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Démission de Carla Del Ponte : «Les propos du procureur prouvent qu’elle est juge et partie»


9 août 2017
© Denis Balibouse Source: Reuters
Carla Del Ponte


Pour l’ancien ambassadeur de France Michel Raimbaud, le procureur démissionnaire Carla Del Ponte, incarne les insuffisances, les préjugés, les «vices de construction» de la justice internationale.

RT France : «L’opposition syrienne n’est composée que de terroristes», a déclaré la chef de la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie en annonçant son intention de démissionner. Que signifie ce geste de Carla Del Ponte ? Partagez-vous sa vision de l’opposition syrienne ?

Michel Raimbaud (M. R.) : Ex-procureur des tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et pour l’ex-Yougoslavie, et ayant rejoint en septembre 2012 la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie, Carla Del Ponte occupe une place éminente dans ce qu’il est convenu d’appeler la justice internationale. En raison de son «franc-parler», de ses «convictions» jugées hétérodoxes, et de sa posture contestatrice, elle séduit les médias mainstream occidentaux, pour lesquels elle incarne une justice décomplexée, qui ne s’encombre ni de prudence diplomatique, ni de subtilité politique, ni de discrétion judiciaire.

La magistrate démissionnaire incarne parfaitement, me semble-t-il, les insuffisances, les préjugés, les «vices de construction» de la justice internationale

De là à faire de madame Del Ponte l’icône d’une justice d’avant-garde, rigoureuse et équitable, indépendante dans ses positions, dans ses travaux, dans ses approches, acceptable pour l’ensemble des nations, il y a une marge.

La magistrate démissionnaire incarne parfaitement, me semble-t-il, les insuffisances, les préjugés, les «vices de construction» de la justice internationale, avant tout conçue pour être l’un des multiples bras séculiers de l’Empire atlantique, qui prétend incarner la «communauté internationale».
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Carla Del Ponte a un style qui plaît, car elle a son franc-parler, mais elle endosse en fait tous les a priori, les fondamentaux, les lieux communs de l’idéologie occidentale dominante. Si elle veut que la Commission obtienne la saisine de la Cour pénale internationale (CPI), ce n’est pas tant pour juger les rebelles et opposants (jadis placés «du côté du Bien», devenus «extrémistes et terroristes»), que pour condamner le président et les responsables syriens, auxquels elle a attribué dès le début «le rôle du Mal». Bachar el-Assad aurait, selon elle, «perpétré de terribles crimes contre l’humanité et utilisé des armes chimiques»… C’est une rengaine bien connue.

Si madame Del Ponte est assez compréhensive avec «l’opposition» syrienne, oubliant que celle-ci avait appelé au meurtre, à la lutte armée et à l’intervention étrangère dès le début de la guerre, elle est loin d’adopter une approche équitable à l’égard de Bachar el-Assad et de son gouvernement, reprenant les poncifs ou mensonges des «révolutionnaires» et de leurs parrains occidentaux ou islamistes. Il est étonnant que cette femme de haut vol soit si obtuse, après six ans et demi d’une tragédie dont la véritable nature, les mobiles et objectifs, sont affichés par les agresseurs de la Syrie avec tant de cynisme.

Les propos de madame Del Ponte prouvent qu’elle est juge et partie

Je suis frappé de constater que madame Del Ponte, membre d’une commission onusienne censée être impartiale, partage apparemment sans réserve la position des responsables et intellectuels occidentaux. Elle est venimeuse concernant Bachar el-Assad, chef d’un Etat agressé, qui défend la souveraineté, l’intégrité et l’indépendance de son pays ; elle est aveugle et sourde face aux voix venant de Syrie. En revanche, elle n’évoque aucunement l’urgence de traduire devant les tribunaux tous ceux qui, en Occident ou en Orient, dans les cercles d’influence et les rouages de «l’Etat profond» de leurs pays respectifs, ont conçu, financé, soutenu, armé les opérations de déstabilisation, de destruction et de mise à mort en Syrie comme tant d’autres pays.

Les propos de madame Del Ponte prouvent qu’elle est juge et partie.

RT France : Pensez-vous que sa démission puisse pousser la communauté internationale à changer d’avis sur l’opposition en Syrie ?

M. R. : Non, je ne crois pas, tant que l’on persistera à appeler «communauté internationale» les quelques pays occidentaux qui représentent 10% de la population de la planète, ont fait main basse sur le monde et rêvent de poursuivre leur razzia sur la planète.

Les organes de l’ONU obéissent au doigt et à l’œil à Washington et ses vassaux

RT France : Comment voyez-vous le fonctionnement de la Commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie ? Pensez-vous qu’elle puisse avoir des conclusions impartiales ?

M. R. : La question principale ne concerne pas le fonctionnement, mais la conception même de la justice internationale. Des conclusions impartiales signifieraient que la justice soit respectée et que la Commission puisse conduire ses investigations et déposer ses conclusions en toute indépendance, c’est-à-dire sans pression des «Trois» de la «communauté internationale» (France, Grande-Bretagne, Etats-Unis). Dans le contexte actuel, c’est inimaginable… A l’exception du Conseil de sécurité, où, depuis quelques années, la Russie renaissante et la Chine qui ne cesse de monter en puissance, opposent leur veto, les organes de l’ONU obéissent au doigt et à l’œil à Washington et ses vassaux…

Si la Commission d’enquête de l’ONU partage tous les préjugés, toutes les approches de madame Del Ponte, elle sera sûrement dans l’incapacité d’arriver à des conclusions impartiales sur le conflit en Syrie

Si, comme on peut le craindre, la Commission d’enquête de l’ONU partage tous les préjugés, toutes les approches de madame Del Ponte, elle sera sûrement dans l’incapacité d’arriver à des conclusions impartiales sur le conflit en Syrie. Le principe de base restera inchangé : transformé durant la double décennie de la toute-puissance US (la période unipolaire), à partir de 1991, l’appareil de la justice internationale est voué à agir au gré des intérêts et pulsions de l’Empire atlantique.

Le Conseil de sécurité sert à cet empire d’instrument de coercition : la CPI ne peut intervenir contre les Etats qui n’ont pas adhéré au Traité de Rome et ne reconnaissent pas la compétence de la Cour, mais une résolution du Conseil de sécurité peut enjoindre à la CPI de se saisir du dossier.

J’ajouterai que trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité ne sont pas ou plus parties au traité de Rome (les Etats-Unis, la Chine et la Russie). En raison d’un probable veto de Moscou et de Pékin (comme en 2014), le Conseil ne votera donc pas la saisine [le 8 août 2017].

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