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Irak : La tragédie des Turkmènes chiites


FRANCE-IRAK-ACTUALITÉ

Irak : La tragédie des Turkmènes chiites

Publié par Gilles Munier
30 Juin 2014, 18:16pm

Assassinats, enlèvements avec demande de rançon, villages incendiés, déplacement forcés, lieux de culte détruits… Depuis la chute de Mossoul et la montée en puissance de Daash dans les provinces de Ninive, Salaheddine et Diyala, les Turkmènes chiites des villes et villages bordant les territoires – hier disputés – aujourd’hui occupés par les Kurdes, vivent un véritable calvaire dans l’indifférence quasi générale.

En Occident, le sort des Turkmènes irakiens n’intéresse malheureusement pas les bonnes âmes. Peu de gens connaissent leur histoire (1). A peine sait-on qu’ils existent… Et, quand c’est le cas, on les prend souvent pour des Turcs.

Il faut savoir qu’en Irak, les Turkmènes – appelés aussi Turcomans – sont le 3ème groupe ethnique du pays et pas qu’un peu puisqu’ils sont près de 3 millions, soit 12% de la population. Au plan religieux, ils se divisent en sunnites (60%) et chiites (40%). On compte aussi parmi eux quelques chrétiens.

Il y a encore 50 ans, les Turkmènes constituaient la majorité des habitants de Kirkouk – englobée depuis la prise de Mossoul dans la Région autonome du Kurdistan irakien – et se répartissaient entre Dohouk à la frontière irako-turque et Mandali à la frontière irako-iranienne dans une myriade de bourgades aux noms à consonances turkiks : Altun Köprü, Tazeh, Tavuk, Beshir, Tuz Khurmatu, Kara Tepe, Kefri, Khanaqin.

La ville d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien, était jadis une ville turkmène. Tel Afar, entre Mossoul et la frontière syrienne l’est encore, mais pour combien de temps ?

Depuis le renversement de Saddam Hussein en 2003, Tuz Khurmatu et Tel Afar ont été victimes de nombreux attentats sauvages revendiqués d’abord par Al-Qaïda au Pays des deux fleuves (ou Al Qaïda en Irak – AQI) puis par l’Etat islamique en Irak (EII). Motifs : les Turkmènes qui y résident, pour la plupart chiites (2), sont considérés par les salafistes locaux comme des apostats, des agents du régime de Bagdad, voire des safawides – au sens strict du terme (terme péjoratif désignant les chiites liés à l’Iran), donc voués à la mort. De plus, des attentats inexpliqués sont à porter au compte des services secrets kurdes, dont les dirigeants cherchent à annexer les riches terres agricoles turkmènes ou leur sous-sol potentiellement gorgé de pétrole. Pour ce qui concerne Tuz Khurmatu, c’est désormais chose faite.

Restait Tel Afar et des dizaines de village à la merci des djihadistes de Daash. A Beshir – 15 km au sud de Kirkouk – après quelques échanges de tirs, les villageois se sont enfuis à l’arrivée des véhicules blindés de Daash et se sont réfugiés à Tazeh, ville turkmène la plus proche, sous la protection de peshmerga arrivés en renfort. Bilan : 15 morts au moins dont les corps ont été rendus par les assaillants, des disparus, de nombreux blessés. Le village est en partie brulé.

Initiative impensable avant la prise de Mossoul : des chefs de tribus turkmènes – chiites et sunnites – de Tel Afar, ville de plus de 500 000 habitants (à 70% turkmène) prise par les « insurgés » après de violents combats, sont allés à Erbil demander la protection des peshmerga (3).

Face à cette situation dramatique et qui va perdurer, les Turkmènes sunnites et chiites se sont organisés en milices armées (4). Ils ont appelé la Turquie à l’aide. Pour l’instant, Recep Tayyip Erdogan, en campagne pour l’élection présidentielle et qui négocie parallèlement la libération du consul de Turquie à Mossoul et des camionneurs turcs pris en otages, ne parle que de l’envoi d’une aide humanitaire. C’est peu, mais mieux que rien… Kemal Beyatli, président de la Fédération des associations turkmènes, à Istanbul, regrette qu’il n’en fasse pas plus : « nous ne recevons d’armes de personne : les Américains ne nous en donnent pas parce que les Turkmènes ne font pas partie de leur projet régional, Israël n’en donne pas parce que leurs alliés sont les Kurdes, l’Iran ne soutient que ses alliés chiites, et la Turquie dit  » si on vous donne des armes, on se retrouvera entraînés dans des problèmes. Ainsi nous, Turkmènes, nous sommes et nous avons toujours été perdants » (5). Comme en écho, Erdogan lui a répondu, lors d’une réunion de son parti, l’AKP (Parti pour la justice et le développement) : « Nous sommes prêts à affronter tous les scénarios possibles. Nous prenons toutes les précautions pour ne pas mettre en danger nos 80 citoyens turcs enlevés et nos frères Turkmènes » (6). Attendons la suite, mais il y a urgence.

Photo: Drapeau des Turkmènes irakiens.

Pour plus d’informations sur la situation des Turkmènes irakiens: http://turkmenfriendship.blogspot.fr/

(1) Turcomans: peuple oublié ou marginalisé (mai 2007)

(2) Irak : Qui tue qui à Tuz Khurmatu ?

(3) Tal Afar tribes form a delegation to claim Erbil to join Kurdistan

(4) Les Turkmènes irakiens vont créer une milice armée

(5) Les Turkmènes d’Irak tirent la sonnette d’alarme

(6) « On ne peut tourner le dos à nos frères Turkmènes en Irak et en Syrie »

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