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Le dérapage du projet moyen oriental de Netanyahou


France-Irak Actualité : actualités sur l’Irak, le Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak, au Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique. Traduction d’articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne, enquêtes et informations exclusives.

Publié par Gilles Munier sur 21 Novembre 2018,

Catégories : #netanyhou, #trump, #macron

Benyamin Netanyahou

Par Alastair Crooke (revue de presse: Conflicts Forum – 9/11/18)*

Nahum Barnea, un commentateur israélien de renom, a expliqué très clairement dans l’édition de mai du Yedioth Ahronoth les dessous de « l’accord » qui soutient la politique du Moyen-Orient de Trump : selon Barnea, Trump, à la suite du retrait des Etats-Unis de l’accord JCPOA, le 8 mai dernier, va promettre tous les malheurs du monde à Téhéran… pendant que Poutine devrait de son côté empêcher l’Iran d’attaquer Israël depuis le territoire syrien, laissant les mains libres à Netanyahou pour établir de nouvelles règles, qui permettraient à Israël d’attaquer à son gré les forces iraniennes partout en Syrie (et non pas seulement celles placées dans les zones frontalières selon l’accord initial), sans crainte de représailles.

C’est le premier niveau de la stratégie de Netanyahou: contenir l’Iran et obtenir l’assentiment de la Russie pour mener des opérations aériennes en Syrie. « Une seule chose reste incertaine», a déclaré un représentant de la défense israélienne très proche de Netanyahu à Ben Capit, « qui travaille pour qui ? »… Netanyahou travaille-t-il pour Trump ou ce dernier est-il au service de Netanyahou ? … Vu de l’extérieur, il semblerait que les deux hommes soient totalement synchronisés…mais vu de l’intérieur, il semblerait qu’il n’y ait qu’un seul très grand bureau ».

Il y a depuis le début un deuxième niveau à cette stratégie : la « pyramide inversée » de cette manœuvre moyen-orientale trouve son origine en un seul point, à savoir, Mohammed Ben Salman (MbS). Selon le Washington Post, c’est Jared Kushner qui « a présenté Mohammed comme le champion des réformes, celui qui ferait passer la monarchie pétrolière ultra-conservatrice dans l’ère de la modernité. Kushner a argumenté pendant des mois que Mohammed serait un élément clé dans le processus de paix au Moyen-Orient, et qu’en obtenant la bénédiction du prince, une grande partie du monde arabe suivrait ». C’est encore Kushner, continue The Post « qui a poussé son beau-père à choisir Riyad pour son premier voyage présidentiel à l’étranger, et ce contre l’avis de son secrétaire d’Etat de l’époque Rex Tillerson, et en dépit des mises en garde de son secrétaire de la Défense Jim Mattis ».

Maintenant que MbS a été mêlé d’une façon ou d’une autre au meurtre de Khashoggi, « le royaume est devenu pour la première fois en cinquante ans un facteur d’instabilité (et non plus une force stabilisatrice) », écrit Bruce Riedel de Brookings, un observateur de longue date de l’Arabie Saoudite, et ancien membre haut placé de la CIA et de la défense américaine. Il ajoute que certains milieux à Washington commencent à montrer des signes de remords évidents.

Le « processus administratif sans encombre » auquel se réfère le représentant israélien avec Caspit est connu sous le nom de « cloisonnement », qui apparaît quand les politiques étrangères et sécuritaires d’une nation étrangère sont présentées directement au président, sans passer par l’administration de Washington, faisant ainsi fi des supervisions américaines requises et empêchant les conseillers américains de donner leurs avis sur leurs contenus. C’est comme cela qu’on se retrouve dans cette bévue stratégique avec l’affaire Khashoggi. Et celle-ci fait suite à d’autres « erreurs » telles que la guerre au Yémen, le siège du Qatar, l’enlèvement de Hariri et le nettoyage princier du Carlton-Ritz.

Pour remédier à cela, on a rappelé un « oncle », le prince Ahmed ben Abdel Aziz en exil en occident, pour l’envoyer à Riyad (avec des garanties pour sa sécurité de la part des services secrets américains et britanniques) afin de remettre un peu d’ordre dans ces mésaventures et instaurer un système permettant de contrecarrer la clique de conseillers entourant MbS et éviter ainsi d’autres « erreurs » de ce genre. Il semblerait aussi que le Congrès américain veuille voir une fin au conflit yéménite, un conflit auquel le prince Ahmed s’était opposé tout comme il s’était systématiquement opposé au « couronnement du prince héritier ». Le général Mattis a en effet appelé à un cessez-le-feu dans les 30 jours. C’est un pas vers la restauration de l’image du royaume.

MbS reste pour le moment le prince héritier. Le président Sisi et le Premier Ministre Nétanyahou le soutiennent publiquement, et « pendant que les conseillers américains réfléchissent à une réponse plus convaincante au meurtre de Khashoggi, Kushner rappelle l’importance de l’alliance américano-saoudite dans la région » déclare le Washington Post. L’oncle de MbS (qui, en tant que fils du roi Abdel Aziz, et selon le système de succession en vigueur au royaume pourrait prétendre au trône), espère sans aucun doute pouvoir réparer les dommages infligés à la réputation de la famille al-Saoud et au royaume. Y arrivera-t-il ? MbS acceptera-t-il qu’Ahmed mette fin à la centralisation du pouvoir qui a valu tant d’ennemis? La famille al-Saoud en a-t-elle la volonté ou est-elle encore déroutée par les événements ?

