Hamas organisation terroriste ? Qui veut noyer son chien…
décembre 16, 2018
Le Club de Mediapart dim. 16 déc. 2018 Dernière édition
9 juil. 2018 Par christophe oberlin Blog : Le blog de christophe oberlin
L’inscription du Hamas sur la liste européenne des organisations terroristes participe pleinement au siège de Gaza. Siège qui, au regard du Statut de la Cour Pénale Internationale, est un crime de guerre.
On parle beaucoup aujourd’hui du siège de Gaza. Et certains responsables européens réclament même en chœur la levée du blocus. Or la première conséquence du classement du Hamas sur la liste des organisations terroristes est le refus des banques de transférer les moindres fonds qui permettraient aux habitants de survivre en achetant les produits qu’Israël consent à laisser entrer dans le territoire. A Gaza les marchés sont pleins, mais les poches sont vides. L’inscription du Hamas sur la liste européenne des organisations terroristes participe pleinement au siège de Gaza. Siège qui, au regard du Statut de la Cour Pénale Internationale, est un crime de guerre.
En direct sur une radio nationale, et trente secondes avant la fin de l’émission, dernière question du journaliste, en forme d’affirmation :
« Le Hamas est sur la liste des organisations terroristes ! »
« Faux, ais-je répondu : le Tribunal de l’Union européenne l’en a retiré. Bien entendu le Conseil des Ministres l’a immédiatement réinscrit en utilisant une procédure qu’on pourrait comparer à la détention administrative israélienne : l’inscription peut être ainsi prolongée indéfiniment. »
Réponse courte à une question compliquée. Une explication s’impose, même si peu se sentent concernés, tant le Hamas semble disqualifié en Occident, y compris dans le « camp de la paix ».
Des listes pas très catholiques
Première notion : il n’y a pas une liste d’organisations considérées comme terroristes, mais plusieurs listes. On pense alors à la liste américaine, en ignorant généralement celle qui devrait constituer la référence qui est la liste des Nations Unies. Elaborée par une commission spéciale, celle-ci est relativement limitée et, comme toutes les listes, réactualisée régulièrement. Or le Hamas n’a jamais figuré sur la liste des organisations terroristes de l’ONU (ni la branche militaire ni la branche politique).
A l’inverse, la liste américaine est un énorme document de plusieurs centaines de pages, comportant des milliers d’organisations, et plus encore de noms de personnes étiquetées comme terroristes. Or les sources sont souvent discutables. C’est aussi sous la torture dans des prisons secrètes que les Américains obtiennent leurs renseignements. Et les droits de la défense sont quasi supprimés dès lors qu’il s’agit de questions de terrorisme : accès minimal au dossier, droits de recours extrêmement limités. On est clairement aux USA en dehors des standards européens. L’inscription est essentiellement politique.
En Europe un seul Etat a constitué sa propre liste : le Royaume-Uni.
Voyons maintenant la liste européenne. Celle-ci est constituée par le Conseil des ministres des Affaires étrangères, sur la base du consensus (pas de vote). Naturellement le Conseil devrait s’appuyer sur des sources. Or le Conseil n’a ni moyen d’enquête, ni pouvoir judiciaire. Il doit donc s’appuyer sur d’autres sources, et naturellement la source américaine est l’une d’entre elles, avec toutes les possibilités de pressions que l’on connait. L’inscription sur la liste européenne devrait s’appuyer sur des décisions d’autorités nationales. Or le Hamas n’a jamais été condamné par un tribunal européen. L’élaboration de la liste repose donc essentiellement, en dehors de la liste américaine et en l’absence de moyens d’investigation, aussi incroyable que cela puisse paraître, sur ce que disent ou écrivent les médias.
Ping-pong juridique et « lawfare » **
De 2000 à 2003 seule la branche armée est classée en tant que terroriste. Depuis 2003 la branche politique a été ajoutée. Le classement est contesté depuis 2010. Il y a alors trois ans procédure aboutissant à une première décision en 2014 et le Tribunal de l’Union Européenne sort le Hamas de la liste litigieuse. Le Conseil conteste et lance un pourvoi. L’affaire est donc renvoyée devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (qui est l’équivalent de la Cour de cassation en France) qui tranche en 2017. Et là se glisse une certaine hypocrisie : la Cour de Justice ne discute pas le fond qui est celui des sources et des preuves permettant de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, mais invalide le tribunal sur un seul point qui est celui d’erreurs de dates. Surtout la Cour de Justice ajoute que le Conseil peut s’appuyer sur d’autres sources que des décisions nationales pour établir sa liste. En langage vulgaire, on dirait : porte ouverte au n’importe quoi.
Et la défense du Hamas conteste et renvoie l’affaire devant le tribunal de l’Union Européenne. De nouveaux mémoires sont déposés (comme pour le tribunal administratif en France, les procédures sont surtout écrites) demandant un jugement sur le fond.
Pour compliquer encore les choses au lecteur, précisons qu’il n’y a pas aujourd’hui une mais trois procédures en cours et qui doivent être jugées séparément. La première affaire concerne le listage de 2010 à 2014, affaire qui a été gagnée en première instance puis « gelée » en cassation. Deuxième recours contre le renouvellement en 2015. Enfin une troisième requête a été déposée contre le dernier renouvellement en mars 2018.
Comme hier, ce qui ressort des échanges de mémoires, est que le dossier est toujours vide. Et la lecture de l’argumentaire du Conseil laisse parfois pantois : des textes publiés sur internet, de simples coupures de presse, la presse israélienne, et parfois même le rendu par la presse israélienne des communiqués de l’armée israélienne !
Une échéance est très proche
Les mercredi 11 et jeudi 12 juillet auront lieu au Tribunal de Luxembourg*** deux des rares audiences orales. Hamas et Conseil des ministres européens des Affaires étrangères auront chacun quinze minutes pour s’exprimer, plaidoiries suivies des questions posées par la Cour. L’entrée est libre. L’avocat du Conseil va-t-il continuer à affirmer simplement « qu’il suffit de regarder sur internet » (sic) pour être convaincu que le Hamas est une organisation terroriste ?
*Auteur de Le chemin de la Cour – Les dirigeants israéliens devant la Cour Pénale Internationale, Erick Bonnier, Paris, 2014