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Iran – Aprés l’attentat d’Ahwaz: 3 articles à lire


France-Irak Actualité : actualités sur l’Irak, le Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak, au Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique. Traduction d’articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne, enquêtes et informations exclusives.

Publié par Gilles Munier sur 5 Octobre 2018,

Réplique iranienne à l’attentat d’Ahwaz: tirs de missiles sur une base de l’Etat islamique en Syrie

I. Attentat d’Ahwaz:

l’Arabie saoudite est-elle en train

de porter la guerre en Iran ?

par Shireen T. Hunter (revue de presse : LobLog – 24/9/18)*

Moins d’un mois après l’attaque du consulat d’Iran à Basra, un groupe terroriste se réclamant du Mouvement de Libération d’Ahwaz attaquait une parade militaire dans la capitale de la province du Khouzistan iranien, tuant 25 personnes et blessant beaucoup d’autres. Lors de l’attaque à Basra, certains commentateurs iraniens avaient émis l’hypothèse que les assaillants chercheraient à cibler Khorramshahr et Abadan. Il semblerait que les faits tendent à conforter leur position.

Les attaques d’Ahwaz ont eu lieu très peu de temps après celles menées par des insurgés kurdes appartenant au Parti Démocratique du Kurdistan Iranien dans le nord-ouest de l’Iran, des régions à majorité kurde. Ces violences ont conduit les gardes révolutionnaires à cibler les bases situées dans le Kurdistan irakien d’où les insurgés opéraient. Ces attaques consécutives amènent à penser que les Etats-Unis et ses alliés régionaux arabes ont décidé d’assiéger l’Iran dans les provinces où il est le plus vulnérable, probablement en vue d’une opération militaire directe à plus grande échelle contre Téhéran.

Indépendamment de cela, certains des problèmes auxquels l’Iran doit fait face dans plusieurs de ses provinces de l’ouest et du nord sont le résultat de décennies d’abandon et de problèmes économiques croissants et donc de frustration populaire. Le gouvernement central, par exemple, a négligé depuis longtemps le Kurdistan. Les conditions économiques, de même que les moyens de communication, les réseaux routiers, ferroviaires et autres infrastructures de la province sont en retard par rapport au reste du pays. Ces 30 dernières années, les différents gouvernements ont tous promis un meilleur traitement de ce que l’on appelle les provinces défavorisées, qui incluent le Kurdistan, mais ont échoué. Ceci est dû en partie à l’utilisation de fonds disponibles pour des opérations à l’étranger, en Syrie et au Liban, de la corruption et de l’impact des sanctions, elles-mêmes un produit de la politique moyen- orientale de l’Iran.

Le cas du Khouzistan est encore plus sérieux. La région, qui comprend des endroits peuplés par des Arabes locaux, avait vaillamment résisté aux armées de Saddam Hussein et était restée fidèle au pays. La province a souffert le plus de dégâts lors de la guerre Iran-Irak. Malgré cela, la reconstruction du Khouzistan après la guerre fut très lente. A cela se sont ajoutés plus tard d’autres problèmes tels que les tempêtes de sable. Le gouvernement central s’est montré lent à adresser les problèmes. De nombreux projets, y compris ceux dans le domaine de l’eau, qui auraient dus être finalisés depuis longtemps, ne le sont toujours pas aujourd’hui. Le Karun, rivière autrefois majestueuse, est aujourd’hui à sec. Dans ces circonstances, le risque de voir la population se laisser galvaniser par des agitateurs étrangers augmente. Cela dit, ces problèmes n’expliquent pas à eux seuls les derniers évènements.

Les problèmes de l’Iran au Khouzistan ont toujours eu une dimension externe. Les Arabes estiment que la partie du sud de la province leur appartient et l’appellent l’Arabistan.

L’histoire est cependant plus complexe. Khouzistan veut dire la terre des Khuzi, les premiers habitants de la région de la Susiane. La population arabe s’y est installée après l’invasion arabo-islamique au VII ième siècle. Sous le règne des Safavides, la région était divisée en deux parties, et on faisait référence à celle du sud en tant qu’Arabistan. Au 19ème siècle, l’influence britannique croissante dans le golfe persique affaiblit la position iranienne dans les provinces du sud. En 1856, les Britanniques bombardèrent la ville de Khorramchahr (alors connue sous le nom de Muhamarrah), en partie pour forcer les Iraniens à quitter Herat.

