Europe, ô mère livide, à quoi t’ont réduit tes fils.
août 14, 2016
bouhamidi mohamed 13 Août 2016
Europe, ô mère livide, à quoi t’ont réduit tes fils.
Entretien de Marco Bordoni avec Massimo Rocca – The Saker Italia – 8 août 2016
Qu’est-ce qu’était « À rebrousse-poils », l’émission de Massimo Rocca sur Radio Capital qui s’achève ces jours-ci ?
Nous n’en avons plus un seul en français. Jean Yanne et Coluche sont morts ; les derniers ont été lourdés depuis belle lurette ; certains persistent sur Internet, on les compte sur les doigts d’une seule main. Les Italiens en avaient encore un : Massimo Rocca. Il prend sa retraite. Le Saker Italia a voulu l’interviouver.
Pour les auditeurs de Radio Capital, une expérience un peu surréelle. Imaginez des gens marchant les pieds métaphoriquement nus sur la fraîche herbette du groupe La Reppublica-L’Espresso, dans un paysage dépeint comme le meilleur des mondes possibles, un jardin d’Éden gouverné par de prévenants techniciens progressistes et fondé sur l’amour universel, connu sous le nom d’Union Européenne ; paradis toujours menacé par le serpent du populisme et, bien entendu, par l’omnipotent Poutine, Lucifer responsable de tous les maux de l’univers, tenu en respect par les anges de la BCE et de l’OTAN brandissant leurs épées flamboyantes.
Tout à coup, sous les pieds de ces personnes, s’ouvre tout grand une espèce de gouffre, et les voilà qui tombent dans « À rebrousse-poils », une rubrique dystopique d’une minute, pas plus. Pour paraphraser Lucrèce : cette pointe d’amertume issue de la source même de la joie, qui sème l’inquiétude jusque dans le jardin des plaisirs.
Un aperçu : Le Sauveur de la Patrie, Mario Monti ? Il devrait être chassé du Parlement ! La direction européenne et Obama ? Des gens qui se mêlent des affaires des pays européens tant et si bien qu’« Hitler était plus conciliant ». L’URSS le fut certainement bien davantage à l’égard des républiques fédérées, quand elles décidèrent de se détacher. La fameuse presse anglo-saxonne ? Des jocrisses pour qui le problème, ce n’est pas l’ISIS qui brûle vives des femmes vouées à l’esclavage sexuel, mais Assad et Poutine qui le combattent. Les intellectuels de la gauche européenne ? Des « clercs » traîtres au peuple. Trump président ? Sûrement pas la fin du monde. Au contraire, des USA isolationnistes seraient tout bénéfice pour « les vassaux ».
Qui sait ce que penseront les auditeurs de Radio Capital quand cette voix se taira ? Pour certains, ce sera peut-être un soulagement. Le contour de la bulle idéologique reviendra alors à sa perfection géométrique. Mais il y en aura beaucoup, j’en suis sûr, qui se sentiront orphelins. C’est pour eux (en plus de ceux à qui personne n’a jamais rebroussé les poils) que j’ai demandé à Massimo Rocca d’échanger quelques mots avec Le Saker Italia.
Marco Bordoni : Cher Massimo Rocca, commençons par la Russie, qui est le focus de notre blog. Il y a quelques mois, tu t’es demandé pourquoi tant de gens avaient été si bouleversés quand Rostropovitch avait joué à côté des ruines du mur de Berlin, mais pas quand Valeri Guerguiev a dirigé un concert dans les ruines de Palmyre. Je te pose la même question : pourquoi ?
Massimo Rocca : La réponse la plus facile, c’est parce que Assad n’est pas « notre salaud (1) ». Et on pourrait en rester là, au nom de la realpolitik. Si l’ennemi de mon ennemi est mon ami, le raisonnement fonctionne aussi en sens contraire. Mais cela met en cause l’identité de l’ennemi. C’est toujours au nom du réalisme, je crois, que ne pas pleurer à la libération de Palmyre et pour la musique occidentale – russe, mais occidentale – entendue dans ce théâtre, indique que ceux qui nous dirigent n’ont pas la plus faible idée d’où ils vont, ou le savent très bien et c’est nous qui sommes victimes d’un spin informatif sans précédent. J’aimerais croire à la seconde hypothèse, mais la présidence Obama m’a très souvent fait penser à la première.
