Médias aux ordres : quand Le Monde édulcore la réponse de Nasrallah à Macron
octobre 5, 2020
4 oct. 2020 ticle sur Le Cri des Peuples
Ayant échoué à profiter de la crise pour livrer le Liban à la clique Hariri-Siniora, principale responsable de la déliquescence du Liban depuis 15 ans, ainsi qu’aux diktats du FMI, Macron a franchi toutes les lignes rouges, par dépit de voir que la France ne fait plus la pluie et le beau temps au Moyen-Orient. Le Hezbollah, de son côté, continue à respecter les règles de la diplomatie, en acteur mature qui connaît sa puissance politique et militaire et n’a rien à prouver. Quant aux médias dominants comme Le Monde, en journalistes courtisans, ils se livrent à des falsifications grossières au service du pouvoir, profitant de leur quasi-monopole sur l’information, surtout avec une langue « exotique » comme l’arabe et l’omerta médiatique qui pèse sur le Parti de Dieu.
Par Le Cri des Peuples
Lire ci-dessous la réponse de Nasrallah en intégralité
Le 26 septembre, le Premier ministre libanais Mustapha Adib a annoncé sa démission, ayant été incapable de former un nouveau gouvernement dans le délai imparti. Il avait été désigné le 31 août, dans le sillage de l’initiative française qui visait à la formation d’un gouvernement sous 15 jours. Le précédent gouvernement dirigé par Hassan Diab avait démissionné à la suite de l’explosion du port de Beyrouth le 4 août, qui a tué quelque 200 personnes et laissé des milliers de sans-abri.
Les médias occidentaux ont fait endosser la responsabilité de cet échec au tandem Hezbollah-Amal, accusé d’avoir exigé que le Ministère des Finances soit dévolu à un chiite, contrevenant prétendument à l’exigence d’indépendance et de neutralité, voire, selon Le Monde, aux usages et à la Constitution libanaise :
Mais [Nasrallah] ne s’est pas expliqué sur l’obstination du duo chiite à [vouloir] contrôler le portefeuille des finances, à rebours de la Constitution et des règles coutumières.
Dans une conférence de presse du dimanche 27 septembre ayant duré près d’une heure, tenue en duplex entre Paris et Beyrouth, Macron a vivement critiqué la classe politique libanaise en général et le Hezbollah en particulier, accablés de reproches et d’épithètes aux antipodes du langage diplomatique traditionnel (est-ce pour cela que l’Elysée ne fournit pas de transcriptions des discours présidentiels ?). Macron a notamment dénoncé
[…] une classe politique soumise au jeu mortifère de la corruption et de la terreur. […] Les dirigeants des institutions libanaises n’ont pas souhaité, clairement, résolument, explicitement, n’ont pas souhaité respecter l’engagement pris devant la France et la communauté internationale. […] Les autorités, les forces politiques libanaises ont fait le choix de privilégier leurs intérêts partisans et individuels au détriment de l’intérêt général du pays. […] Ils ont fait ainsi le choix de livrer le Liban au jeu des puissances étrangères, de le condamner au chaos au lieu de lui permettre de bénéficier de l’aide internationale dont le peuple libanais a besoin. […]
Les responsables politiques libanais ont rendu impossible, par leurs sombres manœuvres, la formation d’un gouvernement de mission capable de mener à bien les réformes. Certains ont d’abord préféré consolider l’unité de leur camp plutôt que celle des Libanais dans leur ensemble en négociant entre eux pour mieux piéger les autres, en réintroduisant un critère confessionnel qui n’était pas agréé par tous pour la désignation des ministres, comme si la compétence était liée à la confession. Les autres ont cru pouvoir imposer les choix de leur parti et du Hezbollah dans la formation du gouvernement, en totale contradiction avec les nécessités du Liban et avec les engagements explicitement pris le 1er septembre auprès de moi. Ils n’ont souhaité faire aucune concession, jusqu’au bout. Le Hezbollah ne peut en même temps être une armée en guerre contre Israël, une milice déchaînée contre les civils en Syrie et un parti respectable au Liban. Il ne doit pas se croire plus fort qu’il ne l’est et c’est à lui de démontrer qu’il respecte les Libanais dans leur ensemble. Il a ces derniers jours clairement montré le contraire. […]
Personne n’a été à la hauteur des engagements pris le 1er septembre dernier. Tous ont fait le pari du pire dans le seul but de se sauver eux-mêmes, de sauver les intérêts de leur famille, de leur clan. Ils n’y parviendront pas. A tous je dis aujourd’hui qu’aucun d’entre eux ne peut gagner contre les autres. Je décide donc de prendre acte de cette trahison collective et du refus des responsables libanais de s’engager de bonne foi dans le contrat que la France leur a proposé le 1er septembre dernier. Ils en portent l’entière responsabilité. Elle sera lourde. Ils devront en répondre devant le peuple libanais. […]
Nous répondrons aux besoins de santé, d’éducation, de logement, d’alimentation au bénéfice direct de la population par le seul truchement des organisations non gouvernementales de terrain et des agences des Nations Unies. […]
Je dis ce soir très clairement la condamnation de l’ensemble des responsables politiques. […]
[Les dirigeants libanais] ont peur du Hezbollah, ils ont peur de la guerre. […]
La question vraiment elle est dans la main du Président Berri et du Hezbollah : voulez-vous aujourd’hui la politique du pire, ou voulez-vous rengager le camp chiite dans le camp de la démocratie et de l’intérêt du Liban ? Vous ne pouvez prétendre être une force politique d’un pays démocratique en terrorisant par les armes et vous ne pouvez être autour de la table durablement si vous ne tenez pas vos engagements autour de la table. […]
J’ai honte. J’ai honte pour vos dirigeants. […]
Vous avez un système de terreur qui s’est mis en place et que le Hezbollah a imposé […].
Macron a donc accusé l’ensemble de la classe politique libanaise, l’ensemble des responsables et l’ensemble des institutions, sans exception, en des termes extrêmement graves (traîtres, parjures, corrompus, terroristes, vénaux, claniques, méprisant le peuple, indignes de confiance, etc.), tout en absolvant la France de toute responsabilité, de tout manquement : « Où sont les responsabilités ? Ce ne sont pas celles de la France. » Et clairement, à l’en croire, la plus grande part de responsabilité dans cet échec incomberait au Hezbollah, caractérisé comme « milice, groupement terroriste et force politique », et menacé de sanctions voire de guerre s’il ne revient pas à de meilleurs sentiments : « Les sanctions ne me paraissent pas être le bon instrument à ce stade, [mais] je ne les exclus pas à un moment. […] Il y a deux lignes, il n’y en a pas trois : il y a une ligne qui, je crois, est encore celle suivie par la communauté internationale, qui est de s’engager derrière notre initiative et la feuille de route. Il y a une autre ligne qui peut paraître séduisante et qui a été portée par certains, qui est ce que j’appellerais la politique du pire, qui est de dire au fond, il faut déclarer maintenant la guerre au Hezbollah, et donc il faut que le Liban s’effondre avec le Hezbollah. » Tant de déclarations belliqueuses qui n’ont pas empêché le virtuose du 49-3 et bourreau des Gilets Jaunes de conclure en soulignant son attitude humble et prudente (« J’ai beaucoup d’humilité ») et son respect de la souveraineté des peuples (« la ligne qui est partout la mienne [est] celle de respecter la souveraineté des peuples »). On ne peut qu’imaginer ce qu’aurait été la teneur de son discours sans ces précieuses qualités.
Dans un discours du 29 septembre ayant duré près d’une heure trente, le Secrétaire Général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a longuement répondu à ce qu’on ne peut caractériser que comme une attaque en règle du Président français, foulant aux pieds la bienséance et la souveraineté du Liban, au point que même l’atlantiste Le Monde a caractérisé l’intervention de Macron comme un « discours incendiaire ». Mais il ne faut pas compter sur les médias dominants pour connaître la teneur du discours du Secrétaire Général du Hezbollah. Voici un relevé des approximations, omissions et falsifications du Monde dans son compte rendu de l’intervention, revues et corrigées par les déclarations du principal intéressé.
