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Trump et son entourage qui déteste l’Iran


Publié par Gilles Munier sur 29 Janvier 2017,

Trump et son entourage qui déteste l’Iran

Par Paul R. Pillar (revue de presse : lescrises.fr – 28/1/17)*

Certains des responsables de la sécurité nationale, nommés par le président élu Trump, font partie des officiels de Washington appartenant au groupe « Nous détestons l’Iran », ce qui suscite des inquiétudes à propos d’une autre guerre au Moyen-Orient, fait remarquer l’ex analyste de la CIA Paul R. Pillar.

(Article paru aux Etats-Unis le 8 décembre 2016)

Les enjeux directs de l’adhésion ou non de l’administration Trump à l’accord qui apporte des restrictions au programme nucléaire iranien sont suffisamment importants en termes de non-prolifération nucléaire. Et importantes aussi sont les occasions de bâtir sur cet accord, de façon constructive, pour s’attaquer aux problèmes qui préoccupent à la fois l’Iran et les États-Unis.

Mais, au moment où la nouvelle administration élabore sa politique iranienne, il est nécessaire d’éviter un virage potentiellement dangereux, qui coûterait très cher aux intérêts étatsuniens dans sa relation avec l’Iran.

Souvenez-vous de la façon dont les options politiques étaient piégées dans le débat politique américain, il y a quatre ans à peu près, avant que les négociations qui ont conduit à l’accord nucléaire n’aient commencé. On parlait beaucoup, de façon alarmiste, de l’imminence de l’apparition d’armes nucléaires iraniennes, on discutait souvent et sérieusement de « l’option militaire » comme alternative principale aux négociations. En d’autres termes, on parlait de se mettre à faire la guerre à l’Iran, même si ce n’était pas la façon dont l’option était habituellement formulée.

Une attaque militaire, visant à détruire la simple possibilité de produire des armes que d’autres possèdent, y compris l’attaquant, voilà qui aurait été un pur acte d’agression et, de plus, illégal. Cette agression aurait, en outre, été contreproductive, probablement en précipitant la décision de l’Iran de fabriquer une arme nucléaire qu’il n’avait pas auparavant décidé de fabriquer.

Cependant cette alternative faisait néanmoins l’objet de discussions. Certains parlaient de l’alternative de l’attaque militaire en la considérant peut-être comme un bluff, mais, pour d’autres, c’était un véritable objectif.

Alors, en plus des autres revers subis par les intérêts américains, lorsqu’on verrait les États-Unis revenir sur leurs engagements, une guerre entre les États-Unis et l’Iran est une conséquence supplémentaire, éventuelle et très coûteuse. Le danger imminent de cette guerre n’est cependant pas seulement fonction de la façon dont on gère le traité nucléaire.

Le danger est imminent car les nominations auxquelles procède Donald Trump aux postes importants de la sécurité nationale mettent en place, à des niveaux élevés de la nouvelle administration, des gens prédisposés à entretenir un conflit permanent avec l’Iran, une prédisposition qui est beaucoup plus viscérale qu’analytique, et qui incarne la sorte de ferveur et de haine qui risque de mener à un conflit armé.

Les faits selon Flynn

Ce qu’il y a de plus important, à part le président élu lui-même, c’est son choix de Michael Flynn comme conseiller en matière de sécurité nationale. L’attitude de Flynn envers l’Iran résulte de sa vision islamophobe du monde musulman dans son ensemble, et elle implique donc des conceptions tout à fait bizarres.

Si ses idées préconçues à propos de sujets de ce genre ne correspondent pas aux faits, alors il essaie de faire en sorte que les faits correspondent à ses idées. Un incident rapporté par le New York Times concernait l’attaque de la résidence diplomatique étatsunienne de Benghazi en Libye, en 2012. Flynn a soutenu que l’Iran avait joué un rôle dans cette attaque et il a déclaré à ses subordonnés de la Defense Intelligence Agency, dont il était alors directeur, que leur travail consistait à prouver qu’il avait raison. (Aucune prevue d’un quelconque role de l’Iran dans l’attaque n’est apparue.)

Nous ne devrions pas être surpris que quelqu’un qui a accompli son travail en tant que chef du renseignement de cette manière ait, plus récemment, montré une affinité pour les fausses nouvelles d’un autre genre, qui correspondent à ses objectifs politiques, comme la prétendue implication de la candidate présidentielle démocrate dans des réseaux pédophiles.