Marco Bordoni : Parfois, l’attitude des Occidentaux par rapport à la Russie me rappelle la « psychose » turque de l’Europe du XVIe siècle. Une classe dirigeante qui se complaisait à décrire « le sultan » comme le mal absolu, pour obtenir l’adhésion du populaire, alors qu’à mi-voix, le peuple espérait que « les patriciens » recevraient, grâce à cette guerre, la volée de bois vert qui leur rabattrait le caquet (s’il faut en croire en tout cas les chansons populaires du temps de Lépante). Poutine aussi est redouté des « élites » et regardé avec sympathie par les masses. Les uns et les autres font de lui ce qui est, d’une certaine façon, une caricature, négative d’une part et positive de l’autre. Cette comparaison a-t-elle un sens ?
Massimo Rocca : En réalité, par rapport à la Russie, la situation d’aujourd’hui est pire. Car il n’y a aucun roi de France qui – fût-ce par anti-hispanisme – soit prêt à s’allier au « sultan » Poutine. Et puis l’affrontement du XVIe siècle était une vraie opposition, beaucoup plus semblable à la guerre froide, entre deux systèmes radicalement différents, avec un expansionnisme turc encore en pleine ascension, victorieux, et technologiquement au même niveau d’armement que ce que pouvait déchaîner l’Occident. Aujourd’hui, le vrai point d’interrogation est « mais quelle menace peut bien représenter pour l’Occident la Russie de Poutine ? » Je pourrais comprendre la question en m’identifiant à un Balte, à un Polonais ou à un Ukrainien, mais quel est aujourd’hui la force d’attraction, le modèle alternatif que puisse offrir la Russie orpheline du communisme ? D’une certaine façon, la comparaison avec le sultan, si tu le permets, rentre dans le spin. C’est l’Occident qui, en des temps absolument pas suspects – pendant la période de faiblesse majeure de la Russie post-soviétique – a poussé ses frontières militaires toujours plus à l’intérieur de l’ex-bloc communiste. Jusqu’à l’épilogue ukrainien. Nous pouvons arranger les choses comme nous voulons, mais nous n’assistons pas à la reconquête de ses provinces par le tsar du jour, nous sommes revenus pas à pas à la ligne d’armistice de 1917, ou à celle de septembre 1941.
Sur la sympathie des masses – quelle merveille de rencontrer ce mot désuet ! – je serais plus prudent. D’un côté, les sympathies sont de type rouge-brun, donc extrêmement volatiles et davantage orientées vers le respect de l’homme fort que vers la compréhension des raisons de la Russie. De l’autre, la faillite de tous les mouvements d’opposition – je pense au mouvement pacifiste du temps de la guerre d’Irak – me fait beaucoup plus douter de la profondeur des sentiments des masses réduites à une somme d’individus.
Marco Bordoni : Nous avons parlé des « barbares » qui assiègent la citadelle. Et qu’est-ce qui se passe au-delà des murs ? Quels sont les phénomènes économiques et sociaux à l’œuvre dans ce qu’on appelle « l’Occident » ? Caton le Censeur terminait tous ses discours en demandant au Sénat de se souvenir de la nécessité de détruire Carthage. À son instar mais à l’inverse, tu termines toutes tes interventions par « souvenez-vous d’OXFAM ». C’est quoi OXFAM ? Pourquoi est-ce aussi important ?
Massimo Rocca : C’est une ONG qui s’occupe de pauvreté et d’inégalités. Et qui, chaque année, publie à la veille de la conférence des puissants à Davos, un rapport sur la distribution des richesses dans le monde. Comme on le sait, ces dernières années, s’est diffusé le problème dit du 1%, c’est-à-dire le fait que la richesse majeure produite dans le monde sert à alimenter le revenu et le patrimoine de cette petite partie de la société. Puis, nous en sommes arrivés à découvrir, par exemple avec le livre de Piketty (Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, NdR) qu’à l’intérieur même de ce 1%, la pyramide allait en rétrécissant, et nous avons commencé à parler du 0,1%. Bien : le dernier rapport d‘OXFAM nous dit que, l’année dernière, les 62 personnes les plus riches du monde (dont un Russe, soit dit en passant) ont un patrimoine qui équivaut à celui de la moitié la plus pauvre des habitants de la planète. 62 contre 3 milliards et demi à peu près. Rien que ce chiffre coupe le souffle. Mais ce qui me fait sortir des rails, c’est de lire dans l’article d’un collègue « … ce problème de l’inégalité que nous traînons après nous ». Car, vois-tu, nous ne le traînons pas après nous, nous le créons pour l’avenir. La preuve en est que, l’an dernier, les pauvres ont perdu 1.000 milliards d’euros de patrimoine, pendant que les 62 en gagnaient 500. Ainsi, les ciseaux s’écartent à des niveaux inconnus depuis le temps des grandes aristocraties terriennes, et j’entends celles de 1789, pas celles de 1917 ! Vous comprenez bien tous que les problèmes – de la représentativité, de la démocratie, des guerres, de l’émigration – ne pourront pas être résolus tant qu’on ne s’attaquera pas à cette démence.
