De retour de Syrie par Pierre Piccini dans la Nouvelle République d’Algérie
janvier 6, 2012
05/01/2012
Retour de Syrie
De retour de Syrie où il a pu « circuler dans tout le pays, sans aucun contrôle, seul, et sans devoir justifier d’un itinéraire », Pierre Piccinin a accordé une interview au journal algérien La Nouvelle République. [1]
Pour lever toute ambiguïté, il tient à préciser qu’il n’est pas un admirateur du régime baasiste. Pour lui, c’est « une dictature et qui n’a pas hésité, à plusieurs moments de son histoire, à réprimer l’opposition sans faire de détails. Arrestations, tortures, enlèvements et disparitions… »
Ceci dit, au contraire de la plupart des médias occidentaux, Pierre Piccinin déclare ne pas avoir constaté de « sanglante répression » durant son séjour en Syrie.
Il a pu voir les forces de l’ordre disperser des manifestants en ouvrant le feu et l’armée intervenir dans certaines régions – à la frontière turque notamment, autour de Jisr-al-Shogur – mais c’était pour mâter des soulèvements violents et non des manifestations « pacifiques ».
A Homs, il a vu des manifestants armés tirer sur les policiers.
Pour lui, il est clair que la thèse diffusée et entretenue par les médias – celle d’un peuple manifestant pacifiquement contre une féroce dictature – est complètement fallacieuse.
« Le pays n’est pas à feu et à sang », précise-t-il.
Les manifestations, qui rassemblent quelques centaines de personnes, ont lieu, le plus souvent, dans les banlieues, dans des quartiers socialement plus défavorisés, où les islamistes – notamment les Frères musulmans – sont très présents et mobilisent les gens à la sortie de la mosquée.
A Damas et dans les principales grandes villes, comme à Alep par exemple, la situation a toujours été tout à fait calme, exception faite de certains quartiers de Homs, et de Hama, le fief des Frères musulmans.
En juillet dernier, Pierre Piccinin s’était rendu à Hama, un vendredi, jour de la grande prière où il avait suivi une manifestation rassemblant entre trois et dix mille personnes. Les médias occidentaux – quant à eux – annonçaient la présence de 500.000 manifestants !
Hama, 15 juillet 2011 : L’AFP a vu 500.000 manifestants
« Les manifestations qui rassemblent des centaines de milliers de personnes, ce sont plutôt celles qui ont lieu en soutien de Bashar al-Assad », ajoute-t-il. Et les gens qu’il y a rencontré n’étaient pas des « figurants ».
Pour Pierre Piccinin, dans l’ensemble, le gouvernement syrien garde le contrôle de la situation et n’est pas prêt de devoir céder quoi que ce soit à l’opposition. Sauf si certains groupes qui participent à cette opposition – en particulier les islamistes – reçoivent un soutien financier et militaire de l’étranger, ce qui semble de plus en plus être le cas ».
Mais alors – conclut-il – « il faudra parler en termes d’ingérence, de rébellion armée et d’internationalisation […] et non plus de « révolte » ou de « révolution »…
?
Quels enseignements tirer du témoignage de Pierre Piccinin ?
1 – Les grands médias occidentaux mentent. Comme pour la Libye, ils dénaturent les faits et colportent des nombres invérifiables de victimes, afin de justifier l’ingérence diplomatique et militaire des États-Unis et de leurs alliés – dont la France – dans les affaires d’un pays souverain.
2 – La nature du régime ou ses méfaits n’ont rien à voir avec cette ingérence. Ben Ali en Tunisie comme Moubarak en Égypte ont été soutenus durant des décennies par les mêmes puissances alors que leurs régimes étaient parmi les plus répressifs d’Afrique du Nord. Il faudrait aussi citer Israël dont les crimes sont systématiquement absous par l’Occident.
3 – Ceux qui, dans la gauche française, relaient sans nuance les campagnes d’intoxication en cours contre la Syrie prennent la lourde responsabilité de faciliter les plans terroristes de l’impérialisme occidental.
D’autant que ce suivisme idéologique s’accompagne d’une absence de mobilisation pour tenter de s’opposer aux préparatifs de guerre et à la guerre elle-même comme on l’a vu pour la Libye.
A la différence de ce qui s’était passé en 2003 avec la guerre contre l’Irak, aucune manifestation n’a été organisée pour tenter d’empêcher les bombardements de la population libyenne.
Syrte (Libye) : Un couple et ses quatre enfants devant leur logement détruit par l’OTAN [2]
[1] Pierre Piccinin est professeur d’histoire et de sciences poltiques (Ecole européenne de Bruxelles I) et Maître de stages (Sciences politiques – Université catholique de Louvain) –http://www.pierrepiccinin.eu/article-syrie-libye-entretie…
[2] Photographie de Pierre Piccinin qui écrit : Un petit couple a insisté pour que je le prenne en photographie avec ses quatre enfants. Dignement, ils m’ont demandé de les montrer, sans voyeurisme, devant les ruines de l’appartement qu’ils habitaient à Syrte, pour que « les gens, en Europe, puissent bien se rendre compte de ce qu’ils ont laissé faire ici ». (octobre-novembre 2011)
Jean-Pierre Dubois – blanqui.29@orange.fr