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En Afrique et au Levant, le « deux poids, deux mesures » de la Bande du Fouquet’s


Interview de Charlotte Sawyer

 

Q – D’abord, quel regard portez-vous sur les dernières sanctions adoptées par Bruxelles contre la Syrie ?

Charlotte Sawyer – Prenons en acte, puisqu’elles ont là. Mais tout cela manque de logique. À écouter les instances de l’Union, « tout doute a désormais été évacué. Les derniers rapports venant du terrain font encore état de plusieurs dizaines de morts », et indiquent « que le cessez-le-feu n’est pas respecté notamment par le régime syrien ».

Admettons ! Mais, en ce cas, pourquoi (si les deux parties ne respectent pas le cessez-le-feu) ne sanctionner que l’une d’entre elles ? Ce d’autant – à moins que cela soit : à cause – que plusieurs pays de l’Union, et non des moindres, sont les soutiens actifs de l’une des parties en lice : la Contra syrienne !

A contrario, je note que face à l’escalade du conflit entre le Soudan et le Sud-Soudan, les 27 ont été plus balancés, demandant aux deux gouvernements de « stopper immédiatement leurs attaques sur l’autre territoire, de cesser les hostilités et de retirer toutes leurs forces de sécurité d’Abyei et d’éviter d’autres actions provocatrices, en particulier toute rhétorique inflammatoire ». Contrairement à leurs autisme géopolitique sur la Syrie, les Européens ont clairement condamné la saisie et l’occupation de Heglig par les forces armées du Sud-Soudan comme les bombardements aériens et les incursions terrestres des forces du Soudan. Là, ils ont appelé les deux parties à retourner à la table de négociation, pour également résoudre la question du Sud Kordofan et du Nil bleu.

Côté français, serait-ce que parce que le ministre de la coopération, Henri de Raincourt, qui assurait la « permanence ministérielle » en l’absence d’Alain Juppé, a su faire preuve d’une certaine lucidité diplomatique sans nous saouler avec la diarrhée verbale propre au chef de l’adiplomatie française, comme le dit si bien Jacques Borde ? En tout cas, en affirmant que « L’intérêt bien compris des uns et des autres doit passer par un accord. Ces deux pays doivent s’entendre, c’est sur le territoire de l’un que se trouve le pétrole, c’est par le territoire de l’autre que le pétrole transite », mais que pour cela « Les engagements pris très récemment par le Sud Soudan doivent être respectés. (…) Là comme ailleurs, si les choses n’évoluent pas favorablement il est possible d’envisager la mise en place de sanctions. Contre ceux qui ne respectent pas la sortie de crise », Henri de Raincourt a davantage assumé le rôle d’honest broker1 qui manque généralement à ce type de conflit, que celui de pompier-pyromane servant la soupe à l’extrémisme takfiri qui caractérise l’incompétent du Quai d’Orsay

 

Q – Que pensez-vous des doutes dernièrement formulés part Vitali Tchourkine au Conseil de sécurité ?

Charlotte Sawyer – Si la situation en Syrie n’était pas aussi grave je serai tordue de rire devant l’himalayenne tartufferie de celui qui prétend représenter la Russie à New York. Effectivement, le délégué permanent de la Russie auprès de l’Onu, Vitali Tchourkine, a dénoncé les tentatives d’imposer des solutions « extérieures » à la Syrie, notant, dans un bref mais fugace instant de sagacité, combien cela « pourrait accentuer la crise ». Je rappellerai au tovaritch2 Vitali que l’on n’en serait pas là, si Moscou, une fois encore, ne s’était pas aplati devant les Occidentaux lors du dernier vote !

 

Q – Mais Vitali Tchourkine a aussi appelé les pays ayant une influence sur l’opposition à l’encourager à cesser la violence, en vertu du plan Annan ?

Charlotte Sawyer – Tout à fait. Et qu’on fait – au même moment (ou tout juste après) – les Occidentaux ? Leurs ministres se sont passé le mot pour hausser le ton contre… Damas, et seulement Damas ! Le (plus pour longtemps, j’espère) ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, a menacé les Syriens de « toutes les options envisageables » s’il ne respectait pas ses engagements, tandis que l’Allemand, Guido Westerwelle jugeait que « le temps des ruses et des petits jeux tactiques (était) terminé ». Quant à la vrai patronne du Conseil de sécurité des Nations-unies. Susan Rice, elle a averti que « notre patience est à bout ».