D’autres nominations faites à ce jour n’offrent pas beaucoup d’espoir de voir corriger les penchants de Flynn au sujet de l’Iran. De même, on ne peut pas espérer une telle correction de la part du directeur désigné de la CIA, Mike Pompeo, qui va prendre son poste et dont l’ordre du jour politique, clairement exprimé, est de réduire à néant l’accord nucléaire.

On ne peut rien attendre, non plus, du secrétaire à la Défense James Mattis, même s’il est moins ignorant que Flynn. Mattis n’aime pas l’Iran et il laisse apparemment sa colère prendre le dessus sur son érudition quand il s’agit de l’Iran. Mark Perry a peut-être raison de dire que cette colère appartient au corps des Marines et vient de l’explosion d’un camion piégé, en 1983, par le Hezbollah libanais, un client de l’Iran, qui a détruit la caserne de Beyrouth où 220 Marines et 21 autres américains ont trouvé la mort. Mark Perry cite un autre officier de haut rang des Marines qui déclare à propos de Mattis : « Il a ça dans le sang. On a l’impression qu’il veut se venger d’eux.»

Mattis et ses excès

Quelle que soit la cause qui explique sa colère, cette colère l’empêche de se faire une idée précise et réaliste de l’Iran. Quand Mattis affirme que l’Iran n’est pas un vrai État-nation, mais plutôt « une révolution qui cherche à créer le chaos, » cela indique un échec à comprendre ou un refus de comprendre l’histoire de la politique iranienne dans les quatre décennies qui ont suivi la révolution iranienne, et l’évolution des relations de l’Iran avec le reste de la région.

Quand il dit que « l’Iran n’est pas un ennemi de l’EI » et « je considère que l’EI n’est rien d’autre qu’une excuse qui permet à l’Iran de continuer à créer des problèmes, » voilà qui contredit ce que sont fondamentalement l’EI et l’Iran et la façon dont ce pays combat l’EI, surtout en Irak.

Tout se met tragiquement en place pour rendre possible une guerre contre l’Iran. Nous avons déjà vu cette pièce même si certains acteurs ont changé. Que Flynn ait insisté auprès des officiers du renseignement pour rassembler des preuves qui soutiendraient sa fausse allégation à propos de la culpabilité iranienne dans l’épisode de Benghazi, voilà qui ressemble étrangement à la façon dont l’administration de George W. Bush conduite par le vice-président Cheney a insisté auprès des officiers du renseignement pour qu’ils rassemblent des preuves qui soutiendraient la fausse allégation de l’alliance du régime de Saddam Hussein avec al-Qaïda.

Mattis a fait, au sujet de l’Iran et de l’EI, des déclarations dont certaines impliquent une alliance entre les deux, et qui exhalent aussi les mêmes effluves que la campagne d’il y a 14 ans pour nous vendre la guerre.

La guerre d’Irak est arrivée en partie parce qu’on a mis à des postes de pouvoir suffisamment de responsables qui s’étaient engagés à mener cette expédition depuis des années pour qu’ils amènent un président inexpérimenté – pour qui la guerre était utile à d’autres points de vue – à y aller. Maintenant, nous sommes sur le point d’avoir comme président l’homme le moins préparé de l’histoire des États-Unis, un homme qui ne sera pas vraiment capable de remettre en cause les allégations, quelles qu’elles soient, proférées par les généraux en retraite ou d’autres membres de son entourage.

Au moins George W. Bush, même s’il n’avait pas d’expérience en politique étrangère, aurait-il pu apprendre quelque chose de son père, qui avait été président, ambassadeur aux Nations Unies et en Chine, et directeur de la CIA. Le père de Donald Trump, lui, était promoteur immobilier comme son fils.

