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La danse macabre de la bourgeoisie libanaise et les changements qui s’imposent


par Robert Bibeau

Par Marie Nassif-Debs.

Il y a deux jours, je reçus les photos d’une « fête familiale » organisée pour Noël dans la demeure de l’un des membres du parlement libanais, un de ces nouveaux riches qui ont amassé des fortunes colossales durant les trois dernières décennies en puisant dans les deniers publics et aussi privés avec l’aide du gouverneur de la Banque centrale et sous le regard bienveillant de ceux qu’on appelle les gouverneurs du « monde libre »… Les photos représentaient une table bien garnie de mets raffinés, que la majorité écrasante des Libanais ne pourront considérer, même dans leurs rêves les plus intimes, mais aussi la maîtresse de maison en robe rouge sortie des ateliers d’un grand couturier… Une fortune qui aurait suffi à garnir les tables de plusieurs familles libanaises pendant un an, et peut-être plus.

Il faut dire que cette « fête familiale » n’était pas unique en son genre. On peut même dire qu’elle était dupliquée dans quelques centaines de jolies villas resplendissantes (et surtout bien chauffées) au Liban et ailleurs, où les nantis, oligarques financiers et responsables politiques, festoyaient avec leurs familles et leurs amis tandis que plus d’un million de Libanais, dont des enfants en bas âge, le ventre vide, ne pouvaient pas trouver le sommeil à cause de la malnutrition, du froid et de la neige ; sans oublier la disparition du lait en poudre pour nouveaux nés de toutes les pharmacies…

Que pouvons-nous dire de cette année 2021 qui vient de s’écouler et par où commencer ?

Devons-nous commencer par l’inflation galopante qui a atteint des pourcentages jamais vus, mettant le Liban au bord de la grande Dépression, puisque la livre libanaise ne vaut plus le papier sur lequel elle est imprimée et que le SMIG, vingt six dollars (vingt trois euros), peut à peine couvrir le prix du pain ?

Devons-nous commencer par l’absence de l’électricité qui transforme notre capitale et nos grandes villes, surtout les quartiers pauvres, en villes fantômes où les containers de déchets sont assaillis, à la tombée de la nuit, dans l’espoir d’y trouver quelques victuailles, ou devons-nous, plutôt, parler des générateurs appartenant, pour la plupart, aux hommes de main des grands bourgeois au pouvoir qui dispensent l’électricité à des prix exorbitant que peu de gens peuvent encore payer ?

Devons-nous commencer par les médicaments cachés dans les entrepôts et renchérissant à vue d’œil, sans oublier ceux que l’on jette parce que périmés, ou bien par les hôpitaux et les sociétés d’assurances qui tournent le dos aux malades qui ne peuvent pas payer en « fresh dollars », ou, encore, par la Caisse Nationale de Sécurité sociale et les autres mutuelles qui ont vu leur argent (ou l’argent des abonnés) se volatiliser, y compris celui des retraites ?

Devons-nous commencer par ceux que l’explosion du port de Beyrouth a jetés à la rue et qui y sont toujours, malgré toutes les promesses et surtout tout l’argent envoyé et qui s’est volatilisé ? D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que nous assistons à un tel phénomène… ni à ce que les politiciens véreux interviennent afin de contrer la recherche de la vérité sur les crimes commis…

Devons-nous, enfin, rappeler que les banques, secondées par le gouverneur de la Banque centrale, ont permis, cette année même, la sortie de plusieurs milliards de dollars, acheminés toujours vers des paradis fiscaux en Europe et en Amérique, tandis qu’elles refusent de payer les petits épargnants ?

An anti-government protester adds wood to burning tires at a make-shift roadblock in Zouk Mosbeh north of Lebanon’s capital Beirut.

Et, tandis que le pays sombre dans la misère, et que les petites gens sont disséminées par la malnutrition et les maladies, dont la nouvelle pandémie due au nouveau variant du virus Corona, l’Omicron, et tandis que des centaines de milliers de Libanais, des jeunes et des moins jeunes, tentent de fuir le pays (dont plusieurs milliers de médecins et des dizaines de milliers de cadres), le nouveau gouvernement, qui avait mis des mois et des mois pour naître, ne se réunit plus depuis quelques mois à cause des différends qui opposent ses membres et ceux qu’ils représentent.

Une image de désolation et de mort règne parmi nous, surtout depuis que les factions de la classe dominante ont montré qu’elles étaient capables de recourir, une fois de plus, à la guerre confessionnelle, et que des milices ont investi certains quartiers de la banlieue sud de Beyrouth, les quartiers de Chiah et Ain-Roummani, ceux-là mêmes où la guerre civile de 1975 avait débuté. D’ailleurs, à l’approche des élections législatives (qui doivent avoir lieu, en principe, en mai 2022) et présidentielles, la situation va devenir de plus en plus inextricable, surtout que ces élections, si elles auront lieu, ne changeront pas grand chose à la situation politique du Liban, vu que la loi électorale, mise en œuvre en 2017 et basée sur des listes confessionnelles fermées, ne permet pas aux véritables représentants du peuple d’accéder au pouvoir.

D’où la nécessité de revenir à ce que nous disons depuis des décennies, à savoir à une Assemblée Constituante populaire qui rejetterait les divisions derrière lesquelles se cachent les bourgeois, et leur avant-garde de l’oligarchie financière, afin de fausser la lutte de classe et de la transformer en lutte entre confessions religieuses… Une Assemblée Constituante qui aurait pour objectif de séparer les confessions religieuses de l’État, seul responsable de la vie des citoyens, à partir de l’imposition de statuts personnels civils unifiés à la place des quinze statuts confessionnels, mais aussi d’une loi électorale démocratique non confessionnelle, basée sur la proportionnelle et le suffrage universel et où les jeunes de 18 ans auront leur mot à dire… Une Assemblée Constituante qui imposerait la séparation des pouvoirs, permettant ainsi au pouvoir judiciaire, aux juges aux mains propres, d’accomplir leur mission.

Utopie que tout cela ? Bien au contraire !

L’essentiel est de savoir comment unifier le peuple libanais autour du programme dont nous venons d’esquisser les grandes lignes, et même de définir les forces politiques et sociales qui en seront les instigateurs. Surtout que le soulèvement de 2019 a échoué, tout comme celui de 2011 et de 2015, à cause de ceux qui se prétendaient meneurs de peuple et qui étaient, en réalité, de la même trempe, ou presque, de ceux qui avaient répandu le vice et la corruption afin de mieux tenir le peuple sous leur joug.

Marie Nassif-Debs

Le 31 décembre 2021

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