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Djihadistes de l’EI : et maintenant ils saccagent Hatra


Djihadistes de l’EI : et maintenant ils saccagent Hatra

Publié par Gilles Munier
5 Avril 2015, 08:37am

La propagande de guerre du régime de Bagdad avait annoncé la destruction du site archéologique de Hatra un peu vite. Maintenant, elle est en cours.

L’Etat islamique a diffusé une vidéo montrant la destruction d’un visage gravé sur un mur parce qu’il était « idolâtré à la place d’Allah », un djihadiste tirant avec une kalachnikov sur une statue… etc… Lamentable, déshonorant, criminel.

Des censeurs imbéciles ont supprimé la vidéo sur You Tube, on se demande pourquoi. Elle est heureusement sur Liveleak.

Ci-après l’interview que j’ai accordée au quotidien Présent au sujet du pillage des sites archéologiques irakiens par des combattants de l’Etat islamique (publiée hier dans son supplément littéraire – 4/4/15) :

Propos recueillis par Camille Galic

Gilles Munier, secrétaire général des Amitiés franco-irakiennes depuis 1986 et animateur du blog France-Irak-Actualité, vous avez publié en 2000 aux éditions Jean Picollec un Guide de l’Irak, pays où vous vous êtes rendu à maintes reprises entre 1974 et mars 2003. Comment avez-vous réagi aux vidéos diffusées par l’organisation Etat islamique sur la destruction de manuscrits anciens d’une valeur inestimable et de statues, notamment au musée de Mossoul ?

J’étais d’autant plus accablé par ces vidéos que j’ai visité le musée de Mossoul à deux reprises à la fin des années 90 ainsi que la plupart des sites archéologiques, mosquées, monastères et églises détruits par Daech. A l’époque, le musée était protégé par l’armée. Après la Première guerre du Golfe (1991), l’embargo imposé à l’Irak avait réduit la population à la misère. Il était tentant d’aller voler la tête d’une statue mésopotamienne ou une tablette cunéiforme pour nourrir sa famille. En 1998, la police avait arrêté à Khorsabad des trafiquants qui découpaient en tranches la tête d’un taureau ailé du palais du roi Sargon II (721-705 av. JC) pour la reconstituer et la vendre à l’étranger. Leur condamnation à mort, commuée ensuite en peine de prison, avait découragé les candidats pillards.
La destruction du taureau ailé assyrien par un djihadiste m’a fait mal au cœur car j’avais pu le contempler juste après sa découverte dans une excavation percée par des archéologues sous le tell que surplombait le tombeau de Jonas. En juillet, la tombe du prophète a été détruite à l’explosif par Daech, et je crains que le palais d’Asarhaddon (681-669 av. J-C), fils d’Assourbanipal, dont le taureau ailé gardait l’entrée, ne soit pillé et vendu en pièces détachées à de riches collectionneurs ou à des musées en Chine ou ailleurs.

Il semblerait qu’à Mossoul, certaines des statues fracassées aient été non pas des originaux mais des copies. Pensez-vous que les originaux ainsi « préservés » puissent faire l’objet de trafics ?

Oui, plusieurs objets détruits devant les caméras par les djihadistes étaient des copies. Le photographe Erick Bonnier qui a illustré mon Guide de l’Irak peut en témoigner puisqu’il les a tenues en main. Les originaux étaient au musée de Bagdad. Y sont-ils toujours ? Après le pillage organisé de ce musée en 2003, aucun inventaire sérieux et indépendant n’a été effectué. Certains pillards avaient des listes d’objets à voler, les vitrines ou les entrepôts où ils se trouvaient et éventuellement les copies qui devaient les remplacer.
Les destructions de Nimroud et de Khorsabad au bulldozer n’ont pas été confirmées. De toutes manières, il ne restait plus grand-chose sur ces sites vidés à la va-vite – pour ne pas dire pillés – à la fin du 19ème siècle par des archéologues français et britanniques et des intermédiaires peu scrupuleux. Des taureaux ailés et des statues de dieux antiques ont coulé dans le Tigre lors de leur transport vers Bassora. Dans les années 70, des recherches ont été effectuées par un prince japonais pour les retrouver, sans résultat.

