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La guerre contre l’Irak, le crime originel


Publié par Gilles Munier sur 16 Mars 2023,

Catégories : #Irak

Par Jocelyn Coulon (revue de presse : Le Devoir « Idées » – Québec – 15 mars 2023)*

Il y a vingt ans, le 20 mars 2003, les États-Unis et le Royaume-Uni ont violé toutes les règles internationales et attaqué l’Irak. Ils ont envahi illégalement ce pays, tué des centaines de milliers d’Irakiens, détruit les infrastructures et plongé une région entière dans le chaos et le sang. Le résultat fut, entre autres, la naissance du groupe terroriste Daech. Aujourd’hui encore, l’Irak demeure un pays dangereux, et ceux qui s’aventurent à Bagdad le font à leurs risques et périls.

Pourquoi parler de l’Irak alors que tous les yeux sont rivés sur l’Ukraine ? Parce que la guerre contre l’Irak est le crime originel, celui qui a entaché la vie internationale et légitimé une doctrine mortifère : l’intervention unilatérale. Cette guerre explique en partie celle menée contre l’Ukraine par la Russie. Par leur action, les Américains et les Britanniques ont envoyé un message sans équivoque au monde : lorsqu’on est puissant, on est intouchable, et lorsqu’on est intouchable, on peut faire ce qu’on veut sans crainte de représailles.

Il vaut la peine ici de rappeler le contexte particulier ayant mené à l’invasion de l’Irak. Au lendemain de la première guerre du Golfe de 1990-1991 où les troupes irakiennes ont été expulsées du Koweït par une coalition dirigée par les États-Unis et autorisée par le Conseil de sécurité, l’ONU a imposé une série de sanctions à Bagdad, dont l’obligation de détruire toutes armes de destruction massive. Le régime irakien a joué au chat et à la souris avec les inspecteurs pendant une dizaine d’années.

Arrive le 11 septembre 2001. Face à ce drame, les États-Unis ont soupçonné l’Irak d’être de mèche avec les terroristes et de cacher encore des armes prohibées. Ils ont porté l’affaire devant le Conseil de sécurité à l’automne 2002, et une résolution ?obligeant Bagdad à se soumettre à de nouvelles inspections a été adoptée.

La résolution 1441 était contraignante tant pour le régime irakien que pour les membres du Conseil. Deux éléments essentiels dans cette résolution étaient à retenir : premièrement, ce sont les inspecteurs qui déterminaient si l’Irak respectait ou non ses obligations de désarmement ; deuxièmement, les quinze membres du Conseil demeuraient saisis de la question et décidaient des mesures à prendre en cas de violation.

Américains et Britanniques ayant déjà décidé de faire la guerre, ceux-ci ont pris un soin particulier à discréditer le processus d’inspection en publiant de fausses informations sur les armes de destruction massive tout en se livrant à une campagne de fortes pressions pour convaincre les membres non permanents du Conseil de se joindre à leur camp. Les inspecteurs ont tenu bon et ont confirmé n’avoir rien trouvé, et la majorité du Conseil a rejoint le camp du désarmement par des moyens pacifiques.

La manoeuvre américano-britannique ayant échoué, Londres et Washington ont versé dans l’illégalité et ont déclenché la guerre, appuyés par les pays d’Europe de l’Est, ceux-là mêmes qui aujourd’hui condamnent l’invasion illégale de l’Ukraine.

Quelle que soit l’opinion que l’on se faisait du régime en place en Irak, la guerre a violé toutes les règles internationales. En s’affranchissant du droit, les deux puissances anglo-saxonnes ont légitimé l’intervention unilatérale, un geste qui ne pouvait passer inaperçu au sein de la communauté internationale. À partir de cet instant, qu’est-ce qui empêchait la Russie de s’emparer de territoires en Géorgie et en Ukraine, ou la Chine de faire de même en mer de Chine ?

La guerre contre l’Irak a laissé des traces, particulièrement dans les pays du sud global. Trop souvent, certains d’entre eux ont été les victimes des visées impérialistes des grandes puissances. Aujourd’hui, ces pays ont acquis une autonomie de choix et de décisions à laquelle ils tiennent plus que tout. Elle qui leur permet maintenant d’être dans une meilleure position pour négocier leurs relations avec ces puissances. Dès lors, ils considèrent le conflit en Ukraine comme une guerre européenne et refusent de s’y laisser entraîner sous couvert du nécessaire respect du droit international.

Si l’on considère que la guerre contre l’Irak a été un crime, alors il faut aller au bout de la logique qu’induit une telle violation des règles internationales : la sanction. Depuis quelques semaines, plusieurs demandent avec raison à ce que les dirigeants russes soient déférés devant une cour de justice pour répondre de leurs crimes en Ukraine, dont celui d’agression. Qu’est-ce qui les empêche de réclamer un élargissement du mandat aux crimes commis en Irak ? Ou de créer une instance indépendante pour le faire ? Ces crimes sont imprescriptibles et devraient eux aussi donner lieu à l’arrestation des coupables et à leur jugement.

Le monde étant ce qu’il est, cela ne se fera pas. On dit même que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ne seraient pas favorables à ce que soit inséré dans le mandat d’un tribunal le crime d’agression pour juger les exactions russes en Ukraine. Et pour cause. Il y a longtemps que les Occidentaux ont trouvé les moyens de se dédouaner de leurs crimes en bricolant des arguties juridiques et en déployant leurs forces économiques et militaires pour intimider ceux qui auraient la mauvaise idée de rappeler qu’aucun État n’est au-dessus des lois.

Chercheur indépendant, l’auteur a été conseiller politique du ministre des Affaires étrangères en 2016-2017 (Canada).

*Source : Le Devoir

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