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Israël est-il suicidaire ?


Par Jeremy Salt
Arrêt sur info — 08 août 2018

Par Jeremy Salt
Paru le 23 juillet 2018 sur The Palestine Chronicle

Il est fascinant de voir quelqu’un enfoncer des clous dans un cercueil, pensant qu’il est destiné à une autre personne, sans avoir conscience que ce pourrait être pour lui-même.

Les derniers clous dans le cercueil de la Palestine occupée, ce sont la loi « Israël, État-nation du peuple juif », l’interdiction des salles de classe et des amphithéâtres à toute personne critiquant les soi-disant « forces de défense israéliennes » et la législation actuellement en discussion qui permettrait aux communautés juives d’interdire aux « Arabes » de vivre parmi eux.

Israël n’a jamais été défini comme l’État de ses citoyens, car cela voudrait dire qu’il faudrait y inclure les Palestiniens. Le seul changement c’est que la discrimination est désormais inscrite dans la loi.

La loi est bidon de toute façon. Il n’y a pas de « peuple » juif et encore moins de « nation » juive. Il existe des communautés juives dans le monde entier, que séparent l’ethnicité, la langue, l’histoire et la culture, la religion étant leur seul lien. Ils n’ont pas voté pour faire partie de cette enclave « État-nation » de colons au cœur du Moyen-Orient et, sans aucun doute, presque tous voteraient contre.

Les juifs ne sont pas plus un peuple ou une nation que les musulmans que l’on qualifierait de peuple ou de nation, bien que Elijah Muhammad ait fait la tentative avec la « Nation de l’Islam ». Les États modernes sont les États de tous leurs citoyens, sans distinction de religion ou d’appartenance ethnique.

Vu que l’État sioniste, colonisation de peuplement, ne se considère pas comme l’État de tous ses citoyens, mais se définit désormais juridiquement comme État-nation juif, donnant la priorité aux Israéliens juifs et aux juifs du monde entier, d’un point de vue constitutionnel il ne peut être considéré comme un état moderne mais plutôt comme une régression vers des temps plus primitifs.

La loi a été introduite par Benjamin Netanyahu, descendant de colons polonais, fils d’un certain Benzion Netanyahou, qui fut le secrétaire privé de Vladimir Jabotinsky. Le fils, comme le père, croît dur comme fer à la mise en œuvre de la doctrine du « mur d’acier » de Jabotinsky contre le peuple autochtone de Palestine.

C’était un peuple réel, dont les membres n’étaient pas seulement liés par la religion mais par la culture, la langue, la géographie et une longue histoire commune. Si les sionistes avaient choisi de s’installer parmi eux, au lieu de chercher à les déraciner, s’ils n’avaient pas plutôt choisi la voie de la discrimination, de la ségrégation et l’exclusion appuyée par une violence inouïe, ils auraient pu eux aussi faire partie d’un peuple réel.

Au lieu de cela, leur État est resté un implant raciste et artificiel, ayant des similitudes idéologiques avec l’Allemagne nazie et l’Afrique du Sud de l’apartheid. Il doit sa survie, non pas à la force de la loi, de la justice ou du sens moral mais à la force brute.

C’est le « ministre de l’éducation », Naftali Bennett, dirigeant du parti fasciste « Le Foyer juif » qui décidera qui est apte à enseigner dans les écoles et universités. M. Bennett est célèbre pour s’être vanté de « j’ai tué de nombreux Arabes dans ma vie et ça ne pose aucun problème. »

En 1996, au cours de l’Opération Raisins de la Colère au Sud-Liban, c’est ce guerrier intrépide qui, toutefois, acculé par le Hezbollah et rendu hystérique par la peur, demanda en renfort une attaque aérienne qui fit plus d’une centaine de morts chez les civils qui s’étaient réfugiés dans le camp de l’ONU à Qana. Plus extrémiste encore que Netanyahu, tradition de la direction sioniste, Bennett est un colon d’origine américaine.

Les colons qui veulent que la ségrégation soit juridiquement légalisée ne sont guère différents des Allemands des années 1930 qui ne voulaient pas vivre avec des juifs, des Américains qui ne voulaient pas vivre avec des « nègres » et des colons blancs en Afrique qui ne voulaient pas vivre avec des Noirs.

