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De l’OCI au MNA : L’offensive de paix iranienne (Dissident Voice)


Eric WALBERG

L’écart entre la vision des médias occidentales du Moyen-Orient et la réalité est effarant. Le leader égyptien Moubarak était considéré comme un bon garçon et un allié solide jusqu’à ce que, tout à coup, il devienne un méchant, un homme corrompu, un tyran bon à jeter. Cette vision à très court terme de l’empire est devenue la norme en toutes choses. Cela ne devrait donc pas surprendre que l’Iran, « l’Axe du Mal », soit-disant démangé par le désir de construire une bombe atomique pour terroriser toute la planète, ait, en fait, de bonnes relations -qui en plus ne cessent de s’améliorer- non seulement avec ses voisins, l’Afghanistan (aide à la reconstruction en plus d’un nouveau train de Harat au Golfe Persique) et le Pakistan (le Pipeline de gaz de la Paix) mais aussi avec des rivaux moins amicaux comme l’Arabie Saoudite et maintenant l’Egypte.

Ce mois-ci, deux conférences – celle de l’OCI (l’Organisation de la Coopération Islamique) et celle du MNA (Mouvement des Non Alignés) – montrent l’influence croissante de l’Iran sur la scène internationale. Pendant la réunion de l’OCI, la semaine dernière à la Mecque, le président iranien, Mahmoud Ahmedinejad, était assis à côté du roi d’Arabie Saoudite, Abdullah bin Abulaziz, et il a eu avec lui une discussion franche sur la Syrie au cours de laquelle il a démontré qu’il était ridicule et inutile de vouloir bannir la Syrie de l’Organisation. Il est clair que les dirigeants syriens auraient dû être invités pour le dire eux-mêmes ; mais de toutes façons, exclure un membre constitue une violation de la charte de l’OCI. « Suspendre le statut de membre de la Syrie ne permettra pas d’aboutir à une solution du conflit. Cela ne facilitera pas les choses, » a dit le ministre des Affaires Etrangères iranien, Ali Akbar Salehi. Et même cela les empirera, aurait-il pu ajouter.

L’Iran avait toutes les raisons de boycotter la réunion de l’OCI ou d’y venir pour accuser ses hôtes de soutenir la cruelle répression du soulèvement au Barhein. Mais au contraire, les officiels iraniens sont venus à la réunion dans le but de se réconcilier avec les états du Golfe et l’Arabie Saoudite anti-iraniens (et garantir leur présence à la conférence du MNA cette semaine) et essayer de mettre fin au sang versé en Syrie. « Tous les pays, et spécialement les pays de l’OCI doivent s’unir pour trouver une solution à ce problème pour ramener la paix, la sécurité et la stabilité dans la région, » a dit Salehi. Quel meilleur endroit que la Mecque et quel meilleur moment que la fin du Ramadan pour un homme religieux comme Ahmedinejad ? Le roi saoudien a même offert un cadeau à l’Iran et aux Shiites du monde avec la création du centre pour un dialogue entre Shiites et Sunnites.

La ligne de politique étrangère de l’Iran s’est vue récompensée aussi par l’annonce du président Mohamed Morsi que ce serait lui, et non son vice-président Mahmoud Mekki, qui participerait au sommet du MNA cette semaine à Téhéran, ce qui constituera la première visite d’un chef d’état égyptien (ou de tout officiel égyptien en fait) depuis la révolution iranienne en 1979, les relations diplomatiques ayant été coupées en 1980 à la suite du traité de paix de l’Egypte avec Israël.

Tout le monde se pose beaucoup de questions sur la manière dont va évoluer, en Egypte, le printemps arabe qu’on appelle à Téhéran le réveil de l’Islam. Le renversement de Hosni Moubarak en Egypte et de Zine al-Abidine Ben Ali en Tunisie ont été célébrés à Téhéran comme un écho du renversement du Shah d’Iran en 1979. Les médias occidentaux ont balayé ce parallèle bien qu’il soit évident -les leaders chassés étaient corrompus, pro-étasuniens, et laïques. Les médias occidentaux se sont au contraire efforcés de mettre en parallèle les jeunes militants occidentalisés de Facebook au Caire en 2011 et leurs équivalents à Téhéran pendant l’élection présidentielle de 2009 comme si le caractère islamique de l’Egypte et de l’Iran était quelque chose d’éphémère et que les jeunes de Facebook représentaient la vraie voix du peuple. Le mois agité qui a suivi la révolution de 2011 en Egypte et qui s’est terminé par le triomphe des Islamistes aux élections, et la détermination iranienne actuelle montrent la vraie nature de ces deux révolutions.

