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Conseil de sécurité : beaucoup de bruit – et d’hypocrisie – pour rien…


Par Louis Denghien, le 1 février 2012 

 

 

Ouverte à 21 heures (heure française) la séance du Conseil de sécurité consacrée à l’examen du plan de paix arabo-occidental a suscité les incantations que l’on était en droit d’attendre. Du chef de la diplomatie qatarie – Ben Jassem al-Thani, en costume occidental pour la circonstance – évoquant une « tragédie humanitaire » et la « machine à tuer » bachariste, à  son homologue – ô combien – français évoquant un « silence scandaleux » du Conseil (plutôt bruyant, ces derniers mois, le silence en question !, NDLR), les Occidentaux et pro-Occidentaux ont planté le décor, histoire d’impressionner les autres décideurs du Conseil. En marge des débats, ces derniers avaient certainement en tête ces déclarations bruyantes d’Hillary Clinton et du patron de la CIA sur la chute inéluctable et prochaine de Bachar al-Assad.

 

Record battu d’hypocrisie !

 

Mais toute cette rhétorique a été, comme prévu, impuissante à fléchir les Russes, dont le représentant, était de fait,  le maître du jeu de cette réunion.  Et, du reste, pour amadouer le colosse russe, véritable statue du Commandeur toisant cette réunion d’hypocrites géopolitiques, les Occidentaux ont mis ponctuellement de l’eau dans leur vin ; ainsi Hillary Clinton a-t-elle lancé à l’adresse du représentant russe Vitali Tchourkine – et, par-dessus lui, aux Chinois, Indiens, Brésiliens et Sud-africains : « Certains membres du Conseil s’inquiètent du risque d’une autre Libye, c’est une mauvaise comparaison, la syrie est une situation unique qui réclame une approche spécifique« . L’homme du Qatar avait lui-même, dans son discours prononcé au nom de la Ligue arabe, cru devoir préciser : « Nous ne demandons pas une intervention militaire« , allant même jusqu’à proférer ce mensonge rassurant – et éhonté : « Nous ne sommes pas en faveur d’un changement de régime » ! Quant à Alain Juppé, il a renchéri dans ce mensonge : « Nous n’avons nulle intention d’imposer de l’extérieur un quelconque régime politique« . Mardi 31 janvier sur Europe 1, il avait cru nécessaire de rappeler que la France s’opposait à une intervention internationale, qui risquerait d’entraîner une guerre civile, du fait de l’existence en Syrie de « communautés qui sont antagonistes« . Et dont le Quai d’Orsay a tout fait, à son niveau, pour exacerber les antagonismes, mais passons.

 

Il est bien évident que les protestations d’innocence et de désintéressement géostratégique du « choeur des vierges occidentales » ne pouvaient pas convaincre ceux qui devaient l’être : Russes, Chinois, indiens, Brésiliens, Sud-Africains – pour s’en tenir aux membres du Conseil de sécurité – avaient le souvenir de la Libye, et de l’attitude des Occidentaux depuis le début de la crise syrienne, pour savoir à quoi s’en tenir. Vitali Tchourkine a donc logiquement réaffirmé que l’ONU n’avait pas à se mêler des affaires intérieures de la Syrie. Il a néanmoins laissé la porte entrouverte à une poursuite des négociations, le projet soumis au conseil comportant, dit-il, « certains éléments (donnant) l’espoir d’un compromis« . La veille, lors de sa visite en Australie, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait réaffirmé que son gouvernement n’avait pas l’intention de demander à Bachar al-Assad de quitter le pouvoir. Et mardi 31, Hillary Clinton a tenté en vain de joindre son homologue russe par téléphone… Pour sans doute « rassurer la galerie internationale« , tant Juppé que son collègue britannique William Hague ont évoqué la poursuite « dans les prochaines 24 heures » de discussions avec les Russes.

