Voyage en Irak, mai 2016 : Najaf et Kerbala
septembre 1, 2016
Samedi 30 juillet 2016
Préambule
Entre le 6 et le 12 mai 2016, à l’invitation du secrétaire général du Saint Sanctuaire de l’imam Husseïn, nous nous sommes rendus en Irak dans le cadre d’un voyage professionnel.* Ce voyage était organisé par le « Centre du média international », dépendant du Saint Sanctuaire de l’imam Husseïn, dirigé par M. Sabah al-Talakani, qui nous a accompagnés dans la plupart de nos déplacements.**
Il s’agissait de montrer à des journalistes européens un aperçu de la situation en Irak, extrêmement déformée selon nos hôtes par les médias occidentaux. Nous sommes demeurés l’essentiel de notre séjour dans la partie chiite de l’Irak (Najaf, Koufa, Kerbala, Hilla), et avons fait deux incursions vers le nord, à Bagdad, et dans la ville de Balad, chef-lieu de la province de Salah-el-Din, où nous avons pu nous entretenir avec des autorités locales. A Bagdad nous avons pu nous entretenir avec deux dignitaires religieux, les responsables des waqfs sunnite et chiite, des institutions collectant les dons des fidèles pour tout l’Irak.
Dans une veine plus touristique, on a tenu à nous faire visiter les ruines de Babylone, un château de Saddam Husseïn, les ruines d’une église des premiers temps du christianisme, et la forteresse d’al-Ukhaidar.
Outre le documentaire en préparation, il m’a semblé qu’une relation de notre séjour sous la forme d’un récit de voyage ne manquerait pas d’intéresser nombre de lecteurs occidentaux, spécialistes ou non spécialistes, qui ne peuvent avoir qu’une mince idée de la réalité d’un pays en situation de guerre plus ou moins continue depuis 1980, et qui a dû, très récemment en juin 2014, repousser une offensive meurtrière de grande envergure de l’organisation Etat Islamique.
C’est également une excellente occasion de faire découvrir un univers radicalement différent du nôtre, empreint d’une religiosité profonde, en particulier dans la ville sainte de Kerbala, à côté de laquelle nous étions hébergés, et où nous nous sommes rendus presque tous les jours.
Ce récit de voyage est divisé en six parties, correspondant aux six journées du séjour.
Voici la première…
Najaf et Kerbala
Par François Belliot*
Le jour est en train de se lever lorsque nous arrivons vers notre destination, l’aéroport de Najaf. Le soleil rayonne au-dessus d’un océan de nuages qui s’étalent, massifs, jusqu’à l’horizon. En traversant la couche nuageuse et en amorçant notre descente, nous découvrons, au lieu du soleil annoncé une pluie légère et inhabituelle en cette période de l’année. Le paysage est fait d’une grande quantité de terrains cultivés, irrigués par des canaux dont nous apercevons peu à peu les lacis à mesure que nous nous rapprochons du sol. Nous découvrons des villages et hameaux, constitués souvent d’une simple route le long de laquelle sont bâties des fermes, avec leurs champs s’étendant en arrière en longues bandes de terrain parallèles.
L’aéroport Roissy Charles de Gaulle et celui d’Ataturk d’Istanbul nous avaient montré l’exemple de ce que sont les aéroports internationaux modernes : d’immenses complexes dans lesquels se croisent des hommes de toutes nationalités, complexes dont la vocation première, le transit de passagers, semble avoir cédé la place à celle de la galerie commerciale géante, avec ses myriades de restaurants, de boutiques de luxe en tous genres, où toutes les marques les plus connues sont représentées. Si l’on omet que certaines marques locales occupent naturellement le devant de la scène, et sont absentes ailleurs, ces vastes complexes présentent des airs de parenté évidents, que semble confirmer l’apparence des touristes et voyageurs, dont les tenues vestimentaires très semblables reflètent la mondialisation uniformisatrice qui a tendance à araser les différences. Si jadis une certaine tenue vestimentaire permettait de différencier les peuples, aujourd’hui ce sont les marques, et une mode répandue à l’échelle mondiale, une industrie du spectacle mondialisée, qui semble fixer l’identité des hommes : l’homme moderne globalisé, au moins dans son apparence, a pour nationalité l’ensemble des marques qu’il arbore.
