Les munitions diplomatiques syriennes pour les négociations d’Astana 2/3
janvier 6, 2017
jeudi 5 janvier 2017, par Comité Valmy
Astana, capitale du Kasakhstan
Les munitions diplomatiques syriennes
pour les négociations d’Astana 2/3
Première partie : la Tripartite est-elle vraiment sur le point de dépecer la Syrie ?
Des solutions syriennes
La première chose qu’il faut préciser, c’est que l’armée arabe syrienne et la majorité patriotique du pays qu’elle représente viennent de gagner la guerre et qu’il n’y a aucune raison pour qu’elles acceptent toutes sortes de « concessions » à « l’opposition », compte tenu des circonstances qui prévalent après le succès de la libération d’Alep. Même compte tenu de la nécessité de sécuriser les territoires nouvellement libérés et de reconstituer les troupes (que ce soit physiquement, émotionnellement ou psychologiquement), il n’y a aucun argument valable pour expliquer pourquoi l’opération de libération nationale ne pourrait pas continuer après un bref repos tactique. La seule explication plausible est que les principaux protecteurs internationaux de la Syrie, la Russie et l’Iran, n’ont pas la volonté politique de consacrer les ressources nécessaires pour poursuivre cette campagne, comme l’a expliqué en détail l’auteur en août dernier, dans son article intitulé La Turquie en Syrie, la FSA et la future querelle sur la Constitution de la Syrie.
Pour être clair, l’auteur est convaincu que la solution optimale est que la Russie et l’Iran fournissent de façon fiable l’appui nécessaire à la poursuite de la campagne de libération de la Syrie. Mais parce que ce n’est pas le cas pour l’un ou l’autre de ces deux pays, qui ne désirent visiblement pas prolonger indéfiniment les opérations multidirectionnelles, Damas doit maintenant commencer à se concentrer sur les aspects politiques du processus de résolution du conflit et abandonner son ancienne dépendance envers la solution militaire. En tant que telles, les prochaines négociations tripartites organisées à Astana acquièrent une importance dans ce qui sera alors une guerre de presque six ans en Syrie, et elles doivent donc être la plus haute priorité. Par conséquent, vu que la solution politique est visiblement en train d’éclipser la solution militaire, Damas doit être prête à jouer son va-tout à Astana, le mois prochain, et se préparer au grand jeu des bluffs et des paris.
La délégation gouvernementale de la République arabe syrienne doit souligner les points suivants lors des pourparlers d’Astana, afin de protéger de manière fiable ses intérêts nationaux au cours de cette série d’imprévisibles « marchandages » et « compromis » :
Des décisions démocratiques
La Déclaration de Moscou du 20 décembre qui a émergé de la première réunion officielle de la Tripartite sur la Syrie a « réaffirmé le plein respect de la souveraineté, de l’indépendance, de l’unité et de l’intégrité territoriale de la République arabe syrienne, pluri-religieuse, non-sectaire, démocratique et laïque ». Chacune de ces caractéristiques a sa propre pertinence, mais la principale est la nature démocratique de l’État syrien, puisque tout le reste procède de ce point de départ. En ayant la démocratie en tête, aucune puissance étrangère, qu’elle soit alliée à la Syrie ou contre elle, ne devrait pouvoir décider des questions internes les plus délicates du pays, comme sa « fédéralisation » (partition interne) ou un changement de régime contre le président Assad.
Ces questions doivent rester entre les mains du peuple syrien et être abordées par le biais d’un référendum. Il serait donc préférable que les peuples soient consultés démocratiquement, avant que le gouvernement et les représentants de l’opposition ne parviennent à un accord concluant sur ces sujets. Dans un scénario idéal (qui peut ne pas correspondre nécessairement à l’état actuel des choses), une série de référendums seraient organisés pour procéder ou non à la « fédéralisation » et au changement de régime et les résultats devraient servir de base à la prochaine série de négociations. Cependant, la pierre d’achoppement est que Damas a déjà dit que des élections nationales ne pourraient avoir lieu qu’après la libération de tout le pays, donc l’impasse est évidente et les dirigeants des négociations pourraient donc être chargés de prendre ces décisions préliminaires au nom du peuple.