Curieusement, c’est de Washington et Paris qu’est venu la seule bonne nouvelle : Français et Américains ont averti que le renouvellement de la mission après 90 jours « ne serait pas automatique ». Ouf ! 90 jours encore et la mascarade Anna sera enterrée. Évidemment, il eut été plus opportun que ce soient les Russes qui sifflent la fin de cette grotesque partie. Mais pour cela encore eut-il fallu que la diplomatie moscovite eut une once du sens de ses responsabilités. Et ses représentants quelque-chose dans leurs braies…

 

Q – Selon vous que devrait faire Vitali Tchourkine ?

Charlotte Sawyer – La fermer, Point un ! Secundo, lire son journal ou faire du tricot. Il pourrait aussi s’affubler d’un nez rouge de clown. Au moins, cela amuserait la galerie ! Mais surtout, se taire. Parce que chaque fois qu’il l’ouvre, c’est une catastrophe !…

 

Q – Certains voient la main de la France dans l’actuelle déstabilisation du Mali, qu’en est-il réellement ?

Charlotte Sawyer – « La France a, c’est le moins qu’on puisse dire, une grande part de responsabilité dans la crise sans précédent que traverse le Mali ». Chers amis français, ça n’est pas moi qui le dit, mais cet estimé confrère malien, Yaya Sidibé, qui parle d’« une crise qui met à rude épreuve l’unité nationale et l’intégrité territoriale de notre pays ».

En effet, pour Yaya Sidibé,« Il ne fait aucun doute que cette crise est un effet collatéral de la crise libyenne, notamment les bombardements massifs de la coalition de l’Otan dont la France de Nicolas Sarkozy avait pris la tête. Théoriquement pour empêcher Kadhafi d’aller exterminer les insurgés de Benghazi et sauver ainsi des milliers de vies humaines. Une thèse destinée aux non initiés, car derrière ce visage humain affiché, le président français nourrissait des desseins moins angéliques ».

Non sans raison Yaya Sidibé nous parle d’« une surréaliste guerre entre le pot de fer et le pot de terre », qui « sous un véritable tapis de bombes » a ouvert « un immense boulevard pour les insurgés de Benghazi dans leur marche triomphale sur Tripoli et d’autres villes libyennes. Les pro-Kadhafi ne pouvaient que mordre la poussière dans cette configuration, l’essentiel de la guerre étant fait par les forces de l’Otan ».

 

Q – Et quel rapport de cause à effet avec le Mali ?

Charlotte Sawyer – Parce que, comme le souligne Yaya Sidibé, « Dans leur débandade, les Touareg, qui constituaient une force supplétive dans l’armée libyenne, ont, cependant, eu le temps de se servir dans les arsenaux de l’ex-leader libyen et se sont, dans la foulée, dotés d’armes lourdes, y compris les lance-roquettes multiples. Ce qui a donné un caractère exceptionnel à leur menace sur le Mali ».

Yaya Sidibé, pour ces raisons et d’autres, estime que « la France est loin d’être étrangère à la crise que le Mali est en train de vivre », ce « d’autant que les jeunes leaders du MNLA avaient été reçus par Paris et ont certainement eu un deal secret avec les autorités françaises qui, au demeurant, n’ont jamais fait mystère de cet état de fait ». Donc selon Yaya Sidibé, « Dans le meilleur des cas, la France a fermé l’œil sur leurs agissements et, dans le pire, leur a fait bénéficier de son soutien actif ».

 

Q – Mais pour quelles raisons épauler le MNLA ?

Charlotte Sawyer – Selon Yaya Sidibé, pour sa supériorité militaire supposée. La France a mis en avant la lutte contre Aqmi et la libération de ses otages, pour parier sur le MNLA. Une grossière erreur aux yeux de Yaya Sidibé, car, non seulement les combattants du MNLA n’ont pas lutté contre les islamistes d’Aqmi, mais, pire, ils ont œuvré en partenariat avec ceux qu’ils étaient censés combattre. Ensemble, ils ont commis des crimes de guerre en exécutant froidement et de façon horrible une centaine de jeunes soldats désarmés. Maintenant les bandits armés et les djihâdistes se renvoient la responsabilité de ces actes odieux qui violent toutes les conventions régissant les guerres. La France a fermé l’œil sur ces actes odieux si ce n’est une molle condamnation de principe nullement suivie d’effet. C’est pour toutes ces raisons qu’on peut parler, à bon droit, de l’existence d’indices graves et concordants sur la complicité de la France dans cette crise malienne ».

