Comprendre la turcophobie en France (étude)
novembre 8, 2019
Publié par Gilles Munier sur 8 Novembre 2019, 11:13am
Catégories : #Turquie, #Erdogan
Abdülhamid II fut l’un des seuls leaders musulmans à résister avec un certain succès aux entreprises expansionnistes occidentales
L’hostilité envers la Turquie et les Turcs occupe une place importante dans la vie politique française. Si l’islamophobie explique une partie de ce phénomène, il existe également des raisons historiques qui nous donnent certaines pistes de compréhension de ces prises de position peu amicales envers la Turquie.
par Öznur Küçüker Sirene (revue de presse : TRT en français – 7/11/19)*
La France est actuellement secouée par une islamophobie grandissante qui alimente également la turcophobie. Condamnant fermement l’opération militaire turque en Syrie, défendant corps et âme les terroristes des YPG, proposant le retrait de la Turquie de l’OTAN, la suspension de son adhésion à l’Union européenne ou encore la reconnaissance officielle du prétendu « génocide arménien », de nombreux élus politiques français surfent sur la vague actuelle de l’islamophobie et de la turcophobie en affichant une hostilité bien prononcée envers la Turquie. Comment donc expliquer cette attitude haineuse pour un pays avec lequel la France entretient pourtant l’une des plus longues relations diplomatiques de son histoire ?
La peur de voir une Turquie puissante qui défie le monde occidental n’est pas nouvelle. Elle fut présente depuis l’Empire ottoman que les Occidentaux ont autant admiré que craint surtout après les deux sièges de Vienne (en 1529 et en 1683). En effet, si même un courant de turcomanie a pu être observé dans les cours européennes qui ont commencé à imiter le mode de vie ottoman en s’inspirant des us et coutumes de l’Empire, cette admiration fut progressivement remplacée par la crainte du grand Turc constituant dans l’imaginaire collectif une menace pour l’identité occidentale.
Des siècles plus tard, cette peur non fondée revient sur le devant de la scène avec la croissance fulgurante d’une Turquie qui recommence à peser sur l’échiquier mondial sur de nombreuses questions mondiales de première importance, dont notamment le dossier syrien. Bizarrement ce sont toujours les mêmes arguments et outils que les Européens utilisent pour justifier leur rejet des Turcs et de la Turquie au sein de la famille européenne : Propagande noire contre les leaders qui mettent notamment en avant la culture musulmane et tentative d’« altériser » la Turquie en prétendant qu’elle ne partagerait pas le même héritage et les mêmes valeurs que les pays européens.
Tentative de diaboliser les leaders défendant l’Islam et le monde musulman
Aujourd’hui ce n’est un secret pour personne que les pays occidentaux y compris la France dressent un portrait sombre pour Recep Tayyip Erdo?an. Le célèbre magazine français Le Point a même consacré deux numéros de son édition au président turc. Les autres médias français emploient aussi des adjectifs radicaux dans sa présentation.
Il existe un parallèle étonnant entre le traitement médiatique du président Erdo?an et du Sultan Abdülhamid II décrit à l’époque comme « le Sultan rouge » par les Occidentaux.
Tout comme Erdo?an, l’attachement d’Abdülhamid II à l’Islam n’était pas bien accueilli par les milieux occidentaux à une époque particulièrement négative pour le monde musulman où de l’Afrique du Nord jusqu’en Egypte les peuples musulmans tombaient progressivement sous domination étrangère.
Selon François Georgeon, directeur de recherche émérite au CNRS et auteur de l’ouvrage « Abdulhamid II: Le sultan calife », « Abdülhamid fut l’un des seuls leaders musulmans à résister avec un certain succès aux entreprises expansionnistes occidentales. Dès lors, il n’est pas étonnant qu’il ait pu concentrer sur lui les critiques et pour tout dire l’acrimonie des milieux occidentaux. »
Européanité de la Turquie remise en cause
Aujourd’hui si l’Union européenne a été construite autour d’un « projet commun » et non d’une identité nationale et religieuse commune, la question de l’héritage judéo-chrétien des pays européens revient constamment comme un argument valable des Occidentaux pour dire non à l’adhésion de la Turquie à l’UE.
C’est ainsi que par exemple Stéphane Ravier, le Sénateur des Bouches-du-Rhône (13) a écrit sur son compte Twitter : « La Turquie islamique ne fait pas partie culturellement de l’Europe chrétienne (…) : l’Europe c’est avant tout un héritage helléno-judéo-chrétien ! ».
Valeurs européennes aux contours flous
Un autre argument régulièrement soumis pour rejeter l’intégration de la Turquie au sein de l’Union européenne est que la Turquie ne partagerait pas « les valeurs européennes ». Cette notion ambigüe se définit de la manière suivante dans le traité de Lisbonne : le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’Etat de droit, le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités.
Ainsi, Nathalie Loiseau, ministre chargée des Affaires européennes, a récemment déclaré : « Entrer dans l’Union Européenne ce n’est pas seulement entrer dans le marché unique, c’est respecter ses valeurs. En Turquie on est très loin des valeurs de l’Union Européenne ».
Or quand on l’analyse de près, ce sont les pays européens eux-mêmes qui sont loin de respecter ces valeurs qui prônent une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. Si dans l’idéal ce sont de belles valeurs, dans la pratique, les pays européens font aujourd’hui face aux pires discriminations et inégalités. La répression policière contre les gilets jaunes, la discrimination subie par les femmes voilées ou encore les inégalités salariales hommes-femmes ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres qui prouvent le non-respect de ces valeurs par la France.
Dans un tel contexte de turcophobie, on observe donc que les élus politiques et médias s’en donnent à cœur joie pour condamner et critiquer la Turquie avec des arguments qui ne convainquent plus personne. En représentant un contre-modèle, les pays européens apparaissent plus comme des donneurs de leçons que comme des alliés fiables avec lesquels il est possible de tisser des liens solides sur le long terme.
A quand donc un réel partenariat sincère basé sur des objectifs et intérêts mutuels entre les deux parties ?
*Source : TRT en français