La composition et le faible taux de remplissage de l’avion devant nous mener d’Istanbul à Najaf nous donnent une première idée de la différence profonde à laquelle nous allons être confrontés.
Le contraste est évident quand on entre dans la salle d’accueil de l’aéroport de Najaf. Il est « international » mais ses dimensions sont des plus modestes : une salle d’enregistrement + une salle de réception des bagages.
Le premier coup d’oeil est saisissant. Toutes les femmes sont voilées de la tête au pied couvertes d’un grand voile noir uniforme ne présentant aucune variété, nommé abaya, le visage seul étant apparent. Les hommes pour certains en pantalons et chemises, d’autres en vêtements traditionnels.
Nombre d’entre elles rabattent avec manie ce voile qui leur recouvre le visage jusqu’au-dessus du front, alors qu’il a tendance à glisser en arrière.
S’il n’existe pas, ou peu de tourisme au sens où nous l’entendons en Europe, en revanche il existe un intense « tourisme religieux » : Najaf et Kerbala, en tant que deux villes parmi les plus saintes du chiisme, sont de hauts lieux de pèlerinage pour les êtres humains se réclamant du chiisme.
On nous apprend que les quelque deux cents personnes, hommes et femmes qui patientent avec nous dans la salle d’enregistrement ne sont pas des gens de la région mais des Iraniens venus en pèlerinage.
Nous sommes ainsi confrontés d’emblée au trait que nous constaterons en maintes occasions au cours de ce séjour, et qui fait la caractéristique distinctive de cette région du monde, et particulièrement l’axe de 80 km reliant Najaf et Kerbala : tout ici respire la religion et la spiritualité, ce que résumera bien l’un de nos hôtes dans le chemin nous menant vers Kerbala : « Ici Dieu est vivant », formule simple mais que l’on comprend intuitivement en faisant la comparaison avec une ville comme Paris, d’où toute expression religieuse a disparu, si l’on excepte les nombreuses magnifiques églises et cathédrales, témoins muets et désertés d’une époque où la religion catholique marquait profondément l’existence des Français.
La route Najaf/Kerbala confirme cette impression de se trouver sur une autre planète.
Le long de la route sont tendus, bien en évidence, des drapeaux verts, noirs, et rouges, dont on nous explique la fonction : cette route constitue, à un certain moment de l’année, le chemin de pèlerinage emprunté par les chiites qui viennent dans cette région du monde commémorer le martyre de l’imam Husseïn en l’an 61 de l’Hégire (680 ap J.C.). Le parcours se fait nécessairement à pied et les pèlerins peuvent éprouver quelques difficultés en route : ces drapeaux sont là pour signaler des lieux dans lesquels ils pourront s’ils le souhaitent se reposer et se restaurer gratuitement. Ils signalent par ailleurs les familles de descendants directs du prophète Muhammad, les plus fortement impliqués dans cette pratique charitable.
Le terre-plein central entre les deux axes offre un autre spectacle, beaucoup plus édifiant. Cette route est jalonnée d’un dispositif de lampadaires espacées de 50 en 50 mètres. Sur chacun de ces lampadaires, du début à la fin du trajet, sans la moindre interruption, sont accrochées des cadres contenant de grands portraits de soldats pour la plupart en treillis militaire et l’arme au poing. Ils sont chacun associés à un numéro. Comme nous nous enquerrons de cette curiosité, on nous apprend que ce sont des photographies de soldats irakiens, de la région, engagés volontaires qui ont été tués au combat contre Daech. A mesure que nous progressons l’accumulation de portraits produit son effet ; jusqu’à ce que nous arrivions à la fin du trajet et au numéro 1200, en précisant que le chiffre de soldats tués doit être multiplié par deux puisque les panneaux comportent au recto et au verso deux portraits différents.