« Un accord sur le fond, mais la forme est à revoir, selon le chef du Hezbollah libanais ». Ainsi commence le bref article du Monde consacré à ce discours, en accès libre. Pourtant, Nasrallah a clairement exprimé qu’il dénonçait tant le fond que la forme de l’attitude française, et a surtout développé les reproches de fond, qui ont occupé la quasi-totalité de son discours. S’il a remarqué que « Nous connaissons les Français comme des gens bien éduqués, diplomates, et qui utilisent d’un langage (tempéré) même quand le fond est véhément, essayant de l’enrober de paroles conciliantes. Je ne comprends pas ce qui leur est arrivé dimanche soir », il a établi sans équivoque que ce n’est pas seulement « une ‘révision’ du ton et du mode opératoire » qui était requise, malgré ce que prétend Le Monde, mais bien « les procédés, la forme et le fond » de l’approche de Paris qui doivent être « revus de fond en comble ».
En substance, que prévoyait l’initiative française ? D’après Le Monde,
Les partis politiques libanais, y compris le Hezbollah, s’étaient engagés auprès de M. Macron, venu à Beyrouth début septembre, à former un cabinet de ministres « compétents » et « indépendants » du landerneau politique dans un délai de deux semaines, condition pour le déblocage d’une aide internationale indispensable au redressement du pays en crise.
Nasrallah confirme ce point, en ajoutant une question cruciale :
« Tout ce dont les Français ont parlé, c’est de formation de gouvernement de mission avec des ministres compétents et indépendants. Très bien. Mais ces indépendants, qui devait les nommer ? Cela n’était pas mentionné dans l’initiative (française). Personne ne s’est mis d’accord sur la manière de désigner ces ministres. »
La désignation même du Premier ministre chargé de former le gouvernement n’a pas fait l’objet de discussions. Dans les faits, Mustapha Adib a été désigné par un Club composé arbitrairement de quatre adversaires politiques du Hezbollah, les anciens Premiers ministres Fouad Siniora, Najib Miqati, Tammam Salam et Saad Hariri. Nasrallah le rapporte en détail :
Durant cette période, un Club s’est formé, qu’on va appeler le Club des Premiers ministres, car je vais souvent en parler, le Club des 4 (anciens) Premiers ministres (Fouad Siniora, Najib Miqati, Tammam Salam et Saad Hariri). Il n’est pas juste de parler absolument de « Clubs des (anciens) Premiers ministres », car l’ancien Premier ministre (Salim) el-Hoss est encore en vie, et n’en faisait pas partie. Ce Club était donc formé des 4 derniers Premiers ministres. Le Premier ministre Hassan Diab étant également un ancien Premier ministre aujourd’hui, (et n’étant pas présent dans ce Club), ça fait donc deux anciens Premiers ministres (qui ont été exclus de ce comité). […] Ce Club a commencé à se réunir, comme ils l’ont déclaré, [et] ils ont donc proposé trois noms, en favorisant (clairement) le Professeur Mustapha Adib, c’est du moins ce que nous avons compris. Tous les indices concluaient à la nomination du Professeur Mustapha Adib.
Cette nuit-là, comme tout le monde était pressé et que nous avions un délai de 15 jours (pour former le gouvernement), nous nous sommes enquis de l’identité de cet homme (Mustapha Adib), de son passif et des données le concernant (qui étaient) raisonnables et positives, et afin de faciliter les choses, nous n’avons posé aucune condition (à sa nomination au poste de Premier ministre), nous n’avons pas demandé d’entretien avec lui, nous n’avons conclu aucun accord préalable avec lui. Certaines personnes disent maintenant que c’était une erreur de notre part, mais que (cette décision) ait été juste ou erronée, ce n’est pas le sujet. Quoi qu’il en soit, notre aval exprime clairement notre volonté de faciliter les choses. Nous voulions faciliter (le succès de cette initiative française). Car dans tout gouvernement, la figure la plus importante est celle du chef du gouvernement ! Mais nous avons accepté cette proposition (du Club des 4) en partant du principe que ce gouvernement allait se former sur la base de la représentation la plus large, et du soutien le plus large (de l’ensemble des forces politiques), afin qu’il soit capable d’agir dans des circonstances si difficiles.
Nasrallah a souligné l’absence notable de Hassan Diab et de Salim el-Hoss, deux anciens Premiers ministres du Liban toujours en vie, dans le Club des 4 anciens Premiers ministres qui ont désigné le nouveau chef du gouvernement. Leur présence aurait permis de mieux représenter l’équilibre des forces politiques au Liban, car ils étaient moins hostiles au Hezbollah et à ses alliés de l’alliance du 8 Mars, qui constitue la première force politique du pays, détenant la majorité à la Chambre des Députés depuis les élections de 2018. De fait, c’est la minorité parlementaire du 14 Mars, pro-occidentale, qui a choisi le Premier ministre, qui doit être sunnite selon la Constitution mais pas d’une couleur politique précise. Mais dans une perspective de conciliation, et étant entendu que le gouvernement devait être formé de manière concertée et représentative, le Hezbollah n’a pas émis d’objections :
Si nous devons parler de qui a obstrué et qui a facilité (l’initiative française), je rappelle que nous avons accepté la désignation de Mustapha Adib sans accord préalable, sans conditions ni discussions. Nous avons présumé des bonnes intentions (de tous). Mais c’était dans la perspective de se diriger vers un accord et de faciliter (la formation conjointe du gouvernement).
Cependant, contrairement aux attentes, il n’y a pas eu de concertation en vue de la formation du gouvernement par la suite, ni avec le Président de la République, ni avec les forces politiques représentées au Parlement, comme le souligne Nasrallah :
[Suite à la désignation de Mustapha Adib], il n’y a eu aucune discussion, aucun entretien, aucun débat, aucune sollicitation des avis des uns et des autres (en vue de la formation du gouvernement). Au point que par la suite, le Président de la République a été contraint de convoquer des chefs ou représentants de groupes parlementaires pour en débattre avec eux. Car (le Club des 4) a considéré que c’était inutile. Et je vous expliquerai pourquoi. Même avec le Président de la République, qui en vérité ne représente pas une force politique (particulière), mais est selon la Constitution partenaire de la formation du gouvernement, son rôle ne se limitant pas seulement à acquiescer ou refuser (tel ou tel gouvernement). Il avait le droit, dès le début, de débattre avec le Chef du gouvernement de la répartition des portefeuilles, du nom des ministres, de la nature du gouvernement, etc. Mais cela ne s’est pas produit une seule fois. Pas une seule fois. C’est comme s’il s’agissait simplement de former un gouvernement et de le soumettre au Président pour approbation ou rejet, sans aucune (discussion possible ou) voie alternative.
S’il signe, cela signifiera un gouvernement de fait accompli qui n’aura nullement été débattu avec lui, ni au niveau de sa nature, ni au niveau de la répartition des portefeuilles, ni au niveau des noms des ministres, ce qui revient à supprimer la principale prérogative restante dévolue au Président de la République après l’accord de Taëf, à savoir la participation à la formation du gouvernement. Et la France doit bien se rendre compte de sa faute (lourde) —je commence maintenant ma dénonciation. La France était en train de couvrir une opération politique qui allait conduire à la suppression de la principale prérogative restante du Président de la République libanaise. Et si le Président Aoun refusait de signer, le pays serait mis sens dessus dessous, les médias & adversaires politiques étaient prêts (à se déchaîner), de même que les pressions françaises, accusant le Président Aoun d’obstruction (et de sabotage). Bien sûr, je ne sais pas s’il y a eu de négociations avec le Parti Progressiste ou les Forces Libanaises (qui font partie de l’alliance minoritaire du 14-Mars, opposée au Hezbollah), mais je sais qu’il n’y a pas eu de négociations avec les composantes politiques qui sont nos amis & alliés, et avec qui nous détenons la majorité au Parlement.
