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Élections irakiennes : les principales forces en lice


Publié par Gilles Munier sur 5 Octobre 2021, 12:16pm

Catégories : #Irak

Le 15 juillet 2020, Moqtada al-Sadr avait appelé au boycott des législatives… Il a finalement décidé que son courant prendrait part au scrutin du 10 octobre

Par Soulayma Mardan Bey (revue de presse : L’Orient-Le Jour – 4/10/21)*

C’était l’une des promesses du Premier ministre irakien Moustapha el-Kazimi au mouvement d’octobre 2019 : des élections législatives auront bel et bien lieu dans une semaine, en dépit des multiples turbulences que le processus organisationnel a traversées. Mais le rendez-vous électoral du 10 octobre est d’ores et déjà confronté à une double menace : la corruption et le clientélisme, d’une part ; un rejet massif par les contestataires irakiens, d’autre part.

Car si la programmation d’un scrutin anticipé faisait effectivement partie à l’origine des revendications du soulèvement, de larges factions parmi celui-ci assurent désormais vouloir le boycotter. En cause : le climat d’insécurité qui règne dans le pays et menaçant les voix critiques. « L’un des plus grands risques dans l’abstention et le boycott des élections, c’est qu’il s’agit précisément de ce que les forces traditionnelles ont souhaité pendant plus de 17 ans pour que seuls leurs bénéficiaires participent », commente Adil el-Lami, premier chef de la Commission électorale irakienne.

Depuis le déclenchement de l’intifada il y a presque deux ans à Bagdad et dans le Sud – majoritairement chiite – du pays, la violence contre les opposants au régime se déchaîne, imputée pour une grande part aux forces de sécurité irakiennes et aux factions armées proches de Téhéran, regroupées pour la plupart au sein de la coalition paramilitaire d’al-Hachd ach-chaabi (PMF). Dans le sillage de l’élimination en janvier 2020 de Kassem Soleimani – ex-commandant en chef de l’unité d’élite al-Qods au sein des gardiens de la révolution iranienne – et de Abou Mahdi el-Mouhandis – ancien leader de facto des PMF –, les espaces de révolte se réduisent comme peau de chagrin et la répression prend un autre visage, celui des assassinats ciblés.

Dans ces circonstances, la nouvelle loi électorale, approuvée par le Parlement en décembre 2019 et censée faire plus de place aux concurrents indépendants, risque de ne pas porter ses fruits. C’est cependant compter sans l’impact que pourrait avoir l’appel le 29 septembre de la plus haute autorité religieuse chiite en Irak – la figure fédératrice de l’ayatollah Ali Sistani – en faveur d’une participation massive. À une semaine du scrutin, L’Orient-Le Jour revient sur les principales forces politiques en lice.

Les principales forces politiques chiites

1- Le mouvement sadriste

Année de fondation : 2003

Leader : Moqtada Sadr

Milice : l’Armée du mahdi

Positionnement : nationaliste chiite, lutte contre les États-Unis, relations conflictuelles avec l’Iran, populisme.

Pour la seconde fois consécutive, le mouvement sadriste devrait arriver en tête du scrutin et former le groupe le plus important au sein du Parlement irakien. Si son caractère imprévisible et ses retournements de veste sont régulièrement soulignés par les analystes, Moqtada Sadr peut se targuer d’une inébranlable consistance depuis 2003 sur au moins un sujet : la lutte contre l’occupation américaine. Après avoir soutenu du bout des lèvres l’intifada d’octobre – à laquelle nombre de sadristes ont participé –, il a appelé, après l’élimination de Soleimani et de Mohandis, ses partisans à déserter les places publiques. « Notre position initiale a été de protéger les manifestations et d’œuvrer à la préservation de leur caractère pacifique dans l’espoir que cela aboutisse à des réformes », déclare Riyad el-Massoudi, député de la coalition Sa’iroun au sein de laquelle le mouvement sadriste est prépondérant. « Mais il y avait des orientations au sein même de ces manifestations liées à des parties extérieures. Par ailleurs, le Hirak s’est surtout développé dans neuf régions, de Bagdad à Bassora. Pourquoi pas à l’Ouest ou au Nord ? Comme si le but était de s’opposer à un gouvernement dit chiite, alors que celui-ci regroupe toutes les composantes du pays. Tout le monde aurait dû être tenu pour responsable de la situation en Irak. »Au cours de la décennie, Moqtada Sadr a réussi à engranger des gains politiques au Parlement et au gouvernement tout en se plaçant avant 2019 à la tête des mobilisations populaires contre les autorités. Actuellement, certains lui reprochent d’être juge et partie, à plus forte raison que s’est accrue au cours de ces dernières années la mainmise des sadristes sur des secteurs-clés de l’État, tels que le pétrole, l’électricité ou encore les transports. « Le mouvement sadriste ne prend jamais de l’ampleur, mais reste constant. C’est à la fois pour lui un avantage et un désavantage. Il est difficile d’imaginer que beaucoup de ses partisans puissent s’en éloigner aujourd’hui », commente Marsin el-Shammary, chercheuse non résidente au Belfer Center de la Harvard Kennedy School. « Mais le mouvement ne gagne jamais suffisamment au point de pouvoir choisir à lui seul le Premier ministre et former le gouvernement. Moqtada Sadr s’est trouvé dans une position de faiseur de rois à cause surtout des faibles taux de participation. »