Marco Bordoni : J’ai l’impression qu’une des raisons pour lesquelles la raison sociale est toujours moins d’actualité est que les riches (qu’on me pardonne la rudesse du terme) ont disparu de la vue des pauvres. Nos villes témoignent des écarts sociaux au cours des siècles : des tours dans lesquelles (en Italie du moins, NdT) les nobles se retranchaient au moyen-âge aux résidences urbaines ou suburbaines où ils vivaient à l’ère moderne, jusqu’aux villas et aux centres dirigeants des industriels du XIXe siècle, le riche a toujours vécu sous les yeux du pauvre. Aujourd’hui, les riches ne semblent plus exister : est-ce qu’ils existent encore ? Où sont-ils passés ?
Massimo Rocca : Là-dessus, je ne suis pas d’accord. Au contraire, je pense que jamais autant qu’aujourd’hui, l’ostentation de la richesse n’a été aussi étalée, ni de façon aussi vulgaire. Marie-Antoinette est tous les soirs à la télévision, à dire qu’ils n’ont qu’à manger de la brioche. Pense à Trump et au trumpisme, précédé de Berlusconi, parce que nous, les Italiens, quand il s’agit de précéder à droite, n’y allons jamais de main morte. Les Rothschild ou les Fugger, les Rockfeller ou les Mellon, les Bardi ou les Krupp n’auraient jamais eu l’idée de se mettre au premier rang de la politique. Tout au plus élisais-tu un Charles Quint empereur, mais il ne t’intéressait pas et tu ne pouvais pas le devenir. Aujourd’hui, tu peux t’exhiber, parce qu’à la haine de classe, comme en parlait Sanguinetti, s’est substituée l’envie de classe. La haine indique la volonté de subvertir ce qui existe par une volonté adverse ; c’est ce qui vient de se produire avec le Brexit et qui peut amener à des catastrophes inédites ; mais l’envie indique la volonté de participer à l’injustice et, donc, de la prolonger, de la renforcer.
Marco Bordoni : Le problème de l’accroissement des inégalités afflige le monde entier. Mais l’Europe est un cas à part. Dans un post récent, l’économiste Alberto Bagnai écrit que l’Union Européenne « est un jouet qui aide les élites à résoudre leurs problèmes internes en écrasant les salaires». Est-ce vraiment seulement ça, l’Union Européenne ? Et le « rêve européen » ? Et le « manifeste des 28 » ? Et le « projet Érasme » ?
Massimo Rocca : C’est justement pour nous, aujourd’hui, la question des questions. Je crois que le problème réside dans la superposition des mots Europe, Union Européenne, Euro. Tant que nous les maintiendrons collés ensemble, comme les pages d’un livre soudées par du café, nous ne réussirons pas à lire la réalité. L’Europe, c’est notre histoire trimillénaire, même si en réalité le concept n’est vraiment né qu’au temps de l’expansion musulmane. Et c’est celle de De Gaulle « de l’Atlantique à l’0ural ». De Cervantès à Dostoïevski, de Purcell à Chostakovitch, de Giotto à Roublev. Puis, il y a l’Union, qui est une créature politique analogue aux mille alliances qui ont traversé l’histoire de la première. Du Pacte de Varsovie au Saint Empire Romain, de l’Axe à l’Entente Cordiale. Ce sont des créations temporaires et contingentes, dont les contemporains font évidemment une lecture transcendante de fin de l’Histoire. Ici et aujourd’hui, il y a une mystique de l’Union, analogue à la mystique du monde communiste d’après guerre. On en voit toutes les erreurs et toutes les horreurs, mais on pense pouvoir les ignorer au nom d’un idéal « pur », corrompu par son application. Disons que nous sommes entre la phase Khrouchtchev-XXe Congrès-éloignement des enseignements de Lénine (qui serait ici l’idéalisme des 28) et la phase Brejnev. prépondérance de la bureaucratie qui précède la déclaration de faillite. Il ne nous manque plus qu’un Gorbatchev, c’est-à-dire un fou complet à la Parsifal qui, persuadé de pouvoir ranimer le cadavre, le pousse dans la tombe. Et enfin, il y a l’Euro, qu’on fait passer pour une erreur économique dont nous nous obstinons jour après jour à repousser les conséquences, nous comportant comme Don Ferrante face à la peste : « Ce n’est pas une substance, ce n’est pas un accident, donc cela n’existe pas (2) ». En réalité ce n’est pas une erreur si un lauréat de prix Nobel, justement pour l’élaboration de la théorie des zones monétaires optimales, Robert Mundell, nous a dit que l’euro aura été pour nous ce que Reagan a été pour les États-Unis : le pied de biche idéologique qui a servi à détruire l’État en économie et la protection sociale. Et ici, on pourrait dire mission accomplished.