Dans les dernières années du règne de la dynastie Qadjar, le cheikh Khazal gouvernait la partie sud de la province en tant que vassal de Téhéran. Lors de la Première guerre mondiale, alors que l’Iran semblait être au bord de la dislocation, le cheikh Khazal se rebella contre le gouvernement central dans l’espoir d’un soutien britannique. Mais, Londres avait changé son approche de la situation en Iran suite à la révolution bolchévique. Au lieu de favoriser sa désintégration, l’Angleterre vit en l’Iran un allié contre la Russie bolchévique et refusa de soutenir les velléités du cheikh.

Dans la cadre de sa politique visant à soumettre les chefs et potentats locaux, et à établir un gouvernement central et une bureaucratie qui fonctionnent, le chah Pahlavi écrasa la rébellion de Khazal. Dans les décennies qui suivirent la région obtint les faveurs du gouvernement en terme de développement, en partie à cause de ses réserves en pétrole. La révolution islamique et l’invasion irakienne changèrent la donne.

Pendant ce temps-là, les gouvernements arabes ainsi que les nationalistes arabes et panarabes continuaient à considérer le Khouzistan comme terre arabe. Entre les années 50 et 70, les états radicaux arabes depuis l’Egypte nassérienne à l’Irak de Saddam Hussein, ont utilisé l’Arabistan comme munition pour combattre l’Iran. Ils ont soutenu les séparatistes dans la région et ont créé des fronts de libération de l’Ahwaz et de l’Arabistan. Certains Etats arabes promouvaient ouvertement la désintégration de l’Iran. Tarek Aziz, ministre des Affaires étrangères de Saddam Hussein, déclara : « cinq petits Iran valent mieux qu’un grand ». Plus récemment, l’Arabie Saoudite et l’Egypte ont soutenu les mouvements séparatistes dans la région.

Jusqu’à présent, leurs activités consistaient cependant à tenir des conférences, comme celle du Caire en 2005. Aucune intervention directe d’aucune sorte n’avait été entreprise en Iran, bien que le Mouvement pour la libération d’Ahwaz ait été à l’origine de sabotages de pipelines pétroliers et d’attaques contre les installations pétrolières et autres infrastructures. Ces incidents plus récents soulèvent la question de savoir si l’Arabie Saoudite, comme l’a promis le Prince héritier Muhammad Bin Salman, ne serait pas en train de porter la guerre en terre iranienne ? Et s’il le fait, est-ce avec la bénédiction américaine?

Si l’on en croit l’ancien conseiller du Prince héritier, la réponse est oui, du moins en ce qui concerne les Emirats arabes Unis, l’Arabie Saoudite et potentiellement l’Egypte. Abdul Khalegh Abdullah a twitté « qu’ils avaient mis en garde l’Iran ». Il a aussi ajouté que l’attaque n’était pas un acte terroriste parce que les cibles visées étaient militaires. Les autres états arabes, y compris le Koweït et Oman, ont eux condamné l’incident. Cela dit, le message envoyé à l’Iran récemment montre que l’étau se resserre contre celui-ci.

L’Iran connaît aujourd’hui la période la plus dangereuse de sa longue et tumultueuse histoire. Pour naviguer dans ces eaux troubles, les leaders iraniens ont besoin loin de tout sensationnalisme de montrer leur sagesse, réalisme et flexibilité et non leur bravoure. Mais avant tout, ils doivent faire de la survie de l’Iran dans ses frontières actuelles leur objectif prioritaire, supérieur à tout autre qu’il soit révolutionnaire ou autre.

Shireen T. Hunter est chercheur et professeur au département Affaires étrangères de l’Université de Georgetown. Sa dernière publication est : « Dieu est de notre coté : la religion, la politique étrangère et les relations internationales » (Rowman & Littlefield, décembre 2016)

*Source : LobLog

Traduction et Synthèse: Z.E pour France-Irak Actualité

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II. The Guardian dévoile les liens

du groupe terroriste al-Ahwaziya avec Riyad

Revue de presse : PressTV ( 2/10/18)*

Un journal britannique a rapporté que le média qui a interviewé l’un des membres du groupuscule terroriste al-Ahwaziya était en fait affilié à l’Arabie saoudite.

