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La clairvoyance et la Palestine


Par Gilad Atzmon
Arrêt sur info — 16 octobre 2018

Lire et relire Gilad Atzmon – un intellectuel fort clairvoyant d’une rare sincérité – pour comprendre ce qui se joue véritablement en Palestine. [ASI]

Par Gilad Atzmon

Publié le 14 Octobre 2018 sous le titre Insightfulness and Palestine

Traduit par Eve Harguindey

La perspicacité ou la clairvoyance désigne une capacité soudaine de voir quelque chose d’une manière qui clarifie profondément notre compréhension. Elle nous permet de revoir nos points de vue dans une perspective totalement nouvelle. La perspicacité est un mode innovant. Elle offre une vision alternative, hors des sentiers battus, du monde qui nous entoure. La perspicacité est un facteur clé dans tout discours dynamique et animé.

Alors que ce qu’on nomme révolution est parfois alimentée par une perspicacité idéologique ou sociale, les » révolutionnaires » sont le plus souvent anti-perspicaces par nature. Ils dépensent leur énergie à réduire une » vision perspicace » à un régime fixe : une doctrine, un dogme, une stratégie, une pile de commandements, un jargon casher ou une liste de » détestables « . Alors que Marx, par exemple, offrait une vision matérialiste clairvoyant de notre passé et de notre avenir humain, les marxistes sont généralement une bande d’anti-clairvoyants. Leur doctrine réduit les idées de Marx à une sorte de Torah et de Mitsvot {les 613 commandements de la Torah, NdT], limitant et supprimant la pensée créatrice. Les soi-disant « révolutionnaires » sont trop souvent un collectif de « contre-révolutionnaires », des gens qui ne font que tuer la perspicacité. Ils s’identifient symboliquement à la » révolution « , tout en soutenant une réalité de stagnation. Cette analyse peut nous aider à comprendre les 150 dernières années de paralysie de la gauche en Occident. Cela peut aussi expliquer pourquoi ce sont souvent les fascistes qui prennent le pouvoir précisément quand les conditions sont mûres pour une révolution marxiste selon les dogmes.

L’observation de l’évolution du mouvement de solidarité avec la Palestine et de l’influence croissante des entités juives au sein de ce mouvement m’a donné l’occasion d’observer une opération anti-clairvoyance spectaculaire.

Depuis de nombreuses années, je me demande pourquoi le discours de solidarité avec la Palestine est à ce point anti-intellectuel. Il jette fondamentalement aux orties la pensée critique et agit à la place suivant manuel rigide de militantisme. Au lieu de faire progresser notre compréhension de l’essence et de la nature de ce qui est responsable de l’oppression du peuple palestinien, à savoir l’État juif, le mouvement s’accroche à des modèles qui nous éloignent le plus possible du conflit ou d’une compréhension opérationnelle de ses racines. Au lieu de demander comment les Israéliens interprètent le sens de leur État en tant qu’ » État juif » ou d’essayer de comprendre comment la judéité de cet » État juif » influence la politique israélienne ou son lobby de soutien dans le monde entier, nous nous accrochons aux modèles théoriques du XIXème siècle (par exemple, le colonialisme) qui s’appliquent aux superpuissances dans une période industrielle. Au lieu de comparer l’État juif à d’autres modèles politiques qui adhéraient à l’expansionnisme, au nationalisme, à la race et au nettoyage ethnique (l’Allemagne nazie, par exemple), nous assimilons Israël à l’apartheid sud-africain.

En vérité, Israël est bien plus infâme que l’Afrique du Sud de l’apartheid. L’apartheid est un système d’exploitation raciste, l’Etat juif ne veut pas « exploiter » les Palestiniens, il veut les faire partir. Israël est un nettoyeur ethnique expansionniste et raciste, mais on n’a pas le droit d’ étudier la véritable nature de sa philosophie.

Je regrette d’avoir à souligner que le mouvement de solidarité avec la Palestine n’est pas seulement fourvoyé et fourvoyeur d’un point de vue idéologique et politique, il l’est aussi d’un point de vue délibéré.

