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Sergueï Lavrov : l’acharnement de l’OTAN en Ukraine vise à maintenir sa domination mondiale


Le Cri des Peuples

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Fév 1
Discours et réponses aux questions des médias de Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d’une conférence de presse sur les résultats de la diplomatie russe en 2022, Moscou, 18 janvier 2023.

Chers collègues,

Bonjour!

La tradition veut que nous nous réunissions au début de la nouvelle année pour parler des résultats et des événements de l’année écoulée. Ce fut une année très difficile, unique à certains égards. Des tendances profondes se sont révélées dans la géopolitique et dans les aspirations internationales des principaux États, qui avaient couvé depuis des décennies.

Les collègues occidentaux ont cherché à transformer l’Ukraine et tout ce qui s’y rattache en un événement médiatique, politique et économique majeur, accusant la Fédération de Russie de ce que « l’agression » contre l’Ukraine soit la cause de tous les malheurs économiques du monde. Je ne m’attarderai pas à réfuter ces affirmations. Les statistiques, notamment celles de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et d’autres agences internationales, montrent de manière convaincante que la crise couvait bien avant le lancement de l’opération militaire spéciale. Le président russe Vladimir Poutine a cité à plusieurs reprises des données décrivant comment les phénomènes négatifs dans l’économie mondiale avaient commencé, principalement en raison de la position égoïste des États-Unis et de leurs alliés.

Ce qui se passe actuellement en Ukraine est le résultat d’années de préparation par les États-Unis et leurs satellites pour lancer une guerre hybride mondiale contre la Fédération de Russie. Personne ne le cache. Si vous lisez des personnalités occidentales impartiales, notamment des politologues, des universitaires et des politiciens, vous en aurez la preuve. L’autre jour, un article de Ian Bremmer, professeur à l’université Columbia, a été publié. Il a écrit : « Nous ne sommes pas dans une ‘guerre froide’ avec la Russie. Nous sommes dans une ‘guerre chaude’ avec la Russie. L’OTAN ne la combat pas directement. Nous nous battons à travers l’Ukraine. » C’est un aveu très franc. Cette conclusion est facile à faire. Il est étrange que les gens essaient de la réfuter. Le président de la Croatie, Zoran Milanovi?, a récemment déclaré que c’était la guerre de l’OTAN. C’est franc et honnête. Quelques semaines auparavant, Henry Kissinger (avant que son dernier article n’appelle à l’admission de l’Ukraine dans l’OTAN) a clairement écrit que ce qui se passe en Ukraine est un clash, une rivalité entre deux puissances nucléaires pour le contrôle de ce territoire. Il est assez clair de quoi il s’agit.

Nos partenaires occidentaux mentent lorsqu’ils nient et « s’égosillent » à démontrer qu’ils ne sont pas en guerre contre la Russie, mais qu’ils aident seulement l’Ukraine à faire face à une « agression » et à rétablir son intégrité territoriale. Les volumes de soutien montrent clairement que l’Occident a misé gros sur sa guerre contre la Russie. C’est compréhensible.

Les événements ayant trait à l’Ukraine ont révélé un désir sous-jacent de la part des États-Unis de cesser de chercher à renforcer leur position dans le monde par des moyens légitimes et de passer à des méthodes illégitimes pour assurer leur domination. Tout est en jeu. Les mécanismes créés par l’Occident, États-Unis en tête, qui étaient considérés comme sacro-saints, ont été détruits (ce que l’on voit en Ukraine est loin d’en être la seule preuve). Le marché libre, la concurrence loyale, la libre entreprise, l’inviolabilité de la propriété, la présomption d’innocence – tout ce sur quoi le modèle occidental de mondialisation avait été fondé – s’est effondré du jour au lendemain. Les sanctions contre la Russie et d’autres pays « indésirables » sont appliquées en contradiction avec ces postulats et mécanismes. Il est clair que demain, après-demain, elles pourront être utilisées contre tout État qui, d’une manière ou d’une autre, ne se conformera pas inconditionnellement aux injonctions américaines.

L’Union européenne s’est complètement soumise au diktat américain (il n’est pas nécessaire d’en parler longuement). L’apothéose de ce processus, qui prend forme depuis plusieurs années, a été la signature de la déclaration conjointe sur la coopération entre l’UE et l’OTAN le 10 janvier dernier. Elle stipule expressément que l’alliance et l’UE ont pour mission d’utiliser tous les moyens politiques, économiques et militaires dans l’intérêt du « milliard doré ». Elle le dit explicitement – dans l’intérêt du milliard de citoyens de l’OTAN et de l’UE. Les autres, selon les termes du haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, sont des « jungles » qui empêchent le « jardin en fleurs » de se développer. Il faut donc les reformater, les adapter à ses besoins, les transformer en un nouveau type de colonie et siphonner impitoyablement leurs ressources à l’aide de nouvelles méthodes. Les moyens sont connus : diabolisation, chantage, sanctions, menaces de recours à la force et bien d’autres. Aujourd’hui, l’Occident se fait davantage remarquer par la destruction des liens traditionnels des partenaires historiques dans différentes régions, leur fragmentation et leur déstabilisation. Nous pouvons le constater dans les Balkans, dans l’espace post-soviétique, surtout si nous analysons les actions des États-Unis, de leurs « clients » et de leurs « suppôts » en Asie centrale et en Transcaucasie.

Tout ce qui se passe autour de l’Ukraine est resté longtemps en gestation. En 2004, il y a eu le premier Maïdan. C’est la première fois que des responsables européens ont alors déclaré que l’Ukraine devait choisir entre l’Occident et la Russie. Depuis lors, ce dilemme a été constamment promu dans la politique occidentale à l’égard de la région. Ceux qui ont choisi le « mauvais camp » dans le cadre de ce dilemme et qui ont pensé que leurs liens historiques, leur parenté, leurs traditions et leurs croyances religieuses les liaient à la Fédération de Russie (bien qu’ils vivent en Ukraine) ont été « broyés », d’abord plus ou moins gentiment, puis impitoyablement, ils ont été exclus de la vie politique et soumis à des poursuites pénales. Il s’agissait notamment d’assassiner des journalistes et des hommes politiques insoumis et de fermer les médias qui ne reflétaient pas le point de vue « officiel ». La création d’un État policier et nazi battait son plein. En fait, elle a été achevée avec la « bénédiction » de l’Occident. L’alternative « soit avec l’Occident, soit avec la Russie » avait été nécessaire pour identifier ceux qui n’étaient pas avec l’Occident mais se tournaient contre lui. Ils ont commencé à être activement punis.

Pour en revenir à la déclaration de l’OTAN et de l’UE. C’est un document intéressant. Les deux structures sont déclarées « alliance des démocraties contre les autocraties dans la compétition mondiale ». Un programme délibérément conflictuel est proclamé au monde. Dans le même temps, l’Europe a perdu son autonomie. La déclaration commune place explicitement les Européens dans une position subordonnée à l’Alliance de l’Atlantique Nord. Elle contient leur engagement à servir les intérêts américains dans l’endiguement géopolitique de la Russie et de la Chine. L’objectif déclaré (il était connu de tous, mais il a été documenté une fois de plus) est de parvenir à la suprématie mondiale de l’alliance dirigée par les Américains.

L’OTAN ne se limite pas à organiser la vie du continent européen. La responsabilité globale du bloc militaire est proclamée depuis le sommet de Madrid en juin 2022, notamment en ce qui concerne la région Asie-Pacifique, que les membres de l’OTAN appellent l’Indo-Pacifique. Il est clair qu’il s’agit d’une tentative de flirter avec l’Inde afin de rendre les relations avec la Chine encore plus complexes. Le slogan de l’indivisibilité de la sécurité dans l’Euro-Atlantique et l’Indo-Pacifique est revendiqué. C’est un jeu de mots. Depuis les années 1990, l’OSCE et le Conseil OTAN-Russie se sont engagés sous serment à respecter le principe de l’indivisibilité de la sécurité. Cela signifiait une sécurité égale pour chaque État et un engagement à ne pas renforcer la sécurité des uns au détriment de celle des autres. L’expression est désormais sortie de son contexte et elle a reçu une nouvelle signification : l’indivisibilité des intérêts de l’OTAN et de l’Indo-Pacifique. La différence est perceptible.