Selon The Guardian, l’Ofcom, un régulateur des médias au Royaume-Uni, enquête en ce moment sur une chaîne de télévision liée à l’Arabie saoudite qui a interviewé à la suite de l’attentat terroriste à Ahwaz un membre du groupe terroriste responsable de l’attaque.

L’enquête montrerait ainsi l’influence croissante de l’Arabie saoudite sur les médias basés à Londres.

Le porte-parole du groupe terroriste al-Ahwaziya a déclaré dans un entretien avec la chaîne de télévision Iran international que l’attaque en question était une réponse à la répression des Iraniens arabophones de la ville d’Ahwaz : « Nous n’avons pas d’autre choix que la résistance ! La résistance nationale d’Ahwaz a mené les opérations d’aujourd’hui contre le CGRI et les forces militaires de la République islamique. »

Iran International TV, basée à Chiswick, a ainsi été le premier média en langue persane à s’entretenir avec Yacoub Hor al-Tostari, porte-parole du « Mouvement de lutte arabe pour la libération d’Ahwaz », après l’attaque du 22 septembre.

L’Ofcom a confirmé qu’il enquêtait sur l’entretien. « Nous considérons ce programme de nouvelles comme une priorité dans nos règles de radiodiffusion », a déclaré un de ses porte-parole.

Iran International fait partie d’un nombre croissant de chaînes de télévision basées à Londres mais soutenues par des capitaux du Moyen-Orient, qui tentent d’influencer des audiences à des milliers de kilomètres à la ronde. Des questions ont été soulevées concernant le financement du réseau et ses liens avec l’Arabie saoudite.

Rob Beynon, le directeur par intérim de la chaîne, a maintenu sa décision de diffuser l’interview avec le groupuscule terroriste en déclarant néanmoins qu’il considérait l’attaque d’Ahwaz comme une « attaque terroriste ».

« Nous, la BBC et Radio Farda, avons interviewé la même personne au cours de la journée et nous avons déjà dit que cela avait été fait parce que nous voulions connaître le contexte », a-t-il déclaré au Guardian. « Il n’y a pas d’interdiction d’interviewer cette personne pour autant que je sache. »

Iran International a été lancé en mai 2017, peu avant les élections présidentielles en Iran.

Deux autres réseaux en langue persane, BBC Persian et Manoto TV, sont également basés à Londres.

Et selon The Guardian, Iran International verse des salaires plutôt généreux à ses employés ; à savoir deux fois plus élevés que ceux offerts par ses concurrents. Ses 100 employés travailleraient aussi dans des locaux très confortables et modernes.

La licence d’Iran International est en outre détenue par une société appelée Global Media Circulating, selon les registres de l’Ofcom. Adel al-Abdulkarim, l’un des deux directeurs de la société, serait un ressortissant saoudien. Une source proche du prince héritier saoudien a déclaré que le budget de ce média est de l’ordre de 205 millions de dollars et que c’est la cour royale saoudienne qui verse cette somme.

Source: PressTV

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III. La « libération » de l’Arabistan

Par Gilles Munier (archives – AFI-Flash n°59 – 11 juin 2006)

Depuis que le Cabinet américain Hicks and Associates a remis au Corps de Marines son étude confidentielle sur les minorités en Iran (1), la presse occidentale fait état de troubles, d’attentats ou de combats en Arabistan, Azerbaïdjan, Kurdistan, Balouchistan. En même temps, on apprend que les Chrétiens, les Zoroastriens et les Juifs d’Iran sont menacés. Le sort réservé aux Bahaïs est de nouveau stigmatisé.

En se basant sur le fait que les Perses représentent environ 50% de la population, les Etats-Unis semblent décidés à soutenir tout mouvement autonomiste, indépendantiste ou religieux susceptible de déstabiliser l’Iran. Une invasion militaire pour renverser le régime islamique étant impossible ou trop risquée, les néo conservateurs américains et israéliens misent sur l’imposition de sanctions économiques, sur le bombardements de centres de recherche nucléaire, et sur l’asphyxie financière du pays… en « libérant » l’Arabistan qui recèle plus de 80% des ressources pétrolières et gazières du pays.