Pour les Occidentaux, à commencer par Washington, le trublion de la scène politique irakienne a tout du meilleur ennemi, le seul actuellement à même de contenir un tant soit peu la toute-puissance des milices pro-Téhéran.

2- L’Alliance du Fateh

Année de fondation : 2018

Leader : Hadi el-Amiri

Milices : une grande partie des factions au sein de la coalition paramilitaire d’al-Hachd ach-chaabi

Positionnement : proximité avec Téhéran, opposition au mouvement d’octobre 2019.

Dirigée par des commandants de milices proches de la République islamique, l’Alliance du Fateh constitue le groupe pro-iranien le plus large dans le pays, arrivé deuxième à l’issue du scrutin de 2018 avec 48 sièges. L’alliance regroupe les ailes politiques de plusieurs factions armées, telles que Assaïb Ahl el-haq ou encore l’organisation Badr qui combattait déjà auprès du voisin iranien au cours de la guerre Irak-Iran entre 1980 et 1988. Même si elle est nettement contestée aujourd’hui, la coalition paramilitaire d’al-Hachd ach-chaabi avait joué un rôle crucial dans la défaite de l’État islamique entre 2014 et 2017, période durant laquelle elle pouvait se targuer d’une popularité certaine auprès des chiites.

Une position qui s’est affaiblie depuis le déclenchement de l’intifada d’octobre, dénonçant dans un même élan le confessionnalisme, la corruption et la mainmise de Téhéran sur le pays. Les milices conservent néanmoins une indéniable influence sur l’État profond, et sont dotées d’importantes ressources militaires, politiques et financières.

Par ailleurs, le parti Huqooq, bras politique des Kataëb du Hezbollah – le plus redoutable des supplétifs iraniens en Irak –, se présentera aux élections indépendamment de l’Alliance du Fateh. « Il s’agit d’une réaction à l’échec des politiciens chiites qui n’ont pas réussi à fournir les services nécessaires à leur base. Cela pose une menace aux partis traditionnels liés aux factions de résistance au sein de l’Alliance du Fateh », avance l’analyste et journaliste Moustafa Saadoun. Des candidatures à mettre aussi en lien avec la discorde qui règne au sein des PMF depuis la mort de Soleimani, notamment entre le Kataëb du Hezbollah et Assaïb Ahl el-haq.

3- La coalition nationale du pouvoir de l’État

Année de fondation : 2021

Leadership : rassemble le mouvement Hikmah de Ammar el-Hakim et l’Alliance el-Nassir de l’ancien Premier ministre Haïdar el-Abadi

Positionnement : autorité de l’État.

Le premier est un clerc chiite renommé, petit-fils du grand ayatollah Mouhsine el-Hakim, devenu en 1946 la plus haute référence religieuse dans la ville sainte de Najaf. Le second a officié en tant que quatrième chef du gouvernement irakien depuis 2003 et peut s’enorgueillir d’une victoire contre l’EI. À eux deux, ils tentent de se tailler la part du lion dans l’arène politique chiite en s’adressant directement au mouvement d’octobre 2019 et aux abstentionnistes.

La coalition n’a qu’un mot à la bouche, l’État. Une manière tacite de dénoncer la proximité de l’Alliance du Fateh avec Téhéran. Le duo évite toutefois la surenchère, et Ammar el-Hakim est parvenu à ménager la chèvre et le chou, d’une part en émettant part des critiques relatives aux violations de la souveraineté irakienne et d’autre part en multipliant les gestes diplomatiques en direction de la République islamique. Comme lorsqu’il a assisté à la cérémonie de prestation de serment au début du mois d’août du président iranien Ebrahim Raïssi. Certains ne donnent pas cher toutefois de l’avenir de la coalition du fait de ses bases chancelantes, de l’inexistence d’appuis régionaux ou internationaux et de la présence de certains de ses membres – malgré l’image de « modération » renvoyée – sur la liste noire américaine.

