Les Etats-Unis crient de nouveau à « l’attaque chimique » en Syrie
septembre 26, 2018
France-Irak Actualité : actualités sur l’Irak, le Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique
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Publié par Gilles Munier sur 26 Septembre 2018, 14:28pm
Catégories : #Syrie, #Trump, #Macron, #Poutine
Scott Ritter, ancien chef des inspecteurs de l’UNSCOM chargés du désarmement en Irak
Par Scott Ritter (revue de presse : Information Clearing House – extraits – 13/8/18)*
Les officiels américains ne sont toujours pas en mesure de confirmer l’attaque au gaz en avril. Sur quoi se fondent-ils alors pour prédire une nouvelle attaque ?
Septembre 2013, 2018. « Information Clearing House » – mise à jour par l’auteur le 12 septembre 2018. Le gouvernement syrien, soutenu par l’aviation russe et des conseillers iraniens préparent une offensive majeure contre les forces d’opposition qui vise à reprendre le contrôle de la province d’Idlib. Le nouvellement nommé représentant spécial pour la Syrie du Département d’Etat, Jim Jeffreys, soutient qu’il existe de « nombreuses preuves » démontrant que la Syrie s’apprête à utiliser des armes chimiques en particulier le gaz chlorine pendant l’offensive d’Idlib.
Pour sa part, la Russie se targue d’avoir en sa possession des informations prouvant la collaboration entre des mouvements affiliés à Al-Qaïda et l’organisation White Helmets (Casques Blancs) dans le lancement d’une offensive chimique menée de telle sorte qu’elle serait attribuée au gouvernement syrien. Les Etats-Unis ont prévenu que si des agents chimiques étaient utilisés, ils lanceraient une offensive aérienne majeure contre, non seulement le gouvernement syrien, mais aussi des cibles russes et iraniennes présentes en Syrie.
La thématique de l’origine est aussi importante aujourd’hui que lorsque cet article fut initialement écrit, puisque l’OPCW (Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques) étudie encore les informations afin de déterminer la provenance des bonbonnes de chlore à Douma, et qui les a utilisées. Douma est un cas d’étude pour comprendre les risques qui existent à émettre un jugement hâtif dans l’attribution de la responsabilité, qui plus est quand cela pourrait aboutir à une escalade des combats.
Cet été, l’OPCW, organisation qui a obtenu le prix Nobel et est mandaté pour s’assurer de l’application de la Convention sur l’armement chimique, a publié en toute discrétion un rapport intérimaire sur une « possible » attaque chimique à Douma en Syrie le 7 avril dernier.
Il est intéressant de noter que le rapport cite qu’aucun agent innervant organophosphaté ou produits dérivés n’ont été relevés sur site, en d’autres termes il n’y a aucune preuve de la présence de gaz sarin sur place malgré les nombreuses spéculations émises au moment de l’attaque.
En fait, ces spéculations, dont l’administration Trump disait avoir des preuves, n’étaient autre qu’un prétexte pour permettre aux Etats-Unis, à la France et là a Grande-Bretagne de bombarder le gouvernement syrien le 12 avril.
Le rapport fait aussi mention de la présence de divers produits chimiques organiques chlorée, communément présents dans les quartiers résidentiels, dont certains sont des dérivés de l’eau potable chlorée. Le rapport de l’OPCW ne donne, cependant, aucune indication quant à la concentration de ces agents chimiques, ni de leur emplacement par rapport aux victimes présumées de ces attaques. L’OPCW poursuit l’analyse de ces informations afin d’établir leur importance et pertinence, avant de présenter ses conclusions finales.
Les conclusions de ce rapport intérimaire sont loin des déclarations faites par divers officiels américains au lendemain des incidents de Douma, qui accusaient le gouvernement syrien.
