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Armée Turque – L’heure de vérité


ITRI : Institut Tunisien des Relations Internationales

Armée Turque – L’heure de vérité

Abdessalem Larif:
Publié par Candide le 20 août 2016 dans Chroniques

ARMÉE TURQUE- L’HEURE DE VÉRITÉ. L’espoir que les nouvelles d’une prise du pouvoir par l’armée turque avait fait naître un moment chez des peuples, pourtant épris de liberté et attachés à la démocratie, s’est évanoui dans l’amertume et a laissé libre cours à des spéculations dépitées sur les tenants et aboutissants d’une rocambolesque équipée pour les uns ou d’une diabolique intrigue d’Etat pour les autres.

Maître Abdessalem Larif, 20 Août 2006

ARMÉE TURQUE- L’HEURE DE VÉRITÉ. L’espoir que les nouvelles d’une prise du pouvoir par l’armée turque avait fait naître un moment chez des peuples, pourtant épris de liberté et attachés à la démocratie, s’est évanoui dans l’amertume et a laissé libre cours à des spéculations dépitées sur les tenants et aboutissants d’une rocambolesque équipée pour les uns ou d’une diabolique intrigue d’Etat pour les autres.

Au demeurant, nul ne contestera qu’avant d’en connaître l’issue, les événements d’Ankara et d’Istanbul aient pu faire craindre le pire aux mouvements islamistes arabes, tous apparentés au pouvoir d’Erdogan et pendus à son sort. Ce dernier ne devrait surtout pas crier victoire car ce n’est, à mon humble avis, que partie remise.
Le peu que je sais en bien de l’armée turque, je le tiens du grand historien militaire anglais, Sir B. H. Liddell Hart, contemporain d’Ismet Inonu, selon lequel la meilleure armée au monde serait constituée de ses soldats, de sous-officiers britanniques et de généraux allemands. Cela ne me dispense pourtant pas de rappeler ce qu’en pensait auparavant le colonel T.E. Lawrence (d’Arabie) dont on connait la profonde aversion pour la troupe ottomane et qui dans les Sept Piliers de la Sagesse attribue avec une remarquable rigueur d’analyse les indéniables qualités guerrières desdits soldats à un manque total d’initiative, synonyme de docilité et assimilable à une certaine forme de bêtise, propos que je ne reprendrai pas à mon compte car émanant d’un officier qui n’a pas brillé par son sens de la discipline.
Parler du commandement de cette armée ne va pas sans remuer une histoire énigmatique où, militairement, il a porté à bout de bras, le plus souvent de maladroite façon, un empire multiséculaire aux frontières particulièrement instables jusqu’à son démembrement aux termes du Traité de Sèvres imposés en août 1920 par les puissances victorieuses de la Grande Guerre et où, politiquement, il s’était auparavant investi dans une entreprise de modernisation des institutions étatiques, tardive, brouillonne et souillée par deux génocides.
Moralement réinventée par Kemal Atatürk, renouant avec la victoire, cette armée superbement équipée et entraînée comme elle l’a démontré en Corée et à Chypre, occupant le huitième rang dans le classement mondial par effectifs et le deuxième dans celui de l’OTAN, représente assurément l’épine dorsale de la nation turque, une autre création du Ghazi.
Rien ne laissait prévoir que la gardienne de la république, au sens de la constitution de 1924 et de ses principes cardinaux, en haut lieu desquels la laïcité de l’Etat, allait sortir en 2003 de la scène politique dont elle fut sans conteste l’acteur le plus agissant. Encore eût il fallu pour cela qu’elle trébuchât sur l’AKP, un courant islamiste non résurgent car d’une trop lointaine parenté avec l’islam du défunt Califat et, peut être moins glorieusement encore, sur le ci-devant Erdogan.