Le Hezbollah est-il allé « à rebours de la Constitution et des règles coutumières » en exigeant d’avoir son mot à dire dans la formation du gouvernement et la nomination des ministres, comme l’affirme Le Monde ? Ou est-ce que ce sont ses adversaires qui ont décidé d’en faire fi et de mettre à profit l’avantage présumé que leur conférait l’initiative de leur parrain français ? La Constitution libanaise, mentionnée mais non citée par Le Monde, stipule que
« Le Président de la République nomme le Chef du gouvernement désigné, après consultation du Président de la Chambre des députés, sur la base de consultations parlementaires impératives dont il l’informe officiellement des résultats. […] Le Président du Conseil des ministres est le Chef du gouvernement. […] Il procède aux consultations parlementaires en vue de former le Gouvernement dont il contresigne avec le Président de la République le décret de formation. […] Les communautés seront représentées équitablement dans la formation du Gouvernement. »
L’exigence constitutionnelle d’impliquer tant le Président de la République que le Parlement est manifeste ; et dans un pays où le Président est élu par le Parlement, il est éminemment plus démocratique d’impliquer ce Parlement élu au suffrage universel direct dans la formation du gouvernement que d’en laisser entièrement la prérogative a un individu nommé par 4 personnalités appartenant à la même force politique, minoritaire de surcroît, même si elle jouit des faveurs de la France. Du reste, dans un article payant, Le Monde reconnaît implicitement l’influence prépondérante de l’alliance pro-occidentale du 14 Mars dans la formation du gouvernement Adib :
« Il nous était demandé de livrer le pays au club des anciens premiers ministres », a ajouté Nasrallah, en référence à l’alliance nouée par Saad Hariri avec trois de ses prédécesseurs, qui cornaquait de près Mustapha Adib. Mais il ne s’est pas expliqué sur l’obstination du duo chiite à contrôler le portefeuille des finances, à rebours de la Constitution et des règles coutumières.
Ne mentionnant aucunement le fait qu’un seul parti, le 14 Mars, avait nommé le Premier ministre, Le Monde présente l’exigence du Hezbollah comme contraire aux usages et à la Constitution, alors que c’est tout le contraire : il s’agit d’une exigence démocratique et constitutionnelle, en vertu de laquelle le Parlement, qui représente directement le peuple, contrairement au Premier ministre et au Président qui le représentent indirectement, doit participer à la formation du gouvernement. Il ne s’agit pas, comme le prétend absurdement Macron, de prétendre que « la compétence [est] liée à la confession », mais étant donné le caractère confessionnel du mode de scrutin au Liban, il parait évident que l’exigence démocratique doit impliquer les représentants de chaque confession au Parlement dans le choix du titulaire du ou des portefeuille(s) ministériel(s) qui leur sera/seront attribué(s). Loin d’une dérogation à la « règle coutumière », c’est comme cela que tous les gouvernements précédents ont été formés, sans exception, depuis 2005.
Si le Hezbollah est effectivement le seul parti à s’être opposé au plan du Club des 4, c’est tout simplement parce qu’il est le seul parti qui ait été consulté par le Premier ministre Mustapha Adib en vue de la formation du gouvernement, alors que pour se conformer à la loi, à l’usage et au bon sens, celui-ci aurait dû s’entretenir avec l’ensemble des forces représentées au Parlement. Contrairement à ce que prétend Le Monde, il ne s’agissait pas simplement du Ministre des Finances et du Hezbollah, et loin de garder le silence à ce sujet, Nasrallah a longuement justifié l’exigence de voir chaque force politique & confessionnelle désigner son propre ministre :
Certes, il y a eu des négociations avec nous, c’est vrai. Car naturellement, pour une raison ou pour une autre, la force représentée par le Hezbollah et Amal ne pouvait être ignorée [les chiites sont la principale communauté au Liban, et la première force politique, tous leurs députés faisant partie de l’alliance Amal-Hezbollah].[…]
Le premier point de négociation était que [le Club des 4 demandait que] le gouvernement soit formé de 14 ministres. Le deuxième point était la rotation des portefeuilles ministériels, impliquant que nous abandonnions le Ministère des Finances. Le troisième point est que tous les ministres devaient être désignés par le Club formé des 4 anciens Premiers ministres (sunnites) pour toutes les confessions : sunnites, chiites, chrétiens, druzes, ils voulaient eux-mêmes désigner tous les ministres. Quatrièmement, c’est eux seuls qui devaient décider de la répartition des portefeuilles ministériels entre les différentes confessions. Quant nous leur avons demandé comment ils allaient procéder, ils n’ont pas répondu, tout étant laissé à leur bon vouloir. En somme, ils décidaient de tout, et nous et les autres forces du pays devions simplement prendre note. […]
Pourquoi voulez-vous imposer de nouveaux usages, supprimer (le rôle des) groupes parlementaires et de la majorité parlementaire, supprimer le Président de la République et supprimer les forces politiques, et accaparer la formation du gouvernement dans l’intérêt d’un seul parti, qui ne représente qu’une partie de la minorité parlementaire actuelle, bien que nous la respections et respections sa position ? Mais c’est là un tout nouvel usage, qui contredit les traditions, la Constitution et la démocratie qu’exige de nous M. Macron ! […]
S’il avait été convenu que les partis politiques ne participent pas à la désignation des ministres, Saad Hariri est le dirigeant d’un parti (et n’aurait donc pas dû y participer). De même que Najib Miqati dirige un parti, et que Fouad Siniora est membre d’un parti. Pourquoi est-ce qu’une couleur politique aurait le droit de désigner tous les ministres, tandis que toutes les autres forces n’auraient pas ce droit ? […]
L’initiative française, qui se présentait comme une volonté de dépasser les clivages politiques et confessionnels, est donc rapidement devenue un rouleau compresseur visant à effacer toutes les composantes de la vie politique libanaise, sauf une, celle du 14 Mars pro-occidental et pro-français, qui souhaitait accaparer le processus de formation du gouvernement et donc de décision politique. C’était évidemment inacceptable pour la majorité parlementaire du 8-Mars, comme l’a expliqué Nasrallah :
Ce qui a été proposé durant le mois dernier, ce n’est pas un gouvernement visant à sauver le Liban. Ce qui était proposé par le Club des 4, c’est qu’en fin de compte, tous les groupes parlementaires du pays, toutes les forces politiques libanaises, le Président du Conseil et le Président de la République leur livrent le pays, sans condition, sans discussion, sans débat, et sans poser la moindre question. Quelle sera la nature du gouvernement, de qui sera-t-il composé, comment seront répartis les ministères, etc., aucun de ces points ne devait être débattu, et il fallait s’en remettre aveuglément aux 4 anciens Premiers ministres et accepter le gouvernement qu’ils s’apprêtaient à former (unilatéralement), sinon, les sanctions allaient tomber, de même que les pressions françaises qui allaient nous faire porter la responsabilité aux yeux du peuple libanais et de la communauté internationale, nous présentant comme des saboteurs. Voilà ce qui est proposé depuis 1 mois. […]
Si nous avons refusé cette forme de gouvernement, ce n’est pas parce que nous voudrions ou ne voudrions pas faire partie du gouvernement. La question fondamentale que nous nous posions, c’est celle de l’intérêt du Liban, du peuple libanais, le redressement du pays… Car on peut aller du mauvais vers le mieux, et du mauvais vers le pire. La question, c’est dans quelle direction est-ce que nous allions. A qui est-ce que nous nous apprêtions à livrer l’arche de notre sauvegarde ? Qui aurait été à la barre du vaisseau salvateur ? Ces 4 Premiers ministres étaient les Premiers ministres depuis 2005 jusqu’à il y a quelques mois à peine. N’est-ce pas ? Ça fait 15 ans qu’ils sont chefs de gouvernement. Ils ne sont pas les seuls responsables de la situation actuelle, certes. Nous avons tous une part de responsabilité. Mais ce sont eux qui portent le plus lourd fardeau de responsabilité. Car ils étaient les Chefs du gouvernement, et avaient des ministres & des responsables dans (tous) les gouvernements (successifs). Je leur fais endosser la responsabilité, et je leur demande d’assumer leurs responsabilités et de ne pas (les) fuir. Nous devons nous entraider, coopérer, travailler main dans la main. Mais croire que le Liban peut être sauvé si la force politique qui porte la plus lourde part de responsabilité pour la situation à laquelle nous sommes arrivés depuis 15 ans se voit livrer le pays, c’est complètement illogique et même absurde.