Et le président Erdogan pourrait aussi mettre des bâtons dans les roues de ce délicat processus en divulguant des preuves supplémentaires si Washington n’accède pas de façon adéquate à ses demandes. Erdogan cherche en effet à reprendre le leadership du monde sunnite en le plaçant sous bannière ottomane, et pourrait bien encore avoir de belles cartes à jouer (telles que des écoutes téléphoniques entre l’équipe en charge du meurtre et Riyad). Mais ces cartes perdent de leur valeur maintenant que l’attention se porte sur les élections de mi-mandat.

Le temps le dira, mais c’est à cet enchevêtrement de dynamiques incertaines auquel Bruce Reidel fait référence lorsqu’il parle « d’instabilité » en Arabie Saoudite. La question sous-jacente est de savoir quelles conséquences ces évènements peuvent-ils avoir sur la « guerre » iranienne de Netanyahou et de MbS ?

Mai 2018 semble loin. Trump n’a peut-être pas changé, mais Poutine n’est plus le même. L’Establishment sécuritaire russe a exprimé au président son mécontentement face aux attaques aériennes israéliennes en Syrie visant soi-disant les forces iraniennes dans le pays. Quant au ministère de la défense russe, il a installé en Syrie une ceinture de missiles et des systèmes électroniques de désactivation dans le ciel aérien syrien. Politiquement la situation a aussi changé : l’’Allemagne et la France ont rejoint le processus Astana pour la paix en Syrie. L’Europe veut voir les réfugiés rentrer chez eux, ce qui exige le retour de la stabilité dans le pays. Certains pays du Golfe ont eux aussi commencé à normaliser leurs relations avec l’état syrien.

Les américains sont toujours en Syrie, mais un Erdogan, revigoré (après la libération du pasteur américain et fort de ses cartes Khashoggi, obtenues par les services secrets turcs) entend réduire à néant le projet Kurde au nord et à l’est de la Syrie, soutenu par Israël et les Etats-Unis. MbS, qui finançait ce projet pour le compte des USA et Israël, y cessera toute participation (une demande formulée par Erdogan en échange de sa discrétion dans l’affaire Khashoggi). Washington voudrait lui aussi voir la fin de la guerre au Yémen dont le but unique était d’embourber l’Iran, ainsi que l’effritement du Qatar.

Cela représente autant de complications pour Netanyahou et son projet moyen-oriental, même si les deux revers les plus importants pour Netanyahou et MbS sont la perte de cet accès direct au président Trump, rendu possible par Jared Kushner, qui court-circuitait tout le système américain de poids et contrepoids. « La ligne directe » Kushner n’a permis ni de mettre en garde Washington des « erreurs » à venir ni de les empêcher. Le Congrès américain ainsi que les services secrets américain et britannique tentent de mettre le nez dans ces affaires. Ils ne sont pas très portés sur MbS, et tout le monde sait que le prince Mohammed Ben Naïf était leur favori (il est toujours en résidence surveillée dans son palais).

Trump espère tout de même mener à terme “son projet iranien” et conclure l’accord du siècle entre Israël et les Palestiniens (mené par l’Arabie saoudite, à la tête du monde sunnite). Trump ne cherche pas la guerre avec l’Iran, mais est convaincu qu’il peut y avoir un soulèvement populaire en Iran qui fera tomber le gouvernement actuel.

Le second obstacle tient en ce que l’objectif du prince Ahmed ne doit se résumer à cela : créer l’instabilité ou entrer en conflit avec l’Iran. Il doit redorer l’image de sa famille, restaurer son statut de leader dans le monde sunnite qui a été érodé par la guerre du Yémen, et que cherche à lui ravir la Turquie. On peut légitimement penser que la famille Al-Saoud n’aura guère l’appétit de remplacer une guerre coûteuse et désastreuse (Yémen) par un conflit, plus grand, avec son voisin iranien, bien plus puissant. Cela n’aurait aucun sens. C’est peut-être pour cela que nous voyons Israël se ruant vers une normalisation des ses relations avec les Etats arabes, et ce bien qu’il n’y ait aucune amélioration côté palestiniens.

Nehum Barnea avait vu juste dans son article publié en mai dans Yediot Ahoronot lorsqu’il déclarait : « Trump aurait pu déclarer un retrait de l’accord JCPOA et cela aurait pu suffire ». Mais sous l’influence de Netanyahou et de sa nouvelle équipe, il a choisi d’aller plus loin. Les sanctions contre l’Iran seront plus strictes, bien plus qu’elles ne l’étaient avant que l’accord nucléaire ne soit signé. « Faites leur mal au porte-monnaie », conseilla Netanyahou à Trump. « Si vous leur faites mal au porte-monnaie, ils suffoqueront, et s’ils suffoquent, ils renverseront les ayatollahs ».

Ce fut un autre de ces conseils passé directement au président américain. Ses conseillers lui auraient sûrement expliqué que c’était de la folie. Ils n’y aucun exemple de sanctions, qui à elles seules, aient réussi à renverser un gouvernement. Et même si les Etats-Unis peuvent se permettre d’utiliser leur hégémonie judiciaire pour faire appliquer ces sanctions, ils se sont en fait isolés en sanctionnant l’Iran : l’Europe ne veut plus d’insécurité, elle ne veut plus de réfugiés. Etait-ce l’attitude intransigeante de Trump qui amena Jong Un à la table des négociations ? Ou, au contraire, Jong Un aurait-il compris qu’une rencontre avec Trump était le prix à payer pour reparler de la réunification des deux Corée ? Trump a-t-il été prévenu que l’Iran subirait des pertes économiques, mais qu’elle survivrait coûte que coûte en dépit des sanctions? Non et c’est bien là le problème lorsque les conseils court-circuitent le circuit traditionnel.

Alastair Crooke est un ancien membre de la diplomatie britannique, fondateur et co-directeur, à Beyrouth, du Conflicts Forum.

*Source (version originale) : Conflicts Forum

Traduction et Synthèse : Z.E pour France-Irak Actualité

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