La région indo-pacifique, comme l’appellent les Occidentaux, se dirige vers la création d’une architecture en bloc dirigée contre la Russie et la Chine. À cette fin, les mécanismes et les formats de coopération qui ont été créés pendant des décennies autour de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) sur les principes d’égalité, de recherche de consensus et d’équilibre des intérêts sont constamment détruits (bien qu’ils préfèrent garder le silence à ce sujet). Au lieu de cela, des blocs militaires sont assemblés. L’exemple le plus frappant est celui d’AUKUS. Il s’agit d’un bloc anglo-saxon en Asie (il comprend les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie). Le Japon est activement entraîné dans cette structure. Une récente visite du Premier ministre Fumio Kishida à Washington s’est soldée par une confirmation de cette orientation. Le Japon s’engage une fois de plus sur la voie de la militarisation. Les articles de la constitution qui l’empêchent doivent être modifiés, si je comprends bien. Le processus est en cours.

Je ne vais pas entrer dans les détails de ce que l’Occident fait dans d’autres zones géopolitiques. Aujourd’hui, nous considérons que la position des États-Unis et de l’Occident est le principal problème qui crée des difficultés tous azimuts. En bref, cela se résume approximativement à ce qui suit. La politique du diktat de Washington dans les affaires internationales signifie littéralement la chose suivante : les Américains sont autorisés à faire ce qu’ils veulent et où ils le veulent (même à l’autre bout du monde). Tout ce qu’ils jugent nécessaire, ils le font. Personne d’autre n’est autorisé à faire quoi que ce soit sans l’approbation des États-Unis, même en réponse à des menaces directes pour sa sécurité posées par les États-Unis eux-mêmes aux frontières des autres pays.

De même que Napoléon avait mobilisé pratiquement toute l’Europe contre l’Empire russe, de même qu’Hitler avait envahi, « appelé aux armes » la plupart des pays européens et les avait lancés contre l’Union soviétique, les États-Unis ont formé une coalition de pratiquement tous les Européens au sein de l’OTAN et de l’UE et, par le biais de l’Ukraine, mènent une guerre « par procuration » contre notre pays avec le même objectif – la solution finale de la « question russe ». Hitler avait voulu une solution finale à la « question juive ».

Aujourd’hui, les hommes politiques occidentaux (non seulement ceux des pays baltes et de la Pologne, mais aussi ceux de pays plus « sains d’esprit ») affirment que la Russie doit subir une défaite stratégique. Dans certaines publications, les analystes politiques parlent activement de la nécessité de décoloniser la Russie. Ils disent une fois de plus, que notre pays serait trop grand et se trouverait « en travers du chemin ». L’autre jour, j’ai lu un article publié dans The Telegraph qui appelle à la libération de l’Abkhazie, de l’Ossétie du Sud, de la Transnistrie, réservant la Carélie, Koenigsberg et les Kouriles pour des fins de négociations. Il est clair qu’il s’agit d’un tabloïd. Nous sommes obligés de lire la presse à sensation car elle fait parfois la une du flux d’actualités.

Ces déclarations sont nombreuses, y compris de la part de notre opposition non systémique. Aucun des hommes politiques occidentaux ne le réfute. Le président français Emmanuel Macron, en plus de son projet de communauté politique européenne, qui est directement proclamé comme un format auquel tous les Européens, à l’exception de la Russie et du Belarus, seront invités, a avancé une nouvelle idée – convoquer une conférence des États européens. Il a suggéré d’inviter les membres de l’Union européenne, les pays du Partenariat oriental (Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan), la Moldavie et l’Ukraine. Je doute que les Biélorusses soient invités. Mais il est question de l’UE, des pays du Partenariat oriental et, j’attire votre attention, des émigrés de Russie engagés dans des activités politiques intenses à l’étranger. Il est stipulé (non pas dans la présentation d’Emmanuel Macron, mais dans les commentaires qui ont suivi) que certaines régions de Russie qui « aspirent à garder des liens avec l’Europe » pourraient être invitées à la conférence des États européens. J’estime que ce dont il est question est clair. La situation n’est pas du tout noire et blanche, comme les collègues occidentaux tentent de la dépeindre, mais elle reflète une trajectoire vers la domination mondiale, l’assujettissement inconditionnel de tout et de tous sous la menace d’une « punition ».

Aucun des politiciens occidentaux ne parle d’autre chose que de sanctions. Récemment, à Davos, Ursula von der Leyen a une fois de plus menacé la Russie et le Belarus de nouvelles sanctions. Ils savent comment les introduire, disent-ils, pour « asphyxier » l’économie russe afin qu’elle tombe en récession pendant des décennies. C’est de cela qu’il s’agit. Il y a une expression – les masques sont tombés. Pendant des années, les sanctions contre un pays qui violait le droit international et ses obligations étaient discutées au Conseil de sécurité des Nations unies. A chaque fois, les Occidentaux, qui étaient à l’origine de telles ou telles mesures, ont juré qu’ils ne parlaient pas de sanctions qui puniraient les peuples, la population, mais de celles dirigées « contre les régimes ». Où sont ces exhortations aujourd’hui ?

Les sanctions contre la Russie sont ouvertement déclarées comme visant à amener le peuple à faire une « révolution » contre les dirigeants actuels de notre pays. En l’occurrence, plus personne n’observe la moindre décence et personne ne le fera. Néanmoins, cette réaction, une tentative frénétique d’assurer par tous les moyens, de gré ou de force, par des méthodes interdites, la domination des États-Unis et du reste de l’Occident (que Washington a complètement assujetti), reflète la compréhension qu’historiquement, ils agissent contre le cours objectif des événements et, en fait, tentent d’empêcher la formation d’un monde multipolaire. Un tel changement ne se met pas en place sur décision prise dans des « bureaux situés sur les rives du Potomac » ou dans une autre capitale, mais par des moyens naturels.

Les pays se développent économiquement. Regardez la Chine et l’Inde (nos partenaires stratégiques), la Turquie, le Brésil, l’Argentine, l’Égypte, de nombreux pays du continent africain. Le potentiel de développement y est énorme, compte tenu des gigantesques réserves de ressources naturelles. De nouveaux centres de croissance économique prennent forme. L’Occident tente d’y faire obstacle, notamment en spéculant sur les mécanismes conçus pour servir ses intérêts dans la mondialisation qu’il a créée. Dans ce cas, le rôle du dollar en tant que monnaie de réserve est majeur. Par conséquent, dans nos contacts au sein de l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai), des BRICS, de la Communauté des États indépendants (ex-URSS), de la CEEA (Communauté économique des États de l’Afrique centrale), en coopération avec les associations d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, nous essayons par tous les moyens de construire de nouvelles formes de coopération afin de ne pas dépendre de l’Occident et de ses méthodes (désormais clairement) néocoloniales. Le président russe Vladimir Poutine l’a dit franchement et clairement. Ces méthodes ne sont utilisées que pour piller le reste du monde dans les nouvelles conditions. Avec nos partenaires fiables, avec les pays amis, nous construisons de telles formes d’interaction qui nous seront bénéfiques. Ils ne peuvent pas être influencés par ceux qui veulent assujettir le monde entier.