En 2010, j’ai demandé à Olivia Zemor, militante française juive, enthousiaste et pro-palestinienne du BDS, pourquoi elle diffuse des slogans populistes qui visent à étouffer la capacité de ses supporters à comprendre les racines du conflit et sa possible résolution. La réponse de Zemor était d’une simplicité désarmante : « On a un tas de gens qui soutiennent la Palestine, il vaut mieux les occuper avec des tâches simples. »

Le mouvement de solidarité avec la Palestine a beau impliquer un engagement intense, à ce qu’on sache, il est loin d’avoir permis le retour d’un seul réfugié palestinien à Jaffa, Lod, Haïfa ou ailleurs dans cette terre non promise. En fait, il fait le contraire. Il occupe les gens avec des » tâches simples » qui détournent leur attention de la cause profonde du conflit. Au lieu de considérer l’orientation exceptionnaliste et raciste qui est intrinsèque à presque tous les discours politiques juifs, nous assimilons une entité post-moderniste du 21ème siècle à la politique moderniste de l’empire britannique du 19e siècle. Au lieu de soutenir inconditionnellement le droit au retour, le mouvement est essentiellement un débat interne sans fin sur le droit des juifs au BDS.

Dans les années 1990, le mouvement de solidarité avec la Palestine s’est engagé dans un discours novateur et dynamique qui a été la base d’un mécanisme évolutif où les pensées les plus profondes ont prévalu. Mais la situation a changé au début des années 2000 lorsqu’un effort grossier et acharné est apparu pour éradiquer toute tentative de pensée profonde, essentialiste et novatrice. La perspicacité a été remplacée par un régime rigide de « correctitude ». Le mouvement de solidarité est rapidement devenu un désert intellectuel.

Au lieu de s’occuper des réfugiés au Liban ou en Syrie, le mouvement de solidarité avec la Palestine s’est principalement engagé dans la » lutte contre l’antisémitisme « . Curieusement, c’est le mouvement de solidarité palestinien qui a agi, bien avant les groupes de pression de la hasbara, pour purger ces » voix problématiques » qui avaient le courage d’appeler un chat un chat. C’était prévisible puisque c’est au début des années 2000 que le mouvement de solidarité avec la Palestine s’est transformé en un discours identitaire juif. Dès lors, l’agenda de la solidarité a été défini par les sensibilités juives. Le mouvement de solidarité n’a pas libéré la Palestine parce qu’il n’était pas censé le faire. Son véritable but était de défendre les Juifs en tant que collectivité contre les crimes commis » en leur nom » par l’État juif.

Pendant tout ce temps, les soi-disant » Juifs dans le mouvement » (JIM) ont violemment et férocement attaqué les plus grands esprits et les activistes les plus enthousiastes exprimant leur soutien à la Palestine (des gens comme Israël Shamir, Greta Berlin, Richard Falk, Norman Finkelstein, Paul Eisen et Alison Weir). Aucune de ces attaques n’a donné lieu à des discussions ou à des débats au sein des institutions de solidarité, car ces institutions ont été réduites à des tribunaux autoritaires fantoches. Les attaques ont souvent été suivies de procédures de herem talmudiques, des appels au désaveu et à l’excommunication.

À l’époque, Paul Eisen m’a appris la règle de fer de la politique juive. « Les Juifs politiques auto-identifiés, » dit-il, « frappent toujours à gauche. » Tant qu’ils le font, ils maintiennent leurs membres sous leur coupe. Nous apprenons souvent qu’un colon messianique de Cisjordanie a donné un coup à gauche de Netanyahou. Netanyahou, de son côté, donne un coup au centre politique israélien. Le Parti travailliste israélien fait la même chose à la gauche israélienne qui, elle-même, critique souvent sévèrement les groupes » anti »-sionistes de la diaspora juive. Malheureusement, cette dynamique ne s’arrête pas à la frontière israélienne. Les juifs progressistes de la diaspora auto-identifiés comme « anti « -sionistes opèrent selon les même procédés. Ils salissent, dénoncent et purgent ceux qu’ils veulent désespérément faire taire.

Le schéma est clair : être juif (politique), c’est définir les limites de la conduite kasher. Les Juifs ne s’entendent pas sur ce qui constitue une conduite politique cachère, mais ils s’entendent sur la nécessité des frontières. Être juif, c’est insister sur le fait que quelqu’un d’autre est « à mettre au pilori ».

