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Ce que j’ai vu à Mossoul : « Ici, il n’y a ni espoir, ni eau, ni nourriture »


Arrêt sur Info

Par Mustafa Al-Dabbagh — 19 décembre 2016

Pendant que la France se polarise sur Alep…

Les restes d’armes diverses et variées jonchent les alentours de Mossoul (Mustafa al-Dabbagh)

Comment un groupe d’amis, dont les proches sont piégés à l’intérieur de Mossoul, ont décidé qu’il leur fallait apporter de la nourriture dans la ville dévastée par la bataille

En roulant dans Mossoul, on avait l’impression de traverser les scènes d’un film hollywoodien post-apocalyptique.

Partout se voyaient les traces des combats : douilles et cylindres de missiles jonchaient le sol parmi les carcasses de véhicules ayant servi de bombes.

En roulant dans Mossoul, on avait l’impression de traverser les scènes d’un film hollywoodien post-apocalyptique

Presque tous les bâtiments en bordure des rues avaient été détruits ou carbonisés et il n’y avait pas âme qui vive, à part une ambulance, ou un hummer militaire déboulant à tombeau ouvert.

Subitement, en nous rapprochant des régions récemment libérées, les gens sont sortis de leur maison pour s’élancer derrière notre convoi, plein de farine, d’eau et de produits alimentaires de première nécessité.

Les enfants se sont mis à courir vers nous en souriant, dans un concert d’acclamations, en faisaient un V avec leurs doigts en guise de signe de paix, dans l’espoir de grappiller quelque secours. En les observant plus attentivement, c’est la peur et l’appréhension qui se lisaient sur leur visage. Ils avaient survécu à deux ans sous la loi de l’État islamique (EI), et ne savaient pas à quoi s’attendre de la part de ces nouveaux visiteurs.

Quelques semaines après le lancement par le gouvernement irakien de son offensive, la « Bataille pour Mossoul », pour chasser l’EI de la ville, nous avons, avec un groupe d’amis tous d’origine irakienne, décidé que nous ne pouvions pas rester les bras croisés. Chacun de nous avons de la famille et des amis proches toujours piégés à l’intérieur, et c’est pourquoi, fin novembre, nous nous sommes retrouvés à Mossoul, pour tenter d’apporter notre aide à ceux qui en avaient le plus besoin.

Piégés à l’intérieur

À ce jour, les forces irakiennes, soutenues par leurs alliés occidentaux, ont à peu près réussi à déloger les militants de l’EI des quartiers Est de la ville. Elles avancent lentement mais sûrement.

Cependant, au-delà des victoires et des pertes militaires, la situation humanitaire est épouvantable et empire jour après jour. Les deux millions de civils piégés à l’intérieur de la ville, dont nos familles et nos amis proches, sont soumis à des conditions de vie infernales.

Ils ont un accès limité aux produits de première nécessité, dont nourriture et électricité et, à l’approche de l’hiver, n’ont aucun appareil de chauffage. De récents rapports estiment qu’un demi-million de personnes sont totalement privées d’eau courante potable.

À l’extérieur de la ville, l’ONU estime qu’environ 75 000 résidents ont fui, chiffre qui ne cesse d’augmenter chaque jour, car les réfugiés déferlent, toujours plus nombreux, dans les camps installés dans les faubourgs de Mossoul.

Génération sacrifiée

Au départ, nous avions l’intention d’apporter de l’aide aux personnes déplacées, parquées dans les camps de réfugiés au nord de l’Irak.

Fonctionnaires locaux, représentants de l’ONU et autres ONG nous ont expliqué que les zones fraîchement libérées n’avaient toujours pas reçu le moindre secours. Ils avaient donc encore plus besoin de notre aide et nous avons décidé de nous rendre dans ces quartiers pour y distribuer tout ce que nous pourrions.

De nouveaux venus se préparent à affronter l’hiver, piégés à l’intérieur d’une tente au milieu du désert irakien, où les températures descendent souvent bien au-dessous de zéro

Pourtant, nous sommes d’abord passés par les camps de réfugiés d’Hassan Shami et de Khazir, qui, à l’époque, accueillaient respectivement 15 000 et 35 000 personnes environ ayant fui Mossoul et d’autres villes d’Irak.

Dès mon arrivée à Khazir, j’ai été frappé par ces foules de gens agglutinés contre les clôtures, les yeux rivés sur les camions garés à proximité – qu’ils savaient chargés de bouteilles d’eau et de tonnes de nourriture –, les yeux brillants d’espoir, dans l’attente d’un peu d’aide supplémentaire.

À perte de vue, se dressaient des tentes et encore des tentes, faites d’une simple toile de bâche, complètement recouvertes de poussière de sable. De petits canaux, creusés pour servir de tout-à-l’égout de fortune, évacuaient les eaux usées vers la route principale – en terre battue – rapidement transformée en champ de boue épaisse.

Pendant les quelques heures passées là, nous avons été complètement couverts de sable et de poussière, qui ne partaient pas facilement. Dans ces deux camps, nous avons passé le plus clair du temps à distribuer des couvertures aux nouveaux arrivants, qui allaient tous devoir affronter l’hiver piégés à l’intérieur d’une tente, au cœur du désert irakien, où les températures descendent parfois en dessous de zéro.