Marco Bordoni : La victoire du Non au récent référendum qui s’est tenu au Royaume Uni a fait émerger une faille verticale, y compris chez les critiques de l’Union Européenne. Beaucoup admettent que, oui, il y a des défauts, mais ensuite, ils ne parviennent pas à passer le Rubicon et à reconnaître que l’Union est bonne pour la casse. Moi, je comprends depuis un moment que, psychologiquement, une génération qui a grandi avec ce rêve puisse avoir du mal à reconnaître qu’il est devenu un cauchemar. D’autre part, au bout de 15 ans de désastres à l’intérieur comme à l’extérieur, je me demande : que leur faut-il de plus ? Pourquoi les « clercs » persistent-ils ? Est-ce incompétence ou mauvaise foi ?
Massimo Rocca : Je t’ai déjà répondu en partie. Mais je voudrais souligner un point : cette europhilie est un problème de la gauche. Ou plutôt de ce qui s’auto-définit comme « la gauche ». Où, pour certains, qui sont en réalité des liblabs (3), le problème ne se pose pas. Ils n’en sont pas exactement à dire que la Grèce est le plus grand succès de l’euro, mais pour eux, ce qu’a fait Monti et que fait Renzi, ce qu’ont fait Blair et Schroeder et ce que fait Hollande, c’est très bien. Pense au parcours de Napolitano. Qui s’est félicité de voir les chars russes écraser les ouvriers de Budapest, qui est l’auteur du discours impeccable du PCI contre le SME (Système Monétaire Européen), et qui est devenu un ultra de l’eurotechnocratie au point de renier la démocratie représentative. Et il y a aussi les autres, ceux qui ont eu du mal à survivre à l’écroulement du mur. Pour eux, l’Europe a été la bouée qui les a sauvés du naufrage. Ce qui, une fois qu’ils ont eu renoncé à la défense des faibles, a eu l’air de donner un sens de longue durée à leur vie politique. Ainsi, alors que l’expression Titanic Europa fait sens pour tout le monde, pour la gauche, ce serait comme subir un second naufrage en une génération. Après l’extinction des partis communistes, nous allons assister à l’extinction des partis socialistes. Et, de fait, nous y assistons. PASOK, disparu. Le PD, désormais génétiquement modifié. Le SPD, les sociaux-démocrates autrichiens, le Parti Socialiste Français, (sans parler du PS belge et de quelques autres, NdT) : au plus bas de toute leur histoire. Il m’est arrivé de dire que la première social-démocratie s’est suicidée en votant les crédits à la guerre de 1914 et que la seconde s’est suicidée en votant le Pacte Budgétaire Européen. Heureusement, cette fois, il n’y a pas eu les canonnades.
Marco Bordoni : Maintenant, j’étale mes dernières cartes : nous passons du plus éloigné au plus proche, c’est-à-dire à l’Italie. Sur ton tableau d’affichage, il y a un graphique qui illustre la croissance de l’Italie après 2008 par rapport aux autres pays occidentaux : ça ressemble à une condamnation sans appel. Pour paraphraser Churchill, l’Italie, dans cette UE, a l’air d’un désastre contenu dans une catastrophe. Pourquoi ?