La fonction réelle de ces chiffres est de marquer des points de rendez-vous pour les pèlerins, qui peuvent ainsi se retrouver facilement lors du grand pèlerinage annuel, mais la combinaison avec les portraits de soldats martyrs est saisissante.
A chaque lampadaire est accroché un portrait de martyr… pendant 80 km
Après avoir découvert le caractère religieux des lieux, nous découvrons son second aspect, plus sinistre : l’Irak, et la région ne fait pas exception, est un pays en guerre, ce que cette édifiante galerie de portraits est là pour rappeler. En outre ces morts sont pour la plupart plus récentes, puisqu’elles remontent à la mi 2014, phase cruciale de l’expansion de l’organisation EI en Irak et en Syrie. C’est au prix de ces lourdes pertes, qui traduisent une volonté véritable de lutter contre Daech, que l’invasion à l’époque a été repoussée.
Nous parvenons à une « cité des visiteurs » : il s’agit d’un complexe aux vagues allures de camp retranché, qui comporte une mosquée, un restaurant, et un ensemble de blocs d’habitation de deux étages découpés en appartements. Quatre nous sont attribués. Ils sont vastes, avec salon, salle de bain, cuisine, et chambre à coucher ; tout à fait confortables, ils sont équipés de deux ventilateurs, d’une climatisation, d’une télévision, et nous disposons d’un accès internet.
Après une sieste nous partons, dans la soirée, à la découverte de la ville de Kerbala et du mausolée de l’imam Husseïn, le personnage le plus fondamental de la religion chiite avec son père l’imam Ali[1]. La ville est située à 3 km de notre lieu d’hébergement.
La route que nous empruntons est très fréquentée, et bordée de nombreuses boutiques en tous genres vivement illuminées : vendeurs d’eau, boulangeries, épiceries, fruitiers, coiffeurs, barbiers, cafés, magasins de meubles, de chaussures, de vêtements, de jouets, bijouteries, fleuristes. N’était le caractère anarchique de l’urbanisme et les checkpoints où nous devons montrer patte blanche, la première impression à l’approche de Kerbala est celle d’une ville qui fonctionne correctement, avec une vie économique qui s’affiche sans crainte apparente.
Le Saint Sanctuaire de l’Imam Husseïn (SSIH), quant à lui, fait l’objet de mesures de sécurité draconiennes. Les barrages, cassis, et points de contrôle se multiplient à l’approche du lieu saint, équivalent pour les chiites de la basilique Saint-Pierre de Rome. Nous terminons le chemin à pied, et après avoir été fouillés une dernière fois, nous nous retrouvons devant l’entrée du sanctuaire de Husseïn, et là, après quelques pas, nous entrons dans un autre monde, absolument insoupçonnable depuis les capitales et les campagnes occidentales.
Les tenues vestimentaires tout d’abord frappent : les femmes sont toutes vêtues d’un abaya noir qui les recouvre de la tête aux pieds, de même facture que celui que nous avons vu dans la matinée à l’aéroport de Najaf.
Beaucoup d’hommes de leur côté sont en tenue traditionnelle, une djellaba généralement blanche qui descend jusqu’aux pieds. La plupart sont chaussés de tongues, certains vont pieds nus. On croise tout de même de nombreux hommes habillés à l’occidentale, si l’on peut appeler ainsi une tenue simple composée d’un pantalon, d’une ceinture, et d’une chemise.
Certains hommes arborent une tenue vestimentaire plus recherchée, il s’agit des Chaykhs et des Sayyids. Les chaykhs sont des hommes qui se sont distingués par leurs connaissances théologiques, leur éloquence, et leur capacité à transmettre la tradition. On les reconnaît à l’imposant turban blanc qu’ils enroulent autour de leur tête. Les sayyids sont des descendants directs du prophète Muhammad, et en vertu de cette distinction sont autorisés à arborer le même couvre-chef, noir en ce qui les concerne. Les personnalités les plus influentes du chiisme, l’ayatollah Ali al Sistani, Moqtada al Sadr, et Hassan Nasrallah, se trouvent dans cette situation.