 

Mais nous savons bien – et les chefs de la diplomatie occidentale le savent aussi – que Moscou ne peut pas lâcher Bachar al-Assad, ce qui équivaudrait pour eux à lâcher, de fait, la Syrie, et donc toutes leurs positions au Proche et Moyen Orients. Et, au-delà, à se décrédibiliser aux yeux de leurs alliés sur tous les continents.

 

Bref, aucun vote n’est intervenu à l’issue de la réunion du mardi 31 janvier du Conseil de sécurité.

 

Vitali Tchourkine, représentant russe au Conseil de sécurité : dans le monde tel qu’il est, la Russie est littéralement devenue un « garde-fous »

 

Le réquisitoire syrien contre la Ligue arabe

 

Le principal concerné, dans cette réunion, le représentant syrien, Bachar al-Jaafari, a fait entendre la voix, bien au-delà de son gouvernement, de la souveraineté nationale comme principe fondateur des relations internationales, du refus de l’ingérence, de la lutte contre ce Nouvel Ordre mondial à direction américaine qui essaie de s’imposer depuis maintenant plus de 20 ans : « La Syrie fera fermement face à ses ennemis » a-t-il lancé aux représentants de cet Occident, atlantique et persique, qu’il a accusé, à bon droit, de « fomenter la crise« . Il a rappelé devant un auditoire atteint de surdité volontaire que le gouvernement avait commencé à instituer un dialogue avec des opposants raisonnables et patriotes. Il avait sans doute, en la circonstance, beaucoup de monde à égratigner mais le délégué syrien à l’ONU a réservé une grosse partie de son éloquence à la Ligue arabe : « La Syrie considère la décision prise récemment par le conseil de la Ligue comme une violation de sa souveraineté nationale et comme une ingérence flagrante dans ses affaires intérieures ; cette décision est une violation des objectifs essentiels de la ligue arabe, notamment de l’article 8 de sa charte » (article qui stipule que « tout Etat membre de la Ligue respecte le régime en vigueur dans l’un des Etats membres (…) et s’engage à ne commettre aucune violation de ce régime » .

 

Après la forme, le fond : le représentant de Damas a ironiquement déploré que « les Arabes ne soient pas venus au conseil de sécurité pour défendre les Palestiniens face aux Israéliens ». Mais chacun sait que pour le Qatar et l’Arabie Séoudite, l’ennemi ne se trouve pas à Tel-Aviv mais à Damas et à Téhéran. Al-Jaafar a aussi mis les dirigeants de la Ligue dans leurs contradictions et même leurs palinodie à propos de la mission d’observation, dont ils avaient prorogé le mandat et accepté le rapport avant de la suspendre.

 

Bien sûr, le délégué syrien ne pouvait pas ne pas avoir une attention spéciale pour le Qatar, cheval de Troie des américains dans le monde arabe, et qui n’a cessé d’encourager la subversion en Syrie : s’adressant à Ben Jassem al-Thani, al-Jaafari lui a demandé si l’émirat du Qatar était bien membre de la Ligue arabe et non de l’OTAN, et ce qu’il pensait de la destruction de la Libye, à laquelle a participé militairement l’émirat !

 

Aux autres, à tous les autres, al-Jaafari a rappelé que l’indépendance et l’unité du pays constituait une « ligne rouge » à ne pas franchir pour les Syriens. Il a eu aussi un « petit mot » pour la France, qui n’a pas l’air de vouloir reprocher aux opposants radicaux syriens la mort du journaliste Gilles jacquier.

 

Pour conclure provisoirement, et résumer cette énième séance « historique » ou « décisive » du Conseil de sécurité, laissons la parole à William Shakespeare : « Beaucoup de bruit pour rien » ! A suivre…

 

Bachar al-Jaafari, représentant de la Syrie à l’ONU : la voix de la souveraineté comme principe de base des relations internationales, au moins autant que celle du régime syrien

 

 

 


 

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