La Syrie, pays de tous les enjeux
novembre 2, 2013
1er novembre 2013
Jérôme HENRIQUES
Le 07 Octobre 2013, le ministre Français de la défense était reçu en Arabie Saoudite par le roi Abdallah. Le ministre a ensuite déclaré à propos de la Syrie : « Notre approche sur la situation est identique. Nous sommes dans la logique de renforcer la Coalition nationale Syrienne et l’état-major du général (Sélim) Idriss (chef d’état-major de l’ASL) ». Rappelons que l’Arabie Saoudite est une monarchie absolue, promouvant un Islam radical (le Wahhabisme), qu’elle pratique la discrimination ethnique, prive les femmes des droits les plus élémentaires, emprisonne et torture les opposants, réduit en esclavage les travailleurs étrangers, offre des spectacles de décapitation sur la place publique … Si la France et l’Arabie Saoudite sont en « grande convergence » au sujet de la guerre menée en Syrie, on peut finir par douter de son mobile humanitaire et chercher d’autres explications.
La guerre du gaz
Le gaz apparait aujourd’hui comme une alternative à la diminution des réserves mondiales de pétrole et possède en outre l’avantage d’être une énergie propre. Ce sera la principale ressource d’énergie du XXIème siècle et l’Union Européenne devrait en être le plus gros consommateur.
Actuellement, la Russie est le pays qui dispose des plus grosses réserves en gaz et sa société étatique Gazprom en assure l’exploitation. L’exportation du gaz Russe est quant à elle permise grâce à deux grands projets de gazoduc :
– Nord Stream passant par l’Allemagne et censé alimenter le nord de l’Europe.
– South Stream qui doit se diriger vers l’Europe occidentale via la Bulgarie, la Serbie, la Hongrie et la Slovénie.
Or, dans le but de concurrencer South Stream, l’Union Européenne a soutenu le projet Nabucco. Ce projet visait principalement le gaz de l’Azerbaïdjan (champ de Shah Deniz) et devait se diriger vers l’Europe occidentale en passant par la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie. La guerre entre South Stream et Nabbuco a nettement tournée à l’avantage de la Russie. Initialement prévu pour 2014, Nabbuco a été sans cesse repoussé en raison de difficultés techniques et de l’absence de clients clairement définis. De plus, l’Azerbaïdjan a finalement choisi le gazoduc Trans-Adriatic Pipeline (TAP) pour acheminer son gaz vers l’Europe au détriment de Nabucco. Cela a peut être signé l’arrêt de mort de ce projet.
Au Moyen-Orient, l’Iran est un grand producteur de gaz. En Juillet 2011, l’Iran, l’Irak et la Syrie ont signé un projet de gazoduc : l’Islamic Gas Pipeline ou « Gazoduc Chiite ». Après un temps de réalisation estimé 3 ans, ce projet devrait permettre à l’Iran d’alimenter l’Irak et la Syrie. Grâce aux ports méditerranéens de la Syrie ou du Liban, il pourrait même alimenter l’Union Européenne. Par ailleurs, la Syrie a découvert en Août 2011 un vaste champ gazier à Qaraa, près du port de Tartous. Partenaire économique de la Syrie, la Russie pourrait alors jouer un rôle important, non seulement dans l’exploitation de ce gaz, mais aussi dans son exportation vers l’Europe par la mise à disposition de sa flotte en méditerranée.
C’est avec le Qatar que l’Iran partage le plus grand champ gazier du monde (il est nommé South Pars côté Iran et North Dome côté Qatar). Pour l’instant, le Qatar exporte son gaz par des méthaniers, ce qui n’est déjà pas sans risques. En plus, ces bateaux doivent transiter par le détroit d’Ormuz, qui est sous contrôle de l’Iran. En 2009, le Qatar a alors présenté un projet de gazoduc terrestre devant le relier à la Turquie. Le tracé incluait initialement l’Arabie Saoudite, mais après son refus, il devrait finalement passer finalement par l’Irak, la Jordanie et la Syrie. C’est dans cette optique que le Qatar s’est rapproché en 2010 de la Syrie par un « pacte de défense ». Mais cette dernière a ensuite préféré se joindre au projet de Gazoduc Chiite.
