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Guerres chimiques… pages d’histoire oubliées


GEOPOLINTEL

lundi 16 septembre 2013
LÉON CAMUS

Décidément on nous la baille belle avec l’horreur des armes chimiques comme s’il fallait établir des distinguos abscons entre morts déchiquetés sous des bombes conventionnelles ou asphyxiés au gaz innervant. Et puis les Anglo-américains devraient commencer par balayer devant leurs malpropres portes au lieu de jouer aux offusqués et aux saints innocents. Un peu d’histoire à ce sujet ne peut être que salutaire en nous aidant à ne pas nous laisser embourber dans le pathos médiatique ! N’est-ce pas en effet Washington qui a livré une impitoyable guerre chimique au Vietnam entre 1961 et 971 avec des épandages massifs – 80 millions de litres – d’Agent Orange, un défoliant comportant de la dioxine ? Ce sont de 2,1 à 4,8 millions de Vietnamiens qui ont été touchés par ce composé hautement mutagène dont les effets se font sentir encore aujourd’hui.

Pour ce qui est de la tragédie du gazage du village Kurdes d’Halabja en 1988 sans doute conviendrait-il de faire remonter à la surface de l’oubli ce qu’écrivait Barry Lando, ancien de la chaine américaine CBS, dans Le Monde du 17 octobre 2005 1 à savoir qu’il eut fallu se souvenir « que les armes chimiques irakiennes étaient fournies principalement par des sociétés françaises, belges et allemandes, dont les ingénieurs et chimistes savaient exactement ce que Saddam préparait. Ni que les États-Unis avaient précédemment fourni à Saddam des images satellite lui permettant d’attaquer les troupes iraniennes avec des armes chimiques ; ou encore que, durant des années, les États-Unis et leurs alliés ont bloqué les campagnes internationales visant à faire condamner Saddam pour son utilisation du gaz moutarde et des gaz neurotoxiques ». M. Rumsfeld lui-même ne se rendit-il pas d’ailleurs en visite protocolaire à Bagdad… juste après le gazage d’Halabja ?

Nous ne nous attarderons pas sur ce drame. Rappelons cependant que les Iraniens utilisaient également des gaz de combats ce dont nul ne parle plus à présent. De la même façon le nombre des victimes d’Halabja a toujours été surévalué pour d’évidentes raisons de propagande – pré et post mortem – liée à cette figure du Mal qu’incarnait le monstre Saddam Hussein, afin de sauver la face hideuse des démocraties vengeresses et de leurs mensonges infernaux. Les premiers à avoir donné le bon exemple en ce domaine ne fut-il pas le britannique Winston Churchill en personne ? Churchill pour lequel « la Vérité est trop précieuse pour ne pas la protéger d’un cortège de mensonges », ne déclara-t-il pas, en 1919 alors qu’il était Secrétaire d’État à la Guerre, dans une lettre adressée au RAF Middle East Command, à propos des irrédentistes Kurdes « Je ne comprends pas ces réticences à l’emploi du gaz. Je suis fortement en faveur de l’utilisation du gaz toxique contre les tribus barbares… L’effet moral sera bon. On diffusera une terreur vivace »… Un programme exécuté à la lettre par le lieutenant-colonel Arthur Harris qui lui s’en vantait en ces termes : « Les Arabes et les Kurdes savent maintenant ce que signifie un véritable bombardement… En 45 minutes nous sommes capables de raser un village et de tuer ou blesser un tiers de sa population ». Vingt-cinq ans plus tard le Premier Ministre Winston Churchill, fidèle à lui-même, professait des idées à peu près identiques à propos du Reich national-socialiste 2…

Harris sut effectivement si bien se faire la main sur les Kurdes insoumis et les zones tribales pakistanaises, qu’il conçut à cette occasion les rudiments de ce qui sera la stratégie de terreur britannique visant des objectifs purement démographiques – Dresde ou Hambourg par exemple – durant la Seconde Guerre mondiale. C’est à ce dernier titre qu’il acquis ses titres de gloire sous le nom d’Harris Bomber… Une page d’histoire presqu’effacée de la mémoire du temps mais sur laquelle il n’est donc pas tout à fait inutile de revenir pour juger à cette aune les clameurs indignées qui s’élèvent ici et là, et autres proclamations aussi vertueuses que fracassantes de moralité internationale.