Hommes et femmes évoluent dans deux univers séparés et associés.
A l’intérieur du mausolée, qui est également une vaste mosquée, une moitié est réservée aux hommes, l’autre aux femmes. Les deux sexes y ont accès par une entrée distincte et y disposent d’espaces qui leur sont réservés, quoiqu’ils se croisent dans les déambulatoires intérieurs.
Outre la splendeur des lieux, une caractéristique de tous les lieux saints chiites par lesquels nous passerons, ce lieu de culte est bondé au point qu’il est par endroits difficile de se frayer un passage. On est également saisi par l’extrême ferveur de tous les fidèles et pèlerins présents qui font leurs prières, lisent des corans, déambulent en procession devant le mausolée de l’imam Husseïn dont ils vont toucher et embrasser l’enceinte extérieure.
Nous comprenons plus nettement encore la phrase : « Ici, Dieu est vivant… ». Nombre d’hommes et de femmes ont le visage en larmes, à tout le moins habité par une affliction sincère et poignante. Commémorent-ils la mort d’un proche ou d’un personnage public récent ? Non, ils sont en deuil de la figure centrale du chiisme, l’imam Hussëin, assassiné en même temps que toute sa famille dans des circonstances atroces, 1300 ans plus tôt, lors de la « bataille de Kerbala »[2]. C’est cette figure christique dont ils célèbrent la mémoire et le martyre qui occupe toutes leurs prières, et avec une intensité telle qu’on a l’impression que cet événement tragique est survenu la veille.
On se prend alors à se demander à quoi devaient ressembler les cathédrales autrefois, avant la Révolution Française de 1789, avant la loi de séparation des Eglises et de l’État en 1905, avant la réforme de Vatican 2 de 1962, avant mai 1968. On se prend à se demander si l’on est plongé dans un univers radicalement nouveau et étranger, ou si l’on accède, comme dans un voyage dans le temps, à notre monde tel qu’il était il y a 250 ans, quand la religion et les rites catholiques réglaient la vie des Français.
Nous avions eu, alors que nous nous trouvions encore dans le véhicule menant vers le centre de Kerbala, un premier aperçu de cette piété chiite si particulière, toute entière tournée vers la commémoration du martyre de l’imam Husseïn. Posant une question à notre interprète, assis trois rangs à gauche devant moi, je me demande s’il m’a bien entendu quand nous nous rendons compte qu’il est en train d’éclater en sanglots. La seule perspective d’approcher le lieu sacré enfermant les restes de celui vers qui se tournent tant de ses prières a déclenché en lui cette réaction qui s’est prolongée à l’abord du mausolée, où il s’est assis pour fondre en larmes de longues minutes.
Interloqués au départ, nous avons vite compris que de telles scènes à Kerbala, dans les environs et à l’intérieur du sanctuaire (comme dans tous les autres lieux saints par lesquels nous passerons) sont si communes que personne n’y prête la moindre attention. Du reste ces accès d’affliction profonde sont temporaires, et après quelques minutes notre interprète éploré reprenait ses esprits et le fil de nos conversations comme si de rien n’était.
Nous pénétrons dans le sanctuaire par un haut portique frangé d’inscriptions coraniques en blanc sur fond bleu, chargé de dessins floraux et arabesques jaunes et bleus. Y est encastrée l’entrée proprement dite, chapeautée par une haute voûte brisée tapissée de moellons en creux, argentés et disposés comme les cellules d’un nid d’abeilles, autour d’un dessin circulaire arabesque complexe de couleur jaune et bleue.
L’un des dix portiques d’accès au Saint Sanctuaire de l’imam Husseïn.
C’est le premier aperçu que nous avons eu de l’édifice.