Voici mon bilan de l’année écoulée. L’essentiel est que les processus auxquels nous avons assisté cette année n’ont pas commencé hier, mais il y a de nombreuses années. Ils vont continuer. Il faudra du temps pour former un monde multipolaire, pour finaliser les relations nécessaires pour que la démocratie, la justice et le respect du principe de la Charte des Nations unies (respect de l’égalité souveraine de tous les États) prévalent dans le monde. La Charte des Nations unies constitue une bonne base. Lorsqu’elle a été adoptée, c’était un document révolutionnaire. Malheureusement, tous les bons principes ont été pervertis par l’Occident. Le principe de l’égalité souveraine des États, de la non-ingérence dans les affaires intérieures et du règlement pacifique des différends n’était pas respecté. Plusieurs centaines de fois depuis la création de l’ONU, les États-Unis ont engagé leurs forces militaires à l’étranger. Dans la plupart des cas, en violation flagrante de la Charte de l’Organisation.

Le processus de formation d’un ordre mondial multipolaire sera long. Il faudra une certaine époque historique. Nous sommes en plein milieu de ce processus. Parfois, les participants directs à des événements de cette envergure ne voient pas tout d’emblée, c’est pourquoi le contact permanent entre eux, l’échange d’évaluations et d’impressions sont très précieux pour nous. Cela s’applique non seulement à nos partenaires dans les pays étrangers, mais aussi à nos collègues des médias. Vos observations et les questions que vous souhaitez poser nous sont utiles.

Question: Comment évaluez-vous les chances d’organiser cette année des pourparlers entre la Russie et les principaux pays occidentaux sur l’Ukraine avec les Etats-Unis en tête ? Quels dossiers de sécurité dans le cadre du règlement ukrainien la Russie voudrait-elle mettre sur la table des négociations ? Admettez-vous la probabilité que cette année la phase militaire active soit arrêtée ?

Sergueï Lavrov: À propos de la phase militaire active. Nos militaires ont commenté ce sujet plus d’une fois. Le président de la Russie Vladimir Poutine a une fois de plus personnellement confirmé que l’opération militaire spéciale avait des objectifs réels et pas « pris au hasard », mais déterminés par les intérêts fondamentaux et légitimes de la sécurité de la Fédération de Russie, ses positions dans le monde, principalement dans notre futur proche.

En Ukraine, comme dans tout autre territoire limitrophe de la Fédération de Russie, il ne devrait y avoir aucune infrastructure militaire qui constitue une menace directe pour notre pays, de discrimination, de persécution contre nos compatriotes. Par la volonté du destin, ils se sont avérés être des citoyens de l’État ukrainien, mais ils veulent préserver leur langue, leur culture et leurs traditions, élever leurs enfants dans ces traditions en pleine conformité avec la Constitution de l’Ukraine qui garantit le libre usage et la protection du russe et d’autres langues des minorités nationales. La langue russe y est particulièrement mise en valeur. Cette Constitution reste en vigueur.

Nous avons envoyé aux médias des documents énumérant les articles de la Constitution, puis les obligations spécifiques de l’Ukraine en vertu des conventions internationales, ainsi qu’une liste volumineuse de lois adoptées en violation de la Constitution et des obligations internationales de l’État ukrainien. J’ai été surpris par l’interview du président ukrainien Vladimir Zelenski à ZDF en octobre 2022. Il disait que si la Russie était autorisée à gagner, alors d’autres grands pays décideraient qu’eux aussi « pourront ». Et il y a suffisamment de pays de ce type sur différents continents. Par conséquent, ils auraient « étouffé » les petits et se seraient partagé tout le reste. Vladimir Zelenski a souligné qu’il est pour un scénario différent: quand tout le monde sur la planète saura que peu importe où il vit, il a les mêmes droits et il est aussi protégé comme toute personne dans le monde. C’est ce qu’a déclaré un homme qui, en novembre 2021 (un an auparavant), déclarait qu’à l’est vivaient des « spécimens », pas des gens. Et même plus tôt, en août de la même année, Zelenski a noté que si un citoyen ukrainien se sent russe et pense en russe, veut rester russe, alors pour l’avenir de ses enfants et petits-enfants, il doit partit en Russie. C’était le même homme qui déclare maintenant qu’il rêvait que tous soient égaux et que chacun puisse vivre comme il l’entend. Il est clair que ces « belles » paroles sont prononcées pour les besoins de l’Occident, mais tout cela caractérise « fort » le régime actuel. La raison pour laquelle nous ne pouvons pas renoncer aux objectifs fondamentaux d’une opération militaire spéciale est claire.

Quant aux perspectives de négociations. Cela a déjà été discuté et évoqué des dizaines de fois. Je ne veux pas répéter des faits évidents. À partir de mars 2021, nous soutenions la demande de négociation de l’Ukraine. De plus, nous avons finalisé le projet de règlement proposé par ce pays. Mais l’Ukraine a été « remise à sa place » et a déclaré qu’il était trop tôt. Depuis, après le printemps 2022, tout l’été et jusqu’au début de l’automne, les responsables occidentaux n’ont cessé de répéter qu’il était trop tôt pour entamer des négociations. Le pays doit recevoir plus d’armes afin qu’il puisse entamer les négociations à partir d’une position plus forte. Le secrétaire général de l’Alliance, Jens Stoltenberg, a clairement déclaré l’autre jour que « l’armement de l’Ukraine est la voie de la paix ». Vladimir Zelenski lui-même avance des initiatives complètement absurdes en dix points: la sécurité alimentaire, énergétique et biologique, le retrait des troupes russes de partout, le repentir de la Fédération de Russie, un tribunal et la condamnation.

Il ne peut être question de négociations avec Zelenski parce qu’il a législativement interdit de négocier avec le gouvernement russe. Tout ce bavardage occidental selon lequel ils sont prêts pour quelque chose, mais nous ne le sommes pas, c’est de la perfidie.

Vous avez demandé quelles étaient les perspectives de négociations entre la Russie et l’Occident sur le dossier ukrainien. Nous serons prêts à répondre à toutes les propositions sérieuses, les examiner et décider. Jusqu’à présent nous n’avons pas vu de telles propositions. On entend des incantations dans les capitales occidentales selon lesquelles « pas un mot sur l’Ukraine sans l’Ukraine ». C’est absurde. En fait c’est l’Occident qui décide pour l’Ukraine. Ils ont également interdit à Vladimir Zelenski de conclure un accord avec la Russie fin mars 2022, alors qu’un tel accord était déjà prêt. C’est donc l’Occident qui décide. Il a décidé sans l’Ukraine pour l’Ukraine que ce n’était pas le moment. Maintenant ils disent la même chose: qu’ils doivent obtenir plus d’armes et épuiser la Fédération de Russie.

Je ne sais pas qui est responsable de la planification de la défense là-bas. Il y a eu une réunion entre le directeur de la CIA William Burns et le chef de la Sécurité extérieure Sergueï Narychkine. Cette rencontre a été proposée par le président américain Joe Biden, et le président russe Vladimir Poutine l’a accepté. Elle a eu lieu. Il n’y a eu aucune révélation.

L’Occident, dans les contacts sporadiques et rares qui ont lieu à un niveau ou à un autre, ne dit en principe rien qui sortirait du cadre de ses déclarations publiques. Notre position sur cette question est bien connue. Parler avec l’Occident uniquement de l’Ukraine est inutile. Il utilise l’Ukraine pour détruire le système de sécurité qui existait dans la région euro-atlantique depuis de nombreuses années et qui était fondé sur les principes de consensus sur l’indivisibilité de la sécurité, résolvant tous les problèmes par le dialogue et la coopération. L’incarnation de ces idéaux était l’OSCE, que l’Occident « enterre » maintenant, tout comme il a pratiquement « enterré » le Conseil de l’Europe. Organisations créées pour le dialogue et la recherche de consensus, les compromis sont maintenant utilisés pour promouvoir la même politique de domination totale des États-Unis (devant le reste de l’Occident) en tout et partout. Nous dire qu’ils vont « inventer » quelque chose avec l’Ukraine et que tout le reste leur appartiendra? Non. Une conversation honnête sera nécessaire.