Toute une génération a été privée d’enfance et d’innocence

Une ancienne directrice d’école primaire à Mossoul qui vit désormais dans le camp d’Hassan Shami, a évoqué pour nous sa fuite en pleine nuit avec sa famille. Ils ont laissé tous leurs biens derrière eux.

Elle nous a décrit avec fierté sa vie avec sa famille, à l’abri d’une maison construite avec son mari, à la sueur de leur front. Ils avaient tout abandonné, nous a-t-elle dit : bijoux, argent et les économies de toute une vie.

Sans nourriture, sans cuisinière à gaz, elle a raconté comment ils avaient dû préparer leurs plats dans d’autres tentes du camp, et emporter ensuite les restes.

Au beau milieu de tout cela, ce qui me restera à l’esprit pendant longtemps, ces sont ces enfants qui s’amusaient à courir autour des tentes, des bouts de ficelle à la main, ou simplement un bâton ou une pierre, et parvenaient ainsi à s’abstraire de l’horreur de leur cadre de vie.

Cependant, à la réflexion, je dois bien avouer que c’est une génération toute entière qui a été ainsi privée d’enfance et d’innocence.

La chose qui m’a le plus brisé le cœur, c’est cette petite fille d’à peine 2 ans. Elle s’était blottie dans les bras de sa mère, genoux serrés contre la poitrine, menton posé dessus, yeux bien clos, et elle se bouchait les oreilles, parcourue de frissons et gémissant sans interruption.

Si quelqu’un tentait de s’approcher ou de lui parler, elle se mettait à pleurer et à crier. J’en suis resté sans voix, me demandant ce dont elle avait été témoin pour avoir de telles réactions.

Livraison de l’aide

Notre deuxième voyage nous emmena dans les quartiers récemment libérés de Mossoul, dans le quartier de Zahraa, qui, à peine cinq jours avant notre arrivée, était encore tenu par les militants de l’EI.

En atteignant notre destination finale, nous sommes passés en voiture dans des quartiers complètement abandonnés, poursuivis par des centaines de gens dont certains avaient parcouru des centaines de kilomètres à pied. Quelques milliers de personnes s’étaient rassemblées et une marée humaine se pressait contre le camion en files d’attente interminables. Leur impatience à recevoir de l’aide rendait presqu’impossible la distribution.

Après deux ans passés sous l’EI, ils affrontent désormais un hiver rigoureux sans disposer des moyens les plus basiques

J’ai moi-même été pris dans ce flot et me suis retrouvé écrasé contre la carrosserie d’une voiture tandis que les gens se précipitaient, toujours plus nombreux, dans l’attente de quelque secours.

Les choses se sont finalement calmées et j’ai eu l’occasion de parler à deux ou trois civils.

Un monsieur se plaignait d’un missile qui avait récemment frappé la principale conduite d’eau de la région. Elle avait fracassé le tuyau, le rendant inutilisable, et coupé ainsi la distribution d’eau.

Quelqu’un d’autre, une dame, suppliait qu’on lui donne, non pas de la farine ou de l’eau, mais une miche de pain pour nourrir sa famille nombreuse qui, disait-elle, n’avait rien mangé depuis plusieurs jours.

En regardant le visage de ces gens qui affluaient vers notre convoi, on voyait qu’ils souffraient depuis longtemps. Après avoir passé deux ans sous l’EI, ils affrontent désormais un hiver rigoureux sans disposer des produits les plus basiques.

Accrochés à l’espoir

Au sortir de la ville, plusieurs familles avançaient à pied, chargées de leurs affaires. Nous nous sommes arrêtés pour leur parler et avons appris qu’elles se dirigeaient vers des camps de réfugiés, éloignés de 50 kilomètres.

Pouvez-vous imaginer quelle vie ces gens ont dû endurer, forcés à parcourir une telle distance à pied pour se retrouver sous une tente ?

Je prierai pour les enfants, les veuves, les mères, les pères, et pour toute ma famille qui affrontent seuls une telle calamité

« Ici, nous n’avons aucun espoir, pas d’eau ni d’électricité, encore moins de nourriture, et nous ne savons pas si nous allons survivre ou mourir », proteste une mère. « Dans les camps, au moins, nous avons un toit sur la tête, de l’eau et plus d’un repas par jour ».

L’opération militaire n’a fait que commencer et la situation empire jour après jour, mais j’ai trouvé par hasard quelques personnes qui gardaient espoir et optimisme. Un homme s’est écrié : « Al-Hamdulilah (Loué soit Allah) j’ai un toit sur la tête et ma famille est encore vivante ».

C’est leur espoir et leur confiance qui a évité aux habitants de Mossoul de sombrer dans la folie. On ne que peut prier pour tous ces gens piégés à l’intérieur.

Je sais que pour ma part je prierai pour les enfants, les veuves, les mères, les pères et ma famille qui affrontent seuls cette calamité.
Mustafa Al-Dabbagh – 15 décembre 2016
Mustafa Al-Dabbagh est britannique et irakien, auteur indépendant, spécialiste en particulier de l’Irak et du Moyen-Orient..

Traduction de l’anglais (original) de dominique@macabies.fr. pour http://www.middleeasteye.net/fr

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