La culture de la sécurité

14 mars 2013 · par Shamann · dans SécuritéSystème
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état policier
Des sociologues de l’Université de Francfort-sur-le-Main participent aux programmes nationaux de recherche sur la répression des soulèvements et le refoulement des réfugiés. Ces projets, qui perçoivent des millions d’euros du ministère allemand de la Recherche et de la Culture portent le nom de « recherche sur la sécurité civile » et concernent entre autre les « conflits culturels et sociaux » que pourrait entraîner « la possible arrivée en masse de migrants » dans les métropoles occidentales. Sous le titre « Culture sécuritaire en évolution », on recherche en outre dans quelle mesure la population allemande approuve des mesures répressives et de surveillance destinées à contrer les agressions perpétrées par des ennemis intérieurs. Parallèlement des « chercheurs sur la paix » de Francfort mettent au point des stratégies destinées à accroître l’efficacité des interventions militaires occidentales dans les pays du Sud. Le corpus de cette recherche est complété par une réflexion sur les questions de la «communication sur la sécurité. » Une tâche « centrale » dans l’ « approche du terrorisme, des pandémies, des interventions militaires à l’étranger ou des migrations » serait «d’emballer des données complexes de politique sécuritaire dans des messages clairs et simples ».

Conflits mondiaux pour la répartition des ressources

L’Université Johann-Wolfgang-Goethe de Francfort annonce que son pôle d’excellence en sciences sociales « Formation des Ordonnances Normatives » a emménagé récemment dans un bâtiment neuf (coût : 11 millions d’euros) sur le campus de Francfort Westend. Cette construction, financée pour moitié par le land (région) et pour l’autre par l’État, s’intègre « de manière remarquable dans l’ensemble » en raison du design de sa façade, a déclaré la ministre des Finances du land de Hesse, Luise Hölscher, à l’occasion des festivités de son inauguration [1]. « L’ensemble » évoqué par Hölscher est dominé par le building qui abritait jadis l’administration de la firme IG-Farben, ce trust de l’industrie chimique qui, sous le régime nazi, s’était hissé à l’une des premières places mondiales. Cette entreprise, qui disposait à Auschwitz d’un camp de concentration personnel, est responsable aussi bien du pillage des pays occupés par l’Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale que de l’exploitation massive jusqu’à épuisement de travailleurs forcés. Le pôle d’excellence « Formation des Ordonnances Normatives », désormais installé sur le campus d’IG-Farben, analyse (selon son autopromotion) les « conflits mondiaux pour la répartition des ressources » qu’entraînerait prétendument le changement climatique dans le cas « vraisemblable où s’enclencheraient des migrations massives en direction de zones climatiques plus favorisées. » [2]

Impuissance, dictature et guerre

Au total les philosophes, historiens, politologues, juristes, ethnologues, économistes, sociologues et théologiens travaillant pour le pôle d’excellence redoutent à l’évidence une détérioration drastique de la situation politique mondiale. Comme ceux qui peuplent l’aire tricontinentale ont été de nombreuses fois « en butte à l’injustice, au mépris et aux humiliations », ils inclineraient à imposer leurs « revendications normatives » contre l’Occident, si nécessaire par la force, paraît-il [3]. Les habitants des pays occidentaux pourraient en retour, face à de multiples « scénarios catastrophes » perdre leur « confiance dans la capacité d’action de l’État » et être envahis par un « sentiment d’impuissance. » : « L’impuissance d’une société peut susciter des dictatures et des guerres, les individus se réfugiant dans l’émigration intérieure ou bien dans l’extrémisme de droite ou de gauche. » [4]

Sur le front intérieur

Comme le pôle d’excellence « Formation des Ordonnances Normatives », le projet étroitement lié à ce dernier, « Transformation de la Culture de Sécurité » (Sicherheitskultur im Wandel, SiW) est destiné à contrer l’évolution prévue. Le SiW est financé par le ministère fédéral pour l’Éducation et la Culture (BMBF) à hauteur de plus d’un million d’euros et placé sous la direction du politologue francfortois Christopher Daase, qui travaille aussi bien pour le pôle d’excellence que pour la Fondation hessoise pour la paix et la résolution des conflits (HSFK). Selon les dires de la BMBF, le SiW est un élément du programme mis sur pied par le ministère pour la « recherche sur la sécurité civile » et en étudie les « dimensions sociales [5]. » D’autres projets scientifiques situés dans ce domaine se penchent par exemple sur l’accroissement de la résilience ou plutôt la capacité de résistance des sociétés occidentales aux agressions d’ennemis intérieurs [6]. Dans ce contexte, on se demande aussi « dans quelle mesure les conflits extérieurs et la politique étrangère de la République fédérale d’Allemagne auraient des retombées sur les processus de radicalisation des islamistes qui y vivent. » [7]

