La rhétorique anti-guerre de Trump n’est que de la poudre aux yeux
septembre 19, 2020
La rhétorique anti-guerre de Trump n’est que de la poudre aux yeux électorale
Si les déclarations de Trump sur son aversion pour la guerre et son hostilité au fait que les troupes américaines mènent des « guerres éternelles » se traduisaient dans ses actes, il n’y aurait plus de soldats américains au Moyen-Orient et en Afghanistan. Et il ne vendrait pas non plus d’armes aux pays de la région.
Il y a près de deux ans, j’ai demandé au Président russe Vladimir Poutine lors de sa conférence de presse annuelle s’il pensait que les troupes américaines étaient vraiment sur le point de se retirer du Moyen-Orient, une promesse sur laquelle Donald Trump avait fait campagne, gagnant le soutien de ceux d’entre nous, non-néoconservateurs, qui sommes opposés aux guerres inutiles. À l’époque, Trump avait parlé de retrait de troupes de Syrie. « En ce qui concerne le retrait des troupes américaines, je ne sais pas de quoi on parle. Les États-Unis sont présents, en Afghanistan par exemple, depuis combien de temps ? Dix-sept ans ! Et chaque année, ils parlent de retirer leurs troupes. Mais ils sont toujours là. Jusqu’à présent, nous n’avons vu aucune preuve de leur retrait », avait alors répondu Poutine.
On peut dire que le Président russe mettait le doigt sur la plaie.
Et près de deux ans plus tard, alors que Trump est en campagne pour sa réélection et doit montrer qu’il a tenu une promesse clé de sa dernière campagne, nous revoilà avec une autre annonce de retrait de troupes, cette fois, d’Irak et d’Afghanistan.
Le Général Frank McKenzie du Commandement central américain a annoncé cette semaine que la présence des troupes américaines en Irak passera de 5 200 à 3 000 d’ici la fin du mois, et de 8 600 à 4 500 en Afghanistan d’ici la fin d’octobre.
Trump parle tellement de son aversion pour la guerre et de son hostilité au maintien des troupes à l’étranger pour mener des guerres stupides et sans fin que si ses actes correspondaient réellement à ses paroles, il ne resterait plus de soldats américains au Moyen-Orient à ce stade. Mais c’est loin d’être le cas.
Au moment où Trump est entré en fonction, il y avait environ 8 400 soldats américains en Afghanistan, et Trump a ensuite augmenté ce chiffre d’au moins 3 000 autres. Mais cela n’est pas tout, loin de là.
Ce qui passe souvent inaperçu, c’est que Trump a externalisé les guerres américaines en les remettant entre les mains d’entrepreneurs privés travaillant pour le Pentagone, à des niveaux plus élevés ou au moins égaux à ce qu’ils étaient avant que le gouvernement du Président Barack Obama ne réduise cette pratique.
Aujourd’hui, il y a 25 650 sous-traitants du Pentagone en Afghanistan et 6 551 en Syrie et en Irak, selon le dernier rapport publié par le Commandement central américain (USCENTCOM) en juillet 2020. Et bien qu’ils ne s’y battent pas nécessairement –mais qui peut affirmer que certains d’entre eux ne participent pas à des opérations ?–, ils occupent tout de même ces pays en effectuant des travaux liés à la logistique & maintenance, au soutien de base et à la sécurité armée.
Dans tous les cas, ils sont une présence étrangère active dans les zones de conflit et des représentants directs du Département américain de la défense. Si Trump souhaite sérieusement faire sortir l’armée américaine des pays étrangers, ces entrepreneurs doivent également plier bagage.
Et la machine de guerre ne se limite pas aux soldats. Elle inclut également les armes, auxquelles Trump a fait allusion quand il a révélé une vérité gênante sur le complexe militaro-industriel américain lorsqu’il essayait d’expliquer pourquoi les gradés du Pentagone ne sont pas « amoureux » de lui (car il croit que pour leur part, les soldats de base le sont). « Si les huiles du Pentagone ne m’aiment pas, c’est probablement parce qu’elles ne veulent rien faire d’autre que mener des guerres pour que toutes ces merveilleuses entreprises qui fabriquent les bombes et fabriquent les avions et tout le reste soient heureuses », a déclaré Trump.
Sur la base de cette déclaration, on pourrait pensez que Trump, le commandant en chef américain, est opposé au principe des guerres pour le profit. Sauf que la partie « profit » de la guerre est ce que Trump lui-même a cherché à préserver à tout prix. Son récent « accord de paix » pour normaliser les relations entre Israël et les Émirats arabes unis, deux pays qui coopèrent depuis longtemps sur les questions de sécurité nationale, n’est en réalité qu’un prétexte pour vendre davantage d’armes de fabrication américaine à l’axe anti-iranien du Moyen-Orient. Dans les petits caractères de l’accord lui-même figure la vente d’avions de combat F-35 aux Émirats arabes unis, ce qui a déclenché la colère (probablement feinte) de Netanyahou, pour qui les meilleurs joujoux doivent être réservés à Israël. Pourquoi Trump leur vendrait-il des armes s’il essayait de réduire la possibilité d’une guerre ?