Ajoutons que dès 1917 les Britanniques sous le commandement du général Allenby, recourent dans le Sinaï aux armes chimiques contre les Turcs 3, puis au nord dans ce qui allait devenir l’Irak. La Grande-Bretagne s’essaye alors à la destruction par voie aérienne des “villages” [bourgs et villes] des tribus en rébellion contre la volonté impériale de rassembler les Kurdes du nord, les Chiites du sud et les tribus Sunnites du Centre et de Bagdad en un seul et même État, ceci afin de créer ex nihilo le “royaume hachémite d’Irak” [1920-1958]… et dans le dessein accessoire d’en contrôler la production pétrolière ! Ressource dont la valeur stratégique s’est imposée avec la Grande Guerre.

Ajoutons par honnêteté que l’usage britannique des attaques aériennes au gaz moutarde – Ypérite – notamment au Kurdistan à Souleimaniyé 4 sur la frontière irano-irakienne en 1925 – un an après la signature du Protocole de Genève prohibant “l’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques” – n’a pas été une pratique totalement isolée, les Espagnols dans le Rif marocain 5 [1921-1927], les Japonais en Chine et les Italiens lors de leur conquête de l’Éthiopie entre 1935 et 1936, ne s’étant pas privés d’y recourir.

Pour ceux qui montreraient un brin de scepticisme, appelons à la barre des témoins le linguiste essayiste de grande renommée juif américain, Noam Chomky, lequel, en avril 2004 6 s’exprimait ainsi en des termes peu amènes : « Les Anglais ont géré le Proche-Orient durant une longue période où ils ont été longtemps la puissance dominante… Après la première guerre mondiale, l’Angleterre se trouvait affaiblie et ne put plus contrôler la région par la force directe ». Ce pourquoi « les anglais commencèrent à bombarder des civils à partir de leurs aéronefs. Ils se mirent aussi à utiliser les gaz toxiques, principalement sous l’influence de Winston Churchill, qui était un véritable monstre sauvage. Churchill, dans sa fonction de Secrétaire aux Colonies, ordonna l’utilisation de gaz toxiques contre ceux qu’il qualifiait de “tribus sans civilisation” : c’est-à-dire les Kurdes et les Afghans… Il est cependant important de se souvenir que le gaz toxique était vu comme la pire des atrocités après la première guerre mondiale ».

Ceux qui seraient en mal de références pourront se reporteront à « Iraq : From Sumer to Saddam ». Geoff Simons London, 1996 notamment cité par Brian Terrell – Executive Director of the Catholic Peace Ministry in Des Moines, Iowa – dans le New York Times du 18 février 20053. Les liens ici donnés 7 renvoient généralement à des pages disparues. Nul ne s’en étonnera puisqu’écrire sur la Toile revient tracer des signes éphémères sur la grève d’un rivage battus par les vagues. On ne conclura pas en soulignant à quel point les anglo-américains – voire les Français partie prenante de la guerre du Rif – sont aujourd’hui malvenus de donner des leçons de morale publique au monde entier. Sans doute devraient-ils procéder, s’ils en étaient capables, à un examen de conscience minimal. Même si la morale des États ne peut se réduire à la morale des individus, les États sans morale aucune – quoi qu’ils en usent comme paravent et prétexte à leur actions délétères – ne sont à l’absolu que la ruine des Nations et une honte pour l’espèce dite humaine…

Léon Camus 7 septembre 2013

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