Dénonciation de l’accord sur le Ciel ouvert : les Etats-Unis attendent des concessions stratégiques de la Russie
mai 24, 2020
Russie politics
Samedi 23 mai 2020
Trump a annoncé le retrait des Etats-Unis de l’accord international sur le Ciel ouvert, entré en vigueur en 2002, permettant aux 34 pays signataires, essentiellement membres de l’OTAN, de survoler l’espace aérien de ces pays, afin de vérifier qu’ils ne sortent pas de leurs obligations internationales en matière militaire. Officiellement, il s’agit d’un « outil de confiance », réellement d’un « outil de renseignement ». Or, justement, les Etats-Unis reprochent finalement à la Russie de ne pas leur permettre de pleinement rentabiliser cet instrument, qui perd alors de son intérêt et auquel ils annoncent renoncer, surtout si elle-même ose l’utiliser. Mais la dénonciation n’est pas immédiate, afin de garder du temps pour tenter de conduire la Russie à fire des concessions stratégiques. Bref, les Etats-Unis font monter les enchères, car ils estiment que la situation géopolitique n’est plus celle issue de la Guerre froide, à chaque Etat prétendant être un acteur de défendre son titre.
Le Traité sur le Ciel ouvert est entré en vigueur en 2002 et compte 34 signataires qui, outre les Etats-Unis, le Canada, la Turquie et le Kirghizistan sont essentiellement les pays européens, et la Russie. Il permet le survol des territoires des pays membres, avec certaines restrictions (notamment une bande de non-survol de 10 km à la frontière) pour vérifier les mouvements militaires et les infrastructures militaires. Cette idée n’est pourtant pas nouvelle, elle avait été proposée dans le milieu des années 50 (après la mort de Staline) par les Etats-Unis, mais refusée par Khrouchtchev, qui y avait, à juste titre, vu une tentative d’espionnage. L’on pourrait même dire de légalisation de l’espionnage. Bush, en 1989, quand l’URSS est en pleine « ouverture », relance l’idée, qui sera alors circonscrite aux pays de l’OTAN, mais ne sera réellement formalisée qu’en 2002, lorsque la Russie de Poutine et les Etats-Unis parviennent à cet accord. Il semblerait donc que ce Traité sur le Ciel ouvert n’ait pris tout son sens qu’avec l’entrée de la Russie et donc l’accès à son espace aérien, surtout que les tentatives historiques de le faire passer coïncident avec des périodes de l’histoire politique russe considérées comme zones de transition, donc de faiblesse.
Maintenant, les Etats-Unis disent vouloir se retirer, car la Russie ne remplirait pas ses obligations. Il faut dire qu’elle a été obligée de bloquer le survol de la région de Kaliningrad, tous les moyens étaient bons aux « amis-partenaires » de la Russie pour prendre des renseignements sur cette région qui leur reste en travers de la gorge, même l’utilisation de l’aviation civile et commerciale. De la même manière, la Russie, s’appuyant sur les normes du traité interdisant le survol sur une bande de 10 km à la frontière, interdit de se rapprocher de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. Récemment, elle a dû refuser le survol des exercices militaires pendant la phase chaude pour raison de sécurité. La Russie n’aurait ainsi pas respecté le quota de survol. Ce sont ces éléments qui lui sont reprochés par les Etats-Unis, autant que d’utiliser le traité pour recueillir des informations sur les infrastructures militaires des Etats-Unis et des pays de l’OTAN. Autrement dit, il est reproché à la Russie d’utiliser le traité de la manière que les pays de l’OTAN, dans son intérêt, ce qui manifestement n’était pas prévu.
La dénonciation ne sera officialisée par les Etats-Unis que le 22 mai et ne prendra effet que 6 mois plus tard, ce qui laisse le temps de la négociation. La Russie de son côté a déclaré ne pas vouloir sortir du traité et espérer que les autres pays membres ne partageront pas les informations recueillies avec les Etats-Unis. Soit, mais c’est un peu surprenant car ce sont des pays membres de l’OTAN. Donc, même si par une plus qu’étrange et subite volonté des pays membres du Clan atlantiste de ne pas coopérer avec les Etats-Unis (une sorte de poussée incontrôlée de souverainisme), concrètement, comment devraient alors se dérouler les discussions à l’OTAN: lorsqu’il s’agit de la Russie, les Etats-Unis doivent sortir de la salle ? Assez peu réaliste. Bref, si la Russie reste dans le traité alors que les Etats-Unis en sortent, elle offrira ses informations, perdant celles concernant l’espace aérien américain, qui lui sera fermé. Et l’on peut être certain que, dans ce sens, les « amis-partenaires » ne partageront pas les informations.
Mais il n’est pas certain que les Etats-Unis finalement sortent. Ils veulent surtout renégocier un traité qui leur soit plus favorable en matière de renseignement sur le sol russe. Et Trump l’a exprimé très clairement :
« Donald Trump n’a pas fermé la porte à une renégociation de ce traité signé par 35 pays. « Je pense que ce qui va se passer, c’est que nous allons nous retirer et ils vont revenir et demander à négocier un accord », a-t-il dit. « Nous avons eu de très bonnes relations récemment avec la Russie ». »
Il faut dire que cette volonté de négocier envers et contre tout est déjà visible en ce qui concerne la prolongation du traité Start III sur la réduction des armes nucléaires entre la Russie et les Etats-Unis, où la Russie faute de ne pouvoir négocier un autre traité propose de le reconduire pour 5 ans – silence américain. C’est la même chose avec la question du développement des systèmes américains de défense antimissiles NMD : la Russie a demandé, pour la énième fois, de ne pas les développer, car elle considère ces modifications des systèmes comme un danger pour elle. La réponse du représentant spécial de Donald Trump pour le contrôle de l’armement, le Marshall Billingslea fut singlante :
« Le Président Donald Trump a clairement laissé entendre qu’il n’envisage aucune limitation dans le développement du système NMD (…). Pour autant, la Russie est un pays indépendant et Riabkov (vice-directeur du MAE) a précisé lors de notre discussion qu’il allait soulever la question des NMD et d’autres questions. C’est pourquoi je suis certain que nous allons en discuter. Mais il me semble que les Russes doivent faire des propositions incroyables, je n’imagine même pas lesquelles et si c’est possible, pour que le Président change d’avis sur cette question. »
Manifestement, le jeu américain est totalement décalé par rapport à la diplomatie classique développée par la Russie, prise pour de la faiblesse. Trump développe une tactique de négociations agressives, qui conduisent ses adversaires à faire plus de concessions qu’ils n’en feraient en temps normal. « ils vont revenir et demander à négocier un accord », l’attente en réponse n’est pas une erreur, surtout lorsque l’action ne conduit pas au résultat recherché.
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Source : Russie Politics
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