Je pense qu’à l’étape actuelle nous n’avons pas besoin de prendre l’initiative dans les directions que l’Occident lui-même a « fermées », y compris comme il l’a fait au Conseil de l’Europe, dont tout le monde était si fier. De plus, il existe plusieurs dizaines de conventions au sein du Conseil de l’Europe, où il n’est pas obligatoire d’être membre du Conseil de l’Europe, mais il est autorisé à y participer. L’Occident a également décidé d’annuler la Russie et d’ériger des obstacles discriminatoires à la participation de nos représentants au travail des organes compétents de ces conventions qui sont ouvertes aux non-membres du Conseil de l’Europe. Dans cette situation, des conditions inacceptables sont mises en avant pour la participation de nos représentants aux événements d’examen. Dans ces conditions nous ne nous y résignerons pas. Récemment, pour cette raison, ils se sont retirés de la Convention sur la lutte contre la corruption. Cela ne signifie pas que nous avons cessé de lutter contre la corruption, mais que nous ne voulons pas nous asseoir sur le « strapontin » dans l’organe compétent et écouter les leçons occidentales au cas où nous serions lésés même dans nos droits procéduraux. Je peux donner beaucoup d’exemples.

Question: De nombreux Européens pensent que la Russie ne s’est pas montrée du meilleur côté en ouvrant les hostilités. Ainsi, elle agit comme le reste des pays impérialistes, comme les États-Unis. Ils ont démoli près de la moitié de la planète, en violation du droit international, afin de s’emparer d’un certain territoire. De telles critiques sont souvent entendues en Grèce, à Chypre et dans les Balkans, comme eux aussi sont victimes d’une telle politique. Vous êtes l’un des meilleurs experts en la matière. On dit qu’il y a des menaces dans la mer Égée de la Turquie contre la Grèce. Comment contesteriez-vous une telle position ?

Sergueï Lavrov: Je ne vais rien contester. Je vais juste donner mon avis. Vous avez dit que la Russie n’avait pas montré ses meilleures qualités lorsque l’opération militaire spéciale a commencé. C’est une formulation intéressante.

Nous avons montré nos « meilleures qualités » après la disparition de l’Union soviétique. Le président russe Vladimir Poutine en a parlé à plusieurs reprises. En 2001, après son élection à la présidence, l’une de ses premières visites à l’étranger était en Allemagne, où il s’est exprimé au Bundestag en allemand. Ainsi, Vladimir Poutine s’est personnellement « intégré » à la réconciliation historique entre l’Allemagne et notre pays. Cette réconciliation a eu lieu à la fin des années 1980-début des années 1990 depuis la chute du Mur de Berlin et l’unification de l’Allemagne. C’était une réconciliation au niveau étatique et officiel. Vladimir Poutine s’est personnellement « intégré » à cette réconciliation historique entre les Russes et les Allemands. N’oublions pas que l’Allemagne s’est unie principalement grâce à l’Union soviétique. Parce que le reste des puissances vainqueurs, pour ne pas dire plus, ne le voulait pas vraiment.

Nous étions prêts et avons montré nos meilleures qualités depuis longtemps en termes de respect du droit international et de recherche de solutions qui profiteront à toute l’Europe et à toute l’humanité. J’ai cité l’exemple du premier Maïdan ukrainien (2004), lorsque l’Europe officielle a déclaré que l’Ukraine devait choisir si elle était avec l’Europe ou avec la Russie. C’était trois ans avant le discours de Vladimir Poutine à Munich. Nous espérions alors que la raison l’emporterait et que l’Europe comprendrait qu’il était impossible de tromper constamment et de déplacer l’Otan vers l’Est contrairement aux promesses. Il ne faut pas le faire non seulement contre des promesses verbales, mais aussi contre des engagements écrits à l’OSCE. Personne ne renforce sa sécurité au détriment de celle des autres. Aucune organisation de l’espace de l’OSCE ne peut revendiquer un rôle dominant. C’est écrit. Il y a des signatures en dessous, y compris les chefs d’État de la Grèce, des États-Unis et de la Russie. La même formule selon laquelle personne ne devrait revendiquer la domination en Europe est écrite dans les documents du Conseil Otan-Russie au plus haut niveau.

Si vous pensez que l’élargissement imprudent de l’Alliance malgré nos protestations officielles est l’accomplissement de cet engagement, alors nous pouvons difficilement nous comprendre ici. Je suis sûr que vous ne le pensez pas et comprenez parfaitement ce qui est en jeu. Vous avez dit que nous nous sommes comportés comme le reste des pays impériaux. Oui. On nous appelle à nouveau un empire. Je laisse ces termes à la discrétion des spécialistes et des professionnels.

Nous sommes un pays où vit un grand nombre de nationalités, où il y a près de 300 langues, où presque toutes les religions du monde sont représentées, où règne le respect des traditions nationales de chacun des peuples. En tant que pays multinational et multiconfessionnel, nous nous développons depuis plus de 100 ans. Contrairement aux pratiques coloniales occidentales, nous n’avons jamais réprimé les peuples qui faisaient partie de l’Empire russe et ne les ont pas détruits, ne les ont pas jetés dans une sorte de « marmite à fondre », de sorte qu’ils ont tous perdu leur identité, leur originalité et tous sont devenus des « Américains, au même visage ». Ils n’ont pas réussi comme vous pouvez le constater ces derniers temps. Avec nous, tous ceux qui ont rejoint l’Empire russe ont conservé leurs coutumes, leurs traditions, leur identité, leurs coutumes et leurs langues.

Quant à la conquête du territoire et au fait que nous avons les mêmes « instincts » que les empires occidentaux. Les États-Unis envahissaient un territoire étranger environ 300 fois. Dans la plupart des cas, soit parce que quelqu’un des Américains a offensé quelqu’un – cela se produit régulièrement en Amérique centrale, dans les Caraïbes, soit parce que l’objectif était d’éliminer les menaces à la paix et à la sécurité. Par exemple, Saddam Hussein aurait eu des armes de destruction massive. Cela s’est avéré plus tard être une invention. La Libye, où ils voulaient détruire Kadhafi, qui leur semblait non pas un démocrate, mais un dictateur. Ils ont détruit l’Irak et la Libye, des pays prospères qui vivaient assez bien en termes de situation socio-économique. En Yougoslavie, ils ont décidé de démanteler les Balkans, y compris au profit de l’Allemagne, qui n’avait même pas attendu que l’UE élabore une ligne unique et avait reconnu la Croatie et la Slovénie. Ainsi, cela a rendu le processus irréversible et a coupé toutes les possibilités de recréer d’une manière ou d’une autre un format confédéral ou autre entre les pays des Balkans. La Serbie s’est opposée au fait que les Balkans devaient se soumettre à l’Occident. Qu’est-il arrivé à la Serbie? Joe Biden, étant sénateur, même un an avant le début de l’agression de l’Otan contre la Serbie, a déclaré en 1998 qu’il était favorable au bombardement de Belgrade, a proposé d’envoyer des pilotes américains et de faire sauter tous les ponts sur la rivière Drina, s’emparer de toutes leurs réserves de pétrole. Comme vous pouvez le voir, toutes les demandes du sénateur Joe Biden un an plus tard, en 1999, ont été satisfaites. Le magazine Time de l’époque a publié la couverture: « Imposer la paix aux Serbes. Un attentat à la bombe massif ouvre la porte à la paix ». Et rien. Pas de tribunaux. Personne n’y avait pensé.

