Entre la France et l’Iran, les affaires reprennent… sous menace américaine
mars 7, 2018
France-Irak Actualité : actualités sur l’Irak, le Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique
Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak, au Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique. Traduction d’articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne, enquêtes et informations exclusives.
ublié par Gilles Munier sur 7 Mars 2018,
Catégories : #Iran, #Irak, #Trump
Poignée de main entre Jean-Yves Le Drian
et Mohammed Javad Zarif, ministre iranien des AE…
Revue de presse : RT-France (6/3/18)*
Malgré les déclarations de Jean-Yves Le Drian sur le programme de missiles balistiques iranien et les fins de non-recevoir de Téhéran, les deux pays tentent de faire du commerce. Pourtant les menaces de la justice américaine imposent la prudence.
La visite de Jean-Yves Le Drian à Téhéran, le 5 mars, n’a semble-t-il pas apporté d’avancée diplomatique sur les sujets du programme balistique de l’Iran et de sa politique régionale, notamment en Syrie. Ils étaient officiellement les seuls sujets au programme de cette visite. Pourtant, la France tente de reprendre pied économiquement et commercialement en Iran.
Sur le site web du quai d’Orsay on peut lire : «En raison des sanctions internationales contre Téhéran en 2004, les échanges entre la France et la République islamique se sont effondrés. Entre 2004 et 2014 les échanges commerciaux ont été divisés par 7 et les exportations vers l’Iran par 5. La levée d’une partie des sanctions en 2014 a permis une reprise des échanges. La France importe à nouveau le pétrole iranien et souhaite investir massivement dans l’économie iranienne dont le marché et les infrastructures sont vétustes.»
Les constructeurs automobiles français détiennent 40% du marché
Et en effet, depuis la signature de l’accord sur le nucléaire iranien en juillet 2015 à Vienne, les entreprises occidentales et notamment françaises se ruent de nouveau à Téhéran pour saisir les opportunités d’un marché de près de 80 millions d’habitants. La France, traditionnellement présente à travers son industrie automobile par le biais d’exportations ou d’assemblage sur place de véhicules y a repris ses investissements. Les marques automobiles françaises représentent d’ailleurs 40% du marché.
En 2017, Peugeot a vendu en Iran plus de 440 000 véhicules et Renault près de 160 000. Pour la première, c’est presque un record après avoir été délogée d’Iran, il y a six ans, sous la pression de son partenaire américain General Motors. En mars 2012, ces deux groupes avaient annoncé «une alliance stratégique mondiale», matérialisée par l’entrée de l’américain au capital du français, à hauteur de 7 %.
Mais pendant cette brève période de fiançailles qui avaient finalement échoué en 2013, General Motors avait imposé à PSA de se retirer du marché iranien. Et surtout le décret signé par Barack Obama le 3 juin 2013, l’Executive Order Act 13645, aggravait les sanctions contre l’Iran en interdisant la fourniture de pièces détachées ou de services à des sociétés iraniennes.
Peugeot chassé d’Iran par les lois américaines au profit de General Motors
Or, Peugeot exportait des pièces détachées françaises dans le cadre d’un partenariat (aujourd’hui ressuscité) avec la société Iran Khodro qui étaient assemblées en Iran. Au même moment, General Motors s’attachait à supplanter cette production franco-iranienne par des ventes (non sanctionnées par le décret Obama) de son modèle Camaro fabriqué dans l’Azerbaïdjan voisin.
La marque de Belfort a repris depuis février 2017 son partenariat avec Iran Khodro. En août de la même année, Renault a annoncé un plan d’investissement de 660 millions d’euros dans une joint-venture à hauteur de 60% des parts avec un organisme public iranien qui détiendrait 20% à égalité avec la société privée iranienne Parto Neguine Nasseh. La nouvelle société devrait produire d’abord 150 000 véhicules par an puis 300 000.
