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Gaza : des boulots peu courants pour une jeunesse en manque d’emplois


Tim Whewell s’est entretenu avec deux jeunes dont les boulots mettent en lumière les spécificités de la vie dans la bande de Gaza – Muhammad, qui travaille dans les tunnels de contrebande vers l’Egypte, et Majdouline, qui est la seule femme d’une flottille de pêche qui en est réduite au chalutage dans les eaux côtières par le blocus israélien

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Muhammad, 18 ans, risque tous les jours sa vie, depuis 4 ans, dans les tunnels entre la bande de Gaza et l’Égypte

11 décembre 2012 – L’aube est à peine levée à Rafah, à l’extrémité sud de la bande de Gaza, et déjà Buthaina Ismail se penche sur son fils Muhammad endormi et tente avec peine de le réveiller.

C’est une tâche qu’elle appréhende, car aujourd’hui encore , elle l’envoie travailler dans un lieu où bien des jeunes ont été ensevelis dans le réseau des tunnels de contrebande qui court sous la frontière entre Gaza et l’Egypte.

Après deux cigarettes et un verre de thé, il est tout juste réveillé. Mais pas très emballé à l’idée d’y aller… : « Ce travail, c’est criminel. Personne ne devrait faire ça. Est-ce que vous avez jamais vu quelqu’un creuser sa propre tombe ? Pendant que vous creusez, le tunnel peut s’effondrer. Il peut s’écrouler à tout moment et vous tuer ».

Muhammad vient d’avoir 18 ans, mais il travaille déjà à temps plein dans les tunnels, creusant et transportant de lourdes charges, depuis 4 ans.

Il déteste ce travail, mais il a peu de choix. Son père souffre du dos, Mohammed est donc le principal gagne-pain d’une famille de huit personnes. Avec un taux de chômage qui atteint 28 %, la contrebande est l’une des rares occupations qui fournissent un revenu valable.

Pendant ce temps, à l’autre bout de la bande de Gaza, à 35 km de là, dans le port de Gaza Ville, une autre jeune de 18 ans se prépare également à une dure journée pour essayer de nourrir sa famille.

Majdouline Kullab est la seule pêcheuse de Gaza. Elle aussi a un père invalide. Elle est sortie en mer quasi tous les jours depuis l’âge de 14 ans, malgré les tentatives de la police de Gaza de l’empêcher de travailler dans un secteur totalement masculin.

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Contrairement à Mohammad, Majdouline aime son boulot. Mais leurs deux histoires montrent les difficultés de grandir dans une petite bande de terre surpeuplée qui subit le blocus de ses voisins, Israël et l’Égypte, et était encore bombardée par Israël il y a peu.

Les tunnels de contrebande se sont développés depuis qu’Israël a imposé son blocus, assisté de l’Égypte et du reste du monde, en 2007, après que le Hamas eut remporté les élections législatives à Gaza et en Cisjordanie en 2006.

L ’approvisionnement en marchandises reste bloqué. Tous les matériaux de construction doivent être introduits en contrebande, puisque Israël prétend « craindre » que le Hamas ne s’en serve pour des infrastructures militaires.

Muhammad travaille douze heures par jour avec seulement une demi-heure de pause. Le travail est tellement astreignant qu’il s’est mis à prendre, comme beaucoup d’autres ouvriers des tunnels, de l’antalgique Tramadol. Mais il dit que c’est rapidement devenu une addiction.

« J’ai cessé de manger. J’ai cessé de boire » dit-il. « Tout ce que je voulais, c’était prendre mon Tramadol et bosser comme un âne. Mais après un moment ça n’agissait plus et j’ai augmenté la dose. Alors un jour je me suis évanoui dans le tunnel. Je portais un grand sac de farine. J’ai eu une attaque, j’ai perdu conscience. Alors j’ai décidé d’arrêter ».

Muhammad dit que pendant les deux mois suivants il n’a pratiquement pas dormi ni parlé à qui que ce soit. Il dit qu’il a même tenté de s’étrangler. Maintenant il se dit guéri mais il préférerait faire n’importe quel autre travail. Il espère que la promesse faite dans l’accord de cessez-le-feu du mois dernier – rouvrir les passages et faciliter la liberté de mouvement – sera tenue.

Ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui. Mais le cessez-le-feu a au moins rapporté un petit bénéfice à Majdouline. Auparavant Israël – qui disait craindre les trafics d’armes – n’autorisait pas les bateaux de pêche à dépasser 2 miles (5,5 km) de la côte. A présent, la limite a été étendue à 6 miles(11 km) selon son bon vouloir,alors que pour la loi maritime internationale Gaza a accès à 22 miles nautiques.

Cela n’impressionne guère Majdouline : « Quand ils nous ont donné 5 km de plus, les prises ont été meilleures. Mais dans une ou deux semaines, tout le poisson sera pris. Le gros des poissons se trouvent au-delà de la nouvelle limite.

Dans sa maison familiale en moellons au camp de réfugiés de Jabalya, elle se préoccupe des réparations que nécessite le toit en amiante qui a été endommagé par les ondes de choc des attaques de missiles israéliens le mois dernier.

«  Il y a eu beaucoup d’attaques par ici » dit-elle.

Comme Muhammad, elle est née en 1994,  une année après les Accords de paix d’Oslo entre Israël et les Palestiniens en 1993.

Mais la paix lui semble plus éloignée qu’elle ne l’était pour la génération de son père.

« Tout ce que je sais c’est que nous sommes nés en guerre, que nous vivons en guerre et que nous mourrons en guerre » dit-elle.

Muhammad n’est guère plus optimiste. « J’espère que les tunnels fermeront » dit-il. « Et qu’il y aura des emplois, pour que nous puissions quitter ce genre de boulot. Mais comme vous le voyez, rien n’a changé.Ce n’est pas encore gagné ».

 
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