Comme personne ne se souvenait des tribunaux lorsque les États-Unis ont envahi la Syrie sans aucune raison légitime et ont commencé à rasé des villes entières. Par exemple la ville de Raqqa a été complètement détruite. Des dizaines, des centaines de cadavres gisaient là pendant des mois sans aucun soin. Oui, la communauté internationale était là, et Médecins sans frontières et Reporters sans frontières disaient quelque chose quelque part. Mais il n’était pas question de tribunaux. Et lorsque la Cour pénale internationale a soudainement décidé d’enquêter sur les allégations de crimes de guerre commis par des Américains en Afghanistan, les États-Unis ont déclaré à la CPI qu’ils les mettraient tous sous sanctions et leur retireraient leur argent qui se trouvait dans des banques américaines. Et c’est tout. Cette haute instance de la justice internationale s’est tout simplement tue. On peut bien sûr comparer.

Mais nous protégions notre sécurité. Ils faisaient de l’Ukraine un terrain pour attaquer la Russie, sapant nos intérêts. En mer d’Azov il était prévu de construire des bases navales, principalement anglo-saxonnes. C’est une chose sérieuse.

Deuxièmement, l’humiliation des Russes, à qui la Constitution garantit leurs droits, est inacceptable, car ce sont nos compatriotes. Ils nous confient la protection de leurs intérêts légitimes garantis par la Constitution ukrainienne. Et le coup d’État inspiré par l’Occident en 2014 n’a en aucun cas provoqué même des tentatives d’établir un dialogue national en Ukraine. L’Occident s’est rangé du côté du régime, qui a immédiatement proclamé ses objectifs antirusses, son adhésion aux principes de la théorie et de la pratique du nazisme lorsqu’ils frappaient Donetsk et Lougansk. Personne n’enquête sur ces crimes. Il n’y a pas de tribunaux là-bas. Personne ne pense même à les créer. Lorsque cette guerre contre ceux qui n’acceptaient pas le coup d’État a été arrêtée, les accords de Minsk ont ??été signés. Vous savez comment l’Allemagne et la France, ainsi que Piotr Porochenko, les trois signataires (à l’exception du président Vladimir Poutine), ont déclaré qu’ils l’avaient fait pour gagner du temps, afin que les Ukrainiens puissent recevoir plus d’armes, afin qu’ils soient mieux préparés pour la prochaine phase de la guerre. Comment est-ce?

Pensez-vous que nous n’avons pas montré nos meilleures qualités non plus? Nous étions les seuls à poursuivre la mise en œuvre de ces accords de Minsk. Tout le monde était un tricheur dans cette situation et suivait les conseils des Américains.

Sur le fait que la Grèce et Chypre en souffrent également. Je ne sais pas pourquoi ils souffrent le plus. Nous étions toujours des amis proches des Grecs et des Chypriotes. Nous avons noté les métamorphoses qui ont eu lieu avec les dirigeants des deux pays.

Tout le monde sait comment on accumulait les forces pour déclencher une guerre hybride contre nous. Je ne peux même pas imaginer que les personnes occupant les postes de premier ministre, de président de pays européens, et plus encore de pays qui entretenaient des liens historiques de longue date avec la Fédération de Russie, ne connaissaient pas les faits ou ne sont pas en mesure de les analyser. La conclusion que je tire des positions prises par les pays européens, dont la Grèce et Chypre: ils ont été forcés, ou ils ont eux-mêmes accepté volontairement de se soumettre au diktat américain. Toute l’Europe est « aux ordres » des Etats-Unis. Plus personne ne permettra à l’Europe de parler d’une quelconque « autonomie stratégique ». Il y a un an, le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin, lorsqu’on discutait sur la nécessité d’envoyer plus de troupes américaines en Europe et qu’on lui avait demandé si ce serait sur une base permanente ou par rotation, avait répondu qu’ils décideraient à Washington. Personne ne demandera à l’Europe.

Nous en avons tiré des conclusions et bien sûr nous les tirerons par rapport à ceux qui ont si rapidement et si complaisamment soutenu l’agression contre la Fédération de Russie. Un jour cette guerre finira.

Nous défendrons notre vérité. Mais je ne sais pas comment nous allons vivre. Tout dépendra des conclusions que l’Europe en tirera.

Question: Après le début de l’opération militaire spéciale en Ukraine, nous constatons tous qu’il s’agit d’un véritable affrontement entre l’Occident collectif et la Russie et pas seulement. Les petits pays de la région se sont retrouvés dans une situation difficile, y compris la Géorgie. Les attaques radicales continues de groupes politiques et médiatiques contrôlés par les Américains qui tentent d’imposer des valeurs immorales et perverties des normes de comportement occidental. Elles sont étrangères à notre culture et à notre identité. Ainsi, l’Occident essaie de saper la souveraineté culturelle des petits pays et d’en prendre le contrôle. Le but ultime de cette politique mondialiste cynique est de sacrifier ces petits pays au nom de leurs intérêts politiques. Un triste exemple malheureusement est l’Ukraine. Le même danger menace la Géorgie et d’autres pays de la région. Dans ces conditions la question se pose de savoir si la Russie a une stratégie claire contre l’expansion culturelle destructrice de l’Occident et si cela sous-entend une coopération avec des pays qui peuvent être des alliés naturels dans la défense des valeurs conservatrices.

Sergueï Lavrov: La question est très large. Je viens de parler de l’Ukraine. Hier s’est tenue une réunion spéciale du Conseil de sécurité de l’ONU convoquée à notre initiative et consacrée aux menaces à la paix et à la sécurité internationales découlant de la politique du régime de Kiev dans le domaine des droits de l’homme, des minorités nationales, y compris les droits religieux.

La présence culturelle et la résistance aux tendances négatives par la préservation des valeurs traditionnelles sont directement liées à la religion et aux activités des églises orthodoxes russes et géorgiennes. En Ukraine ce n’est pas un instrument d’influence russe, mais une institution de préservation des traditions, de l’histoire, la transmission de ces traditions de génération en génération, est détruite, interdite et le clergé est soumis à l’arrestation, privé de citoyenneté – ce sont les méthodes par lequel l’Occident fait la guerre pour affirmer ses valeurs.

Nous sommes contraints de réagir symétriquement dans les cas où nos journalistes, politologues, politiciens, connus et capables de porter la vérité à un public étranger, sont « pénalisés » par les sanctions. Nous sommes obligés de répondre. Ce n’est pas notre choix. Même pendant la guerre froide, les scientifiques soviétiques et américains se rencontraient régulièrement et discutaient des questions d’actualité. Maintenant, il n’y a pratiquement pas de telle possibilité. Certains des représentants de la pensée politique occidentale s’adressent à moi parfois timidement par des canaux complètement officieux et me demandent: est-il possible d’organiser une sorte de séminaire quelque part en territoire neutre pour que « les vôtres » et « les nôtres » viennent. Personne ne posait cette question avant. Une institution négociait avec une autre institution. Désormais, nos partenaires occidentaux qui participaient à ces échanges ont tout simplement peur. Ils ont été suffisamment intimidés.

Je respecte la position de l’Église orthodoxe géorgienne qui défend ces valeurs. Dans l’ensemble, nous n’avons aucun problème avec le peuple géorgien.

Il y a eu une histoire en 2008, liée au fait que, encore une fois, l’Otan a joué son rôle, lorsqu’en avril de la même année, au sommet de l’Alliance à Bucarest, une déclaration a été adoptée selon laquelle la Géorgie et l’Ukraine feraient partie de l’Otan. Et la secrétaire d’État américaine Condoleezza Rice est venue en Géorgie un mois avant de donner l’ordre de bombarder Tskhinval et les positions des casques bleus. Mikhaïl Saakachvili « est devenu émotif ». Il a décidé qu’il s’agissait d’une indulgence.