Deux autres puissances régionales sont intéressées par le projet Qatari : la Turquie et Israël. La Turquie cherche a diminuer sa dépendance au gaz Russe et au gaz Iranien. De plus, elle toucherait des royalties pour permettre le transit de gaz vers l’Europe. Partie prenante du projet Nabbuco puis du projet Qatari (qui devait rejoindre Nabbuco sur son territoire) la Turquie a également signé un contrat avec l’Azerbaïdjan pour l’achat de grosses réserves de gaz en 2017. Quant à Israël, il a découvert fin 2010 un énorme champ gazier au large de ses côtes. Il pourrait donc rejoindre le projet Qatari pour l’exportation de son gaz vers l’Europe.
Ainsi, le Qatar, la Turquie et Israël voient d’un très mauvais oeil la réalisation du gazoduc Iran-Irak-Syrie, complètement indépendant de leurs routes de transit vers l’Europe. Quant à l’Union Européenne, elle cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement et donc à diminuer sa dépendance au gaz Russe. Comme d’habitude, les USA chapeautent le tout en cherchant à soutenir leurs alliés (Israël, Turquie, Qatar) et affaiblir leurs concurrents (Russie, Iran). Dans tous les cas, la question du gaz semble partie intégrante du conflit actuel en Syrie. Selon le journaliste Algérien Noureddine Merdaci, le protocole de Doha, signé en Novembre 2012 par la majorité des groupes de l’opposition Syrienne prévoyait, dans la Syrie post-Al-Assad , « la permission du passage du gazoduc Qatari à destination de la Turquie puis de l’Europe ».
Un Moyen-Orient instable
Avec les deux tiers des ressources mondiales en pétrole et 40% des réserves de gaz connues, le Moyen-Orient est le lieu majeur de production d’hydrocarbures. Il couvre et couvrira certainement pendant plusieurs décennies encore, la plupart des besoins énergétiques de la planète. Or, ce début de 21ème siècle voit l’apparition de grandes puissances émergentes, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) dont les besoins en énergie ne cessent de croître. La Chine par exemple est aujourd’hui derrière les USA, le deuxième plus gros consommateur mondial de pétrole. Alors que le Moyen-Orient est depuis longtemps le théâtre de tensions et d’affrontements pour le contrôle de ses ressources énergétiques (opération AJAX en 1953, guerre d’Irak en 2003 …), la situation ne risque pas de s’améliorer.
Au sein même de cette région, s’ajoute une fracture religieuse entre musulmans Sunnites et Chiites. Les Sunnites considèrent qu’il ne doit pas y avoir d’intermédiaires entre le croyant et dieu, tandis que pour les Chiites, c’est l’Iman qui est le véritable guide de la communauté. Dans le monde, la plupart (environ 80-90%) des musulmans sont Sunnites, mais les Chiites sont majoritaires (environ 70%) dans les pays du Golfe. Les deux communautés ne s’aiment pas. Persécutés par les Sunnites, les Chiites minoritaires ont longtemps dû se réfugier dans la clandestinité, tandis que certains Sunnites vont jusqu’à considérer les Chiites comme des mécréants et se méfient de leur expansion. En Iran où le Chiisme est la religion d’état, Khomeini avait présenté en 1979 la révolution comme un « modèle à exporter ». Aujourd’hui, l’Iran, l’Irak, les Alaouites de Syrie et le Hezbollah Libanais forment un croissant Chiite, lequel est fortement combattu par l’arc Sunnite qui englobe l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Emirats Arabes Unis. Les pétromonarchies du golfe dépensent beaucoup d’argent pour la propagation du Wahhabisme (c’est une forme radicale du Sunnisme, il est par exemple interdit d’invoquer le prophète, les saints ou les anges, de sculpter des décorations dans une mosquée …). Elles n’hésitent d’ailleurs pas à soutenir les impérialistes occidentaux dans les guerres qui les opposent à leurs rivaux régionaux (la Syrie en fait aujourd’hui les frais).
Régional, ce clivage devient même national puisqu’il y a dans les pays majoritairement Sunnites des minorités Chiites et inversement (les Chiites d’Arabie Saoudite qui sont d’ailleurs plus nombreux dans les régions pétrolifères de l’est, les Chiites du Pakistan …). Parfois, ces minorités sont au pouvoir (les Sunnites en Irak sous Saddam Hussein ou au Bahreïn actuellement, les Alaouites en Syrie actuellement …). Certains pays sont alors le lieu de favoritisme, de discriminations, voire de persécutions ou d’affrontements violents. Actuellement, cette violence touche principalement l’Irak (majorité Chiite) et le Pakistan (majorité Sunnite). L’influence étrangère joue parfois un rôle dans la fracture confessionnelle (la révolution Iranienne de 1979 a radicalisé les Chiites du Pakistan …), cela pouvant même aller jusqu’à de l’ingérence (l’Arabie Saoudite a soutenu militairement le régime du Bahreïn dans sa féroce répression contre les Chiites lors du printemps Arabe en 2011).