Après avoir franchi un large couloir, et nous être déchaussés comme le veut la coutume, nous nous trouvons d’emblée dans la salle principale. La décoration est abondante et somptueuse. Pas un centimètre carré du plafond et des façades intérieures de 20 mètres de hauteur n’a été oublié ; tout n’est que dorures, argenteries, matériaux rares. Tout le sol est recouvert de tapis moelleux, et de gigantesques lustres jettent sur tout l’ensemble une vive lumière. Dans la surcharge la décoration fait penser à la Galerie des Glaces du château de Versailles ou à la basilique Saint-Pierre de Rome.
Vue de l’intérieur du mausolée
Un peu intimidé par la ferveur religieuse et le flux incessant de pèlerins complètement habités, je n’ai pas osé entrer dans le coeur du bâtiment, où se trouve la tombe de l’imam Husseïn. A quelques pas, on perçoit tout de même les nuées de mains qui caressent frénétiquement, en une sorte de cohue auto régulée, le grillage en argent derrière lequel sont entreposés les restes du Saint. Un flux incessant de fidèles entrant et sortant d’un côté à l’autre.
Quand nous sortons du sanctuaire nous nous retrouvons dans la rue qui fait le tour complet du bâtiment, qu’il entoure comme une ceinture vivante, et nous voilà plongés dans l’atmosphère de Kerbala. Au pied de toutes les façades opposées, des échoppes, pour la plupart minuscules, s’enfilent en série continue. On trouve en particulier des restaurateurs chez qui on peut manger sur le pouce, des vendeurs de jus de fruits frais, et de nombreuses boutiques vendant des bagues, des chapelets, des étendards religieux. Un peu comme à Lourdes nous nous trouvons, en quelque sorte, dans une ville « touristique », dont les pèlerins, qui viennent par millions et parfois de fort loin, veulent emporter un souvenir, qu’ils trouvent dans les innombrables boutiques des environs du sanctuaire.
Nous longeons également un bâtiment qui, vivement décoré et illuminé, ressemble beaucoup au sanctuaire de l’imam Husseïn, dans lequel entre et sort un flux continu de femmes en abaya : il s’agit du mausolée al-Zaynabia, qui tire son nom de la sœur de l’imam Husseïn, Sayeda Zaynab (« la dame Zaynab). Contrairement aux autres mausolées chiites, celui-ci ne contient pas ses restes, mais il aurait été érigé, symboliquement, à l’endroit-même où, aux dernières heures de la bataille de Kerbala, Zaynab, n’entendant plus la voix de son frère qui allait se faire égorger, l’appela pour savoir s’il était encore vivant. Le vrai mausolée de Sayeda Zaynab se trouve dans l’est de Damas, ou il a failli en mai 2013 être détruit par les « rebelles » wahhabites, copie conforme des soldats de Daech que les Irakiens combattent depuis juin 2014.
Le mausolée de Sayeda Zaynab, face à celui de son frère. On distingue la rangée de ventilateurs qui, lorsque la chaleur devient insupportable, fonctionnent en continu tout en faisant office de brumisateurs
Les emplettes commerciales ne constituent pas l’objectif principal du voyage, comme on s’en rend compte en observant les processions de fidèles ou les groupes de pèlerins qui s’arrêtent en groupes, soudain, devant une des portes du sanctuaire.
La forme de ces groupes et processions est toujours la même. En tête se trouve ce que j’appellerais « le maître de religion », sans doute choisi pour son érudition religieuse et son aptitude à psalmodier le Coran et la Geste d’Ali et de Husseïn. Aidé d’un micro et d’une enceinte, il récite des textes religieux qui facilitent la communion des pèlerins avec l’esprit du lieu et l’entrée dans l’espèce de transe d’affliction que j’ai évoquée plus haut. Au premier rang face à lui, les hommes, derrière les femmes et les enfants.
Groupe de pèlerins transis par la psalmodie de la Geste d’Ali et de Husseïn
Nous avons été saisis en particulier par une procession de pèlerins iraniens qui faisaient le tour du monument en procession, en exprimant toutes les marques du désespoir le plus profond, le visage empreint d’un désespoir poignant, se battant de façon répétitive la poitrine avec une main.