Les principales forces politiques sunnites

Malgré l’ampleur des enjeux touchant les régions du pays libérées de l’État islamique en 2017, le leadership sunnite est incapable de formuler pour y répondre un projet qui puisse dépasser les bisbilles partisanes. Au contraire, il est aujourd’hui construit autour de trois alliances aux fondations peu solides qui dépendent chacune de puissances étrangères opposées et d’alliés ou partenaires chiites à couteaux tirés entre eux.

1- Alliance Taqaddom

Leadership : Mohammad el-Halboussi.

Conduite par le président du Parlement irakien Mohammad el-Halboussi, l’alliance Taqaddom regroupe plusieurs chefs issus des régions du Nord et de l’Ouest à majorité sunnite du pays. Le fief de la coalition se situe dans la province d’al-Anbar. L’alliance est par ailleurs largement soutenue par Riyad. Mohammad el-Halboussi est l’une des personnalités sunnites les plus puissantes du pays. Une force qui, selon ses pourfendeurs, s’est développée grâce à sa proximité avec le camp pro-iranien avant de tenter de s’en détacher pour se rapprocher de l’homme fort d’Irak, Moqtada Sadr.

2- Alliance Azm

Leadership : Khamis el-Khanjar.

Magnat des affaires, Khamis el-Khanjar a longtemps œuvré dans les coulisses de la scène sunnite irakienne, sponsorisant politiciens et combattants avant d’émerger comme une figure politique de premier plan. Jadis pourfendeur des alliés de la République islamique en Irak, et plus particulièrement de Nouri el-Maliki, dont il blâmait le sectarisme antisunnite en 2012, il se rallie à eux après la défaite de l’EI en 2017. Très proche du Qatar et aujourd’hui sous le coup de sanctions américaines, Khamis el-Khanjar a tourné le dos aux États-Unis et à l’Arabie saoudite après la crise diplomatique qui a éclaté en 2017 entre le royaume wahhabite et Doha. L’alliance qu’il dirige concourra pour la première fois aux élections ce 10 octobre et rassemble plusieurs partis tels que la formation al-Hal de Jamal el-Karbouli.

3- Le Projet de salut national

Leadership : né de l’alliance entre Oussama el-Nujaifi, chef du Front du salut et du développement, et de Jamal el-Dhari, chef du Projet national irakien. Basée à Mossoul, la coalition du Projet de salut national est soutenue par Ankara.

Les principales forces politiques kurdes

Dans la région autonome du Kurdistan irakien, les deux principales forces, le Parti démocratique du Kurdistan (KDP) – dominant à Erbil – et l’Union patriotique du Kurdistan (PUK) – dont le bastion est à Souleymania –, devraient conserver leurs places hégémoniques dans le paysage politique. En 2018, le KDP avait obtenu 25 sièges au Parlement contre 18 pour le PUK.

Pour venir à bout de la puissance du KDP, le PUK multiplie les coalitions officielles et officieuses avec d’autres groupes politiques moins significatifs tout en essayant d’élargir cette pratique aux scrutins à venir à l’échelle régionale. Des manœuvres appuyées par Téhéran qui reproche au KDP ses relations avec Washington et plusieurs pays arabes avec lesquels il est en conflit.

Le Mouvement d’octobre

Depuis l’assassinat de Soleimani et de Mohandis, l’intifada d’octobre 2019 bat de l’aile. La terreur imposée par les milices, couplée à la crise du coronavirus, a contribué à vider les rues du pays. Parmi les militants du soulèvement, trois attitudes dominent vis-à-vis du scrutin. La première rassemble ceux qui appellent au boycott. C’est le cas par exemple de al-Beit el-Watani, l’un des groupes les plus importants de l’opposition. « Les appels au boycott sont considérables au sein de l’électorat et il y a au moins quatre parties (au sein de la contestation) qui ont d’ores et déjà dit qu’elles ne participeraient pas. C’est le cas d’al-Beit el-Watani ; mais aussi du Parti communiste, dit Mme Shammary. Cela soulève la question de la légitimité dont sera doté le prochain gouvernement. » La deuxième attitude inclut ceux qui pensent rejoindre des alliances dites « modérées », comme celle formée par Ammar el-Hakim et Haïdar el-Abadi. La troisième comprend enfin les participants à l’élection. C’est le cas par exemple du mouvement Imtidad. Les indépendants peuvent bénéficier de la nouvelle loi électorale qui fait passer le nombre de circonscriptions de 18 à 83. « La nouvelle loi peut les aider, car les découpages sont suffisamment petits pour permettre aux candidats d’avoir une certaine visibilité, analyse Marsin el-Shammary. Mais c’est aussi dangereux, car cela les rend plus facilement identifiables. »

*Source : L’Orient-Le Jour

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