 

Q – Et ça n’était pas un bon calcul ?

Charlotte Sawyer – Eh, non ! À l’évidence, les islamistes d’Ançar Dine et d’Aqmi ont bien pris le dessus sur le MNLA. Ainsi, à Tombouctou, le MNLA ne contrôlerait que l’aéroport et les voies d’accès de la ville, la ville elle-même étant entre les mains des bandes armées takfiro-maffieuses d’Ançar Dine et d’Aqmi qui imposent leur loi d’un autre âge faussement islamique aux populations. Idem à Gao.

Alors que vaut, dans un tel contexte, la proclamation d’une république de l’Azawad ? « Une mauvaise plaisanterie » comme le relèvera le président de la Commission de l’Union Africaine, Jean Ping. En fait, estime Yaya Sidibé, « la création de cette fantomatique république a été rejetée par l’ensemble de la communauté internationale. Résultat : les aventuriers du MNLA sont plus que jamais isolés. Débordés – dominés serait un terme plus adéquat  – par les islamistes radicaux d’Anar Dine et d’Aqmi et boudés par la communauté internationale – à l’exception bien entendu de leurs protecteurs occultes – les plaisantins du MNLA ne savent plus à quel saint se vouer ».

 

Q – Admettons, mais comment la France s’est-elle laisse entrainée dans cette aventure ?

Charlotte Sawyer – Parce que, à la base, la France n’avait pas, depuis longtemps, laissé sa géopolitique entre les mains d’une équipe de bras cassés et d’incompétents, arrogants, sûrs d’eux et dominateurs – pour plagier la phrase célèbre du général sur Israël – et, surtout, ne voyant pas plus loin que le bout de leur nez. Je vous rappelle qu’être occidental et atlantiste est une chose. L’être de manière aussi niaise et irresponsable que MM. Sarkozy, Juppé et Longuet en est une autre ! Souvenez-vous, aussi, qu’en guise d’expert des relations internationales, un Bernard-Henry Lévy, millionnaire-essayiste (et rien d’autre), aura eu, en ces temps de troubles, plus l’oreille de Nicolas Sarkozy que des hommes de la stature de Pierre Lellouche ou de Jean-David Levitte. Pour ne citer qu’eux !…

 

Cela expliquerait largement que – des brutes épaisses bernant des ânes, pour faire dans la caricature – le MNLA ait pu si aisément mener en bateau l’administration Sarkozy ! À moins que, hypothèse « très plausible », à laquelle croit Yaya Sidibé, « en plus de la lutte contre Aqmi et la libération de ses otages, la France n’ait d’autres objectifs stratégiques à atteindre dans le Sahara malien. Des objectifs comme l’implantation d’une base militaire à Tessalit dans la région de Kidal. Ce n’est un secret pour personne : à cause de sa position géographique, Tessalit est un poste d’observation unique au monde des différentes régions de la terre surtout le Moyen Orient qui concentre les principaux enjeux géostratégiques du monde ».

 

Or, rappelle, à juste titre Yaya Sidibé, « De par cette position, Tessalit est convoitée depuis des lustres par les grandes puissances qui sont prêtes à offrir la lune au Mali pour y prendre pied. Seulement voilà : depuis que le Mali de Modibo Keïta a chassé de son territoire le dernier soldat français en 1961, notre pays n’a plus jamais accepté d’abriter sur son sol une base étrangère ».

 

Autre enjeu stratégique visé par Paris, les ressources minières que renferme le sous-sol malien dans sa partie septentrionale, notamment le pétrole et l’uranium « qui sont tous, nul besoin de le démonter, des produits hautement stratégiques ». Ici, poursuit Yaya Sidibé, « il est révélateur que quatre des cinq bassins sédimentaires du Mali se trouvent dans le septentrion malien, territoire revendiqué par le MNLA. Curieuse coïncidence. Il s’agit des deux petits bassins de Tamesna et de Iullemeden (région de Kidal) du graben de Gao (bassin sédimentaire à grandes failles) et du bassin sédimentaire de Taoudénit, l’un des plus grands bassins sédimentaires du monde qui se trouve à cheval sur la Mauritanie et le Mali et dont la plus grande partie, soit environ 800.000 km2, est située en territoire malien, précisément dans la région de Tombouctou ».

 

Q – Soyons cynique ! Pas si mal joué, alors ?