Pour faire place nette devant le projet encore fumeux et à peine esquissé d’une société retrempée dans un bain de jouvence religieux, il ne fait aucun doute que l’ancien maire d’Istanbul ait eu la main heureuse en jouant la carte du gage de démocratie exigé par la Communauté Européenne pour faire avancer quelque peu les procédures de préadhésion de la Turquie . Je dis quelque peu parce que rien n’est moins sûr que l’Europe ait jamais eu une intention sincère d’accueillir ce pays musulman d’orient en son sein tant elle a multiplié devant ses dirigeants les obstacles de tous ordres allant de l’amende honorable institutionnelle au mea culpa historique. La mise de l’armée à l’écart du champ politique en était un de la même veine qui devait paraître irréalisable aux occidentaux si attachés à une image inusable de la chose kémalienne et auxquels il n’est du reste pas exclu que l’avenir redonnera raison. C’est ainsi qu’en saluant subséquemment comme une avancée démocratique l’amendement constitutionnel de juillet 2003 portant principalement suppression du rôle politique de l’armée jusqu’alors consacré par le mode de fonctionnement du Conseil de Sécurité Nationale MGK, le Conseil Européen a largement contribué à l’ouverture d’une brèche dans la construction laïque de la Turquie.
Comment supposer alors qu’un alibi aussi précieux, marqué du sceau d’une Europe gardienne de toutes les vertus et conjugué à une forte croissance économique, n’ait pu être mis à profit par l’AKP pour pousser son avantage au parlement et par son leader pour donner la mesure de ses capacités manœuvrières aux commandes de l’exécutif ? A témoins, le rappel en particulier s’impose des opérations sécuritaires d’envergure lancées par ce dernier en 2007 pour mettre son projet d’islamisation de la société à l’abri d’un énième coup d’arrêt militaire et qui lui firent limoger et traduire en justice, parmi tant d’autres, pour tentative de renversement de l’ordre constitutionnel par la force et sur des preuves discutables, des officiers généraux dont un ancien chef de l’état major interarmes. Un thriller délirant que ce procès Ergenekon dont l’ouverture avait fait l’objet le 12 mars 2009 d’une résolution favorable du parlement européen ! Cependant, en exigeant indéfiniment et toujours plus de la Turquie, la Communauté Européenne a fini par lui faire comprendre que sa demande d’adhésion ne suscitait que peu d’enthousiasme auprès des pays membres si tant est que le rejet ne lui en fût signifié publiquement et sans détours par le président français Nicolas Sarkozy.
On peut donc dire que l’armée, outrageusement suspectée d’aventurisme, voire de liens mafieux, a reculé dans les instances de l’Etat sous les effets discordants d’une politique intérieure cautionnée par l’occident et d’une politique étrangère lui tournant le dos. Or la Turquie est le dernier pays à pouvoir supporter que son armée y soit déconsidérée. Au point où on en était, un putsch militaire de plus ou de moins n’y aurait pas changé grand chose me rétorquerait on. Rien n’est moins sûr puisque l’histoire nous enseigne que ce qui en décide n’est pas la nature de l’opération mais son succès ou son échec surtout, comme dans la quasi-totalité des cas, quand le but est d’accéder au pouvoir pour le conserver, l’exemple le plus édifiant étant celui du Portugal des années 1920 où ont eu lieu des dizaines de coups d’état. La situation et le jugement moral qui doit lui être réservé me semblent être très différents quand le but est de confisquer un pouvoir civil devenu dangereux pour la société et pour la nation, telle ayant été trop longtemps l’exception turque pour qu’elle devienne intolérable aujourd’hui.