Il se pourrait que les Syriens finissent par voter pour accepter ou rejeter un projet de constitution, qui peut ou non avoir des dispositions écrites sur la « fédéralisation » et le changement de régime, ce qui signifie qu’ils pourraient rejeter le document si un, ou les deux, points sont présents en son sein. Dans le meilleur des cas, cela pourrait habiliter le gouvernement à renverser toutes les « concessions » tactiques qu’il aurait pu accepter à cet égard, en soulignant la volonté indéniable du peuple, exerçant ainsi une pression sur l’« opposition » pour retirer ces demandes, après avoir vu qu’elles ne sont pas du tout représentatives de ce que veulent les Syriens. Au contraire, le pire scénario serait que les négociations retournent à la case départ, si l’opposition prétend que le peuple a voté contre d’autres points du document et qu’il ne peut être prouvé de façon concluante qu’ils étaient contre ces deux points spécifiques.
Indépendamment de la façon dont le processus de négociation finit par se dérouler, Damas doit être catégorique sur le fait que la décision finale sur la constitution ou tout autre aspect controversé restera en fin de compte entre les mains du peuple syrien, grâce à un vote démocratique à l’échelle nationale. À en juger par le sentiment populaire et les élections de 2014, les Syriens sont prêts à favoriser de façon écrasante la poursuite de leur État unitaire et à voter pour réélire le Président Assad en tant que chef de la République arabe, c’est pourquoi ils devraient avoir la possibilité d’exercer démocratiquement leur volonté en déterminant l’avenir de leur civilisation-état.
Unitaire par nature
Quoi qu’il en soit, les autorités syriennes ne doivent pas hésiter à insister pour que leur pays demeure une république unitaire après la guerre. L’ambassadeur syrien en Russie a clairement indiqué, immédiatement après l’annonce unilatérale par le Kurdistan d’une « fédération » en mars 2016, que « quand on parle de la fédéralisation de notre pays, cela menace directement son intégrité, va à l’encontre de la Constitution, contredit les préceptes nationaux ainsi que les résolutions et décisions internationales, de sorte que toutes les déclarations de ce genre sont illégitimes » et rien n’indique que cette position a changé de quelque façon que ce soit. En fait, les déclarations du président Assad après les faits confirment que Damas n’envisage aucun changement de position. Cet état de choses est représentatif du sentiment général en Syrie et est donc tout à fait légitime. De même, cela pourrait être confirmé par un référendum ou une série de référendums démocratiques, comme indiqué dans la recommandation susmentionnée, et c’est pourquoi cela doit être encouragé aussi activement que possible.
Un compromis sur les villes
Même si la Syrie s’attache à soutenir la nature unitaire de son État et s’appuie sur la volonté démocratique du peuple comme moyen de justifier sa position, cela ne sera pas suffisant pour apaiser les efforts de lobbying international pour qu’elle fasse des compromis symboliques afin de satisfaire l’« opposition modérée » et faire avancer le règlement politique de la guerre. Si une telle situation se matérialise, la Syrie doit préparer une contre-proposition à la « fédéralisation » plutôt que de la rejeter purement et simplement sans offrir de « concessions » symboliques, car cette approche – en tant que principe et représentative du sentiment populaire – pourrait pousser les « rebelles » à abandonner les pourparlers de paix et à redémarrer les hostilités, peut être même avec le soutien tacite de la Turquie.
Voyant comment la Tripartite a déclaré explicitement, le 20 décembre lors de sa réunion à Moscou, qu’ils sont « convaincus qu’il n’y a pas de solution militaire au conflit syrien » et voyant évidemment que ni la Russie ni l’Iran n’ont la volonté politique de continuer à soutenir la campagne de libération nationale avec la même intensité qu’auparavant, il pourrait être nécessaire pour la Syrie d’offrir quelque chose de plus sur la table, afin d’éviter d’avoir à faire des « concessions » désagréables conduisant à une sorte de « fédéralisation ». Il ne faut pas oublier que la « fédéralisation » deviendra inévitablement une partition interne, avec le temps, que la Tripartite le reconnaisse ou non, et qu’elle sera contraire à tous les intérêts syriens à long terme.