Il a fallu un peu plus de temps aux Ukrainiens pour que « l’impulsion » de Bucarest atteigne la conscience des gens qui ont décidé d’expulser tout ce qui était russe de leur territoire. Nous sommes pour que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud construisent des relations avec la Géorgie. Il existe des mécanismes de dialogue auxquels nous participons également. Il y a assez longtemps, la partie géorgienne a présenté un projet de mise en œuvre d’activités économiques conjointes afin de renforcer la confiance. Ce sont toutes des choses utiles. Certes, les participants occidentaux aux Discussions de Genève entre la Géorgie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud (il s’agit de l’Union européenne, de l’ONU, de l’OSCE, des États-Unis) tentent maintenant de faire de ce format de dialogue un otage de ce qui se passe autour Ukraine. Ceci est indécent, non professionnel et signifie qu’ils déterminent leurs objectifs dans une région particulière en fonction de leurs propres griefs et caprices politiques.

Je suis heureux que les contacts interpersonnels avec la Géorgie se développent activement. En 2022, le PIB de la Géorgie a augmenté de 10%. En grande partie grâce au tourisme et aux relations commerciales avec la Fédération de Russie. J’espère que nous pourrons bientôt reprendre les vols directs.

Nous voyons comment la Géorgie et tous les autres pays subissent la pression de l’Occident, exigeant publiquement de se joindre aux sanctions contre la Fédération de Russie. Le fait qu’un petit pays et son gouvernement aient le courage de dire qu’ils seront guidés par leurs intérêts, les intérêts de leur économie – cela suscite du respect.

Question: Vous venez de dire que les masques ont été lâchés par l’Occident. Que diriez-vous de la déclaration plutôt franche du président finlandais Sauli Niinistö, lorsqu’il a comparé la Fédération de Russie au régime brutal nazi ? À l’époque soviétique, ils parlaient souvent d’impérialisme, de colonisateurs, et maintenant ces paroles sont de plus en plus entendues. De nouveaux termes sont également apparus – « néolibéralisme », « mondialisme ». On entendait ces paroles pendant 30 ans de la bouche de Guennadi Ziouganov et du Parti communiste de Russie, et maintenant de votre bouche et du président de la Russie. Comment pourriez-vous déterminer à qui la Russie s’oppose actuellement? Ces concepts sont-ils pertinents aujourd’hui et n’ont-ils pas disparu ?

Sergueï Lavrov: Concernant le discours du Nouvel An et une autre interview récente avec le président finlandais Niinistö. De la même manière que dans le cas de la Grèce et de Chypre, nous partions du principe que la Finlande était depuis de nombreuses années un modèle de relations amicales entre États. Depuis l’époque où on l’appelait « la coexistence de pays aux systèmes socio-politiques différents ». J’ai été surpris par la rapidité avec laquelle la Finlande (comme la Suède) a radicalement changé sa rhétorique. Apparemment, il s’agit d’un changement de position ou celle-ci était tellement antirusse et c’était bien camouflé avec de belles phrases sur la nécessité d’une maison européenne commune, le respect des principes de l’Acte final d’Helsinki. Ils ont même évoqué l’opportunité de tenir un sommet à Helsinki en 2025 consacré au 75e anniversaire de la fondation de l’OSCE. Je ne sais pas. Bien sûr j’ai été surpris par ces déclarations. Sauli Niinistö a directement comparé cela, tout comme Joseph Staline a attaqué la Finlande, Vladimir Poutine a attaqué l’Ukraine. Tout comme Joseph Staline en Finlande, Vladimir Poutine perdra en Ukraine. Pour être honnête c’est un monologue plutôt primitif. Mais les allusions à l’Allemagne nazie reflètent le fait que Sauli Niinistö y pense souvent. Il me semble qu’il faut bien se souvenir de l’histoire des Finlandais, ainsi que du fait qu’ils n’étaient pas (en fait) des victimes innocentes des processus qui se déroulaient avant la Seconde Guerre mondiale et après son début. Il est dommage que tout ce qui a été créé en Europe (y compris le rôle clef de la Finlande) soit maintenant soudainement détruit dans une large mesure par les efforts de la Finlande elle-même. Mais nous sommes voisins. On ne changera pas cela. La Finlande se précipite avec tant de zèle et de plaisir dans l’Otan et dit que cela garantira sa sécurité. Mais, comme nous l’avons dit, nous devrons tirer des conclusions de l’adhésion de la Finlande et de la Suède (si elle aura lieu) à l’Alliance et nous prendrons les mesures militaro-techniques appropriées de notre côté de la frontière.

Je n’ai pas évoqué le néo-impérialisme. Votre voisin a dit que nous nous comportions comme les autres puissances impériales. C’est une question de goût. Quant aux habitudes coloniales, le président Vladimir Poutine en a parlé. C’est une véritable évaluation de ce que l’Occident essaie de faire. Le colonialisme, c’est quand on envahit quelqu’un et vit à ses dépens. Mais on peut envahir de différentes manières. Au XVIIe siècle, on entassait les esclaves dans un navire, et on peut mettre au pas tous les plans, programmes de tel ou tel pays ou de telle ou telle structure, comme le font maintenant les Américains avec l’Union européenne. L’Islande n’est pas membre de l’Union européenne. Vous avez de la chance. L’UE a maintenant complètement perdu son indépendance. Il s’agit d’un attribut de l’Otan. Dans l’Union européenne, les déclarations publiques sur la discrimination sont en train d’apparaître. Le ministre de l’Economie de la France, Bruno Le Maire parlait de la nécessité d’encourager en quelque sorte les Américains à être plus attentifs à leurs intérêts, car l’industrie en Europe paie quatre fois plus pour le gaz que l’industrie aux États-Unis.

D’une manière générale, la transition à long terme vers le gaz naturel liquéfié, malgré les fluctuations de prix que nous connaissons actuellement, signifie une forte augmentation du coût de production en Europe. C’est drôle qu’il y a de nombreuses années, les Européens aient commencé à nous demander de ne pas signer de contrats à long terme, mais de passer à des prix au comptant. Après les évènements ukrainiens, les Européens ont décidé de chercher de nouvelles sources d’énergie et ils ont commencé à négocier au Qatar. L’émirat a dit « avec plaisir », s’il vous plait, un contrat de 15 ans minimum. Les Européens sont allés négocier avec les États-Unis. Hier, j’ai lu un message notant que les Américains disaient qu’on vous donnerait un bon prix mais seulement dans le cadre de contrats à long terme. Par conséquent la fiabilité et la capacité d’avoir une perspective durable, est plus importante que de suivre quotidiennement les zigzags sur l’une ou l’autre bourse. Mais l’industrie européenne commence déjà à se déplacer vers les États-Unis. Certains politologues, y compris les Occidentaux disent que l’un des objectifs de tout ce qui se passe autour de l’Ukraine est une forte baisse de la compétitivité de l’Europe. C’est une étape vers la réduction de la compétitivité de la Chine et d’autres rivaux sur les marchés mondiaux.

Bien sûr, le colonialisme se manifeste pleinement dans les relations avec les pays en développement. Regardez où vont les investissements américains. Elles s’accompagnent nécessairement soit de quelques revendications politiques, soit du déploiement de troupes américaines. Je ne vois pas de grandes différences. Je sais que de nombreux scientifiques étudient déjà ce phénomène de colonialisme dans les nouvelles conditions, ce n’est même pas du néo-colonialisme. Du point de vue des buts et objectifs, c’est purement du colonialisme. Maîtriser et utiliser les ressources dans ses intérêts.

Question: La diplomatie dispose d’un grand nombre d’outils, principalement la parole. À votre avis, en 2022 dans le monde de la diplomatie, quel mot a été le plus tragique, qui a donné de l’espoir, et quel mot le monde entier devrait entendre aujourd’hui.

