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Etat islamique :  » Qui nous menace ? Ce n’est pas Bachar « 


LE VIF. BE

Etat islamique :  » Qui nous menace ? Ce n’est pas Bachar  »
François Janne d’OthéeFrançois Janne d’Othée

26/09/2014

Source: Le Vif

Auteur de « Syrie. Pourquoi l’Occident s’est trompé » (Éditions du Rocher), Frédéric Pichon, de l’université de Tours (France), estime que face à l’afflux jamais vu de candidats au djihad, les Européens n’ont d’autre choix que de reparler avec le président syrien Bachar Al Assad,  » en laissant de côté la morale et l’émotion « .

Etat islamique :  » Qui nous menace ? Ce n’est pas Bachar  »

Le drapeau noir de l’Etat islamique flotte sur la ville de Raqqa. © Reuters

LE VIF En se lançant dans une guerre ouverte contre l’Etat islamique, les pays de la coalition, dont la Belgique, apportent-ils la réponse adéquate à la menace ?

FREDERIC PICHON : Ils n’ont pas d’autre choix. Mais il faut ajouter qu’ils sont partiellement responsables de l’émergence de cet Etat islamique. Pourquoi ? Parce qu’ils ont commis une énorme erreur en déléguant la sous-traitance du conflit syrien – qui a été la matrice de l’Etat islamique- à leurs alliés dans la région, à commencer par l’Arabie saoudite et le Qatar. Ils tombent également dans le piège tendu par ce même Etat islamique : cette coalition pour le combattre lui donne une importance qu’il n’a sans doute pas, et qui du coup renforce encore plus son attractivité. En résumé, ils ont tout à perdre dans ce conflit, qui est d’abord de la responsabilité des pays du Golfe et de leur antagonisme avec l’Iran.

L’Occident est-il victime de ses alliances avec des pays du Golfe ?

Oui, et surtout avec le Qatar, qui a joué un rôle trouble dans l’organisation que nous bombardons maintenant, et qui aujourd’hui arme les milices qui sèment le chaos en Libye. Sans parler de la Turquie, s’est fait taper sur les doigts à propos de la porosité de ses frontières. Et regardez le camouflet que les services turcs viennent d’infliger à la police française. En fait, on n’a pas d’alliés fiables dans la région.

Pourquoi a-t-on pris si tard la mesure de ce phénomène djihadiste ?

Tout se passe comme si l’histoire ne servait à rien. Cette stratégie d’utiliser les pires éléments pour des objectifs nobles s’est à chaque fois retournée contre nous. Ce fut le cas en Afghanistan avec les talibans. En Syrie, on était quelques-uns à mettre en garde dès 2011 contre l’apparition de djihadistes, mais en face on faisait mine de ne rien savoir car l’objectif était d’abattre le régime syrien. En Europe, on a gardé des réflexes colonialistes qui consistent à plaquer des schémas révolutionnaires et nos propres valeurs sur les gens qui prennent les armes contre des pouvoirs autoritaires. On n’a pas voulu voir que l’expression politique dans le monde arabe est surtout portée par les islamistes. Et si l’islamisme est différent du djihadisme, la frontière est parfois très floue.

« Si on avait correctement armé les rebelles, rien de tout cela ne serait arrivé », entend-on. Quelle est votre réaction ?

Il faut renverser la question. Pourquoi ne les a-t-on pas armés ? Tout simplement parce qu’on savait pertinemment que les armes passaient d’un côté à l’autre, que l’ASL (NDLR : rebelles de l’Armée syrienne libre, soutenue par les Occidentaux) collaborait avec Al Qaeda contre le régime. Les bombardements américains en Syrie ont contribué à clarifier la situation : un des chefs de l’ASL, Jamal Maarouf, vient de publier un communiqué où il condamne ces frappes et demande qu’on bombarde d’abord Bachar. A Kafranbel, ville-symbole pour l’opposition laïque, on a scandé: « Le peuple veut un Etat Islamique! ». En fait, on n’a jamais réussi à identifier clairement les rebelles dits modérés.

D’autres avancent que le djihadisme est une « création » de Bachar Al Assad. Qu’en pensez-vous ?

Il faut tordre le cou à ce mensonge. Que Damas n’ait pas visé immédiatement l’Etat islamique est une évidence, car cela faisait ses affaires. Mais à ce compte, pourquoi ne pas incriminer les Etats-Unis qui ont contribué à démanteler l’appareil politico-militaire de l’Irak, permettant ainsi à l’Etat islamique de conquérir des territoires entiers ? Ou le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie, qui ont permis à l’Etat islamique de s’approvisionner en armes ? On dit que Bachar Al Assad a libéré des djihadistes au début du conflit. Mais tous les pays font cela dans un souci d’apaisement, y compris l’Arabie saoudite et hier encore la Jordanie. Les centaines d’islamistes qu’Assad a relâchés ont pratiquement tous rejoint les brigades rebelles, notamment le Front islamique financé par l’Arabie saoudite et adoubé par les Occidentaux.

Bachar Al Assad se retrouve aujourd’hui l’allié objectif des Européens mais ceux-ci refusent (officiellement) de traiter avec lui. L’Occident n’est-il pas désormais doublement piégé : par Bachar et par l’Etat islamique ?

Exactement, c’est la pire des configurations, faute d’avoir fait de la diplomatie au début. Quand Fabius a déclaré qu’il faut abattre Bachar, c’était tout sauf de la diplomatie, quasi un appel à tuer. Il faut faire de la diplomatie, et laisser de côté l’émotion ou la morale. On s’est mis dans une position qui nous empêche de faire machine arrière sauf à s’humilier, ce qu’attend le régime syrien.

Le journaliste du Figaro Renaud Girard, qui préface votre livre, avance aujourd’hui qu’il faut s’allier avec l’adversaire pour mieux combattre l’ennemi. Faut-il reprendre langue avec Bachar Al Assad?

Une coopération sécuritaire doit pouvoir s’engager avec les services de renseignements syriens sur la question des ressortissants européens partis combattre là-bas. Il faut définir des priorités. Qui nous menace ? Ce n’est pas Bachar. Si la menace terroriste est la priorité, il faut faire de la diplomatie et reprendre le chemin de Damas. Quitte à régler les comptes après. Mais ne soyons pas naïfs : le régime nous fera aussi payer nos positions précédentes.

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