Massimo Rocca : Les réponses sont multiples, et je crois que l’erreur, de la part de tout le monde, est de ne choisir que la réponse qui nous arrange en écartant les autres. Nous avons donc la crise dans la productivité du travail, la très mauvaise répartition des ressources, la disparition de l’état-entrepreneur mal remplacé par un capitalisme asphyxié et sous-capitalisé, l’impossibilité de réaligner la monnaie, le système bancaire fait pour les amis des amis. On peut dire que chacune de ces causes est nécessaire mais pas suffisante pour expliquer le désastre, et que la résolution de chacune sera nécessaire mais sera-t-elle suffisante pour récupérer de vingt ans de paralysie ?
Marco Bordoni : En octobre, les Italiens seront appelés à voter sur un paquet de réformes constitutionnelles. Existe-t-il une corrélation entre le processus des « réformes » entrepris à la fin de la première république et la crise économique et sociale dont notre pays ne semble pas réussir à se sortir ? Il y a quelques années, le colosse financier J.P. Morgan a présenté un document où il suggérait aux pays européens de se débarrasser de leurs constitutions antifascistes, qui représenteraient selon lui un obstacle à la croissance. Cela a-t-il un sens de voir une relation entre ce type d’approche et la fringale réformiste de Matteo Renzi, ou est-ce de l’« arriérologie » ?
Massimo Rocca : La relation est absolue, mais je ne sais pas si elle est consciente chez ceux qui prennent politiquement les décisions. La question est toujours celle-ci : « L’État n’est pas la solutions, l’État est le problème. Il faut affamer la bête. Il n’existe pas de société, il n’existe que des individus. » Nous en sommes toujours à Thatcher et à Reagan. La chose la plus époustouflante est que la droite économique et intellectuelle était prête à prendre la relève, au moment où le modèle roosevelto-keynésien est entré en crise sous le choc de l’hyper-inflation pétrolière, avec un corpus théorique et pratique global. Tandis qu’aujourd’hui, la gauche, face à une crise qui met à genoux toutes les convictions et toutes les recettes des quarante dernières années, est muette, balbutiante, aphasique ou carrément épigone, alors qu’une fois de plus, la même droite est fin prête – vois Trump, Le Pen, le Brexit – fût-ce au prix de se démentir de façon radicale.
Marco Bordoni : Nous en sommes arrivés à Massimo Rocca. Quand je t’ai demandé quelques éléments de biographie pour accompagner l’interview, tu m’as répondu : « écris que j’ai travaillé 40 ans pour des entreprises qui n’ont jamais produit une lire de profit. J’ai enculé le capital ». Boutade mise à part, as-tu vraiment l’intention de prendre ta retraite (rigoureusement anti-UE) ?
Massimo Rocca : Boutade mise à part, qui est cependant la photographie exacte de la réalité, d’après moi la biographie d’un journaliste ne devrait être que celle des nouvelles qu’il a données et de comment il les a commentées. Et alors, en les relisant, on en verrait de belles : je dirais inversement proportionnelles aux carrières. J’ai eu la chance de ne jamais dire que ce que je voulais dire et ce que je croyais vrai, et encore aujourd’hui, je n’arrive pas à savoir comment j’ai fait. Ce que je soupçonne, après quarante ans passés au micro, c’est que ce doit être beaucoup plus facile qu’on ne pense. Et celui qui n’arrive pas à en faire autant peut en tout cas se faire entendre sur les réseaux sociaux.
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(1) Allusion à la célèbre réplique de Harry Truman, à propos du dictateur nicaraguayen Somoza : « O.K. c’est un salaud, mais c’est “notre” salaud » (NdT)
(2) Au chapitre 37 des Fiancés de Manzoni, Don Ferrante nie la peste en ces termes et en meurt. (NdT)
(3) Dans la politique anglaise, un pacte liblab est un « arrangement » entre les libéraux (Liberal Democrats) et les travaillistes (Labour Party). Un liblab est, par conséquent, un politicien enclin à ces sortes d’arrangements. (NdT)
Source : http://sakeritalia.it/interviste/o-europa-pallida-madre-come-thanno-ridotta-i-tuoi-figli/
Traduction : c.l. pour Les Grosses Orchades
via:http://lesgrossesorchadeslesamplesthalameges.skynetblogs.be/archive/2016/08/10/chroniques-d-un-naufrage-europe-o-mere-livide-8638008.html