Le groupe Total a quant à lui annoncé le 3 juillet dernier la signature avec la National Iranian Oil Company (NIOC), la compagnie nationale iranienne, d’un contrat portant sur le développement et la production d’une tranche de South Pars (SP11), le plus grand gisement de gaz naturel au monde située dans les eaux qui séparent l’Iran de l’Arabie saoudite. La capacité de production du projet est de 400 000 barils équivalent pétrole par jour.
La menace de l’extraterritorialité de la justice américaine
Pour autant, la plupart des investissements économiques en Iran se font sous la menace de l’extraterritorialité de la justice américaine qui peut à tout moment décider de la légalité d’une opération commerciale et prononcer de très lourdes amendes contre des entreprises étrangères. Le souvenir de celles de 8,9 milliards et 787 millions de dollars infligées à BNP Paribas en 2014 et au Crédit agricole en 2015 pour contournement de la législation américaine sur l’utilisation du dollar dans les transactions commerciales avec des pays sous sanctions est encore dans les mémoires.
Si les grandes entreprises comme Total, Renault ou Peugeot peuvent investir sur leurs fonds propres, il n’en va pas de même pour les PME qui sont obligées de recourir au crédit auprès de banques très échaudées. Aussi, BPI France, la banque publique vouée à l’internationalisation des entreprises françaises, négocie avec Téhéran la mise en place d’un mécanisme de crédit export.
Son directeur général Nicolas Dufourcq qui présentait un rapport devant la commission parlementaire au début du mois de février avait alors annoncé la création d’un «véhicule dédié», soit un fonds spécialement conçu pour soutenir les exportations ou investissements français en Iran. «Il n’y a pas un dollar là-dedans. […] Il n’y a pas une personne qui ait un passeport américain dedans», avait-il expliqué. En effet, l’absence de transaction en dollars est l’un des rares et fragiles boucliers contre les sanctions extraterritoriales américaines. Les projets français candidats à ces financements protégés s’élèveraient à 1,3 milliard d’euros.
Il n’y a pas un dollar là-dedans. […]
Il n’y a pas une personne qui ait un passeport américain dedans
Néanmoins les velléités sans ambiguïté des Américains de se réserver l’essentiel du marché iranien n’ont sans doute pas disparu. Elles s’expriment depuis des années par le biais d’une ONG américaine, United Against Nuclear Iran (UANI, Unis contre l’Iran nucléarisé) qui, sous couvert de lutte contre le nucléaire iranien et pour les valeurs démocratiques, fait tout pour barrer la route aux sociétés européennes qui souhaiteraient investir en Iran. On retrouve dans les effectifs de cette société des personnalités comme Jim Woolsey, ancien directeur de la CIA, mais aussi Tamir Pardo, ancien directeur du Mossad israélien.
Dans une lettre rendue publique par Le Parisien, datée du 30 mars 2016 et adressée depuis New York à Xavier Huillard, Pdg du groupe Vinci, l’UANI conseillait sur un ton menaçant de renoncer à tout projet en Iran et rappelait la batterie de moyens de rétorsion américains. Surtout, huit mois avant l’élection de Donald Trump, le signataire de cette lettre, Mark D. Wallace, ancien ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’ONU sous l’administration de Georges W. Bush et conseiller du néo-conservateur John Mac Cain, prévenait déjà : «Aucun projet d’affaire ne peut avoir la garantie qu’un régime tendant à acquérir l’arme nucléaire par la tricherie, les subterfuges et la ruse ne violera pas le JCPOA [acronyme anglais de l’accord sur le nucléaire iranien] et ne provoquera pas le retour des sanctions américaines et de la communauté internationale.» A la fin de son courrier le président de l’ONG américaine donnait 14 jours à son correspondant pour répondre (et se soumettre ?).
Dans ces conditions, la récente visite de Jean-Yves Le Drian à Téhéran pour demander des gages de modération sur le programme de missiles balistiques iranien se comprend sous un nouveau jour. Les investissements, parfois anciens et souvent massifs, des grandes entreprises françaises restent otages des aléas de la diplomatie américaine vis-à-vis de l’Iran.
Source : RT- France