L’Arabistan – ou région d’Al-Ahwaz – est plus connu sous le nom de Khouzistan – le Pays des tours – depuis la « persianisation » de la province par Reza Chah Pahlavi en 1925. Il est situé à l’extrême sud-ouest de l’Iran, entre le Golfe, le Chatt Al Arab, les montagnes du Kurdistan iranien et les monts Bakhtiar de la chaîne du Zagros. Il est peuplé majoritairement d’Arabes chiites, issus de tribus venues de la péninsule arabique dès l’époque akkadienne, ou qui se sont installées après l’islamisation de la Perse.

Souk Al-Ahwaz

Dans l’antiquité la région appelée plus tard Arabistan fait partie de l’Elam et correspond à peu près à la Suziane. Les ruines de Suze sont situées à une trentaine de kilomètres au sud de Dezfoul. Puissant royaume, l’Elam conquiert la Mésopotamie : la Babylonie et le royaume de Mari (Syrie). Il en est refoulé par Hammourabbi. Il s’effondre vers 613 avant JC, quand Assourbanipal prend Suze et l’annexe dans l’empire assyrien. Il est ensuite occupé par les Chaldéens, les Séleucides et les Parthes, puis englobé dans l’empire perse archéménide (550 a 331 avant J.C), puis perse sassanide (226-652 après J.C).

En Irak, en 635, après la défaite perse face aux troupes musulmanes de Saad Ben Abi Waqass – lors de la fameuse bataille d’Al-Qadissiyah – Abou Moussa Al-Ashari s’empare d’Hormuzd Ardashir, port sur le fleuve Karoun, et l’appelle Souk-Al-Ahwaz. Les habitants de la région d’origine arabe, liés aux tribus de Bassora, se convertissent à l’Islam.

L’Arabistan fait partie des empires Omeyyade et Abbasside, et demeure ensuite plus ou moins indépendant des Chahs safavides, notamment au 15ème et 17ème siècle avec l’Emirat arabe de Musha’sha, dont capitale était Howayisa au nord ouest de la région.

L’Emirat de Mohammara

A partir du 17ème siécle, de nouvelles tribus venues du désert du Nedj en Arabie émigrent en Arabistan, en particulier les Banu Ka’b qui s’installent au sud-ouest du fleuve Karoun. Cheikh Salman, chef de cette tribu, grignote petit à petit les territoires de ses voisins au point de menacer Bassora. Il créé une flotte puissante qui oblige le Pacha Ottoman de Bagdad d’appeler à l’aide la Compagnie des Indes Orientales. Non seulement la coalition turco-anglaise n’en vient pas à bout, mais Cheikh Salman s’empare de deux navires anglais qu’il refuse de restituer (2).

En 1812, le Cheikh Youssouf Ben Mardaw, chef d’un clan des Bani Ka’b, créé le port de Mohammara (La rouge) à l’embouchure du Karoun, à environ 120 km de Souk Al-Ahwaz. La prospérité de la ville attise les convoitises des Perses, puis des Ottomans qui s’en emparent momentanément. Le gouvernement des Indes, qui suit de près la situation dans le Golfe, prend alors la décision d’intégrer l’Arabistan dans leur zone d’influence.

Quand les Ottomans et les Perses entrent en conflit pour décider de l’appartenance de Mohammara, les Anglais et la Russie tsariste jouent les médiateurs. En 1847, le second traité d’Ezeroum attribue arbitrairement à la Perse le port et l’île d’Al-Kodr, la future Abadan. Le Cheikh Hadj Jaber qui règne alors ne reconnaîtra jamais le traité et refuse de se soumettre au Chah de Perse.

Après sa mort en 1881, la Grande-Bretagne fait pression sur son fils, Cheikh Maz’al, pour qu’il autorise une compagnie anglaise à naviguer sur le fleuve Karoun. En 1890, un consulat britannique ouvre à Mohammara. L’aversion du Cheikh pour les Britanniques était connue. On prétend que le gouvernement des Indes n’est pas étranger à son assassinat par son frère cadet Cheikh Kaz’al.