L’initiative de Macron s’apprêtait bel et bien à mettre non pas du vin nouveau dans d’anciennes outres, mais du vin ancien dans des outres nouvelles, étroitement « cornaquées » par les outres anciennes : tout le contraire du renouveau vanté par le marketing de la feuille de route française. Face à l’irréconciliabilité des deux parties, le 14 Mars refusant de négocier, et le Hezbollah refusant logiquement de céder à cette tentative de hold-up qui essayait d’instrumentaliser à son profit l’émotion suscitée par la catastrophe nationale de l’explosion du port de Beyrouth, la France est alors intervenue, demandant au Hezbollah pourquoi il obstruait la formation du gouvernement. Voici la réponse du Hezbollah, rapportée par Nasrallah :
Nous leur avons répondu : « O nos très-chers, ô nos amis, est-ce que l’initiative française prévoyait un gouvernement de 14 ministres ? » Ils ont répondu que non. « Est-ce que l’initiative française prévoyait qu’un Comité de 4 anciens Premiers ministres désignerait les ministres de l’ensemble du gouvernement et pour toutes les confessions ? » Ils ont répondu que non. « Est-ce que l’initiative française prévoyait que c’est eux qui distribueraient les portefeuilles entre les confessions ? » Ils ont répondu que non. « Est-ce que l’initiative française prévoyait la rotation des portefeuilles, et que le ministère des finances serait ôté à telle confession au profit de telle autre ? » Ils ont répondu que non, et qu’ils souhaitaient simplement un gouvernement réduit. Alors en quoi est-ce que nous obstruons l’initiative française ? Les Français se sont exprimés publiquement, devant les médias, alors je fais de même. La feuille de route de l’initiative française est accessible au public, et ne mentionne rien de tout ça. […]
En fin de compte, la France a accepté notre point de vue selon lequel le Ministère des Finances devait rester dévolu aux chiites —je clarifierai plus tard la raison de l’insistance sur cette question et l’importance de ce point—, mais ont demandé à ce qu’il soit nommé par le Chef du gouvernement, c’est-à-dire par le Club des 4. Mais nous avons répondu que nous ne cherchons pas simplement à ce que le ministre soit chiite et issu de parents chiites. Nous sommes attachés à ce que ce ministre soit chiite du fait des décisions qu’il aura à prendre, et sur lesquelles nous devons avoir notre mot à dire. Le Chef du gouvernement est capable de dégoter un fonctionnaire chiite qui lui soit 100% loyal et sincère. Ce n’est pas ce que nous recherchons. Nous voulons que chaque confession nomme ses ministres, même si le Chef du gouvernement peut refuser des noms 10, 20 ou 30 fois, jusqu’à ce qu’on en trouve un qui convienne à tous. Mais cette idée a été catégoriquement rejetée par le Club des 4. […]
Les négociations n’étaient donc qu’une vaine mascarade, et le 14 Mars voulait, comme en 2005 lorsqu’il a capitalisé l’émotion suscitée par l’assassinat de Rafik Hariri, accaparer le pouvoir sans partage. Scarlett Haddad le résume bien dans L’Orient le Jour, quotidien libanais francophone et pro-occidental :
Sous prétexte d’avoir choisi Moustapha Adib, les anciens présidents du Conseil se sont arrogé le droit de lui dicter son attitude, alors qu’ils auraient dû, comme les autres, rester en retrait. D’ailleurs, dans ses trois rencontres avec les deux émissaires chiites Ali Hassan Khalil et Hussein Khalil, Moustapha Adib a répété à plusieurs reprises qu’il était obligé de se conformer à la volonté des quatre anciens présidents du Conseil, puisqu’ils l’avaient nommé. À ce sujet, les milieux précités rappellent que les deux formations ont accepté sa désignation (les anciens présidents du Conseil avaient envoyé une liste de trois noms dont deux inacceptables pour Amal et le Hezbollah), mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles acceptent d’être totalement marginalisées dans la formation du gouvernement. À la limite, elles auraient pu accepter de l’être, si c’était le cas de toutes les formations politiques. Mais le fait de découvrir qu’elles sont exclues, même du choix des ministres chiites, sans parler du portefeuille des Finances, alors que les anciens présidents du Conseil, eux, interviennent dans toutes les décisions de Moustapha Adib, leur a mis la puce à l’oreille. D’ailleurs, ce sujet avait été évoqué lors de la rencontre entre le responsable des relations extérieures au sein du Hezbollah, Ammar Moussaoui, et l’ambassadeur de France, Bruno Foucher. Mais en dépit de cet entretien, Adib n’avait pas modifié son style. Il a bien tenu deux réunions avec les émissaires chiites, mais sans répondre clairement à aucune de leurs questions. Amal et le Hezbollah ont alors commencé à flairer un piège qui leur serait ainsi tendu. Ils ont eu le sentiment de revivre la situation de 2005 : sous le choc de l’assassinat de Rafic Hariri, le courant du Futur et le PSP s’étaient alors empressés de conclure avec eux le fameux accord quadripartite pour arracher la majorité parlementaire et se retourner ensuite contre eux en les excluant du pouvoir. Les deux formations ont donc eu le sentiment qu’on cherchait une nouvelle fois à profiter d’une immense tragédie pour, dans un premier temps, les exclure du pouvoir exécutif, avant de se retourner contre elles. […] Et maintenant ? Les milieux proches des formations chiites estiment qu’il est encore tout à fait possible de sauver l’initiative française. Mais cela passe par le respect des équilibres politiques et communautaires.
Rien de tout cela ne transparaît dans le compte rendu du Monde, qui laisse entendre que tous les partis politiques ont accepté de lâcher du lest dans l’intérêt supérieur du Liban, tandis que le Hezbollah a rejeté tout compromis et a durci le ton, n’étant attaché qu’à sa domination et à la conservation de ses armes :
Mardi soir, Hassan Nasrallah est revenu à la charge, soulignant la nécessité que sa formation fasse partie du gouvernement, par le biais de partisans ou pas, pour « protéger les arrières de la résistance ».
Cette falsification est peut-être la plus grossière de toutes, et vise à faire passer le Hezbollah pour un parti de l’étranger qui n’a que faire du bien-être des Libanais et ne souhaite que préserver son arsenal militaire, garant de sa force politique. En réalité, Nasrallah a très précisément dit le contraire. En 2005, a-t-il expliqué, nous avions certes décidé d’entrer au gouvernement « pour protéger les arrières de la Résistance ». Mais aujourd’hui, a-t-il poursuivi, la situation est très différente, le Hezbollah n’ayant plus rien à craindre pour lui-même, et c’est seulement pour le Liban qu’il est inquiet :
Je vais expliquer pourquoi, en toute franchise, il nous est impossible d’être absents du gouvernement. En toute franchise, nous craignons pour ce qui reste du Liban, sur les plans économique, financier, et à tous les égards. Nous avons peur pour le Liban et pour le peuple libanais. J’ai déjà dit que nous n’avions pas peur pour le Hezbollah (qui subsisterait et maintiendrait sa puissance même si le Liban s’effondrait, car l’Iran sera toujours là), mais pour le pays, pour le peuple, pour l’avenir de ce pays. Si un gouvernement s’était formé (sans nous), comment savoir s’il ne va pas signer un chèque en blanc au FMI et céder à toutes ses exigences sans discussion ? Je n’accuse personne mais c’est une possibilité. Je connais les convictions des uns et des autres (et la soumission du 14 Mars à l’Occident). En tant que groupe parlementaire, allons-nous donner notre confiance à un gouvernement tout en sachant, ou en présumant très fortement qu’il va signer en blanc la feuille de route du FMI, sans discussion ? Quelles que soient les conditions du FMI, le Liban s’y plierait. Ne devons-nous pas craindre qu’un gouvernement, prenant prétexte de la situation financière ou autre, vende les biens nationaux ? C’est déjà proposé dans certains projets, vendre les biens de l’État. Il faudrait procéder à une liquidation au prétexte du besoin d’obtenir de l’argent pour payer la dette, remédier à la paralysie, etc., etc., etc. Ne devons-nous pas craindre un tel gouvernement, quand, et je vous l’affirme solennellement, durant les gouvernements précédents, les deux tiers ou davantage des membres défendaient âprement l’augmentation de la TVA ? Si le gouvernement prévu avait été formé par Mustapha Adib, la première décision qu’il aurait prise est d’augmenter la TVA sur tout. La politique des taxes aurait frappé le peuple, alors que nous avons promis au peuple libanais que nous ne le permettrions pas et ne l’accepterions pas. Notre peuple peut-il supporter une augmentation de la TVA ? A cause d’un projet de taxe de quelques centimes sur les appels Whatsapp, le peuple est descendu dans les rues le 17 octobre (2019). Ne devons-nous pas craindre un gouvernement avec lequel nous ne savons pas ce qu’il adviendra de l’épargne du peuple dans les banques ? Non nos très-chers, nous avons peur pour notre pays, pour notre peuple, pour les biens nationaux, pour l’épargne des habitants, nous redoutons les conditions du FMI et nous craignons d’aller de mal en pis.