La présence Kurde est une autre source d’instabilité au Moyen-Orient. Au lendemain de la première guerre mondiale, le traité de Sèvres avait prévu un découpage de l’empire Ottoman comptant un état Kurde. Cependant, les Français et les Britanniques avaient en 1916 signé un accord secret (Sykes-Picot) qui procédait à un autre découpage. Les Kurdes furent répartis dans 4 pays (Turquie, Iran, Irak et Syrie) et le Kurdistan n’est resté depuis qu’une simple zone géographique. Mais le nationalisme Kurde est resté présent. Aux soubresauts nationaux (affrontements entre le PKK et le gouvernement Turc depuis 1984, soulèvements Kurdes en Irak durement réprimés avec notamment le massacre par arme chimique à Hallabja en 1988, soulèvements en Syrie durement réprimés en 2004 et 2005) s’ajoute un activisme transnational (projet du PKK d’un grand Kurdistan, soutiens à cette organisation hors de la Turquie …).
Enfin, Israël est depuis sa création un important facteur de tensions régionales : guerre de 1948 après la création de l’état, guerre du canal de Suez en 1956, guerre des six jours en 1967, guerre de Kippour en 1973, guerres au Liban en 1982 et 2006 et surtout l’interminable conflit Israëlo-Palestinien. Si les relations entre Israël et ses voisins ont dès le départ été mauvaises, sa politique de grignotage territorial n’a fait depuis qu’empirer les choses. Actuellement, le projet de création d’un état Palestinien est au point mort. Les territoires Palestiniens sont divisés entre d’un côté la Cisjordanie, partiellement contrôlée par l’autorité Palestinienne (un mur de séparation prive la Cisjordanie d’une partie de son territoire de 1967), et de l’autre la bande de Gaza, entièrement contrôlée par le Hamas. Au Moyen-Orient, la solidarité envers la Palestine dépasse parfois le clivage entre Chiites et Sunnites. l’Iran et le Hezbollah Chiites sont par exemple en bons termes avec le Hamas Sunnite. Mais d’autres pays gardent leurs distances. C’est le cas de l’Egypte (accord de paix avec Israël en 1979) ou l’Arabie Saoudite (qui coopère avec Israël contre l’Iran), pourtant tous les deux Sunnites.
Le jeu des alliances
Dans le monde de demain, qui risque progressivement d’échapper à la toute puissance Etasunienne, deux pays sont particulièrement redoutés : la Chine et la Russie. La première est aujourd’hui 2ème puissance mondiale et devrait passer au premier rang d’ici 2040, tandis que la seconde réorganise depuis les années 2000 sa sphère d’influence géopolitique perdue aux lendemains de la guerre froide. Les deux voisins, membres du conseil de sécurité de l’ONU, établissent non seulement des liens avec des pays stratégiques (La Russie est présente au Moyen-Orient où elle vend par exemple des centrales nucléaires à l’Iran, la Chine est très présente en Afrique) mais aussi entre eux (la Russie et la Chine collaborent par exemple dans de grands projets d’acheminement du gaz entre leurs deux pays). Quels pays pourraient rejoindre ces alliances dans le futur ? L’Inde ? Et pourquoi pas le Japon ?
C’en est trop pour les maîtres du monde qui se sont donné pour mission de contenir la progression Sino-Russe et d’affaiblir ses alliances. En plus des sanctions diplomatico-économiques (que l’Iran connait bien) et des tentatives de déstabilisation sur les questions des minorités et des droits de l’homme (que la Chine et la Russie ont eux aussi expérimentés), les USA ont une stratégie qu’ils ont bien rôdée pendant la guerre froide : celle de l’encerclement. Pour illustrer cette stratégie, il suffit d’observer le voisinage géographique de l’Iran. En plus des pétromonarchies du golfe et du Pakistan, les guerres d’Afghanistan et d’Irak ont poursuivi l’encerclement de ce pays par des régimes pro-Etasuniens et l’installation de nouvelles bases militaires. Levier de la politique étrangère Etasunienne, l’OTAN met en oeuvre cette stratégie à grande échelle. Du rôle clé de la Turquie qui accueille le grand bouclier anti-missile, en passant par l’Initiative de coopération d’Istambul (Barheïn, Qatar, Koweit, Emirats Arabes Unis) jusqu’aux partenariats militaires en extrême-orient et dans le pacifique (Australie, Nouvelle Zélande, Singapour, Corée du sud et Japon) c’est toute la partie Moyen Orient – Russie – Chine qui est ainsi prise en étau.