D’un point de vue réaliste, Israël est un ghetto au Moyen-Orient. Il s’est entouré d’une clôture ou d’un mur, pour se protéger de Gaza, de l’Égypte, de la Syrie et du Liban et des Palestiniens de Cisjordanie.

Ce ghetto est aussi un état garnison, armé jusqu’au dents, qui est connu pour détruire quiconque se met en travers de son chemin. Ses hommes et femmes politiques menacent de recourir à la violence quasiment tous les jours. Il vient d’ailleurs de bombarder Gaza une fois de plus pour empêcher que des cerfs-volants dotés de petits mécanismes incendiaires ne franchissent la clôture.

Ces derniers ont un but symbolique, faire savoir aux sionistes que quoi qu’ils fassent, la résistance continuera. Pourtant les sionistes réagissent comme si une pluie de missiles s’abattait sur eux. Chaque entaille, chaque égratignure dans le sable où ces projectiles atterrissent est présentée au monde comme preuve supplémentaire de l’iniquité palestinienne.

Il en va de même pour les vraies roquettes tirées par dessus la clôture. Ce sont des engins primitifs, elles causent peu de dégâts et tuent rarement qui que ce soit, pourtant, que l’une d’entre elles atterrissent près d’une maison ou d’un terrain de jeu, et l’État sioniste se comporte comme s’il était victime d’une attaque militaire de grande ampleur.

Les conséquences pour les colons juifs de l’autre côté de la clôture de Gaza sont exagérées au maximum. On les montre réfugiés dans des abris anti-raids aériens tremblant de peur. Quelqu’un est pris d’une crise d’angoisse, d’autres personnes ont subi des « blessures superficielles », c’est à dire des égratignures ou de légères coupures, et il y a un trou dans la route. C’est à peu près l’étendue des dégâts, mais Israël passe immédiatement à l’offensive arguant qu’il n’a pas d’autre choix que d’attaquer.

Les menaces verbales actuelles promettant de nouvelles guerres proviennent principalement du soi-disant « ministre de la défense », un immigrant moldave du nom d’Avigdor Lieberman dont la formation à la défense se résume à la période qu’il a passée comme videur de boites de nuit dans sa vie antérieure. Lieberman dit qu’il n’y a pas de civils innocents à Gaza, justifiant ainsi rétrospectivement et à l’avance leur assassinat aux mains des forces d’occupation.

Lieberman réside actuellement dans la colonie de Nokdim en Cisjordanie avec son épouse moldave. Avant qu’il ne décide de rejoindre l’occupation de la Palestine en 1978, il vivait à Kishinev, où en 1903, un pogrom provoqua la fuite des juifs vers l’ouest. Quelle retournement de l’histoire pour un homme qui a été élevé dans une ville connue pour le pogrom dont sa population a été la victime en 1903 et qui maintenant se livre à une politique basée sur le pogrom en Palestine occupée.

Si « Israël » n’est pas le foyer national de tous ses citoyens, il n’est pas non plus l’ « État-nation » du peuple juif, en dépit de la législation. De plus en plus, les juifs du monde entier se dissocient de cet État et de son idéologie. Ils n’en veulent pas. Ils le voient pour ce qu’il est, pas seulement un État brutal fondé sur la spoliation et l’occupation, mais comme une malédiction pour le judaïsme.

Israël n’est pas davantage une démocratie. Une démocratie ne peut pas être fondée sur l’expulsion au préalable de la population qui a le droit de vivre et de voter dans le cadre de ses compétences territoriales. Sauf à des fins de propagande, cependant, les sionistes n’ont jamais eu l’intention d’établir une démocratie en Palestine. Israël n’a jamais été envisagé comme autre chose que ce qu’il est, un « foyer national » exclusivement pour les juifs au cœur du Moyen-Orient.

Deux exemples récents contribuent à souligner l’état de décomposition morale et juridique de l’État d’’Israël. L’un d’eux est la libération, non pas de prison mais de détention sur sa base militaire, de l’assassin Elor Azaria, qui s’est approché d’un Palestinien gisant blessé sur le pavé d’une rue d’Hébron et lui a tiré dans la tête.

La nature monstrueuse de cet acte a été aggravée par le fait qu’Azaria servait en Cisjordanie occupée en tant que médecin, c’est à dire quelqu’un chargé de sauver des vies, et non d’y mettre un terme avec un fusil d’assaut.