Les médias occidentaux occultent souvent cette réalité, à savoir que le Hezbollah n’est pas seulement une redoutable force armée anti-sioniste et anti-impérialiste proche de l’Iran (tandis que ses adversaires libanais sont servilement alignés sur l’Axe Washington-Paris-Riyad) et un parti islamiste chiite représentant la plus forte communauté démographique au Liban ; c’est également une force sociale progressiste au service des plus démunis, opposée à la doxa ultralibérale défendue par l’Occident et ses filleuls du 14 Mars. Ce n’est pas pour protéger ses armes que le Hezbollah veut participer au gouvernement, c’est avant tout pour protéger la souveraineté du Liban et le pouvoir d’achat des Libanais les plus humbles, qui seraient malmenés par l’oligarchie du 14-Mars dirigée par des milliardaires comme Hariri et Miqati.
En conclusion, Nasrallah a dénoncé la tentative de Macron de mettre le Liban sous tutelle, et la véritable atteinte à la dignité nationale que constituait son discours, l’invitant à renoncer au langage des menaces :
Lorsque le Président Macron a visité le Liban, nous avons bien accueilli l’initiative française. Mais nous n’avons jamais accepté qu’il soit procureur général, enquêteur ou juge, nous n’avons jamais accepté qu’il soit le tuteur, le dirigeant ou le gouverneur du Liban. Jamais de la vie. Nous avons accueilli le Président Macron comme un ami du Liban, qui aime et veut aider le Liban, le sortir de ses crises, rapprocher les points de vue divergents : c’est cela l’amitié, la bienveillance, l’entremise, la fraternité et l’amour (authentiques). Mais en aucun cas il ne peut y avoir pour quiconque, que ce soit le Président français ou n’importe qui d’autre, le pouvoir de s’imposer comme tuteur, gouverneur, dirigeant ou juge du Liban. A ma connaissance, les Libanais n’ont jamais pris de telle décision. C’est pourquoi nous espérons que les procédés, la forme et le fond seront revus de fond en comble. […]
J’appelle (la France) à reconsidérer les choses au niveau des procédés, des actions, de la compréhension, de l’analyse, des conclusions, et même de la gestion et du langage utilisé. Car il n’y a rien de plus important que le respect. Il n’y a rien de plus important que la dignité des gens. Ce qui a été victime d’une atteinte il y a deux jours (durant l’intervention de Macron), c’est la dignité nationale. […] Quiconque se dresse et accuse tout le monde sans distinction —institutions, partis, forces politiques, etc.— en vérité cela porte atteinte à la dignité nationale et c’est inacceptable. […]
Ces procédés et cette manière de faire ne réussiront jamais au Liban, quelle que soit l’identité de ceux qui les exercent et de ceux qui les soutiennent. Qu’il s’agisse des États-Unis, de la France, de l’Europe, de la communauté internationale, de la Ligue Arabe, de toute la planète ou même de l’univers entier, jamais le langage des menaces ne fonctionnera avec nous. Jamais cela ne marchera au Liban, et qui que vous soyez, vous perdez votre temps (en essayant de nous intimider).
Le Président Macron nous a accusés de terroriser les gens, mais ceux qui nous accusent d’intimider sont ceux qui ont exercé une politique d’intimidation durant le mois passé, contre les Présidents (de la République, du Conseil des ministres et de la Chambre), les groupes parlementaires, et les partis & forces politiques afin d’imposer un tel gouvernement. Les menaces de sanctions, de dangers, de se diriger vers le pire, etc. (sont clairement une tentative d’intimidation). Vous avez bien vu le langage (utilisé par Macron). Tout cela est maintenant public. Mais cela ne fonctionnera pas.
Les approximations et falsifications du Monde visent à la fois à dénigrer le Hezbollah, présenté comme un instrument de l’Iran indifférent au sort du Liban et des Libanais, alors qu’il en est le meilleur défenseur, et à perpétuer le mythe de l’influence française au Moyen-Orient en validant la démarche de Macron, prétendument acceptée même par ses plus farouches opposants malgré quelques critiques sur la forme. En perpétuant cette ignorance, la France ne fait que s’éloigner davantage du Liban et du Moyen-Orient en général, où son rôle jadis prépondérant est aujourd’hui largement érodé et ne sera demain qu’un mauvais souvenir.
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Discours du Secrétaire Général du Hezbollah, Sayed Hassan Nasrallah, le 29 septembre 2020.
Nous traduisons intégralement la partie centrale du discours consacrée à l’échec de l’initiative française et à la conférence de presse de Macron, dont nous avons cité des passage-clés ci-dessus.
En introduction et en conclusion, Nasrallah a brièvement évoqué le rôle des États-Unis dans la résurgence de Daech au Liban et ailleurs, la situation à la frontière libano-israélienne et la disparition sans précédent des forces occupantes depuis plusieurs mois, chassées par la crainte d’une riposte inéluctable du Hezbollah, les récents mensonges de Netanyahou concernant des stocks de missiles entreposés dans des zones urbaines de Beyrouth et l’accord entre le Bahreïn et Israël.
Source : https://video.moqawama.org/details.php?cid=1&linkid=2168
Traduction : lecridespeuples.fr
Transcription :
[…] Concernant la situation politique interne, je vais aborder la question du gouvernement, de la formation du nouveau gouvernement, de l’initiative française, et de la conférence de presse récente du Président français M. Macron. Je tiens à évoquer cela premièrement pour expliquer à l’opinion publique libanaise ce qui s’est passé —bien sûr, il y a des détails que je n’aborderai que sommairement, et des vérités que je tairai pour le moment, afin de laisser les portes ouvertes, mais je tiens à présenter une image suffisante, je considère qu’elle sera suffisante pour comprendre ce qui s’est passé. Et je tiens également à exprimer nos commentaires quant à la conférence de presse du Président Macron, et sur ce vers quoi nous nous dirigeons.
En ce qui concerne le gouvernement, après l’explosion du port (de Beyrouth), le 4 août 2020, et la démission du gouvernement de Hassan Diab, ainsi que la visite du Président français au Liban, et le lancement de l’initiative française, il y a eu deux rencontres à la Résidence des Pins (résidence de l’ambassadeur de France au Liban), en présence du Président français et de 8 partis, forces politiques ou groupes parlementaires, qui sont devenus 9 durant la seconde rencontre. Une initiative a été présentée, dont le texte est présent et a circulé dans les médias et sur les réseaux sociaux, et tout le monde peut s’y référer, rien n’étant caché à ce sujet. Nous avons tous dit que nous soutenions l’initiative française. La première étape était la formation d’un nouveau gouvernement. J’y reviendrai en détail dans un instant. La première étape de la première phase était de nommer le Premier ministre qui formerait un gouvernement. Je vais dire les choses comme elles se sont passées, en citant les noms, car le peuple libanais a le droit de savoir clairement les choses. Rien n’est secret, et il n’y a pas de secrets au Liban, mais je vais parler des faits.