Le 13 avril 2018 le secrétaire d’Etat à la Défense James Mattis a expliqué lors d’une conférence de presse qu’en attaquant Douma le gouvernement syrien « a décidé de défier à nouveau les normes des peuples civilisés, faisant preuve d’un mépris total pour les lois internationales en utilisant des armes chimiques pour massacrer des femmes, enfants et autres innocents ». Il ajouta plus tard : « nos sources de renseignements ont un niveau de fiabilité qui nous a permis de mener l’attaque », notant que « nous savons que le chlore a été utilisé et n’excluons pas le gaz sarin pour le moment ».
Lors de la même séance, Mattis fut rejoint par le général Joseph Dunford, chef de l’état-major, qui s’est expliqué sur la nature des cibles visées, disant qu’elles étaient liées au programme d’armement chimique du gouvernement syrien, en particulier un lieu de production de gaz sarin et d’équipement de production de précurseur d’agents neurotoxiques syriens.
Le choix des mots employés par le secrétaire d’Etat et le général Dunford expliquant que la Syrie possède un programme d’armement chimique avec un lieu de stockage contenant des équipements de production de précurseurs d’agents neurotoxiques, et que les cibles attaquées étaient sélectionnées en fonction des informations établies dans le but de limiter les dommages collatéraux, démontre un degré de confiance dans les informations récoltées qui n’est pas corroboré par le rapport de l’OPCW.
Alors que l’attaque de la Syrie au lendemain des allégations de Douma est la dernière manifestation de la pauvreté du renseignement, la faillite de ce dernier a pour point d’origine les quartiers généraux de l’OPCW à La Haye, Pays-Bas. L’OPCW y possède une cellule d’information au sein d’un centre d’étude, dont le but est, entre autre, de collecter les informations provenant de toutes sources sur l’utilisation d’armes chimiques, juger de leur crédibilité, et ensuite rédiger des rapports basés sur ces analyses à destination de l’OPCW.
Selon le rapport de l’OPCW, la cellule d’information a suivi les reportages médiatiques alléguant d’un incident chimique à Douma le 7 avril et a lancé une recherche de sources indépendantes pour établir la véracité des ces allégations. Les principales sources utilisées par la cellule d’information incluaient les médias, blogs et sites webs des différentes ONG, ce qui a amené la cellule à conclure à la véracité des informations et de l’attaque, et au Directeur Général à demander une investigation plus approfondie.
L’OPCW n’a pas fourni de détails sur la méthodologie utilisée par sa cellule d’information pour avérer les faits. En revanche, c’est un fait notoire que les informations venant de Douma étaient liées au groupe jihadiste Jaïsh-al-Islam, qui contrôlait la Douma au moment des faits. « L’association médiatique » de Jaïsh-al-Islam déclare que « les médias offrent un levier d’influence à travers lequel la pression sociale s’exerce », une citation qui aurait guidé l’analyse de toute information provenant de sources affiliées au groupe. Il faut rappeler que Jaïsh-al-Islam était sur le point d’être décimé par l’armée syrienne et qu’au lendemain des faits, le 8 avril, le mouvement signait un cessez-le-feu qui permettait l’évacuation de milliers de ses partisans et leurs familles de Douma.
Autre point important, les rapports médicaux publiés par l’ONG syrienne Syrian American Medical Association (SAMS). Le 8 avril, SAMS, en collaboration avec l’association syrienne Civil Defence – aussi connu sous le nom de White Helmets (Casques Blancs) – a publié un communiqué de presse dans lequel elle cite que le 8 avril, plus de 500 personnes, principalement des femmes et des enfants, se sont présentées dans des centres médicaux locaux en présentant des signes d’exposition à un agent neurotoxique. Les patients souffraient de troubles respiratoires, de cyanose, de brûlure de la cornée et d’exposition à une odeur similaire à celle du chlore.
Le communiqué va plus loin en citant que « pendant les examens cliniques, le personnel médical a observé des cas de bradycardie, de respiration sifflante et grasse », ajoutant que « les symptômes présentés indiquent une exposition des victimes à des produits chimiques toxiques, probablement un élément organophosphaté ».
