plus. Pis, l’aéroport d’Antakya regorge maintenant de « moudjahidines » fraîchement rasés, un sac à dos pour seul bagage et un passeport dûment tamponné par les autorités. Antakya paie cher l’engagement du gouvernement turc aux côtés de l’opposition syrienne.
antakya
google map
Base arrière
« La frontière? Où voyez-vous une frontière? », demande, presque surpris, Shahem Hoari, un activiste syrien âgé de 20 ans aux tempes déjà grisonnantes. Assis sur un banc à Reyhanli, un bourg frontalier à moins d’une heure d’Antakya, Shahem profite de ses dernières heures de calme. Demain matin, il retourne à Alep, à Salaheddine, un quartier durement touché par les combats. « Pour traverser, c’est simple: on attend qu’il fasse nuit et on grimpe la colline en courant », explique-t-il. « Demain, je vais traverser avec une ambulance. C’est aussi simple, assure-t-il en souriant.

La frontière? Où voyez-vous une frontière?

Hormis le poulet en croûte de sel, qui fait sa réputation dans le coin, Reyhanli, un bourg agricole sec comme le blé, n’a pas grand-chose à offrir. Pourtant, la population a plus que doublé en deux ans, passant de 60 000 à près de 150 000 habitants, selon diverses estimations. Les nouveaux arrivants sont Syriens, civils et combattants. « C’est une ville stratégique, à proximité de deux postes frontaliers », explique Mulham al-Jundi, directeur de la branche turque de Watan, une ONG syrienne. « D’ici, il est facile de se rendre à Alep ou Idlib, ou d’en venir. » A la fin de l’été, alors que les faubourgs de Damas, où une attaque chimique a fait plus de 1000 morts, concentrent toute l’attention des observateurs, l’armée d’Assad lance une vaste offensive dans les villes du nord de la Syrie. Conséquence: des dizaines de milliers de civils supplémentaires fuient pour passer en Turquie.
Ici, la guerre est partout. On la croise dans les yeux éteints d’un garçon loqueteux, errant pieds nus dans la ville, la main vaguement tendue. Elle est dans le silence de cette Syrienne, levée tôt, chaque mercredi, jour de marché, afin de vendre des paquets de cigarettes de contrebande qui permettront aux siens de manger trois ou quatre fois, jusqu’au mercredi suivant. La guerre, on l’entend aussi dans les allées boisées de ce parc, au sud de la ville, hantées par les rires de jeunes rebelles en fauteuil roulant, fauchés au sortir de l’adolescence. La guerre syrienne est aussi devenue une affaire turque.
Au marché de Reyhanli, de nombreux réfugiés syriens vendent des produits de contrebande, notamment des cigarettes
Au marché de Reyhanli, de nombreux réfugiés syriens vendent des produits de contrebande, notamment des cigarettes
photo: G. Gunes
Les habitants de Reyhanli s’en souviennent chaque fois qu’ils passent devant l’un des deux cratères qui bordent la rue principale de la ville. Deux plaies béantes, pas encore cicatrisées, résultat d’un double attentat à la voiture piégée en mai dernier. Bilan officiel: 53 morts et une fulgurante fièvre anti-syrienne. Les enquêteurs privilégient la piste d’un groupuscule d’extrême-gauche turc manipulé par les services secrets de Damas. Des projets controversés de construction de clôtures frontalières sont régulièrement évoqués, et un mur est en train d’être érigé dans la province de Gaziantep. Mais comment empêcher les infiltrations quand la frontière est longue de 900 km?
Tensions avec les Turcs
Deux jardiniers, un costaud et un tanné, se disputent en buvant un thé brûlant dans un cabanon adossé à la mairie de Reyhanli:
« Que font des rebelles ici? Qu’ils aillent se battre!
– Que dis-tu, Ahmet? Il faut aider nos frères syriens. Relis le Coran: ‘Celui qui sauve la vie d’un homme, c’est comme s’il sauvait tous les hommes’.
– D’accord pour soigner les blessés. Mais sûrement pas pour accueillir tous les autres. Ils ont pris goût au confort et ils installent des commerces ici! »
Si le gouvernement d’Ankara soutient l’opposition syrienne – un convoi « humanitaire » chargé d’armes a été repéré avant d’entrer en Syrie le 1er janvier, causant l’embarras au sommet de l’Etat – la présence de combattants de ce côté de la frontière inquiète l’opinion. Pourtant, les Syriens ont toujours fait partie du paysage. En 1938, la France, détentrice d’un mandat sur la Syrie, autorise l’occupation militaire du sandjak d’Alexandrette par l’armée turque afin d’acheter sa neutralité en cas de conflit avec l’Allemagne. Un simulacre de référendum valide l’année suivante l’annexion de la province rebaptisée Hatay. Personne n’envisage alors de matérialiser la frontière. L’empire ottoman est mort depuis 20 ans, seulement, et des familles sont implantées là depuis des siècles. Lorsque la Syrie devient indépendante, en 1946, elle réclame le sandjak. La Turquie refuse et érige des barbelés. Propaganda, un film turc réalisé en 1999, montre l’absurdité de cette nouvelle frontière qui déchire des villages plus anciens que des Etats. De nombreux Turcs de Hatay ont des proches de l’autre côté.

Aujourd’hui, la Turquie accueille plus de 600 000 Syriens, dont les deux tiers vivent en dehors des camps de réfugiés. Des prix du loyer aux salaires dans le bâtiment et la restauration, ce bouleversement démographique n’épargne aucun aspect de la vie quotidienne des Turcs. « L’année dernière, mon loyer était de 300 livres (110 euros).

Aujourd’hui, je paie 500 livres, déplore Adem, serveur dans une pâtisserie d’Antakya. Avec ça, les Syriens acceptent de travailler sans sécurité sociale. Ca fait une main d’oeuvre moins chère pour les patrons. » Cette concurrence affecte tous les secteurs, jusqu’au plus inattendu. Le faubourg de Daphné, au sud de la ville, abritait, à l’époque romaine, un sanctuaire d’Apollon. Aujourd’hui, de nombreuses Syriennes désemparées s’y prostituent pour une misère. Au détriment de leurs consoeurs turques.
Il est minuit passé, le Restaurant de Damas est en train de fermer. Abou Hamza, l’émir d’Al-Nosra, s’est volatilisé. Sur le pas de la porte, Abou Aziz peste contre les humanitaires turcs, qui seraient plus généreux avec les femmes dévoilées. « Ca ne peut pas continuer comme ça! », tonne le chef salafiste. Des murmures d’approbation s’élèvent autour de lui. Un rideau s’écarte légèrement, au deuxième étage de l’immeuble d’en face, laissant entrevoir une paire d’yeux. « On devrait créer une association pour rassembler l’aide que reçoivent les familles du quartier et la redistribuer en fonction des besoins, poursuit Abou Aziz. Dieu nous en garde, mais vu comme la guerre est partie, on va rester ici très longtemps. »

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