Qui allions-nous charger de la tâche ? Nous nous sommes mis d’accord pour que les groupes parlementaires se concertent à ce sujet, pas de problème. Nous avons dit que nous n’aurions pas de problème à ce que le Premier ministre soit Saad Hariri, s’il le souhaitait. S’il souhaitait nommer quelqu’un, nous verrions qui est-ce qu’il allait proposer, et en débattrions entre nous, et accepterions ou pas. Tels étaient les discussions initiales. Durant cette période, un Club s’est formé, qu’on va appeler le Club des Premiers ministres, car je vais souvent en parler, le Club des 4 (anciens) Premiers ministres (Fouad Siniora, Najib Miqati, Tammam Salam et Saad Hariri). Il n’est pas juste de parler absolument de « Clubs des (anciens) Premiers ministres », car l’ancien Premier ministre (Salim) el-Hoss est encore en vie, et n’en faisait pas partie. Ce Club était donc formé des 4 derniers Premiers ministres. Le Premier ministre Hassan Diab étant également un ancien Premier ministre aujourd’hui, (et n’étant pas présent dans ce Club), ça fait donc deux anciens Premiers ministres (qui ont été exclus de ce comité). Ce Club a commencé à se réunir, comme ils l’ont déclaré, se rencontrant à plusieurs reprises, ce qui ne nous pose pas de problème, au contraire, car nous souhaitons la plus grande compréhension entre les différentes forces, mouvements et partis politiques du Liban, et que ces gens-là ont des groupes parlementaires et représentent des forces politiques. Ils ont donc proposé trois noms, en favorisant (clairement) le Professeur Mustapha Adib, c’est du moins ce que nous avons compris. Tous les indices concluaient à la nomination du Professeur Mustapha Adib.
Cette nuit-là, comme tout le monde était pressé et que nous avions un délai de 15 jours (pour former le gouvernement), nous nous sommes enquis de l’identité de cet homme, de son passif et des données le concernant (qui étaient) raisonnables et positives, et afin de faciliter les choses, nous n’avons posé aucune condition (à sa nomination au poste de Premier ministre), nous n’avons pas demandé d’entretien avec lui, nous n’avons conclu aucun accord préalable avec lui. Certaines personnes disent maintenant que c’était une erreur de notre part, mais que (cette décision) ait été juste ou erronée, ce n’est pas le sujet. Quoi qu’il en soit, notre aval exprime clairement notre volonté de faciliter les choses. Nous voulions faciliter (le succès de cette initiative française). Car dans tout gouvernement, la figure la plus importante est celle du chef du gouvernement ! Dans tout gouvernement, la figure la plus importante est celle du chef du gouvernement ! Mais nous avons accepté cette proposition (du Club des 4) en partant du principe que ce gouvernement allait se former sur la base de la représentation la plus large, et du soutien le plus large (de l’ensemble des forces politiques), afin qu’il soit capable d’agir dans des circonstances si difficiles. Nous avons donc accepté cette proposition, très bien, tout le monde était rassuré, et le Président français est venu pour sa deuxième visite, et a rencontré tout le monde après la nomination du Premier ministre Mustapha Adib, nous invitant à poursuivre pour mener à bien la feuille de route française, les réformes, etc.
Après la nomination de M. Mustapha Adib, les rencontres protocolaires avec les groupes parlementaires se sont tenues, et tout s’est terminé. Il a été demandé au Premier ministre de procéder ainsi. C’est une personne respectable et respectueuse, je ne dis aucun mal de lui, mais (le Club des 4) lui a dit d’attendre, et que quelqu’un allait négocier. Naturellement, il fallait que les négociations aient lieu avec les groupes parlementaires, car c’est elles qui votent la confiance (du gouvernement), et il n’est pas suffisant qu’elles aient (accepté la) désignation du Premier ministre. Il y a des groupes parlementaires qui n’ont pas voté la désignation, mais pourraient voter la confiance (au gouvernement). Mais ils n’ont parlé avec personne, avec aucune force politique, du moins d’après ce que je sais. Il n’y a eu aucune discussion, aucun entretien, aucun débat, aucune sollicitation des avis des uns et des autres (en vue de la formation du gouvernement). Au point que par la suite, le Président de la République a été contraint de convoquer des chefs ou représentants de groupes parlementaires pour en débattre avec eux. Car (le Club des 4) a considéré que c’était inutile. Et je vous expliquerai pourquoi. Même avec le Président de la République, qui en vérité ne représente pas une force politique (particulière), mais est selon la Constitution partenaire de la formation du gouvernement, son rôle ne se limitant pas seulement à acquiescer ou refuser (tel ou tel gouvernement). Il avait le droit, dès le début, de débattre avec le Chef du gouvernement de la répartition des portefeuilles, du nom des ministres, de la nature du gouvernement, etc. Mais cela ne s’est pas produit une seule fois. Pas une seule fois. C’est comme s’il s’agissait simplement de former un gouvernement et de le soumettre au Président Aoun pour approbation ou rejet, sans aucune (discussion possible ou) voie alternative.
S’il signe, cela signifiera un gouvernement de fait accompli qui n’aura nullement été débattu avec lui, ni au niveau de sa nature, ni au niveau de la répartition des portefeuilles, ni au niveau des noms des ministres, ce qui revient à supprimer la principale prérogative restante dévolue au Président de la République après l’accord de Taëf, à savoir la participation à la formation du gouvernement. Et la France doit bien se rendre compte de sa faute (lourde) —je commence maintenant ma dénonciation. La France était en train de couvrir une opération politique qui allait conduire à la suppression de la principale prérogative restante du Président de la République libanaise. Et si le Président Aoun refusait de signer, le pays serait mis sens dessus dessous, les médias & adversaires politiques étaient prêts (à se déchaîner), de même que les pressions françaises, accusant le Président Aoun d’obstruction (et de sabotage). Bien sûr, je ne sais pas s’il y a eu de négociations avec le Parti Progressiste ou les Forces Libanaises (qui font partie de l’alliance minoritaire du 14-Mars, opposée au Hezbollah), mais je sais qu’il n’y a pas eu de négociations avec les composantes politiques qui sont nos amis & alliés, et avec qui nous détenons la majorité au Parlement.
Certes, il y a eu des négociations avec nous, c’est vrai. Car naturellement, pour une raison ou pour une autre, la force représentée par le Hezbollah et Amal ne pouvait être ignorée [les chiites sont la principale communauté au Liban, et la première force politique, tous leurs députés faisant partie de l’alliance Amal-Hezbollah]. Nous avons donc débattu avec le représentant de Mustapha Adib. L’identité du représentant de Mustapha Adib ou du Club des 4 ne nous posait pas de problème. Mais il s’est avéré que le représentant avec qui nous avons discuté est Saad Hariri.
Durant les discussions, les points que nous avons compris en ce qui concerne le gouvernement durant les premiers jours, et à propos desquels il y a eu des dissensions entre nous et Hariri, étaient les suivants. Bien sûr, les négociations étaient cordiales et respectueuses.
Le premier point de négociation était que [le Club des 4 demandait que] le gouvernement soit formé de 14 ministres. Le deuxième point était la rotation des portefeuilles ministériels, impliquant que nous abandonnions le Ministère des Finances. Le troisième point est que tous les ministres devaient être désignés par le Club formé des 4 anciens Premiers ministres (sunnites) pour toutes les confessions : sunnites, chiites, chrétiens, druzes, ils voulaient eux-mêmes désigner tous les ministres. Quatrièmement, c’est eux seuls qui devaient décider de la répartition des portefeuilles ministériels entre les différentes confessions. Quant nous leur avons demandé comment ils allaient procéder, ils n’ont pas répondu, tout étant laissé à leur bon vouloir. En somme, ils décidaient de tout, et nous et les autres forces du pays devions simplement prendre note : nous devions prendre note du fait que le gouvernement aurait 14 ministres —bien sûr, c’est la conclusion, mais la discussion était calme et respectueuse—, nous devions prendre note de la rotation des portefeuilles, nous devions prendre note de la répartition des portefeuilles (entre les différentes confessions) et nous devions prendre note du nom des ministres qui représenteraient toutes les confessions. Voilà tout.