La première visite de Morsi a été pour l’Arabie Saoudite, le voisin le plus important de l’Egypte où il a accompli la Umra (petit pèlerinage). Sa seconde action officielle importante de politique étrangère a été son apparition en compagnie du premier ministre de Gaza, Ismail Haniya. Après avoir démis ses généraux pro-étasuniens, Morsi est allé au sommet de l’OCI qui a eu lieu à la Mecque la semaine dernière et après son prochain déplacement à Beijing, il se rendra à Téhéran. Washington finira sans doute par voir le nouveau visage de l’Egypte mais en tous cas, il est certain que ce n’est plus l’Egypte que les Etats-Unis ont considérée comme un allié loyal pendant 40 ans.

Cela n’a donc pas surpris les observateurs neutres que la position égyptienne sur la Syrie au sommet de l’OCI n’ait pas concordé avec la politique étasunienne au Moyen-Orient. Oui, a déclaré Morsi il est « temps que les responsables syriens partent » mais il s’est définitivement opposé à toute intervention étrangère et il a demandé la création d’un groupe de contact comprenant l’Arabie Saoudite, l’Iran, la Turquie et l’Egypte pour amener un changement de régime pacifique. Morsi et les Frères Musulmans demandent depuis le début un cessez-le-feu et une résolution pacifique du conflit, comme les Russes et les Iraniens, en dépit des persécutions que fait subir aux Frères depuis de longues années le régime syrien majoritairement laïque et l’implication des Frères dans l’insurrection armée en Syrie.

Cela concorde avec la position qu’ont de longue date les Frères Musulmans égyptiens contre l’usage de la violence, une position dont on a vu les excellents résultats pendant la révolution égyptienne. L’Egypte n’est pas l’Algérie, l’Afghanistan – ni la Syrie – mais elle se révèle de plus en plus une démocratie mature et stable, dont le président adopte des positions de principe qui reflètent les aspirations de son peuple. Les 2 milliards de dollars que le Qatar lui a offert pendant la réunion de l’OCI pour consolider les réserves en devises étrangères de l’Egypte n’ont pas influencé Morsi.

Le ministre iranien des Affaires Etrangères, Ramin Mehmanparast, a soutenu la position de Morsi en faveur d’une plus large implication musulmane dans la résolution du conflit syrien : « La Syrie est devenue le lieu de la confrontation entre toutes les puissances arrogantes et le mouvement de la résistance islamique en son entier. » Si l’Arabie Saoudite, la Turquie et l’Iran, – avec l’Egypte comme catalyseur – peuvent présenter un front uni à la fois au régime d’Assad et aux nombreux groupes d’opposition, ni l’un ni les autres n’auront de choix et ils devront arriver à une solution. L’OCI, fondée en 1969 et dont les 57 membres représentent 2 milliards de Musulmans dans le monde, s’est donné pour mission de « promouvoir la solidarité entre ses membres ainsi que la paix et la sécurité. » L’Egypte et l’Iran ont simplement appliqué le programme officiel de l’OCI.

Le rapprochement entre l’Egypte et l’Iran était inévitable. Il a été longtemps retardé par le régime de Moubarak qui léchait les bottes d’Israël et des Etats-Unis. Un des premiers bateaux à passer par le canal de Suez après la révolution l’année dernière, longtemps avant que les Frères n’arrivent au pouvoir avec leur parti pour la Justice et la Liberté, a été un navire iranien. Même sous Moubarak, la pression croissante pour normaliser les relations s’est manifestée par l’augmentation du commerce et la normalisation des relations entre EgyptAir et IranAir. Dans quelques mois seulement, les relations diplomatiques se seront certainement tout à fait normalisées.

Les Conférences vont et viennent, mais elles constituent toujours une sorte de test pour le pays qui les accueillent. Presque tous les 120 pays membres seront présents au 16ième sommet du Mouvement des Non Alignés (MNA) – qualifié avec mépris de « bacchanales ridicules » par le Washington Post – qui aura lieu à Téhéran du 26 au 31 août ; il y aura plus de 40 chefs d’état et le président Morsi qui préside actuellement le MNO en sera l’invité d’honneur. L’Egypte a accueilli la dernière conférence du MNA en 2009 et selon le protocole, le chef d’état égyptien préside aux activités du MNA jusqu’à la prochaine conférence. Et donc ça a d’abord été Hosni Moubarak, puis le maréchal Mohamed Tantawi, puis à partir du 1er juillet Mohamed Morsi (l’Egypte avait déjà accueilli la conférence en 1964 et Gamal Abdel-Nasser avait présidé l’organisation de 1964 à 1970).