Et à la suite du meurtre et du démembrement du chroniqueur du Washington Post, Jamal Khashoggi, à l’intérieur du consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, Trump a expliqué pourquoi cet acte ne devrait pas empêcher les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite. « Après mon voyage âprement négocié en Arabie Saoudite l’année dernière, le Royaume a accepté de dépenser et d’investir 450 milliards de dollars aux États-Unis. Il s’agit d’une somme record », a déclaré Trump dans un communiqué intitulé « L’Amérique d’abord ! ». « Sur les 450 milliards de dollars, 110 milliards de dollars seront consacrés à l’achat d’équipements militaires de Boeing, Lockheed Martin, Raytheon et de nombreux autres grands entrepreneurs américains de la défense. Si nous annulons stupidement ces contrats, la Russie et la Chine en seraient les énormes bénéficiaires, et ces pays seraient très heureux d’acquérir toutes ces nouvelles affaires. »
Cela ne ressemble pas aux propos d’un martyr prêt à sacrifier le complexe militaro-industriel sur l’autel de la paix. L’administration de Trump est même allée jusqu’à utiliser une déclaration d’urgence impliquant une menace de l’épouvantail iranien pour annuler une interdiction du Congrès de vendre des armes aux Saoudiens. Le chien de garde du département d’État, l’inspecteur général Steve Linick, aurait même été congédié pour avoir voulu se pencher sur l’accord et le contournement du Congrès par Trump.
Par ailleurs, le 8 septembre, lors d’un rallye électoral, Trump a déclaré que les Etats-Unis étaient au Moyen-Orient pour protéger Israël, rien d’autre :
J’aime être indépendant au niveau de l’énergie, pas vous ? Je suis sûr que la plupart d’entre vous ont remarqué que lorsque vous faites le plein, ça coûte souvent moins de deux dollars le litre. Vous vous demandez comment diable est-ce arrivé ? Merci Président Trump ! Regardez vos factures d’électricité et tout le reste. Avec ces gars-là [les Démocrates], votre électricité coûterait quatre, cinq, six fois plus cher. Le Green New Deal [Nouvel Accord Vert] ça s’appelle le Green New Nightmare [Nouveau cauchemar vert]. Tant que je serai Président, les Etats-Unis resteront le premier producteur de pétrole et de gaz naturel au monde. Nous resterons indépendants sur le plan énergétique. Cela devrait durer de nombreuses années à venir. Le fait est que nous n’avons pas besoin d’être au Moyen-Orient, si ce n’est que nous voulons protéger Israël. Nous avons été très bons avec Israël. À part cela, nous n’avons pas besoin d’être au Moyen-Orient. Vous savez qu’il fut un temps où nous avions désespérément besoin de pétrole. Nous n’en avons plus besoin. Nous en avons plus qu’eux, n’est-ce pas une bonne chose ? Après des années de reconstruction d’autres pays, nous construisons enfin notre propre pays.
On voit mal comment cette déclaration pourrait annoncer autre chose qu’un maintien permanent des forces américaines au Moyen-Orient.
La politique étrangère américaine ressemble de plus en plus à un racket et à de l’extorsion, le genre de choses qu’on voit plus dans les films de gangsters que dans la diplomatie internationale, où il y a au moins une tentative de prétendre que les prétendues valeurs morales ne sont pas seulement un paravent pour camoufler la quête de profit.
Trump a été élu sur la promesse de placer les intérêts américains avant tout. Dans le domaine de la politique étrangère, cela se traduisait par la promesse de rapatrier les troupes américaines qui mènent des guerres sans fin et insensées. Ce n’était pas nouveau d’entendre cela d’un candidat républicain à la présidentielle. Lors de l’élection de 2000, George W. Bush (alors candidat) a parlé pendant sa campagne de son intérêt à faire croître l’économie du pays plutôt que de faire exploser le budget pour « aider » les pays étrangers en les faisant exploser sous les bombes.
Voir Nasrallah annonce la fin de l’hégémonie américaine : Trump va quitter le Moyen-Orient et abandonner ses alliés
Après le 11 septembre, toutes ces bonnes intentions ont disparu. La même chose semble s’être produite avec Trump, qui non seulement n’a pas réussi à purger les éléments néoconservateurs de son administration, mais s’est mis en connivence avec eux et les a placés en position de force.
Trump peut se présenter comme anti-guerre – et, pour être honnête, il est le premier Président depuis Jimmy Carter [et Obama] à ne pas avoir déclenché de nouvelle guerre pendant son mandat – mais il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que ses actes ne correspondent à sa rhétorique.