« Organophosphaté » est un mot à la mode utilisé pour désigner le gaz sarin. Le rapport SAMS est très clair sur le fait que les victimes ont été exposées au chlore. Le problème avec le rapport SAMS/White Helmets c’est que le gaz sarin et le chlore sont incompatibles, un fait connu des experts en guerre chimique et largement étayé dans un rapport de l’armée américaine. En d’autres mots, le chlore agit comme un catalyseur qui déclenche la décomposition de l’agent neurotoxique sarin, ce qui veut dire que si les deux produits sont utilisés en même temps ou mélangés, le gaz sarin se décomposerait rapidement.
Par ailleurs, la cellule d’information de l’OPCW n’a fait aucun effort pour chercher une explication alternative quant à ce qui aurait pu causer les victimes des vidéos. Les renseignements français, se basant sur les mêmes sources utilisées par l’OPCW, ont, eux conclu que les symptômes observés dans ces vidéos étaient « caractéristiques d’une attaque chimique, plus particulièrement l’utilisation d’agents chimiques asphyxiants et organophosphatés ou d’acide hydrocyanique ».
Cette déclaration soulève deux points. Le premier est que les Français, ont eux aussi admis que le chlore et l’agent sarin avaient été utilisés ensemble, ce qui est impossible compte tenu de leur incompatibilité inhérente. Le deuxième est qu’ils soutiennent que les symptômes résultent d’une exposition à l’acide hydrocyanique présent dans l’eau. L’hydrogène cyanique n’est lié ni au chlore et à l’agent sarin, mais est communément associé à la fumée émanant d’incendies de bâtiments. Les témoins oculaires à Douma ont indiqué que l’attaque aérienne menée à ce moment avait provoqué des dizaines de victimes, dont beaucoup sont mortes asphyxiées dans les caves remplies de fumée due aux incendies causés par les bombardements.
Le fait que l’OPCW n’ait même pas pris en compte la possibilité que les incendies aient pu légitimement causer les souffrances des victimes, témoigne d’une myopie totale dans l’analyse de la situation de la Syrie et de la véracité d’une attaque chimique dans ce pays.
Cette étroitesse d’esprit s’explique en grande partie par l’histoire de l’OPCW en Syrie, et ses liens solides sur le terrain avec les associations anti-gouvernementales telles que SAMS et les White Helmets. L’investigation menée par l’OPCW sur l’utilisation d’armes chimiques dans le village de Khan Shaykhun en avril 2017 révèle qu’elle a formé les membres de White Helmets aux procédures d’échantillonnage chimiques. Elle a aussi tissé des relations de travail avec SAMS et les White Helmets quant aux méthodes d’identification de potentielles victimes d’armes chimiques, et la collecte d’échantillons médicaux utilisés pour investiguer des cas d’utilisation prétendue d’armes chimiques.
Les conclusions analytiques basées sur la collecte initiale d’information par la cellule d’information de l’OPCW a influencé négativement la suite des événements. Le Département d’Etat a émis un communiqué le 8 avril déclarant que « les symptômes des victimes de Douma, tels que rapportés par les professionnels de santé et accessibles sur les réseaux sociaux, sont conformes à ceux provoqués par contact avec un agent asphyxiant ou neurotoxique »…(…)… Nikki Haley, l’Ambassadrice américaine à l’ONU, utilisant la même imagerie que l’OPCW, a fait un émouvant plaidoyer affirmant catégoriquement que des armes chimiques avaient été utilisées par le gouvernement syrien à Douma …(…)… Le ton mélodramatique de Halley a été repris par Donald Trump qui a twitté : « beaucoup de morts, y compris femmes et enfants, dans une attaque CHIMIQUE insensée ». Cinq jours après, les bombardements américains- français- britanniques commençaient.
Une telle manipulation des cercles diplomatiques et du renseignement américain ne surprend personne lorsqu’on connaît le passif des Etats-Unis quant à l’histoire des armes de destruction massive en Irak et de l’armement nucléaire iranien. Au bout du compte, cependant, la décision d’utiliser la force devrait être basée sur autre chose que des analyses basées sur des informations incomplètes et potentiellement trompeuses, mais devrait être guidée par la recherche de la vérité.