Gouvernance sécuritaire

Dans cette optique le projet « Transformation de la Culture de Sécurité » examine le degré d’acceptation par la population allemande des mesures répressives gouvernementales. Le point de départ en est la supputation suivante : « Tandis que certains groupes sociaux considèrent le terrorisme comme le principal défi sécuritaire et approuvent les nouvelles techniques de contrôle et de surveillance, d’autres groupes se sentent menacés dans leurs droits civiques et leurs libertés individuelles par ces mêmes mesures anti-terroristes. » [8] Dans ce contexte, pour éviter que le « pluralisme croissant des analyses sociales possibles » ne fasse « perdre la capacité d’évaluer clairement ce qui est dangereux » [9], les sociologues de Francfort recommandent aux gouvernants de faire appel, pour prendre leurs décisions, à des « acteurs de sécurité ne dépendant pas de l’État » et chargés de « coproduire la sécurité. » On aurait besoin d’un État qui jouerait le rôle de « manager d’interconnexion et pilote de l’ensemble de la société » [10] dans le cadre d’une « gouvernance sécuritaire » générale.

L’humanisme, c’est la guerre !

Parallèlement les chercheurs francfortois élaborent des stratégies pour accroître les perspectives de succès des interventions militaires dans les pays du Sud. Fondamentalement ils professent un « humanisme militariste » qui défend le principe d’ un devoir d’ingérence reconnu par le droit international partout où « les gouvernements ne sont plus en mesure d’assurer la sécurité des citoyennes et citoyens. » [11] – et où ils se voient en même temps confrontés à un « dilemme » : « D’une part on adresse au monde politique des injonctions diffuses d’empêcher d’autres violations des droits humains ; d’autre part nombre d’observateurs jugent les moyens militaires soit trop coûteux, soit inefficaces, soit même illégitimes. » On se demande donc quels « changements institutionnels » seraient « de mise » pour éliminer la « tension » entre « l’intervention extérieure qu’exigent le droit international et l’opinion publique » et la « volonté politique effective. » [12] Les recommandations à faire dans le cadre d’une auto-représentation devraient être recherchés de manière empirique, notamment sur la base d’une enquête effectuée au sein d’une « coopération interministérielle dans le cadre des « Provincial Reconstruction Teams » en Afghanistan ». [13]

Terrorisme, guerre, migrations

Pour parachever le design du projet de « recherche » ‘Transformation de la Culture de Sécurité’ on y ajoute une réflexion sur les questions de la « communication sur la sécurité ». Comme « la circulation d’informations entre les acteurs de la politique sécuritaire et les citoyens » est décisive pour la « légitimité » et l’« efficience » des décisions politiques, il faudrait « emballer des données complexes de politique sécuritaire dans des messages clairs et simples. » Ceci vaudrait surtout pour « l’approche du terrorisme, des pandémies, des interventions militaires à l’étranger ou des migrations » d’autant plus que des « initiatives citoyennes et groupes non-gouvernementaux » pèsent de plus en plus dans processus de communication, grâce à l’utilisation des « nouveaux médias technologiques. » [sic]

Des objectifs pacifiques

Déjà, par le passé, on a pratiqué « la recherche sur la sécurité civile » à l’Université de Francfort. On a par exemple appris, en 2010, que l’Institut de physique de cette dernière travaillait à l’élaboration de « scanners corporels » destinés aux aéroports ; le même groupe de recherche avait déjà collaboré à un projet de ce type pour l’OTAN. Entre-temps, toutefois, l’Université de Francfort a rajouté une « clause civile » par laquelle les autorités universitaires s’engagent à ne servir que des « objectifs pacifiques. » Des recherches visant à optimiser les interventions militaires, réprimer les soulèvements et refouler les migrants devraient donc être strictement interdites.
Notes
[1] Une recherche de très haut niveau focalisée sur un point bien particulier : Communiqué de presse du Ministère pour l’Art et la Science de Hesse, du Ministère des Finances de Hesse, et de l’Université Goethe de Francfort-sur-le Main. (8 février 2013)
[2] Programme de recherche http://www.normativeorders.net
[3] Du 14 juin au 4 août 2013 : Vivre l’impuissance. Democracia, Revolutie und Polizey; http://www.fkv.de
[4] Projets acceptés du champ de recherches « Dimensions sociales de la recherche sécuritaire », http://www.bmbf.de 10.09.2012
[5] voir Gesellschaftliche Widerstandsfähigkeit (Capacité sociale de résistance)
[6] Terrorisme et radicalisation – Indicateurs de facteurs d’influence externes (TERAS-INDEX) http://www.bmbf.de
[8] Niveau individuel – Microniveau http://www.sicherheitskultur.org
[9] Sécurité de la société : Mésoniveau http://www.sicherheitskultur.org
[10] Voir L’Occident et sa morale à géométrie variable
[11] Droits humains/ Intervention humanitaire http://www.sicherheitskultur.org
[12] Institutionnalisation http://www.sicherheitskultur.org
[13] Communication sur la sécurité; http://www.sicherheitskultur.org
Article original : Sicherheitskultur
Traduction : M