Nous avons débattu de ces points. Concernant le premier point, nous étions d’accord sur le fait que 30 ministres étaient trop, et même 24 ministres, mais si on ne garde que 14 ministres, cela revient (pour ainsi dire) à donner deux ministères à chaque personne. Alors qu’avec un seul ministère, il est déjà difficile d’agir efficacement et avec compétence. C’est l’un des problèmes de notre pays : il est difficile de trouver des ministres compétents et capables de diriger leur ministère, (et ce problème aurait été amplifié). Pourquoi donner deux ministères à chaque ministres ? Nous aurions pu nous entendre pour 18 ou 20 ministres, cela restait ouvert au débat, mais ils insistaient pour 14 ministres, (refusant toute concession sur ce point) malgré le fait que la plupart des forces politiques qui ont ensuite été consultées par le Président de la République ne souhaitent pas 14 ministres, étant favorables à la plus large représentation possible.
De même pour le deuxième point, nous étions opposés à la rotation des portefeuilles, et la question du Ministère des Finances est bien connue.
Le troisième point est celui de la désignation des ministres. La question n’est pas seulement celle du Ministère des Finances. Même après avoir établi que tel ou tel ministère devait être attribué aux chrétiens, aux sunnites, aux chiites ou au druzes, ils voulaient que ce soit eux qui désignent lesdits ministres, et non les forces politiques ou groupes parlementaires qui représentent ces confessions. Même en laissant les partis de côté, il fallait que les groupes parlementaires représentant les confessions soient impliquées, car ils sont les élus de leurs communautés : ils sont les élus du peuple libanais, et en particulier de leur confession. Mais (le Club des 4) ne voulait pas les impliquer de quelque manière que ce soit, simplement les notifier (de leur décision). Bien sûr, ce point-là était pour nous inacceptable, ce n’était pas négociable. Pas seulement pour les ministres chiites. Qu’une seule force politique désigne l’ensemble des ministres pour toutes les confessions est à nos yeux un (grand) danger pour le pays.
Prenons un peu de recul et considérons l’Accord de Taëf, les prérogatives constitutionnelles et les usages. Très bien. Depuis l’Accord de Taëf (de 1989) jusqu’en 2005… Il n’est pas utile de se référer à la manière dont les gouvernements étaient formés avant l’Accord de Taëf, car aujourd’hui, il y a l’Accord de Taëf. Il n’est pas utile de se référer à la manière dont les gouvernements étaient formés de l’Accord de Taëf jusqu’en 2005, car jusqu’en 2005, car on nous opposera que cela se passait au temps de la tutelle syrienne et de l’administration syrienne. Très bien. Regardons donc les choses depuis 2005 jusqu’à ce jour, comment se passait la formation de tous les gouvernements, dans lesquels vous [14 Mars] aviez le plus souvent la majorité parlementaire, et étiez la principale force politique du pays, appliquant l’Accord de Taëf.
(Considérons les choses depuis) le premier gouvernement formé après que les forces syriennes aient quitté le pays, ou pendant leur départ, à savoir le gouvernement de Najib Miqati, jusqu’à ce jour. Il y a toujours eu négociations et accord sur la personne du Premier ministre, qui a ensuite personnellement négocié (avec les forces politiques) pour se mettre d’accord sur le nombre des ministres et sur la distribution des portefeuilles, puis les ministres étaient désignés par les députés ou groupes parlementaires représentant chaque confession, sans même que le Premier ministre négocie les noms proposés. La seule entorse à cet usage a eu lieu avec le gouvernement de Hassan Diab, et nous l’avons acceptée sans problème, à savoir que le Premier ministre pouvait rejeter une proposition des parlementaires ou partis politiques et demander qu’un autre ministre lui soit proposé. Nous étions ouverts à cela avant même le gouvernement de Hassan Diab, et c’est avec lui que nous l’avons mis en pratique. Et nous étions et sommes toujours prêts à le faire cette fois-ci. C’est à nos yeux une avancée positive qui renforce les prérogatives du Chef du gouvernement. Cela ne l’affaiblit pas. Tel était l’usage en vigueur depuis 2005 à nos jours de la part du Premier ministre (en vue de la formation du gouvernement). Lorsqu’il se met d’accord avec les groupes parlementaires et les forces politiques qui souhaitent participer au gouvernement, ils se mettaient d’accord sur les portefeuilles et sur leur répartition, mais chaque force désignait ses propres ministres, et le Premier ministre ne débattait pas les noms proposés. Aujourd’hui, nous disons que le Premier ministre peut débattre des noms qui lui sont proposés et les refuser, et quiconque sera refusé, nous le mettrons de côté et proposerons d’autres noms. En vérité, c’est un renforcement des prérogatives du Chef du gouvernement, différente à toutes les étapes précédentes depuis l’Accord de Taëf à ce jour. C’est-à-dire que quiconque veut employer un langage confessionnel et sectaire et prétendre que cela affaiblit le statut du Premier ministre, en aucun cas, cela le renforce plus que jamais ! Nous étions d’accord et considérions cela normal et logique.
Mais cela est resté un point de discorde.
En ce qui concerne la répartition des portefeuilles (ente les différentes confessions), même chose.
Même en cee qui concerne les noms proposés (au poste de ministre), nous étions prêts à négocier plusieurs idées qui nous ont été avancées, comme par exemple la désignation de ministres n’appartenant à aucun parti, ou n’ayant pas participé aux gouvernements précédents, ou que le Premier ministre puisse refuser 1, 2, 3, 4 ou 5 noms de ministres qui lui seront proposés. Nous avons dit que cela ne nous posait pas de problème. Tout cela facilitait les choses et ne les obstruait pas ! Mais ils sont restés inflexibles dans leur volonté de désigner eux-mêmes tous les ministres.
Ils sont restés inflexibles sur ces quatre points jusqu’au 15e jour, sans même avoir pris la peine de les discuter et débattre avec le Président de la République : il nous fallait accepter (sans discussion) 14 ministres, la rotation des portefeuilles, la nomination par le Club des 4 de tous les ministres, et la distribution des portefeuilles entre les différentes confessions par le Club des 4. C’était inacceptable en ce qui nous concerne, et nous sommes arrivés à une impasse.
Bien sûr, on peut débattre de ce procédé en le comparant aux usages en vigueur depuis 2005 à nos jours, car ils parlent des usages, et jamais les gouvernements n’ont été formés selon ces usages. Et on peut même en débattre du point de vue constitutionnel, en se référant à ce que dit la Constitution sur la formation du gouvernement et le rôle des représentants des confessions. Car lorsque l’Accord de Taëf a fait du gouvernement la principale entité du pouvoir, la force décisionnelle, c’était quelque chose de nouveau; et il a été établi que toutes les confessions devaient être représentées dans ce gouvernement à travers les représentants desdites confessions. Je ne vais pas m’étendre sur l’exégèse de l’article 95 de la Constitution (affirmant la nécessité de la fin du confessionnalisme, mais stipulant qu’en attendant, « Les communautés seront représentées équitablement dans la formation du Gouvernement. »), mais je tiens seulement à dire qu’on peut débattre de la constitutionnalité (des procédés du Club des 4), en disant que cette interprétation est possible, sans que j’impose moi-même l’interprétation de cet article.
Quoi qu’il en soit, sans s’engager dans une dispute constitutionnelle, ces procédés ne sont pas ceux qui étaient en vigueur de 2005 à nos jours. Pourquoi voulez-vous imposer de nouveaux usages, supprimer (le rôle des) groupes parlementaires et de la majorité parlementaire, supprimer le Président de la République et supprimer les forces politiques, et accaparer la formation du gouvernement dans l’intérêt d’un seul parti, qui ne représente qu’une partie de la minorité parlementaire actuelle, bien que nous la respections et respections sa position ? Mais c’est là un tout nouvel usage, qui contredit les traditions, la Constitution et la démocratie qu’exige de nous M. Macron !
C’est à ce stade que la France a commencé à contacter et à faire pression sur tout le monde, dans les derniers jours du délai de 15 jours, parlant aux Présidents (de la Chambre des députés, du Conseil des Ministres et de la République) et aux chefs de partis —bien sûr, les contacts avec nous étaient différents —, des appels de 30 minutes, 45 minutes de la part du Président Macron, le type faisait des efforts, c’est bien, mais dans quelle direction déployait-il ses efforts ? Je ne vais pas parler des débats qui ont eu lieu avec les autres, et qui ne me concernent pas, mais de ceux qui se sont tenus avec nous. « Pourquoi est-ce que vous ne marchez pas, pourquoi est-ce que vous obstruez les choses », nous a-t-on dit. « On veut que vous aidiez et facilitiez les choses », nous a-t-on dit. Tout cela a été dit en langage diplomatique mais avec des pressions, nous menaçant de sanctions terribles, etc.