Cette dynamique se manifeste quotidiennement au sein du mouvement juif pro-palestinien. Le groupe juif britannique qui s’appelle « Free Speech on Israel » ne soutient pas la vraie liberté d’expression. Il insiste simplement pour redéfinir les limites de cette » liberté « . JVP et Mondoweiss nous disent souvent ce que nous ne devrions pas écouter. Lorsque mon livre The Wandering Who ? a été publié en 2012, il a rapidement gagné en popularité parmi les pro- palestiniens. Mondoweiss a réagi très rapidement. Ils ont changé leur politique de commentaires. « Désormait, la section des commentaires de Mondoweiss ne servira plus de forum pour mettre au pilori la culture et la religion juives comme facteurs moteurs de la politique israélienne et américaine. » En pratique, le site juif « anti »-sioniste interdit à ses adeptes de parler de la judéité d’un État qui se fait appeler « l’Etat juif ».

Il en va de même pour Richard Silverstein et d’autres qui sont souvent dénoncés par les sionistes et même les antisionistes tout en insistant sur la définition de ce qui est bien et de ce qui est mal pour la Palestine.

À la lumière de cet appareil juif de kick boxing, les Goyim sont faciles à décrire. Les Gentils ne donnent de coups ni vers la gauche ni vers la droite. La journaliste US-américaine la plus dévouée à la Palestine, Alison Weir, ne nous a jamais dit quelles sont les limites du débat politique. Son Washington Report on Middle East Affairs ne nous a pas dit qui nous devrions ignorer ou désavouer. John Mearsheimer a également omis de nous dire qui effacer. Et ces goys ne sont pas seuls. Je n’ai jamais vu la liste de répudiation de Richard Falk. Norman Finkelstein n’est pas un fan de mon travail, mais il n’interfère pas avec mon travail ou celui des autres. Il en va de même pour Chomsky. Paul Eisen et Israël Shamir, qui ont souffert plus que la plupart des campagnes de diffamation infâmes et brutales, n’ont jamais participé aux décochages juifs de crochets du gauche.

Shamir, Eisen, Finkelstein, Chomsky et Falk ne sont peut-être pas d’accord sur beaucoup de choses, mais ils partagent une qualité cruciale. Comme Uri Avnery R.I.P. et Gideon Levy, ils ne présentent pas un modèle de frontières cachères. Il n’est pas surprenant que ces personnes soient parmi les plus perspicaces. Elles agissent comme des intellectuels. Ils n’opèrent pas politiquement en tant que Juifs. Ils donnent leur point de vue sur la réalité et s’abstiennent de définir les questions que nous ne devrions pas aborder. Ils laissent faire les autres.

Dans mon dernier livre, Being in Time, je réintroduis la discussion sur ‘Athènes et Jérusalem’. Athènes, comme je la définis, est le berceau de la philosophie, de la science et de la beauté. Athènes est l’endroit où « nous réfléchissons ». Jérusalem, d’autre part, est la ville de la révélation, le royaume de l’obéissance gouverné par un régime strict de correction. Malheureusement, le mouvement de solidarité avec la Palestine a été réduit à une secte jérusalémite ghettoïsée. Mais malgré cela, la solidarité avec les Palestiniens n’a pas disparu. Elle est devenue une conscience mondiale universelle. Maintenant, nous sommes tous des Palestiniens, et comme les Palestiniens, nous ne pouvons même pas prononcer le nom de notre oppresseur.

Ce n’est pas le soi-disant « mouvement de solidarité » qui a fait de nous des Palestiniens. C’est la définition de l’antisémitisme par l’IHRA qui fait de nous des Palestiniens. C’est la campagne mondiale contre Corbyn et le Parti travailliste qui nous a fait nous sentir comme des réfugiés dans notre propre pays. C’est Trump faisant d’Israël un grand pays qui a fait de nous des Gazaouis. C’est la prise de conscience que la violence sioniste est un désastre mondial à plusieurs niveaux. Il est entendu que si nous ne nous réveillons pas bientôt, nous pourrions être les prochains à en subir les conséquences.

Gilad Atzmon

Article original: https://www.gilad.co.uk/writings/2018/10/14/insightfulness-and-palestine

Traduit par Eve Harguindey

Source: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=24335

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