Sergueï Lavrov: C’est une question lyrique. Nous pensons plus à des choses précises, on vous demanderait de décrire ce que nous faisons. Le mot « guerre », je n’ai pas peur de le dire. Ce qui se passe, c’est notre réponse, ce que, comme l’a dit le président, nous aurions peut-être dû faire un peu plus tôt. C’est la réponse (elle n’était pas en retard) à la guerre hybride qu’on a déclenchée contre nous. Sous le slogan promu dans diverses variantes par l’Occident dans son ordre du jour. Le mot qui donne de l’espoir est « victoire ». Et le troisième mot. Je pense que le mot « victoire ». Ceux qui veulent entendre le mot « négociations », malheureusement, n’en veulent pas eux-mêmes et manipulent ce terme de toutes les manières possibles afin de faire durer le plus longtemps possible cette guerre contre la Russie.

Question: Quelle place les États arabes occupent-ils dans la politique étrangère de la Fédération de Russie ? Les priorités pour ces pays ont-elles été révisées en 2022 ?

Sergueï Lavrov: Les Arabes sont nos loyaux amis de longue date. Nous maintenons des contacts réguliers tant par les voies bilatérales qu’avec la Ligue des États arabes et le Conseil de coopération des États arabes du Golfe. Hier, j’ai tenu une réunion régulière avec tous les ambassadeurs des pays membres de la Ligue des États arabes. En mai 2022, j’ai visité le siège de la Ligue des États arabes au Caire. J’ai tenu un discours devant tous les pays membres.

Je vois une compréhension de notre position. C’est loin d’être la même chose et même pas du tout de l’Ukraine, mais de la lutte pour un nouvel ordre mondial entre ceux qui croient qu’il devrait être complètement subordonné à leurs « règles », qui supposent la domination des États-Unis et de ses satellites et ceux qui veulent que l’ordre mondial soit démocratique.

J’en ai déjà parlé plus d’une fois. Les pays occidentaux demandent constamment la démocratie à tous, mais ils n’ont en vue que la structure interne de tel ou tel État. En même temps, bien sûr, vous n’avez même pas le droit de poser des questions sur la démocratie aux États-Unis. Il existe des études sur les dernières élections aux États-Unis: des morts ont été élus, une députée a reçu deux fois plus de voix que d’électeurs enregistrés dans son bureau de vote, vote par correspondance et bien plus encore. Cela ne peut pas être fait. Dès qu’on commence à leur parler de la démocratie des relations internationales ils s’en vont. Ils n’en veulent pas. Ils ont besoin de « règles » dans le monde. Non pas de droit international qui assure la démocratie, où chaque pays a des droits souverains égaux, mais des « règles », où ils dictent tout. La déclaration Otan-UE stipule: dans l’intérêt du « milliard ». La  » jungle » doit être protégée et utilisée de manière coloniale.

Aucun des pays arabes n’a adhéré aux sanctions, malgré la pression sans précédent et brutale de l’Occident. Lorsque j’étais à la Ligue des États arabes, avant que je ne commence mon discours, le secrétaire général de la Ligue arabe m’a dit que trois jours avant mon arrivée, une délégation d’ambassadeurs occidentaux était venue et avait exigé que j’annule mon discours.

Ayant reçu une réponse polie leur disant que c’était impossible car la Ligue des États arabes est ami avec la Russie, ils ont exigé qu’après mon discours, chaque membre de la Ligue arabe se lève et condamne l’agression russe ; ce à quoi on leur a également répondu poliment que chaque pays avait sa propre position et qu’il lui appartenait de la définir. Et enfin la troisième demande qui est, à mon avis, la plus humiliante pour l’Occident – qu’au moins ils ne se fassent pas prendre en photo avec moi. Je ne plaisante pas.

Ensuite, le personnel du Secrétariat a mis tout cela sur le papier qu’il a diffusé auprès de toutes les ambassades pour les informer de cette démarche. Je ne veux pas dire que cela m’a flatté en quoi que ce soit, mais pour la petite histoire, je noterai qu’après mon discours (qui a duré plus d’une heure), on m’a demandé de prendre une photo séparée avec chacun de ces ambassadeurs. Cela semble être une petite chose, mais qui demanderait beaucoup de courage politique de plusieurs autres pays, en particulier en Europe, pour faire de même.

Nos relations avec le monde arabe sont sur une trajectoire ascendante. Certes, dans nos relations commerciales et économiques, nous devons tenir compte des sanctions illégales, de l' »agonie » que nous constatons actuellement chez ceux qui dirigent le système monétaire et financier international. Nous construisons de nouvelles chaînes d’approvisionnement protégées de ces « colonisateurs ». Nous nous orientons de plus en plus vers des règlements en monnaies nationales. Nous avons de nombreux projets d’envergure mondiale. En Égypte, une centrale nucléaire et une zone industrielle sont en cours de construction avec la participation de la Russie. De nombreux projets sont en cours en Algérie. Nous avons des plans ambitieux avec le Maroc. Nous en avons avec pratiquement tous les pays africains. Il existe des commissions intergouvernementales sur le commerce et l’interaction économique avec les pays arabes. Au niveau des ministères des Affaires étrangère, nous avons le Forum de coopération russo-arabe. Pendant quelques années, nous n’avons pas pu nous rencontrer en présentiel à cause de la pandémie. Nous discutons actuellement avec le siège de la Ligue des États arabes pour organiser la prochaine réunion ministérielle dans l’un des pays de la région, à la discrétion de nos partenaires, sinon nous sommes toujours prêts à l’accueillir dans la Fédération de Russie.

En parlant du monde arabe, je ne saurais omettre d’évoquer le mécontentement évident de nos collègues face au fait que l’Occident, tout en exigeant quotidiennement quelque chose sur l’Ukraine, ne fait rien du tout sur la question palestinienne. Il est profondément frustrant de constater tant l’état d’avancement du dossier palestinien que celui du règlement libyen, qui, après que l’Occident a détruit la Libye, ne connaît aucun progrès. Des problèmes subsistent au sujet de l’Irak. Tous ces problèmes et d’autres encore concernant la région sont d’une importance secondaire, voire tertiaire, pour l’Occident par rapport au fait qu’il est essentiel d’épuiser la Russie et de lui infliger une défaite stratégique.

Nos collègues voient que nous avons une position différente. Nous l’apprécions. Nous ne relâchons pas nos efforts sur la question palestinienne, la Syrie et le règlement libyen. En ce qui concerne l’Irak, nous prévoyons des contacts de haut niveau avec nos collègues iraniens. Il est important de ne pas faire abstraction de ces conflits. Le conflit palestinien, en particulier, est le plus ancien conflit non résolu sur terre. Le Secrétaire général des Nations unies pourrait être un peu plus actif en tant que membre du Quatuor des médiateurs internationaux pour promouvoir cet agenda.

Question: Vous avez évoqué la ville de Raqqa et la politique prédatrice et agressive des États-Unis qui a transformé la ville en ruines. Les sanctions illégales, injustes et unilatérales contre le peuple syrien, l’occupation de certaines parties du territoire syrien prolongent la crise en Syrie, aggravant les conditions de vie du peuple syrien. Que pensez-vous de la violation du droit international et humanitaire par les États-Unis et leurs satellites contre la RAS et de l’interdiction du retour des réfugiés sur leur terre historique ?

Sergueï Lavrov: On pourrait en parler longtemps. Les sanctions sont inacceptables. C’est un exemple de plus du mensonge des Occidentaux qui prétendent que leurs sanctions n’affectent pas les gens ordinaires. Les sanctions visent précisément à aggraver la situation des gens et à les faire se rebeller contre leur gouvernement. Une chose si évidente, si banale.