Charlotte Sawyer – Si l’on veut. Mais, à court terme ! La déstabilisation du Mali, ad usum CAC40,  ne sera pas sans conséquences. Ne serait que parce que Paris n’a plus le moyens de tenir, militairement, une zone aussi étendue, une fois ouvertes les vannes du (pseudo) djihâdisme des groupes takfiri. Sans parler des autres rivaux de la France et se ses entreprises. Pensez-vous sérieusement que Londres et Washington, pour ne citer qu’eux, vont laisser Areva et consorts engranger des dividendes sans broncher ? L’Aqmi a, déjà, beaucoup servi et, à l’évidence, servira encore !

 

Comme l’écrit encore Yaya Sidibé, « Tout se passe comme si au lieu d’aider à stopper la gigantesque vague islamiste radicale qui déferle sur l’Afrique, en particulier les pays du Sahel, la France de Nicolas Sarkozy cherche paradoxalement à faire de ces djihâdistes des alliés objectifs avec pour arrière-pensée le pillage des ressources naturelles de ces pays sans défense et au même moment on cherche à barricader l’entrée de l’Europe aux citoyens de ces pays qu’on a toujours appauvris ».

 

Q – Vous citez beaucoup notre confrère Sidibé ?

Charlotte Sawyer – Normal ! Cessons de faire nous vautrer dans notre suffisance occidentalo-centrée. Je pense que Yaya Sidibé a une meilleure connaissance du terrain (malien) que nous- mêmes qui en sommes à des milliers de kilomètres. À l’évidence, si, à propos de la Libye, nous avions davantage écouté des personnes plus proches des réalités régionales comme Jean Ping ou encore Idriss Déby Itno. Le premier présidant l’Union africaine et, le second, le Tchad voisin, nous n’en serions pas là ! Les deux hommes soulignant, au mot près, dès le début du conflit, ce que  nous sommes réduits à constater aujourd’hui…

 

Q – C’est-à-dire ?

Charlotte Sawyer  – Prenez, le président Déby, qu’avait-il dit à nos estimés confrères de Jeune Afrique ? Que ce qui l’inquiétait, « c’est ce qui se passe aujourd’hui en Libye et les risques d’implosion de ce pays. Les islamistes d’Al-Qaïda ont profité du pillage des arsenaux en zone rebelle pour s’approvisionner en armes, y compris en missiles sol/air, qui ont été par la suite exfiltrés dans leurs sanctuaires du Ténéré. C’est très grave. Aqmi est en passe de devenir une véritable armée, la mieux équipée de la région ». La preuve, en compagnie d’Ançar Dine, elle vient de s’offrir la moitié du Mali. Sans que, là, – ô surprise – la plus petite bombinette d’un Rafale ou d’un Mirage ne vienne en dissuader telle ou telle autre bande armée takfiri. Étrange, non ?

 

Q – Sans résolution des Nations-unies ?

Charlotte Sawyer – Allons, allons ! Soyons sérieux, voulez-vous ! Qui, croyez-vous, se serait offusqué si quelques GBU3 avaient aplati les colonnes de 4×4 d‘Aqmi, d’Ançar Dine et (même eux sont là) de Boko Haram ? Sans compter que tout cela serait passé comme une lettre à la poste dans le cadre des accords d’assistance militaire existant entre Paris et Bamako ! C’est curieux, on a connu la Bande du Fouquet’s moins vétilleuse lorsqu’il s’est agi d’outrepasser les mandats onusiens pour liquider Kadhafi et livrer Laurent Gbagbo à ses ennemis !…

 

Q – Comment voyez-vous l’avenir ?

Charlotte Sawyer – Avec beaucoup d’inquiétude. Pour tous nos amis africains, surtout. Car ce sont eux qui sont en première ligne ! Pour le reste, nous verrons bien. Qui sait sous quels lambris seront MM. Sarkozy, Juppé et Longuet, d’ici à quelques semaines. Mais, moi, à la place des dirigeants maliens, je m’orienterai vers la saisine de la Cour pénale internationale pour qu’enfin les responsabilités de la France soient définies avec précisions ? Après ? Nous verrons bien ! Inch’a Allah !

 

Notes

 

[1] Courtier honnête. Là, davantage dans le sens de négociateur.

 

[2] Camarade.

 

[3] Les GBU sont des Guided Bomb Unit (élément de guidage de bombe, en français), utilisé pour l’assemblage de différentes bombes, généralement à guidage laser, fabriquées le plus souvent par l’Américain Raytheon, dans leur gamme Paveway.

 

 

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