Pareils propos peuvent surprendre sous la plume d’un juriste et je supporterais mal d’avoir l’air de justifier quoique ce soit de redevable à la force. Il me serait sinon trop facile d’arguer de la dantesque revue télévisuelle donnée 16 juillet 2016 d’officiers généraux dans les postures les plus humiliantes pour inverser le raisonnement et souligner, à travers la morbide délectation qu’elle trahit de la part d’Erdogan, seul metteur en scène possible d’un spectacle aussi indigne, la volonté bien arrêtée de ce dernier de casser psychologiquement l’institution militaire. S’il en est arrivé à cette extrémité, cela montre bien qu’il lui reconnaissait, bien avant les événements de la nuit du 15 au 16 juillet, une vocation à intervenir pour empêcher son projet politique d’aboutir. Limoger et mettre aux arrêts d’un seul coup près de 150 généraux et amiraux ainsi que 1100 autres officiers de divers grades revient à opérer une purge préventive d’ampleur stalinienne et ne se conçoit pas sans un travail de renseignement préparatoire de plusieurs années. Deux conséquences en découleront pour l’armée dès lors qu’elle est privée d’une partie importante de ses cadres et gravement atteinte dans son image, d’abord un affaiblissement désastreux, immédiat et durable, ensuite, non plus une hostilité doctrinale mais une allergie définitive à l’Etat théocratique.
Le débat est de trop qui aurait pour thème l’interdiction à toute armée de s’immiscer dans le jeu politique ou de contrer en démocratie la volonté populaire exprimée par les urnes, étant donné qu’en l’occurrence, ce serait un moindre mal. Ce serait aussi un fait juridiquement fondé si l’on considère que l’AKP a eu les faveurs de suffrages conjoncturels par définition et que le socle idéologique sur lequel ce parti prend appui laisse prévoir un mépris total de cette volonté, ou pire encore, un façonnement univoque des mentalités renvoyant aux calendes grecques toute possibilité d’alternance.

Dès lors, la vraie question qui se pose n’est plus de savoir ce qui attend l’armée turque puisqu’elle y est déjà mais ce qui est attendu d’elle, une soumission inconditionnelle au pouvoir politique civil ou la réintégration de son statut perdu. Ici, il faut se garder de considérer la seconde hypothèse comme la plus probable surtout que l’objectivité même de ce quasi-constat nuirait à la neutralité de la démarche. Parlons plutôt d’un choix autonome qu’il lui reste à faire. A supposer qu’il doive être pris pour barrer le chemin du pouvoir aux intégristes religieux ou, plus difficilement pour les en déloger, l’usage par surprise de la force, inhérent à la notion classique de coup d’état, rendrait la chose autrement plus problématique moralement et aussi aléatoire que devant un tapis vert, à moins qu’il ne s’agisse d’une confiscation du pouvoir. Ce n’est pas une vue de l’esprit si l’on a en mémoire une première, peut être annonciatrice du recouvrement de la parole par la grande muette , je veux parler des mises en garde du général Alexandre Lebed à l’adresse du gouvernement russe au lendemain du coup d’état manqué du 20 août 1991 et le mouvement d’opinion qui les avait accompagnées, particulièrement au sein de l’armée dans le sens d’une prise du pouvoir annoncée comme un recours possible devant les errements de la direction politique de la fédération. Aucune conspiration ou félonie n’a été reprochée à Lebed quand bien même il était sorti des clous, simplement parce qu’il l’avait fait sans s’en cacher et avait l’armée derrière lui. .
On l’aura compris, l’exemple égyptien, pleinement illustratif de cette idée, me parait transposable malgré des différences tenant à une implication de l’armée dans la conduite des affaires de l’Etat plus marquée au Caire qu’à Ankara et aux clameurs de la place Ettahrir mais qui se ramènent en fin de compte aux variables d’une même équation.
Aujourd’hui, toutes les raisons d’un choix historique sont réunies devant l’armée turque. Le soutien populaire ne lui fera pas défaut dans le cas où elle entendrait conjurer le péril islamiste. il le lui aura été exprimé par Erdogan lui-même car comment comprendre autrement que l’élite, par dizaines de milliers de représentants, ait été associée à ses officiers dans la purge que ce dernier vient d’effectuer ?

Maître Abdessalem Larif 20 Août 2006

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