Dans le cas de Douma, la recherche de la « vérité » (c’est-à-dire la confirmation de l’utilisation effective d’agents chimiques) incombait à l’OPCW, et plus précisément aux inspecteurs de la mission indépendante chargée d’effectuer les inspections quant à l’éventuelle utilisation d’armes chimiques en Syrie. Les analyses émanant de cette cellule d’information, bien que faussées, ont conduit le Directeur général de l’OPCW à ouvrir une enquête sur Douma. Au lieu de soutenir les efforts de l’OPCW, les Etats-Unis ont commencé à attaquer toute possible conclusion de cette dernière en martelant haut et fort que les gouvernements syrien et russe barraient la route aux inspecteurs afin de permettre aux preuves de leur culpabilité de s’évaporer. « Le régime syrien et ses alliés refusent l’accès à Douma aux observateurs internationaux » a déclaré le Département d’Etat le 8 avril …(…)… Il est intéressant de noter que ces déclarations précèdent de 2 jours la requête initiale de l’OPCW d’envoyer des inspecteurs sur les lieux, une requête faite au même moment par la Syrie et la Russie, qui ont formellement invité l’OPCW à venir investiguer les allégations de Douma.
De plus, les rapports de l’OPCW mettent en évidence la totale coopération des gouvernements syrien et russe, qui ont fourni aux inspecteurs un accès sécurisé à Douma et que les délais avaient été causés par de légitimes considérations sécuritaires.
Il semblerait donc que la raison pour laquelle les Etats-Unis et ses alliés ont accusé la Syrie et la Russie de retarder la mission de l’OPCW était qu’ils suspectaient, bien que réfuté plusieurs fois, que les preuves d’une attaque à l’arme chimique ne pourraient se vérifier, les privant de toute justification pour leur opération militaire du 12 avril. Les Etats-Unis ont lancé une opération militaire en se fondant sur l’argument que la Syrie détenait de larges stocks de gaz sarin et qu’elle l’utilisait contre sa population. Et si l’on accepte au pied de la lettre l’hypothèse que du gaz sarin a été employé à Douma, on accepte a fortiori comme légitime le besoin de détruire les unités de production de ce gaz, qui étaient visées par le bombardement. Mais si l’hypothèse sous-jacente de l’utilisation de gaz sarin était réfutée, que doit-on penser alors de la qualité des renseignements et analyses faites pour justifier de l’action militaire américaine ? Les études menées par nos services de renseignements sur l’existence d’équipement capable de produire du gaz sarin précurseur reposaient-elles sur des sources indépendantes de celles de SAMS et White Helmets qui allèguent de l’utilisation de sarin ou étaient–elles teintées par ces conclusions erronées ?
Les renseignements américains sont actuellement utilisés pour soutenir des accusations d’Etat délictueux en Corée du Nord et en Iran et justifier de l’utilisation de la force armée si la situation dans ces deux pays venaient à se détériorer. Dans un monde où le tout le monde a encore à l’esprit le souvenir de l’épisode des armes de destructions massives irakiennes, on aurait pu espérer que les agents du renseignement cherchent à ne pas répéter les erreurs du passé, où les informations étaient présentées de manière à étayer une décision politique développée sans rapport avec les faits réels.
Au vu de ce que nous révèle le rapport de l’OPCW, la leçon a été ignorée ou oubliée. Il est essentiel qu’à l’avenir elle ne le soit pas, pour la simple raison qu’une guerre contre la Corée ou l’Iran aurait bien plus de conséquences qu’une simple frappe de missiles contre la Syrie.
Scott Ritter a dirigé l’équipe d’inspecteurs de l’UNSCOM chargée du désarmement de l’Irak. Il est notamment l’auteur de « Endgame » (1999), « Guerre à l’Irak » (2002), et de « Les mensonges de George W. Bush » (2004).
Traduction: Z.E
*Version originale : Information Clearing House / The American Conservative
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