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La destruction de la Syrie, par Patrick Seale* (extraits)


AFI-FLASH

 

La Syrie qui était encore, il y a quelques années, un des plus solides Etats du Moyen Orient, un pivot du pouvoir dans la région, doit faire face aujourd’hui à une entreprise de destruction totale. Les conséquences de ce drame seront très probablement désastreuses pour l’intégrité territoriale du pays, le bien-être de sa population, pour la paix dans la région et pour les intérêts des puissances extérieures directement concernées par cette crise.

 

Le  danger  immédiat est que les combats, combinés aux pressions de plus en plus draconiennes imposées à son allié, l’Iran, fourniront l’étincelle pour une conflagration plus vaste, de laquelle nul ne pourra être protégé.

 

Comment en est-on arrivé là ? Tous les acteurs de la crise ont leur part de responsabilité. La Syrie est victime des peurs et des appétits de ses ennemis, mais aussi des erreurs de ses propres dirigeants.

Avec le  recul, on s’aperçoit que le président Bachar al-Assad n’a pas saisi les chances d’entreprendre des réformes pour transformer l’Etat sécuritaire dont il avait hérité de son père. Au lieu de reconnaître la soif de liberté politique, de dignité personnelle et d’initiatives économiques du message du « Printemps de Damas » de sa première année au pouvoir, et de s’y atteler, il a, au contraire, donné un autre  tour de vis. (…)

 

 

 

L’incompétence du gouvernement a contribué au désastre

Par-dessous tout, au cours de dix dernières années,  Bachar al-Assad et ses conseillers les plus proches n’ont pas  compris le potentiel révolutionnaire de deux développements fondamentaux : l’explosion de la population syrienne et la sécheresse qui a frappé la Syrie de 2006 à 2010, la pire depuis plusieurs centaines d’années. Le premier a fourni un contingent de jeunes à demi éduqués, incapables de trouver un emploi. Le deuxième a eu pour résultat l’exode forcé de centaines de milliers de paysans de leurs champs brûlés vers des bidonvilles, aux alentours des grandes villes. Les éleveurs du nord-est perdirent 80% de leur cheptel. On estime que, vers 2011, deux à trois millions de Syriens ont été réduits à une extrême  pauvreté. Il ne fait aucun doute que le changement climatique y soit pour beaucoup, mais l’abandon et l’incompétence du gouvernement ont contribué au désastre. Ces deux facteurs ont été les moteurs principaux de la révolte qui s’est propagée comme un feu de paille à la suite de ce qui s’est passé à Dera’a, en mars 2011. Les fantassins de la révolte ont été la jeunesse urbaine et les paysans appauvris. (…)

 

L’attention du régime a été détournée vers les menaces extérieures : par la crise libanaise en 2005, après l’assassinat de Rafik Hariri, par la tentative d’Israël de détruire le Hezbollah en envahissant le Liban en 2006 ; par l’attaque israélienne contre la centrale nucléaire en Syrie en 2007 et par son désir de détruire le Hamas avec ses attaques meurtrières sur Gaza en 2008-2009…

 

Un petit Etat alaouite autour du port de Lattaquié

La Syrie et son allié iranien sont de nouveau sous le feu des Etats-Unis et d’Israël dont l’objectif est de détruire ses deux régimes. Il est vrai que des stratèges israéliens croient qu’il serait bénéfique à Israël que la Syrie soit démembrée et affaiblie de manière permanente par la création d’un petit Etat alaouite autour du port de Lattaquié dans le nord-est de la même manière que l’Irak a été démembré avec la création du Gouvernement régional du Kurdistan. Il n’est pas facile d’être le voisin d’un Etat expansionniste et agressif comme l’Etat juif qui pense que sa sécurité est mieux assurée, non par la paix avec ses voisins, mais en les déstabilisant, les reversant et les détruisant avec l’aide de la puissance américaine.

 

Les Etats-Unis et Israël ne sont pas les seuls ennemis de la Syrie. Les Frères Musulmans syriens ne rêvent que de vengeance depuis leur dernière tentative de chasser du pouvoir le parti Baas par une campagne de terreur qui a été écrasée dans le sang. Aujourd’hui, ils refont la même erreur : recourir à la violence avec l’aide de salafistes étrangers dont des combattants d’Al-Qaïda venus du Liban, de Jordanie, de Turquie, d’Irak ou d’autres pays plus éloignés. Les éléments libéraux de l’opposition syrienne en exil incluant des personnalités de renom et des opposants de longue date, fournissent à ces éléments violents la couverture politique dont ils ont besoin.

 

Les Etats-Unis font revivre la guerre froide

Certains Etats du Golfe continuent de considérer la région dans un contexte confessionnel. (…) L’émergence selon les dires d’un « croissant chiite » semble menacer la domination sunnite. C’est la raison pour laquelle ils financent et arment les rebelles syriens dans l’espoir de mettre à bas le régime syrien et de rompre ainsi les liens entre l’Iran et les Arabes.

 

Les Etats-Unis ont commis des erreurs monumentales. Au cours des dernières décennies, ils ont échoué à convaincre leur allié israélien à faire la paix avec les Palestiniens ce qui aurait conduit à la paix avec le monde arabe. Ils se sont embarqués dans une guerre catastrophique en Afghanistan et en Irak ; ils n’ont pas réussi à conclure avec l’Iran ce qui aurait éloigné le spectre de la guerre dans le Golfe et stabilisé une région très volatile. Ils se disputent avec Moscou et font revivre la guerre froide en sabotant les efforts de Kofi Annan.

 

Il  ne peut y avoir de solution militaire en Syrie. La seule solution pour sortir de ce cauchemar est un cessez-le imposé aux deux parties, puis une négociation et la formation d’un gouvernement national pour contrôler la transition. Seulement ainsi la Syrie pourra éviter sa destruction dont le redressement demanderait une ou deux générations.

 

Traduction : Xavière Jardez – Intertitres : AFI-Flash

 

Article original : The destruction of Syria, par Patrick Seale

http://www.middle-east-online.com/english/?id=53563

 

* Le journaliste britannique Patrick Seale, ancien correspondant de The Observer à Beyrouth, est un des grands spécialistes de la Syrie et du Liban. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment de Asad of Syria: The Struggle for the Middle East (1988), de La lutte pour l’indépendance arabe : Riad el-Solh et la naissance du Proche-Orient moderne (Fayard, 2010), et d’une biographie du chef palestinien Abou Nidal. Ses articles sont diffusés par l’Agence Global (AG).

 

AFI – Flash

Rédaction et traduction : Gilles Munier, Xavière Jardez 

Courriel : gilsmun@gmail.com – Portable : 06 19  74 45 99

 

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