En tant que telle, une contre proposition de « compromis » doit être proposée au lieu de la « fédéralisation » pour faire avancer les négociations jusqu’à leur stade définitif et rendre visibles (quoique symboliquement, pas nécessairement substantiellement) les progrès sur cette question brûlante et la solution pourrait être de discuter d’un principe d’« autonomie municipale ». Celle-ci ne s’étendrait qu’aux limites officielles des plus grandes villes syriennes et une clause pourrait être incluse, dans la constitution réécrite, pour que ces conditions ne s’appliquent qu’aux capitales provinciales. L’« autonomie municipale » impliquerait des concessions principalement superficielles, mais aussi une responsabilité fiscale importante pour déterminer comment les fonds de l’État local, provincial et central pourraient être payés à la ville.
Elle ne permettrait pas aux villes concernées de disposer de leurs propres milices, ce qui est une autre conséquence inévitable du fédéralisme identitaire, et les forces policières locales ne devraient jamais être en mesure de s’affronter à l’armée syrienne de façon significative. Cela contribuera à maintenir la paix et à prévenir tout conflit civil possible. En outre, l’application pratique de cette idée dépendrait encore de la volonté démocratique des citoyens syriens eux-mêmes, car ils seront ceux qui votent pour les membres du conseil municipal et le maire. Si l’opposition obtient d’une partie du peuple, le pouvoir dans ces régions, cela n’aurait pas d’incidence sur l’unité nationale, car il n’y aurait pas grand-chose à faire pour miner le gouvernement central. Si leur législation locale et leurs politiques fiscales ne sont pas bénéfiques pour les habitants, alors ils ne seront tout simplement pas réélus. Ce processus enrichirait également la démocratie multipartite en développement en Syrie.
Il est important de garder à l’esprit que la première série d’élections devrait être menée conformément aux résultats du recensement d’avant 2011, afin d’empêcher les déplacés internes et les réfugiés / immigrants de retour de voter dans leurs nouvelles zones de peuplement et d’incliner radicalement les résultats des élections locales contre le désir des habitants d’origine. C’est surtout le cas pour Lattaquié, qui a hébergé un grand nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays, où les groupes politiques pourraient théoriquement abuser de cette situation pour marginaliser la minorité alaouite dans sa région d’origine. Expliqué de cette façon, l’« Appel alaouite » pourrait être utilisé pour promouvoir des changements productifs, par opposition à la destruction qui pourrait malheureusement arriver si Reuters ne s’est pas trompé et que cet angle d’attaque est utilisé pour promouvoir des politiques potentiellement destructrices, telles que la « fédération » de la Syrie ou un changement de régime « en douceur » contre le président Assad dans le cadre d’un « règlement du conflit ».
Le soutien iranien
Si l’on en croit l’article de Reuters, l’Iran est le moins enthousiaste des membres tripartites à promouvoir les allégations non vérifiées sur les propositions concernant la « fédéralisation » et le statut du président Assad, ce qui représente une aide précieuse pour l’engagement diplomatique syrien dans la promotion de ses intérêts les plus importants. Avant de continuer, il faut rappeler aux lecteurs les paroles du président Assad, selon lesquelles la Russie donne effectivement des conseils à la Syrie, mais ne la force jamais à faire quoi que ce soit, ce qui n’empêche pas que ses diplomates puissent faire un fort lobbying pour ce qu’ils croient vraiment être la meilleure ligne de conduite (même si les autorités syriennes pourraient potentiellement ne pas être d’accord sur la sagesse d’une telle ligne, tout comme l’auteur). Si elle est placée dans un tel scénario où la Russie, la Turquie et l’« opposition modérée » poussent la Syrie à accepter certaines « concessions » concernant une ou les deux propositions controversées, Damas doit utiliser son effet de levier diplomatique avec Téhéran pour amener les deux autres grandes puissances à se rendre compte que ce sont des sujets non négociables pour la Syrie, parce qu’ils contredisent ses intérêts nationaux fondamentaux.