Le MNA a été créé à Belgrade en 1961 par le président yougoslave Josip Broz Tito, le président indien Jawaharlal Nehru, le président égyptien Gamal Abdel Nasser, le premier président du Ghana Kwame Nkrumah et le président indonésien Sukarno, toutes des figures légendaires des mouvement de libération nationaux avec de solides références anti-impériales, qui cherchaient une troisième voie entre les blocs occidentaux et orientaux de la Guerre Froide. Ses principes, comme ceux de l’OCI sont la solidarité et la résolution pacifique des conflits en renonçant aux alliances et pactes militaires de grande envergure, bien qu’il ait été fondé pour constituer un contre-pouvoir aux superpuissances. L’OCI, elle, a été fondée, et financée au départ, par l’Arabie Saoudite pour constituer explicitement un club anti-communiste enraciné solidement dans le camp occidental. Aucune des deux organisations n’a eu jusqu’ici de réelle influence sur les affaires mondiales, le MNA a décliné après l’effondrement de l’Union Soviétique et l’OCI – comme on le voit dans la dernière résolution concernant la Syrie- ne s’est jamais écartée du giron de la politique étasunienne.

Néanmoins, le MNA représente presque deux-tiers des membres de l’ONU et 55% de la population mondiale. Au 7ème sommet tenu à New Delhi en 1983, le Mouvement s’est décrit comme étant « le plus grand mouvement pacifique de l’histoire« , un mouvement qui donne autant d’importance au désarmement. Mais depuis la fin de la Guerre Froide, le MNA lutte pour retrouver sa place car d’autres blocs comme les BRICS (Brésil, Russie, Inde et Chine) se sont formés en contre-pouvoir de la seule superpuissance qui ait réussi à se maintenir non pas tant grâce à un ancien statut colonial mais à sa capacité d’influence. Le Brésil n’a jamais été membre du MNA.

Pendant les années 1970 et le début des années 1980, le MNA a sponsorisé une campagne pour la restructuration des relations commerciales entre les pays développés et les pays en voie de développement, le Nouvel Ordre Economique International et sa branche culturelle, le Nouvel Ordre Mondial pour la Communication et l’Information, qui jouent encore un rôle significatif aujourd’hui. Le Mouvement s’est engagé officiellement à encourager le développement soutenable et à poursuivre les Objectif du Millénaire pour le Développement en rendant la prise des décisions financières internationales plus démocratique, en allégeant le fardeau de la dette des pays pauvres, en rendant plus justes les relations commerciales et en augmentant l’aide étrangère.

En accueillant la conférence et en prenant la présidence du MNA, l’Iran manifeste clairement son intention d’injecter une nouvelle énergie dans l’organisation internationale anti-impérialiste la plus importante, du fait que l’ONU, l’OCI et la Ligue Arabe sont toutes plus ou moins alignées sur l’agenda étasunien pour le Moyen-Orient.

Les sommets de MNA ont traditionnellement été tenus toutes les quelques années. Sur les trois derniers, deux ont eu lieu dans des pays musulmans – la Malaisie en 2003 et l’Egypte en 2009. La conférence de 2006 a eu lieu à Cuba. Le MNA a disparu pendant la direction égyptienne mais la nouvelle prééminence des pays musulmans dans les affaires du MNA montre que le monde musulman a repris le flambeau de la solidarité avec le tiers-monde qui était autrefois l’apanage du monde socialiste. Au moment où la Chine se transforme en une superpuissance développée occupée principalement à consolider son pouvoir régional et son confort économique et où la Russie a rejoint le club européen, le monde musulman est en train de se redéfinir, et le MNA est un bon vecteur pour sa lutte de longue date en faveur de l’égalité et de la justice sociale.

Il n’y a aucun doute que la résolution du MNA confirmera la proposition de Morsi sur la Syrie et le droit de l’Iran à profiter de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques ; elle condamnera aussi l’armement nucléaire israélien et le vol continuel de la terre palestinienne ainsi que le deux poids deux mesures des positions occidentales sur le terrorisme et leur utilisation de la forces dans les relations internationales. Cela serait la suite logique de leurs critiques passées contre l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, la guerre contre le terrorisme, les efforts pour empêcher l’Iran d’utiliser l’énergie atomique et autres actions dénoncées comme des violations des droits humains et une forme de mépris de la souveraineté de petits pays.

Eric Walberg

Eric Walberg est un journaliste qui a travaillé en Ouzbékistan et qui collabore aujourd’hui à Al-Ahram Weekly au Caire. Il vient de publier : Postmodern Imperialism : Geopolitics and the Great Games.

Pour consulter l’original :
http://dissidentvoice.org/2012/08/from-oic-to-nam-irans-peac…

Traduction : Dominique Muselet

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