La chronologie de la guerre en Syrie, de mars 2011 à nos jours
décembre 19, 2018
François Belliot – littérature, géopolitique, médias
Samedi 8 décembre 2018
Préambule : la maltraitance de la chronologie de la guerre en Syrie par les médias
Parmi différentes raisons qui rendent très difficile, sinon impossible, pour le grand public, la compréhension du déroulement et des tenants et aboutissants de la guerre Syrie depuis son commencement en mars 2011, il y en a qui ressortissent à la maltraitance de la chronologie de cette guerre par les grands médias.
La chronologie n’est pas seulement l’instrument le plus simple et le plus primitif qui soit pour se faire une première vision d’ensemble correcte de tout événement, succession d’événements, guerre, époque historique, histoire d’une région, d’un pays, d’un empire, crise économique… il s’agit de la base de travail primaire irremplaçable pour toute personne qui se propose de mener une investigation historique dans quelque domaine que ce soit. Faussez la chronologie, et vous ferez disparaître le fil directeur à la fois des événements, et de leur interprétation.
Dans le cadre de la guerre en Syrie, la chronologie a été truquée de trois façons.
1) trucage des frises chronologiques : c’est le point de départ du volume 2 de mes chroniques sur la guerre en Syrie. Si les frises ont commencé à se raréfier à partir de l’assistance militaire russe directe à partir de septembre 2015, elles étaient très fréquentes les quatre première années. D’apparence neutre et didactique, leur fonction était cependant à l’évidence, d’appuyer la propagande anti Assad : « Ces chronologies, souvent publiées sous forme de frises, s’inscrivent dans le droit fil de tout ce que les médias publient depuis le début de la crise en mars 2011, à savoir qu’elles sont organisées et présentées de façon à donner l’impression à donner l’impression d’un irrésistible mouvement de libération de tout un peuple contre les dérives sanglantes d’un abominable dictateur. Elles ramassent ainsi tous les événements en un continuum dont l’aspect paraît très convaincant si l’on n’est pas conscient que le but inavoué ou naïf des auteurs de ces chronologies est de susciter l’indignation du lecteur en l’orientant vers une cible prédéterminée. » (p. 33)
2) les ruptures dans la chronologie : Imaginez un film dont vous ne verriez pas le début (la scène d’exposition), et dont vous ne verriez ensuite qu’une poignée de tranches de 2 minutes espacées de façon aléatoire entre 5 et 20 minutes. Même si à chaque passage de l’obscurité à l’image, un coryphée venait résumer et replacer le nouveau micro extrait dans son contexte, à la fin vous serez bien en peine d’avoir une compréhension d’ensemble satisfaisante. Sans même évoquer le fait qu’ayant payé votre place, vous écumeriez de rage dès la première coupure et quitteriez la salle pour vous faire rembourser. C’est un peu cela, le « film » de la guerre en Syrie dans les grands médias : une histoire parcellaire, avec des moments brefs de couverture médiatique massive, et des plages de temps souvent longues pendant lesquelles on n’en dit plus mot, des plages de temps pendant lesquelles la chronologie est rompue. Les médias ne peuvent certes pas parler de la guerre en Syrie tous les jours, mais il faudrait un minimum de continuité dans le traitement de cette actualité. Ces éclipses parfois très longues de l’actualité syrienne favorisent par ailleurs un oubli progressif et inéluctable dans l’opinion publique. Quand les images réapparaissent à l’écran, non seulement on ne comprend rien, mais on a presque tout oublié.
3) la falsification des faits et des événements : si au moins le coryphée se faisait un scrupule de rapporter fidèlement les épisodes passés manquants, et si les micro séquences projetées étaient véridiques, les médias disposeraient d’une petite excuse. Or non seulement ceux-ci proposent une vision fragmentaire des événements, mais quand ils se mettent à traiter leur actualité, c’est systématiquement pour mentir et induire les masses en erreur.
Prenons une autre comparaison. Dans le chapitre 1 de la Stratégie du choc, Naomi Klein raconte des méthodes de torture psychologique qui ont été inventées dans les années 1950 aux États-Unis, et largement mises en pratique un peu partout dans le monde depuis. Naomi Klein pointe essentiellement la loupe sur l’application de ces méthodes par les juntes militaires sud américaines soutenues par la CIA dans la deuxième moitié du XXème siècle.
Une de ces méthodes consiste en la mise en état de privation sensorielle sur des plages de temps longues et aléatoires, que l’on coupe soudain, sans prévenir, de déluges de stimuli sensoriels : par exemple le détenu est équipé d’un casque l’empêchant de percevoir jusqu’au bruit le plus ténu, et soudain on lui retire, et l’on fait retentir dans sa cellule, à toute force, un mélange de bruits horribles, fait de cris de bébé, de saccades de marteau piqueur, de trompettes et violons sonnant faux, de craies crissantes. Et puis, toujours sans prévenir, le silence complet revient, jusqu’à la prochaine surprise. Cette méthode de torture a pour but de rendre fous les détenus en les faisant régresser vers des états primaires de conscience. La comparaison est outrée mais éclairante : si, bien aidé par les explications du coryphée, le grand public de la série « Guerre en Syrie » (saison 8) peut avoir la vague impression de suivre un fil cohérent sur plusieurs années, en réalité les créneaux pendant lesquels on le surcharge d’actualité syrienne est tout aussi incompréhensible que le mélange de bruits horribles entendus soudain pour le détenu ordinairement soumis à la privation sensorielle.
L’objet de cet article est de proposer une chronologie sommaire mais utile de la guerre en Syrie depuis son commencement en mars 2011 à nos jours.
Je ne prétends pas que la séquence de sept années de guerre en Syrie soit facile à comprendre. C’est au contraire un conflit d’une rare complexité. Il faut forcément y consacrer plus de temps que la lecture du titre et du chapeau d’un article de propagande anti Assad le matin sur le zinc d’un bistrot avant de partir pour sa journée de travail. Maintenant si l’on ajoute à l’extrême complexité de l’événement le trucage systématique des événements des différents façons évoquées, il est beaucoup plus facile de comprendre pourquoi, à chaque fois que le sujet abordé, dans un cadre quotidien et informel, la réaction spontanée de la plupart des gens tient en une courte phrase : « je n’y comprends rien ». Cette incompréhension s’est même accrue avec le temps, dans la mesure où si les quatre premières années de la guerre la propagande antisyrienne a su conserver une forme de cohérence, à partir de septembre 2015 et le commencement de l’intervention militaire russe en Syrie, elle a elle-même perdu le fil de ses propres mensonges.
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Publié le 18 décembre 2018
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Source : François Belloit
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