Il y a des exceptions humanitaires. Regardez le volume de l’aide humanitaire qui arrive en Syrie. Si vous comparez les paramètres que l’ONU considère comme nécessaires à ce qui entre effectivement en Syrie, c’est environ la moitié. L’un des pires résultats de tous les programmes humanitaires.

L’Occident ne veut vraiment pas que les réfugiés retournent en Syrie. Même le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés avait distribué dans un camp de réfugiés syriens au Liban il y a quelques années un questionnaire spécial qui poussait clairement à croire que tout allait mal en Syrie et qu’il valait mieux rester au Liban. Nous avons fait un scandale et reçu des excuses. Le questionnaire a été retiré. Tout cela montre bien l’attitude de la communauté internationale vis-à-vis des réfugiés.

La raison en est politique. La résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies prévoit effectivement, entre autres, la tenue d’élections avec la participation de l’ensemble de la population syrienne. L’Occident a très envie, lors de ces élections (bien que la République arabe syrienne ait organisé ses propres élections sans aucune ingérence occidentale), de pouvoir à un moment donné imposer de « grandes élections » avec la participation des réfugiés. Ils savent comment assurer le « bon » vote dans les camps de réfugiés en faveur de l’opposition qu’ils nourrissent. C’est évident et odieux.

Les Américains ont compris que cela ne se payait pas de couver un certain Juan Guaido pour le Venezuela et qu’il fallait travailler avec ceux qui avaient le mandat du peuple. Les mêmes tendances se manifestent aujourd’hui à l’égard du président Bachar al-Assad. Les Américains ont des contacts privés avec les Syriens sur les prisonniers de guerre. D’autres pays, dont la Turquie, ont préconisé la normalisation des relations avec Damas. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré qu’il était prêt à rencontrer le président de la République arabe syrienne Bachar al-Assad. Ils nous ont demandé de faciliter cette démarche. Les ministres turc et syrien de la Défense se sont rencontrés avec le concours de la Russie, les ministres des Affaires étrangères préparent une réunion. Les pays arabes soit n’ont pas quitté la Syrie, ayant laissé leurs ambassades sur place, soit les y ont réouvertes. Ainsi, les Émirats arabes unis, pays qui possède une riche expérience de la médiation, l’utilisent de plus en plus à bon escient. Nous l’apprécions. La vie nous forcera à considérer toutes ces questions sur base des réalités, et non à partir d’une image idéale que quelqu’un d’autre se peint dans ses échafaudages géopolitiques.

Mais l’un des principaux problèmes est celui d’Idlib. Il est nécessaire de mettre en œuvre les accords conclus pour empêcher les terroristes d’y rester. Il y a aussi le nord-est, où il faut établir des contacts entre le gouvernement et les Kurdes. Nous comprenons l’inquiétude de nos collègues turcs face à ce problème et leur irritation de voir que les États-Unis veulent au contraire instrumentaliser les Kurdes pour, d’abord, créer un quasi-État dans l’est de la Syrie et, ensuite, faire en sorte que les Kurdes exécutent les instructions de Washington et suscitent constamment des éléments perturbateurs dans la région.

Mon collègue, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu m’a rappelé que la Russie avait signé en 2019 un mémorandum avec la Turquie, en vertu duquel nous nous sommes engagés à faciliter la coopération des Kurdes pour qu’ils reculent à une certaine distance de la frontière turque, à l’instar de l’accord de sécurité d’Adana entre la Turquie et la Syrie de 1998. M. Cavusoglu, mon bon ami, a dit que la Russie n’avait pas encore tout mis en œuvre. C’est juste. C’est une question compliquée. Mais nous avions d’autres accords avec les Turcs que celui sur le nord-est. Le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Tayyip Erdogan ont signé un protocole sur Idlib. Dans le cadre de cet accord, la Turquie s’est engagée à dissocier l’opposition coopérant avec la République de Turquie de Jabhat al-Nusra et de ses autres incarnations, afin que les terroristes ne se sentent pas les mains libres. En 2020, nous avons convenu d’une patrouille conjointe russo-turque sur la route M4 menant à Alep. Cela non plus n’a pas fonctionné jusqu’à présent. Il est donc nécessaire de poursuivre la réalisation des tâches convenues. Elles restent pleinement pertinentes.

Les questions relatives à la reconstruction économique de la Syrie revêtent une grande importance. L’Occident tente par tous les moyens de maintenir des canaux d’approvisionnement humanitaire hors du contrôle de Damas, à travers la frontière turque, vers Idlib. Nous n’en avons maintenu actuellement qu’un seul point de passage et ceci à condition que les méthodes légales et internationalement définies d’acheminement de l’aide humanitaire, c’est-à-dire par l’intermédiaire du gouvernement de la République arabe syrienne, soient privilégiées et que « la porte soit ainsi ouverte » au financement de projets de relèvement rapide. C’est-à-dire, il s’agirait non seulement de fournir de la nourriture et des médicaments, mais aussi de réparer les hôpitaux, les écoles, l’approvisionnement en eau et en énergie. On ne nous l’a pas seulement promis ; une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU a été adoptée à cet égard. Les Américains, entre autres, l’ont activement soutenue. Pour la deuxième année déjà, nous constatons très peu de progrès. C’est également une tâche à laquelle les Nations unies devraient s’atteler plus activement.

Question: Les relations entre la Russie et les États-Unis ne sont pas à leur mieux. Qu’est-ce qui, du point de vue de la Russie, doit être fait par Washington pour remettre les relations sur les rails ? Dans quelle mesure ces relations tendues entre la Russie et les États-Unis empêchent-elles la résolution d’autres crises, telles que celles du Yémen, de la Syrie, de la Libye et de l’Iran ?

Sergueï Lavrov: Lorsque deux pays influents ne coopèrent pas et, le plus souvent, ne se parlent même pas, cela affecte toujours leur capacité à contribuer à la résolution d’un tel ou tel problème international nécessitant des efforts conjoints. Il s’agit d’un facteur objectif. Que faut-il pour que ces relations se normalisent ? La « norme » est une certaine notion. Les choses ne seront plus comme avant. Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a récemment déclaré que les relations entre la Russie et l’OTAN et l’Occident ne seront plus ce qu’elles étaient par le passé.

Nous avons dit il y a longtemps qu’il n’y aurait plus de mensonges, lorsqu’on signe des documents et refuse ensuite de les appliquer. Cela a été le cas de la déclaration du Conseil Russie-OTAN, de la déclaration d’Istanbul de l’OSCE, de la déclaration de l’OSCE adoptée lors du sommet d’Astana en 2010, de l’accord de règlement de la crise en Ukraine en février 2014 (garanti par l’Allemagne, la France et la Pologne), des accords de Minsk, non seulement signés par l’Allemagne et la France, mais également approuvés à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies. Tous ces accords n’étaient même pas destinés à être appliqués par l’Occident. Ils nous ont tout simplement menti en signant ces engagements solennels au niveau des présidents et des premiers ministres. Voilà pourquoi nous avons cessé de croire sur parole encore plus tôt.

Pourquoi avons-nous l’habitude de croire sur parole ? En Russie, il était d’usage que lorsque les commerçants se mettaient d’accord sur quelque chose, ils ne signaient rien, ils se serraient la main et c’était tout. Si tu ne tiens pas tes promesses, personne ne vous respectera. Nous en avons été sevrés après qu’on nous ait promis de ne pas élargir l’OTAN. Par conséquent, nous avons pris l’habitude de signer des documents politiques et même juridiquement contraignants. La résolution du Conseil de sécurité sur les accords de Minsk est un document juridiquement contraignant. Aujourd’hui, on nous exhorte à ce que la Russie se retire de l’Ukraine, pour se conformer pleinement à la Charte des Nations unies. Celui-ci stipule, par ailleurs, que tous les membres de l’ONU sont tenus de se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité. La résolution du Conseil d

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