Azaria n’a été accusé que d’homicide involontaire. Le procès a été grotesque et s’est terminé par sa libération après seulement neuf mois d’ « emprisonnement » sur sa base militaire. De retour à Hébron, il a naturellement été accueilli en héros par les colons fanatiques qui ont leur propre bilan sanglant de meurtre et d’incitation.

L’autre exemple est le procès de deux jeunes colons du groupe « hilltop youth » pour le meurtre en 2015 de la famille Dawabsheh, Said, son épouse Reham et leur enfant en bas âge, Ali, âgé de 18 mois. Leur autre enfant, quatre ans, a survécu, mais avec des brûlures sur 60 pour cent du corps, réduisant sérieusement sa mobilité, suite à l’incendie criminel de la maison familiale dans le village de Duma en Cisjordanie.

Un tribunal a maintenant libéré le plus jeune des deux accusés, un mineur et donc non nommé, au motif que ses aveux ont été obtenus sous la torture par le service de renseignement interne du Shin Beit. Il n’a jamais été accusé de meurtre, mais seulement d’être sur les lieux, ce qui, selon les « sources de sécurité », n’a de toute façon jamais été prouvé devant la Cour. Il a été renvoyé chez lui et assigné à résidence.

Pour les mêmes motifs, le tribunal a également jugé irrecevables certains des aveux faits par l’autre accusé, Amiram Ben Uliel, 21 ans, fils d’un rabbin associé à la colonie « illégale » de Migron, établie par le colon fanatique d’origine états-unienne, Daniella Weiss et démantelée ultérieurement.

Là, il a fréquenté Meir Ettinger, le petit-fils du meurtrier, fondateur du mouvement Kach, Meir Kahane, qui croyait, comme Netanyahu, qu’Israël ne devrait être démocratique que pour les Juifs.

Ben Uliel a fait valoir que ses aveux étaient « hypothétiques » et n’ont été obtenus que sous les gifles et les coups qu’il a reçus de ses interrogateurs. Bien qu’il ne fasse aucun doute que lui et son complice ont commis ces meurtres, il est fort probable que la décision de la Cour sera l’acquittement, même pour Ben Uliel.

L’affirmation selon laquelle en rejetant des aveux prétendument faits sous la torture, Israël est sur la voie de la vérité, est trompeuse. Le juge a pris soin de déclarer qu’une telle décision ne devrait pas être considérée comme un précédent, laissant aux tribunaux la possibilité de continuer à écarter les allégations des accusés palestiniens qui affirment que leurs aveux ont également été obtenus par la torture, ce qui, dans leur cas, est beaucoup plus susceptible d’être vrai.

A l’extérieur du tribunal lors de la dernière audience du procès de Ben Uliel en juin, des colons, ses âmes sœurs, se sont réunies pour scander à l’adresse de Hussein Dawabsheh, le père de Reham, et grand-père d’Ali, tandis qu’il quittait l’audience « Où est Ali ? Il n’y a pas d’Ali. Ali est brûlé. Ali est sur le grill. »

En mai, des colons avaient commis un autre incendie criminel à Duma, visant cette fois la maison d’un autre membre de la famille, Yasser Fatah al Dawabsheh. Un cocktail Molotov a été lancé par la fenêtre et la famille, le mari, la femme et les quatre enfants n’ont pu s’échapper que lorsque Yasser a réussi à faire un trou à coups de pied dans un mur de Placoplatre.

Il faut s’interroger sur la psychologie de tout cela. Il n’y a pas grand-chose que l’État sioniste colonisateur puisse faire pour se faire davantage détester dans le monde. Est-il suicidaire ? Entend-il le marteau qui enfonce les clous dans le cercueil et se demande-t-il qui va l’occuper ?

Jeremy Salt

Jeremy Salt a enseigné l’histoire moderne du Moyen-Orient à l’Université de Melbourne, à la Bosporus University à Istanbul et à la Bilkent University à Ankara pendant de nombreuses années. Parmi ses publications récentes son livre paru en 2008 : The Unmaking of the Middle East. A History of Western Disorder in Arab Lands (University of California Press).

Traduction: Chronique de Palestine

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