Nous leur avons répondu : « O nos très-chers, ô nos amis, est-ce que l’initiative française prévoyait un gouvernement de 14 ministres ? » Ils ont répondu que non. « Est-ce que l’initiative française prévoyait qu’un Club de 4 anciens Premiers ministres désignerait les ministres de l’ensemble du gouvernement et pour toutes les confessions ? » Ils ont répondu que non. « Est-ce que l’initiative française prévoyait que c’est eux qui distribueraient les portefeuilles entre les confessions ? » Ils ont répondu que non. « Est-ce que l’initiative française prévoyait la rotation des portefeuilles, et que le Ministère des Finances serait ôté à cette confession au profit de telle autre ? » Ils ont répondu que non, et qu’ils souhaitaient simplement un gouvernement réduit —14, 12, 10, 18 ou 20 ministres, comment vous allez les désigner, c’est à vous de vous mettre d’accord entre vous. Super. Alors en quoi est-ce que nous obstruons l’initiative française ? Car le débat est maintenant entre nous et la France. Ils se sont exprimés publiquement, devant les médias, alors je fais de même. Ce que je dis est vrai. La feuille de route de l’initiative française est accessible au public, ô peuple libanais, et ne mentionne rien de tout ça —ni 14 ministres, ni rotation des portefeuilles, ni mode de désignation des ministres, ni distribution des portefeuilles.
En fin de compte, la France a accepté notre point de vue selon lequel le Ministère des Finances devait rester dévolu aux chiites —je clarifierai plus tard la raison de l’insistance sur cette question et l’importance de ce point—, mais ont demandé à ce qu’il soit nommé par le Chef du gouvernement, c’est-à-dire par le Club des 4. Mais nous avons répondu que nous ne cherchons pas simplement à ce que le ministre soit chiite et issu de parents chiites. Nous sommes attachés à ce que ce ministre soit chiite du fait des décisions qu’il aura à prendre, et sur lesquelles nous devons avoir notre mot à dire. Le Chef du gouvernement est capable de dégoter un fonctionnaire chiite qui lui soit 100% loyal et sincère. Ce n’est pas ce que nous recherchons. Nous voulons que chaque confession nomme ses ministres, même si le Chef du gouvernement peut refuser des noms 10, 20 ou 30 fois, jusqu’à ce qu’on en trouve un qui convienne à tous. Mais cette idée a été catégoriquement rejetée par le Club des 4.
Finalement, Saad Hariri a déclaré qu’il acceptait exceptionnellement que le Ministre des Finances soit chiite, mais qu’il devait être désigné par le Premier ministre. Mais nous avions déjà rejeté cette idée 5 jours auparavant. Il prétendait qu’il buvait le calice empoisonné en acceptant cela, mais il n’y a aucune raison pour que tu avales du poison, ô Saad Hariri, nous te souhaitons la santé, et que Dieu te la préserve, et espérons qu’on finira par s’entendre, pas de problème. Mais ce que tu proposes n’es pas une solution, et ne peut être la solution. Ensuite, les 3 autres membres du Club des 4 ont déclaré qu’ils n’étaient pas d’accord avec ce qu’avait dit Saad Hariri. Je ne comprends pas bien cette histoire (qui sent le bluff et l’entourloupe à plein nez), mais ça ne nous intéresse pas.
Nous sommes arrivés à une impasse : nous n’étions d’accord ni sur la forme du gouvernement, ni sur qui désignerait les ministres, ni sur la rotation, ni sur la répartition des portefeuilles. Du fait de l’impasse, le chef du gouvernement a démissionné.
Je tiens à dire clairement qu’il y avait chez certains la volonté d’imposer un gouvernement de fait accompli. Je ne les nommerai pas, mais il y avait clairement la volonté d’envoyer tout le monde au diable en formant (unilatéralement) un gouvernement, en désignant les ministres et en le soumettant pour approbation au Président de la République. S’il signait, tant mieux. S’il ne signait pas, tout serait déchaîné contre lui. Mais ils estimaient qu’il signerait du fait de la situation difficile des chrétiens et du Courant Patriotique Libre, de sa volonté de voir son mandat couronné de succès, des pressions françaises, etc. Ils pensaient qu’il n’aurait pas le choix, même s’ils se trompent lourdement là-dessus, car ils sous-estiment le Président Aoun.
Mustapha Adib, voyant qu’il ne parviendrait à rien, n’obtiendrait pas de large soutien et ne voulant pas aller vers la confrontation, a décidé de démissionner, et c’était un choix respectable. Nous aurions souhaité qu’il patient un peu plus, mais qu’il soit parti de lui-même parce qu’il ne pouvait pas supporter la situation, ou qu’on lui ait demandé de se retirer, je ne le sais pas, mais c’est maintenant un détail puisqu’il a démissionné.
Après la démission du Premier ministre —je suis toujours dans le récit des faits, j’en arrive bientôt aux commentaires—, la machine médiatique stipendiée par les Américains (et leurs alliés) s’est déchaînée contre le Président Aoun, le Hezbollah ou le tandem Amal-Hezbollah, en fonction des cibles de chacun. Nous étions désignés comme responsables d’office, avant même l’échec de Mustapha Adib. La France s’est mise en colère et a annoncé une conférence de presse du Président Macron, et tous les Libanais attendaient de voir à qui ils allaient faire porter le chapeau. Et nous avons tous entendu sa conférence de presse, et les questions-réponse des journalistes libanais (pro-occidentaux) qui ont suivi.
Après avoir résumé les faits, je tiens donc à faire les commentaires suivants et à clarifier pour tous les points suivants.
Premièrement, ce qui a été proposé durant le mois dernier —après que les 15 jours se soient écoulés, 15 jours ont été ajoutés, ce qui fait un mois—, ce n’est pas un gouvernement visant à sauver le Liban. Ce qui était proposé par le Club des 4, c’est qu’en fin de compte, tous les groupes parlementaires du pays, toutes les forces politiques libanaises, le Président du Conseil et le Président de la République leur livrent le pays, sans condition, sans discussion, sans débat, et sans poser la moindre question. Quelle sera la nature du gouvernement, de qui sera-t-il composé, comment seront répartis les ministères, etc., aucun de ces points ne devait être débattu, et il fallait s’en remettre aveuglément aux 4 anciens Premiers ministres et accepter le gouvernement qu’ils s’apprêtaient à former (unilatéralement), sinon, les sanctions allaient tomber, de même que les pressions françaises qui allaient nous faire porter la responsabilité aux yeux du peuple libanais et de la communauté internationale, nous présentant comme des saboteurs. Voilà ce qui est proposé depuis 1 mois.
Bien sûr, tout cela était fondé sur une base erronée. Dans ce projet, le plus important était de voir si le duo Hezbollah-Amal acceptait le plan ou non. Je dis les choses en toute franchise. C’est pour cela qu’ils n’ont négocié, discuté et débattu avec personne d’autre. Ils se disaient que si le Hezbollah et Amal marchaient, personne ne serait capable de stopper ce projet, car même si le Président Aoun voulait exercer ses prérogatives constitutionnelles, il se retrouverait isolé, confronté et soumis aux pressions. (Je vous le dis) pour que vous compreniez notre position. Ce qui est proposé depuis un mois, ce n’est pas un gouvernement de sauvetage, mais un gouvernement désigné par un Club formé des 4 anciens Premiers ministres, composé de 14 ministres, une sorte de Conseil d’administration, de fonctionnaires spécialistes dont la décision politique est entièrement acquise à un seul groupe, qui fait partie de la minorité parlementaire au Liban et ne représente qu’une seule couleur politique (celle du 14-Mars). Ils représentent une large partie des sunnites, mais ils ne représentent (même) pas l’ensemble des sunnites. Il y a beaucoup de députés sunnites élus qui ne font pas partie de cette alliance (et sont proches du Hezbollah).
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