Depuis longtemps, les occidentaux sont proches des pétromonarchies du golfe. En 1945, les USA avaient conclu avec l’Arabie Saoudite (premier producteur mondial de pétrole) le pacte « protection militaire contre accès exclusif au pétrole », puis avaient commencé à y installer leurs bases militaires. Vers 2003, diverses raisons (fin de la guerre d’Irak, sentiment anti-Etasunien croissant dans la population Saoudienne, guerre contre les Talibans dont l’idéologie est proche du régime Saoudien …) les avaient poussés à un redéploiement de leurs forces au Qatar, pays où ils viennent encore récemment d’installer un radar anti-missile pour contrer l’Iran. Les USA ont quand même conservé des troupes en Arabie Saoudite. Cela leur permet de ne pas mettre tous les oeufs dans le même panier, d’autant qu’ils doivent parfois jouer les équilibristes entre Israël, le Qatar et l’Arabie Saoudite qui sont tantôt alliés, tantôt rivaux. Quant à la France, est-il besoin de rappeler qu’elle vient de signer en Juillet 2013 un contrat d’un milliard d’Euros avec les Emirats Arabes Unis puis en Août un contrat du même montant avec l’Arabie Saoudite et qu’on ne compte plus dans l’hexagone les investissements Qataris (clubs de foot, banlieues …) ?
L’organisation des Frères musulmans est un autre levier de la politique Etasunienne au Moyen-Orient. Contrairement aux Wahhabites, ceux-ci prônent une progression de l’Islam par le haut, politisée. Rejetant l’influence occidentale et souhaitant des républiques Islamistes dans les pays à majorité musulmane, ils s’opposent parfois durement aux courants laïcs de ces pays (Egypte, Syrie). En Syrie, ils ont été interdits en 1980 suite à une série d’attentats sanglants, puis massacrés dans les soulèvements qui ont suivi (20.000 morts à Hama en 1982). Mais avec un programme politique plutôt bien accepté par l’occident, les Frères musulmans sont des alliés potentiels contre les ennemis du moment. Dès les années 50, les USA s’en étaient rapprochés pour lutter contre les régimes socialistes et panarabes du Moyen-Orient (Nasserisme, parti Baas) ; plus récemment en Egypte (présidence de Mohamed Morsi), les USA se sont bien accommodés de leur association entre conservatisme religieux et libéralisme économique ; aujourd’hui en Syrie, leur rôle est dominant dans le conseil de transition (CNS/CNFOR). Au niveau régional, les Frères musulmans peuvent compter sur le soutien de la Turquie (l’AKP quoique plus laïc, est également Sunnite et libéral), celui du Qatar (essentiellement Wahhabite mais socialement et politiquement stable), mais pas de l’Arabie Saoudite. Touchée par le printemps Arabe (où la police a d’ailleurs tué quelques manifestants), celle-ci redoute en effet leur activisme politique (hier du côté des militaires en Egypte, l’Arabie Saoudite soutient aujourd’hui les Salafistes en Syrie).
Pressions, guerres et chaos
Les enjeux au Moyen-Orient permettent de mieux comprendre l’épicentre actuel en Syrie. Partenaire économique de la Russie (qui est elle même proche de la Chine) et intégrée au croissant Chiite où elle participe avec l’Iran et l’Irak à la réalisation d’un grand Gazoduc, la Syrie échappe au Grand maître Etasunien. Les manoeuvres de déstabilisation visant la Syrie ou ses alliés ne sont d’ailleurs pas récentes. A la stratégie d’encerclement de la Russie et de la Chine précédemment évoquée, on peut ajouter les sanctions économiques contre l’Iran (embargo pétrolier, boycott bancaire) ou encore la résolution 1559 (Franco-Etasunienne) votée à l’ONU en 2004 afin d’obtenir le retrait des troupes Syriennes du Liban (qui y étaient déployées depuis la fin de la guerre civile en 1990). Le prétexte pour passer à un niveau supérieur a été fourni pendant le printemps Arabe en Mars 2011. Alors que les premières manifestations étaient pacifistes et légitimes (manque de démocratie, hégémonie du clan Al-Assad et de la communauté Alaouite …) le parti pris de l’occident a alimenté l’escalade de violence et a fortement contrasté avec son silence lors des répressions sanglantes au Bahreïn, ou au Yémen. En reprenant systématiquement les déclarations de l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (proche des frères musulmans et basé à Londres), les occidentaux se sont alors empressés de proposer des résolutions à l’ONU. Mais la Russie et la Chine y ont cette fois-ci opposé leurs vétos, échaudées par l’aventure Lybienne où la résolution censée protéger les populations civiles s’était transformée en blanc-seing pour un renversement de régime.
