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Erdogan-leaks : journalistes en prison


Erdogan-leaks : journalistes en prison

Bahar Kimyongür

25 mars 20
C’est désormais une réalité connue de tous : la Turquie est la plus grande prison du monde pour journalistes. Celui qui ose informer la population de manière indépendante, critique et transgressive le paie de sa liberté et de sa santé en Turquie plus qu’ailleurs.

Les uns se muent en agneau, les autres en cerbères du pouvoir. C’est le cas du directeur de la chaîne Habertürk M. Fatih Altayli.

Le groupe médiatique Habertürk fait partie du groupe industriel Ciner principalement actif dans l’industrie minière et l’énergie et sponsor de l’AKP, le parti de la justice et du développement du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. (1)

Interrogé par la chaîne CNN Türk, M. Altayli s’est lamenté des pressions exercées par le pouvoir sur les médias.

Mais au lieu de faire amende honorable, M. Altayli a soigneusement évité de reconnaître son rôle abject dans la désinformation et dans l’épuration des journalistes indépendants.

Le mois dernier, des conversations téléphoniques hautement compromettantes entre le premier ministre Erdogan, un administrateur de Habertürk dénommé Mehmet Fatih Saraç et son partenaire Fatih Altayli ont atterri sur Youtube.

La population turque a alors découvert le cinglant rapport d’allégeance des médias turcs au monde politique et financier et surtout la gestion directe de la censure par le chef de l’Etat.

Voici quelques exemples de ces « Erdogan Leaks » fuités par les agents de la puissante confrérie religieuse de Fethullah Gülen, frère ennemi du Premier ministre.

En juin 2013, le ministre Erdogan alors en visite au Maroc découvre sur Habertürk la transmission du discours du leader de l’extrême droite turque Devlet Bahçeli. Erdogan considère ce dernier comme l’un de ses principaux concurrents politiques. Avant que son sang n’ait fait un tour, Erdogan appelle son agent médiatique Mehmet Fatih Saraç :

« Allô, Fatih ? Est-ce que tu regardes la télévision Haberturk ? Le sous-titre, tu le lis ? Il nous insulte… Il faut faire le nécessaire, Fatih, est-ce bien compris ? »

« Bien sûr, monsieur le Premier ministre. »

Dans une autre conversation, Erdogan sort de ses gonds à la lecture d’un article de Habertürk en version papier concernant le handicap grave d’un enfant victime de négligences médicales. Le titre de l’article remet en question l’un des crédos du premier ministre, à savoir sa prétendue révolution sanitaire : « Est-ce donc cela la Turquie prétendument entrée dans une ère nouvelle en matière de santé ? ».

Le premier ministre fulmine. Les téléphones chauffent. Plusieurs journalistes sont licenciés. Mais curieusement, parmi les journalistes victimes de la répression, il manque l’auteur de l’article. La rescapée de la purge erdoganienne s’appelle Ceyda Erenoglu. On découvre qu’elle est la belle-sœur de Fatih Altayli, le directeur de la chaîne (2).

Un troisième enregistrement téléphonique met en évidence les liens hiérarchiques entre Bilal Erdogan, le fils du Premier ministre et ce même Fatih Altayli.

On entend Bilal Erdogan donner des instructions à Fatih Altayli par le biais de Fatih Saraç concernant la manipulation de chiffres dans le cadre d’une enquête sur les intentions de vote.

Erdogan Junior demande d’augmenter les intentions de vote pour l’AKP, le parti de son papa et de baisser celles attribuées au Parti d’action nationaliste (MHP), le parti d’extrême droite.

Il propose de piocher quelques pourcents d’intentions de vote attribués MHP et aux sans avis afin de les rajouter au parti kurde BDP.

Une fois la mission accomplie, Fatih Saraç rend des comptes à Bilal, le fils de Recep Tayyip Erdogan.

Suite à la publication de ces « Erdogan Leaks », le célèbre journaliste Fatih Altayi a reconnu l’authenticité des enregistrements téléphoniques.

Le Premier ministre, lui, persiste et signe sans la moindre vergogne.

En bon dictateur, il a déclaré : « Oui, j’ai téléphoné depuis le Maroc et ils ont fait le nécessaire » a-t-il répondu à ses détracteurs. (3)

Depuis que cette affaire a éclaté, « Alo Fatih » est devenu l’un des mots d’ordre ironiques et taquins de la population excédée par la censure et la répression.

Notes de bas de page :

(1) http://www.cinergroup.com.tr/

(2) Oda TV, 7 février 2014

(3) Ragip Duran, Libération, 19 février 2014

Source : Investig’Action

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