Le 11-Septembre a changé l’état d’esprit du peuple américain, ce qui était nécessaire pour qu’on puisse vendre la guerre d’Irak. On n’aura pas besoin, pour contribuer à mettre en œuvre une guerre contre l’Iran, d’un événement de l’importance du 11-Septembre qui, souvenez-vous en, n’avait rien à voir avec l’Irak. Un attentat terroriste de moindre importance, ou peut-être un incident en mer, pourrait faire l’affaire. Des opérations militaires de l’armée étatsunienne arrogante et aventureuse accroîtraient le risque d’un incident de ce genre, et une fois que l’incident s’est produit, on peut l’exploiter et le déformer pour le transformer en casus belli. Rappelons-nous ce qui s’est passé en 1964 au Golfe du Tonkin.

Plus de choix à venir

Trump a encore à décider de nominations de titulaires de postes en rapport avec l’Iran. On peut espérer que seront nommés des gens qui feront preuve de plus d’intelligence que d’ardeur malvenue, et qui préfèreront les faits aux montages. Toutefois la tendance, jusqu’à maintenant, n’est guère encourageante. Certaines personnes dont le nom a été évoqué pour d’importants postes de hauts fonctionnaires sont déterminées à enterrer le traité nucléaire.

Puis il y a le noyau dur des néoconservateurs, y compris ceux qui étaient abattus lorsque la nomination de Donald Trump a marqué la fin de la domination des leurs sur la politique extérieure des Républicains. Certains d’entre eux ont déclaré qu’ils ne se rallieraient jamais à Trump et quelques-uns sont même allés soutenir la candidature d’Hillary Clinton. Cependant, beaucoup de ces gens, en entendant ce que les premiers nommés disent à propos de l’Iran, doivent maintenant être tout à fait satisfaits.

Pour eux, la leçon qu’ils ont retenue de l’invasion de l’Irak, et on laisse de côté, bien sûr, les huit ans et plus de problèmes, cette leçon pour l’Iran, c’est : à vous maintenant. « Prenez un ticket ! », c’est la façon dont voit les choses John Bolton, néoconservateur et super-faucon en ce qui concerne l’Iran, qui est allé à la Trump Tower pour un entretien de sélection et qui est l’un des candidats au poste de secrétaire d’État.

Une guerre étatsunienne contre l’Iran serait désastreuse pour toutes les parties intéressées, excepté pour les extrémistes anti-iraniens, l’EI, ceux qui exploitent l’instabilité du Moyen-Orient, certains qui font dans la région des choses abominables desquelles ils voudraient détourner l’attention, et des spéculateurs qui prennent une position à long terme sur le prix du pétrole. L’Iran riposterait de façon asymétrique aux moments et aux endroits qu’il choisirait, et les États-Unis contribueraient à faire de l’hostilité iranienne une réalité et plus seulement un préjugé négatif, et pas seulement chez les extrémistes. Le Moyen-Orient, déjà plongé dans la confusion et les massacres sanguinaires, le deviendrait encore davantage.

Ceux aux États-Unis qui souhaitent que soit évité un tel désastre devraient considérer les premières nominations de Trump comme un avertissement. Les nominations devraient être surtout une sonnerie d’alarme pour ceux qui ont été trop obnubilés par le côté faucon d’Hillary Clinton, ou encore trop encouragés par les paroles de Trump qui promettait une politique extérieure moins interventionniste, ou enfin trop enclins à renvoyer dos à dos les deux candidats, en les considérant comme des causes perdues, et ils devraient anticiper l’impact des perspectives actuelles à propos de la politique envers l’Iran.

Il n’y a rien ici qui prédise qu’il y aura une guerre contre l’Iran. Toutefois, le risque qu’elle se produise est plus important maintenant qu’il ne l’était avant le 8 novembre et les nominations qui ont suivi. Il est nécessaire d’être vigilant pour éviter que soient prises de nouvelles mesures qui accroîtraient le risque de guerre.

La question la plus urgente à considérer est le sort du traité nucléaire, mais ce n’est pas là la seule question à prendre en considération, et Mattis, à son crédit, a déclaré que mettre l’accord au rebut serait une erreur, et ce en dépit de ses opinions antérieures. Il va falloir aussi surveiller toutes les décisions, comme les opérations militaires particulièrement agressives des États-Unis dans le Golfe Persique, qui pourraient constituer des étapes dans une dérive dangereuse menant à une conflagration.

Paul R. Pillar a passé 28 ans à la CIA où il est devenu l’un des meilleurs analystes de l’agence.

Source : lescrises.fr

Version originale : Consortium News, traduite par lescrises.fr

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