Cheikh Khaz’al, candidat au trône d’Irak

Cheikh Kaz’al est considéré comme un ami fidèle de l’Angleterre et un bon exécutant de sa politique (3). Mais, il profite du soutien britannique pour faire de son Emirat une principauté quasi indépendante. Ses démêlés avec Reza Chah et la trahison dont il a été victime de la part des Anglais en ont fait un héros de l’arabisme.

La découverte de pétrole en Arabistan en 1908, à Maidan-i-Naftan – la Plaine de l’huile – près d’un ancien temple du feu zoroastrien, va changer la donne et faire de la Perse « une des pièces d’un échiquier sur lequel se joue la domination du monde » (4).

Le 28 mai 1901, le Chah Muzzaffar Al-Din – de la dynastie des Qadjars – accorde au financier anglo-australien William Knox d’Arcy, qui rêve de devenir un nouveau Rockfeller, le droit de prospecter en Perse pendant 60 ans, l’exclusivité de la construction de pipeline et la gratuité des terres non-cultivées nécessaires à ses recherches. L’Angleterre reconnaît en 1902 l’indépendance de l’Emirat de Mohammara et négocie avec Cheikh Kaz ‘al la construction de la raffinerie à Abadan et du pipeline la reliant aux puits de Masjid-i-Suleiman. Le 6 mai 1909, Sir Arnold Wilson accepte de payer au Cheikh un loyer annuel pour le prix de passage de l’oléoduc et l’installation de la raffinerie ; il l’assure du soutien diplomatique britannique en cas de menace perse et d’une aide militaire en cas d’agression (5). En 1921, Cheikh Kaz’al estime ses relations avec l’Angleterre suffisamment bonnes pour se déclarer candidat au trône d’Irak.

Après l’effondrement de l’empire Ottoman et la Révolution bolchevique en Russie, tout change. L’Angleterre laisse Reza Khan, Ministre de la Défense et Chef de l’armée perse, reconquérir l’Arabistan. Cheikh Kaz’al se réfugie à Bassora. Un piège lui est tendu avec la complicité du représentant britannique à Mohammara : le Général Zahedi, gouverneur militaire perse, lui fait savoir qu’il a reçu l’ordre de se retirer de la région. Le représentant de Londres confirme la nouvelle. Le 20 avril 1925, le Cheikh Kaz’al invite Zahedi à une cérémonie d’adieux sur son yatch ancré dans le Chatt Al-Arab. Les Perses arrêtent le Cheikh et le transfèrent à Téhéran où il mourra en 1936 en résidence surveillée.

En avril 1926, Reza Khan se fait proclamer Chah d’Iran. Il rebaptise l’Arabistan en Khouzistan et « persianise » les noms des villes, des fleuves et des montagnes. Mouhammarra devient Khoramchahr, Howayisa est Dacht Michan. Le nom d’Hawaz doit désormais se prononcer Havaz, à la persane… etc. La langue arabe est interdite dans l’administration. Des Perses sont installés dans plusieurs villes et sur des terres confisquées.

Résistance en Arabistan

Des révoltes éclatent dès 1925, puis en 1928, 1940. Elles sont réprimées dans le sang. En août 1941, Reza – compromis avec les nazis – est remplacé par son fils Mohammad. De nouvelles révoltes en 1943 et 1945, sont durement réprimées. Un mémorandum est adressé à la Ligue Arabe qui n’en tient pas compte. Il est vrai qu’à l’époque les pays arabes étaient encore colonisés ou sous influence anglaise ou française.

En 1946, le parti Al-Saada est constitué à Mohammara. Il revendique l’indépendance de la région. L’armée iranienne profite de troubles suscités avec le parti communiste Toudeh, et se livre à un véritable carnage. Quand le parti irakien de l’indépendance remet à la Ligue Arabe un rapport sur les crimes commis par les troupes du Chah, le Secrétaire général de la Ligue dit qu’il n’a pas le temps d’étudier le problème…

En juin 1947, un traité est signé entre l’Iran et les Etats-Unis pour la livraison d’armes et de surplus de guerre. Le Brigadier général Schwarzkopf – dont le fils dirigera en 1991 l’opération Tempête du Désert – est chargé de former la gendarmerie iranienne et d’aider à la « pacification » de l’Azerbaïdjan (6).