La destruction des temples de Hatra serait, elle, dramatique comme l’a été celle, il y a quelques jours, du monastère de Mar Behnam, datant du 4ème siècle, ou celle des manuscrits islamiques de la bibliothèque de Mossoul brulés en février dernier. Malheureusement, les parchemins et enluminures n’avaient pas tous été numérisés par les Dominicains. Qui sait si certains ne sont pas déjà en possession d’antiquaires à Bruxelles ou Qatar, s’ils ne seront pas un jour vendus aux enchères à Londres ou à New York.

Une exposition intitulée « Sur les bords des fleuves de Babylone » se tient actuellement au musée biblique de Jérusalem. Une centaine de tablettes d’argile mésopotamiennes – les plus anciennes datant de l’exil des Juifs à Babylone, il y a 2.500 ans – y sont présentées. Il s’agit pour la plupart de tablettes enregistrant des transactions commerciales, dont une signée par un marchand juif du nom de Netanyahou ! David Sofer, le collectionneur israélo-londonien qui les a prêtées au musée, affirme – sans convaincre tout le monde – qu’il les a achetées à New York, dans les années 90. Elles n’y sont pas parvenues toutes seules… La journaliste d’investigation américano-libanaise Serena Shim qui dénonçait les trafics d’antiquités – entre autres – organisés par la CIA et le Mossad à la frontière turque dans des camions d’ONG humanitaires, a été assassinée en octobre 2014.

De tels trafics se sont produits après l’invasion étatsunienne de 2003 et le pillage de nombreux musées irakiens, dont celui de Bagdad. Quelle en a été l’ampleur ?

En 2012, on estimait à plus de 32 000 le nombre des objets volés sur 12 000 sites archéologiques irakiens depuis 2003, et à 15 000 les pièces disparues du musée de Bagdad.

Les Américains ont restitué certaines d’entre-elles, volées par leur soldatesque en pratiquant des excavations sauvages sur les sites d’Our et de Babylone transformés, comme par hasard, en campement militaire. Mais des dizaines de milliers de tablettes et d’artefacts sont entre les mains de « marchands » qui disent, comme David Sofer, qu’ils auraient été perdus à jamais s’ils ne les avaient pas achetées… Savoir que la majorité des trésors archéologiques mésopotamiens dorment encore sous la terre d’Irak est une maigre consolation. Autour de Mossoul, on a dénombré 1791 sites archéologiques, une aubaine pour les trafiquants.

Dans votre Guide de l’Irak, vous évoquez les très importants travaux de restauration de sites préislamiques entrepris sous la présidence de Saddam Hussein. Peut-on penser que les destructions actuelles relèvent non seulement du fanatisme salafiste mais aussi de la haine de Daesh contre le régime baasiste, donc laïc ?

Dans les années 70 et 80, le Département irakien des antiquités a restauré plusieurs sites archéologiques, notamment celui de Babylone. Un budget était également consacré à la restauration des mosquées et sanctuaires religieux sunnites et chiites, des églises et des monastères, ainsi qu’à la sauvegarde des tombeaux de prophètes comme Ezéchiel, Ezra, Daniel. J’ai eu la chance de les visiter pratiquement tous. Aujourd’hui, je me demande ce qu’est devenu celui du prophète Nahoum situé dans la ville chrétienne d’Al-Qosh, occupée par Daech ? Cela dit, la laïcité ne fait pas partie du programme de l’Etat islamique, mais il ne faut pas croire que les daechistes exècrent tous Saddam Hussein. Il demeure un symbole de la résistance du peuple irakien contre les Etats-Unis et l’Iran…. (…) …

Photo : Destruction de Hatra

Vidéo de la destruction de Hatra par l’Etat islamique :

http://www.liveleak.com/view?i=8af_1428174074

Sur le même sujet, lire aussi :

Etat islamique : Destruction d’ « idoles » au musée de Mossoul

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