L’Iran, tout en étant le membre le moins médiatique de la Tripartite, a beaucoup plus d’influence que beaucoup d’observateurs pourraient le penser, car il pourrait menacer d’abandonner les négociations ou de les rendre inopérantes, si ses intérêts ne sont pas correctement considérés. Ce qui fait que Téhéran a un joker en main, essentiellement sous la forme d’un « véto » pouvant bloquer toute décision de la Russie et de la Turquie et briser l’approche consensuelle de la Tripartite pour résoudre la guerre contre la Syrie. C’est pourquoi Moscou et Ankara doivent prêter attention à ce que veut Téhéran. Les trois points, selon l’article de Reuters, que la République islamique conteste, sont la « fédéralisation », le changement de régime « en douceur » contre le président Assad et l’inclusion de l’Arabie saoudite dans le processus de paix. L’Iran ne peut pas espérer réellement faire avancer tous ses intérêts après avoir volontairement décidé de conclure un partenariat diplomatique multilatéral avec la Russie et la Turquie, de sorte qu’il devra finalement faire des concessions sur au moins un de ces points. Cela dit, parmi les trois que l’Iran pourrait avoir à sacrifier, le moins dommageable serait l’implication de l’Arabie saoudite dans le règlement de la future résolution du conflit.
Pour éviter tout malentendu, l’auteur ne préconise pas nécessairement que cela se passe ainsi, mais parle simplement de façon réaliste de la situation et de ses contraintes particulières. Il est sans doute beaucoup plus important pour l’Iran de conserver la nature unitaire de la Syrie et le président Assad au pouvoir, que d’empêcher l’Arabie saoudite de siéger à la même table qu’elle (quelque déplaisir que cela puisse susciter). Puisque la Tripartite est la principale force diplomatique qui dirige les pourparlers de paix en Syrie en ce moment, il y a peu de chances que Moscou ou Ankara permettent à Riyad de saboter les négociations. Ils considèrent que l’inclusion symbolique du Royaume est pragmatiquement nécessaire pour permettre à Riyad de se désengager de la Syrie et d’arrêter son soutien au terrorisme. À condition que cette analyse soit exacte, l’Iran n’a vraiment rien à craindre en acceptant que les Saoudiens aient un siège aux pourparlers, puisqu’ils ne seraient pas en position de force, vu comment la « Free Syrian Army » et le reste des « rebelles modérés de l’opposition » sont sous le contrôle d’une Turquie alliée du groupe tripartite et de plus en plus orientée vers l’Eurasie.
Astana
En comprenant bien la situation, la Syrie pourrait encourager l’Iran à l’aider à convaincre la Russie et la Turquie du danger involontaire et de la catastrophe imminente de soutenir le « fédéralisme » et un changement de régime « en douceur » contre le président Assad, à condition évidemment que cela se produise et que l’article de Reuters ne soit pas seulement une arme de désinformation massive. Si les deux interlocuteurs de Téhéran ne sont pas d’accord sur ces points, l’Iran pourrait menacer de quitter le cadre tripartite ou de le rendre opérationnellement irréalisable, ou permettre aux Saoudiens de siéger à la table des négociations, à condition que la Russie et la Turquie arrêtent de pousser pour ces deux extrêmes controversées.
Dans ce processus de négociation complexe, toutes les parties ont une chance de gagner parce que la Syrie conserverait deux de ses positions les plus importantes (l’État unitaire et le mandat continu du président Assad, qui reflètent et dépendent de la volonté du peuple), ce qui coïncide avec les deux tiers des volontés iraniennes, la Russie et la Turquie étant alors en mesure d’étendre symboliquement leur pouvoir de grande puissance pour inclure le Royaume du Golfe et, potentiellement, même ses alliés comme le Qatar et d’autres. En échange, la Syrie reconnaît l’autonomie municipale dans sa Constitution, l’Iran autorise les Saoudiens à participer aux pourparlers de paix et la Russie et la Turquie retirent leur soutien à la « fédéralisation » et au changement de régime « en douceur ».
Andrew Korybko
– Le 29 décembre 2016
Traduction le Saker Francophone
Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik.
– Source Oriental Review