Mohammad Mossadegh est nommé Premier ministre le 29 avril 1951. Il choisit Hussein Fatimi – secrétaire général du parti Al-Saada – comme ministre des Affaires étrangères et nationalise l’Anglo-Iranian Oil Company. Il rompt les relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne, mais est renversé avec l’aide de la CIA et remplacé par le Général Zahedi. Mossadegh et Fatimi sont condamnés à mort par un tribunal militaire. Le premier verra sa peine réduite et sera libéré en 1956. Le Secrétaire général du parti Al-Saada sera exécuté.

En Arabistan, des partis indépendantistes ou autonomistes voient le jour : le Front de libération de l’Arabistan (1956) proclame que la région ne peut être libérée que par « une révolution totale », que la « lutte armée est le seul moyen de mettre fin au pouvoir iranien en Arabistan », le Front national de libération de l’Arabistan et du Golfe arabe (1960) qui réclame le rattachement de la région à l’Irak. Le Front de libération de l’Arabistan se transforme en 1967 en Front delibération d’Al-Ahwaz (7).

En 1979, Abdallah Salameh, Secrétaire général du Mouvement Démocratique et Révolutionnaire pour la Libération de l’Arabistan (MDRLA), d’obédience nasséro-baassiste, dit que les 2 millions de demi d’habitants arabes considèrent les Perses comme de colons. Il se déclare prêt à lutter contre tout successeur du Chah qui n’accorderait pas l’indépendance aux Arabes d’Iran. La région qu’il revendique s’étend de la frontière irakienne au détroit d’Ormuz (8).

Guerre Iran-Irak

Le sort des Arabes en Iran ne s’améliore sous l’Ayatollah Khomeini, malgré leur participation à la chute du Chah en 1979. Le déclenchement de la guerre Iran-Irak est pour beaucoup d’entre eux l’occasion de s’affranchir du « joug perse » car, parmi les objectifs des troupes irakiennes qui envahissent l’Iran le 22 septembre 1980, il y a bien sûr la libération de l’Arabistan. De Bagdad, le journaliste Paul Balta le confirme en faisant état de rumeurs de proclamation d’une République arabe d’Arabistan, Il révèle aussi que les Etats-Unis ont fait savoir aux Irakiens qu’ils s’opposent au démantèlement de l’Iran (9).

Tarek Aziz me dira que l’Irak n’a pas l’intention d’annexer la région (10). Il estime, comme le Président Saddam Hussein au 11ème Sommet arabe tenu à Amman en novembre 1980, que « C’est au peuple de l’Arabistan, comme aux autres peuples de l’Iran de décider de leur sort ». Il précisera sa pensée dans Al-Anba en disant « Si les circonstances donnent aux minorités iraniennes l’occasion de s’autogouverner, nous sommes d’accord. » (11) et Tarek Aziz ajoutera dans Watan Al-Arabique les Arabes d’Arabistan ne sont pas « préparés de manière satisfaisante », mais que « l’Irak est le soutien le plus ferme à leur cause » (12).

Le retrait des troupes irakiennes d’Iran et le cessez le feu marquent pour un temps la fin des rêves de nationalistes d’Al-Ahwaz qui espéraient profiter de la chute du pouvoir islamique pour s’émanciper. Certains se réfugient dans la région de Bassora. Il y sont encore, mais courent un véritable danger depuis l’invasion du pays par les Américains.

Démanteler l’Iran

Avant de quitter son poste de « Premier ministre », Ibrahim Al-Jaafari a en effet ordonné l’expulsion vers l’Iran d’environ 2 500 réfugiés politiques arabes de la région d’Ahwaz, pourtant enregistrés au du Haut comité pour les réfugiés (HCR). Ils risquent d’être emprisonnés ou exécutés. Certains sont heureusement réfugiés dans les régions à majorité sunnite pour échapper aux milices pro-iraniennes (13). Ra’ad De’ayer Al-Bestan Banitorfi, un de leurs représentants, a néanmoins été kidnappé le 9 avril dernier par les escadrons de la mort du ministère irakien de l’Intérieur et son cadavre mutilé, retrouvé 4 jours plus tard.

Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont repris la politique qu’ils interdisaient à Saddam Hussein en 1980. Karin Abdian, représentant duParti démocratique Ahwaz à Washington raconte en qu’il a été convoqué en août 2005 par Hicks and Associates à la demande de « l’unité de renseignement des Marines … Ils voulaient tout savoir sur les Arabes d’Iran : combien nous étions, pourquoi nous nous battions, de quoi nous avions besoin. » Il a dit à ses interrogateurs que les Arabes n’étaient que 6 millions, mais qu’ils avaient le pétrole ! (14)

Depuis mars 2006, Al-Ahwaz TV une chaîne clandestine de radio télévision disposant d’un canal sur un satellite australien, appelle les Arabes d’Arabistan à la révolte (15). Mais, ils n’ont pas attendu pour le faire… Depuis un an, l’Arabistan est le théâtre d’émeutes vite réprimées : en avril 2005, on relève 5 morts. En juin 2005, quatre bombes explosent à Ahwaz. Les attentats sont revendiqués par lesBrigades des martyrs révolutionnaires Ahwazi. En octobre 2005, deux bombes y font encore 6 morts et une centaine de blessés, Selon le Ministère iranien du Renseignement « une partie des équipements utilisés dans les explosions provenait d’Irak, notamment, de Bassora, région sous contrôle des occupants britanniques. ». Fin janvier 2006, 2 bombes explosent à Ahwaz devant la banque Saman et un bâtiment officiel. On dénombre 8 morts et 48 blessés. La chaîne libanaise Al Manar, affirme que le Président Ahmadinejad était visé.

Les Américains vont-ils « libérer » l’Arabistan pour s’approprier son pétrole comme ils l’ont fait en Irak ? Wayne Madsen, journaliste d’investigation et ancien agent de la NSA sous Reagan, assure qu’une République Démocratique d’Ahwaz serait reconnue diplomatiquement « par les Etats-Unis et quelques uns de ses alliés les plus proches » (16) Qui peut faire confiance aux Américains ? La trahison de Cheikh Khaz’al est encore dans les esprits. Il suffirait que les Etats-Unis s’entendent avec Mahmoud Ahmadinejad, ou avec un président qui le remplacerait démocratiquement ou non – ou avec une marionnette quelconque – pour que la CIA laisse tomber ses protégés. La réponse d’Henry Kissinger à ceux qui lui reprochaient d’avoir abandonné la rébellion de Mustapha Barzani en 1975 reste d’actualité : « Les actions clandestines ne peuvent se confondre avec une œuvre missionnaire » (17).

Notes :

(1) US Marines probe tensions among Iran’s ethnics minorities, par Guy Dimore, The Financial Times, 23 févier 2006.

http://www.infowars.com/articles/ww3/iran_us_marine_intel_probe_minorities.htm

(2) (3) Al-Ahwaz, une terre arabe usurpée, par Ibrahim Khalaf Al-Ubaide, Paris, 1981

(4) Déclaration de Lord Curzon, Vice-roi des Indes citée par Daniel Yergin – Les hommes du pétrole, Stock, 1991.

(5) L’Emirat de Mohammara, par M.A Al-Najjar (sans date ni éditeur).

(6) Russia and the west in Iran, par George Lenczowski, Cornell University Press, 1949.

(7) Le conflit Iran-Irak, sous la direction de Paul Balta – Notes et études documentaires n°4889, 1989

(8) Entretien avec l’auteur, décembre 1980.

(9) « L’Arabistan, vous connaissez ? » – Interview d’Abdallah Salameh, par Gilles Munier (La Pensée nationale, janvier/février 1979).

(10) La presse de Bagdad donne consistance aux rumeurs sur la proclamation d’une République d’Arabistan, par Paul Balta – Le Monde, 25 octobre 1980.

(11) Al-Anba, 19 janvier 1981.

(12) Watan Al-Arabi, 22 janvier 1981.

(13) Selon le site El-Fekr-el-islami, cité par l’Association d’amitié brito-ahwazi, 22 avril 2006 – http://www.ahwaz.org.uk/2006/04/al-jafari-expells-ahwazi-arabs-from.html

(14) Iran : ce qui Washington prépare, par Vincent Jaubert, Le Nouvel Observateur – 20/4/06

(15) http://www.ahwazmedia.tv

(16) Wayne Madsen Report – 10 août 2005

http://waynemadsenreport.com/2005_08010824.php

(17) William Blum, The CIA. The Forgotten History, Zed, Londres, 1986.

Source : AFI-Flash

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