Dernier détail marquant, que nous retrouverons dans tous les lieux de culte chiites par la suite, dans les environs immédiats du sanctuaire, sont disposés, pour ceux qui le souhaitent, quantité de tapis sur lesquels n’importe qui peut aller s’asseoir ou s’allonger confortablement, pour se reposer ou bavarder. Nombreux ceux qui sont profondément endormis, comme protégés par l’atmosphère paisible qui règne en ce lieu. Cela fait penser au jardin du Luxembourg en été, sauf que, rigueurs caloriques du climat obligent, c’est plutôt à la tombée du jour que toute cette vie se met en place. Les tapis sont déroulés et repliés au besoin par les fonctionnaires du sanctuaire, qui dispensent aux pèlerins par ailleurs toutes sortes de services.
Tout autour du sanctuaire, des tapis sont mis à la disposition des pèlerins, qui ici s’y reposent en famille. Vue du parvis devant l’entrée principale du SSIH. Derrière commence la galerie du salon du livre de Kerbala que nous arpenterons cinq jours plus tard.
Sur les coups de minuit nous regagnons la cité des visiteurs. Nous prenons connaissance du programme du lendemain : une visite de la ville de Balad au nord de Bagdad, dans la province de Salah-el-Din, libérée il y a quelques mois de Daech par des forces conjointes chiites et sunnites.
François Belliot | 30 juillet 2016
A suivre…
[1] Ali (600-661), (Abu al-Hassan, Ibn al-Talib), est le fils d’Abi Talib, oncle du prophète Muhammad, dont il est le cousin et le gendre. Il est le quatrième calife de l’Islam (656-661), jusqu’à son assassinat par les kharidjites. Il est considéré par les chiites comme leur premier imam. Son fils, Husseïn (626-680) (Abu Muhammad, Ibn Ali ibn Abi Talib), tué lors de la bataille de Kerbala avec toute sa famille, est considéré par les chiites comme leur troisième imam (son frère Hassan étantle second). Cet éévénement dramatique marque la division de l’Islam en deux branches : le chiisme et le sunnisme.
[2] « Comme son nom l’indique, [Kerbala] est la cité des malheurs (al-kerb) et des épreuves (al-bala), où eut lieu la célèbre bataille entre Al-Husseïn ibn-Ali et l’armée du calife umeyyade Yazid. Elle fut habitée par les chiites depuis qu’on y a inhumé l’imam Al-Husseïn (après que sa tête coupée fut apportée à Yazid à Damas, on dit, d’ailleurs, qu’elle est inhumée en Egypte) » (Ali Al-Babakhan, L’Irak, 1970-1990, déportations des chiites, p. 35). La « bataille de Kerbala », le 10 octobre 680, opposa l’armée du calife Yazid, composée de 30000 hommes à celle d’Al-Husseïn et certains de ses partisans, composée de 72 hommes. Toute sa famille y fut massacrée, à l’exception de sa sœur Zaynab et l’un de ses fils, Ali Zayn al-Abidin, qui deviendra le quatrième imam du chiisme.
*Nous étions une équipe de quatre personnes, deux journalistes, Maria Poumier et moi, et deux preneurs de vue, Gérard Lazare, et Smaïn Bedrouni.
**Ce média dispose de son site internet et diffuse en sept langues : l’allemand, l’anglais(http://im.imamhussain.org/english), l’arabe (http://im.imamhussain.org/arabic), le farsi (http://im.imamhussain.org/persian), le français (http://im.imamhussain.org/french), l’ourdou, le turc.
Belliot
*« François Belliot vient de publier aux éditions SIGEST, le second volume de ses chroniques sur la « Guerre en Syrie » sous-titré : « Quand médias et politiques instrumentalisent les massacres » : http://edsigest.blogspot.fr/2016/06/guerre-en-syrie-v2.html »
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