Si le droit international n’est que la codification d’un rapport de forces, Carl Von Clausewitz disait de la guerre qu’elle est « la continuation de la politique par d’autres moyens ». Les Etats-Unis ont montré avec la guerre d’Irak en 2003 qu’ils étaient bien capables de se passer de l’aval des Nations Unies. Dans les années 2000, l’administration Bush avait établi un projet de « grand Moyen-Orient » où il était question d’exporter la démocratie par la guerre. Mais cette stratégie a montré ses limites. D’abord, de telles guerres se sont révélées longues, coûteuses et aux issues incertaines. En Afghanistan (2001-), les troupes Etasuniennes ne se sont toujours pas retirées et le gouvernement d’Hamid Karzaï est toujours en lutte contre les Talibans ; en Irak (2003-2011), la guerre directe a ensuite cédé place aux attentats anti-Etasuniens et aux affrontements « Chiites contre Sunnites ». Ensuite, il y a le risque d’une déstabilisation régionale qui peut se retourner contre l’occident. L’Iran a par exemple tiré avantage de la chute du pouvoir Taliban en Afghanistan et de celui de Saddam Hussein en Irak (où l’actuel gouvernement est Chiite). Enfin, il y a pour les occidentaux le risque d’une démocratie qui ne les arrange pas (les législatives de 2006 en Palestine ont par exemple été remportées par le Hamas) ; on se souvient aussi de Mohammad Mossadegh renversé en 1953 par l’Angleterre et Etats-Unis pour avoir voulu nationaliser le pétrole Iranien.
En Syrie, une guerre directe parait une fois de plus compliquée. Tout d’abord, Bachar al-Assad est soutenu par une majorité de la population. La Syrie compte plusieurs minorités (Druzes, Chrétiens, Kurdes, Alaouites, …) et l’état laïc leur assurait jusqu’ici la paix civile. De plus, contester le régime en place ne signifie pas soutenir une agression étrangère, laquelle engendre au contraire un fort sentiment d’union nationale. A l’étranger, la Syrie bénéficie de soutiens importants : ceux de l’Iran et du Hezbollah (qui ont reconnu être ouvertement impliqués dans le conflit) et celui de la Russie (qui lui fournit une grande partie de son équipement militaire). Quant aux ennemis d’Al-Assad, ils n’ont pas toujours les mêmes intérêts dans le conflit. La Turquie soutient les Frères musulmans mais redoute la montée en puissance des Kurdes (qui avaient pu créer un gouvernement régional en Irak après la chute de Saddam Hussein), le Qatar soutient aussi les Frères musulmans tandis que l’Arabie Saoudite soutient les salafistes ; Israël quant à lui redoute peut être plus la confrérie (le Hamas Palestinien est une branche de cette organisation) que le régime actuel qui ne le menace pas directement ; enfin, si les occidentaux ont montré qu’ils pouvaient s’entendre avec certains courants politiques comme les Frères musulmans, leur présence s’est plutôt révélée impopulaire dans la région où ils ont été la cible de nombreuses attaques.
Rien de tel dans ces cas là qu’une guerre indirecte : on économise ses troupes tout en entretenant le chaos à distance, chaos duquel on finira bien par tirer notre épingle du jeu. L’Arabie Saoudite et le Qatar ont reconnu armer les opposants depuis le début ; la Turquie permet aux combattants étrangers de traverser son territoire puis de s’y replier lors des combats ; quant aux Etats-Unis et à la France, d’abord fournisseurs d’armes « non létales », ils ont décidé plus récemment de passer à la vitesse supérieure. Encourager les défections est aussi un moyen d’affaiblir le régime tout en recyclant le savoir-faire politique et militaire. Si apprendre du plus fort qu’on est dans le mauvais camp donne déjà à réfléchir, l’argument financier fait aussi son effet. Lorsqu’en Mai-Juin 2011, l’Union Européenne et les USA avaient adopté des sanctions financières contre les dignitaires du régime, le parti Baas avait alors connu des défections massives. Quant à l’ancien premier Ministre Riyad Hijab, ses avoirs ont été dégelés au lendemain de sa défection en Août 2011. Enfin, le conseil de transition (CNS devenu CNFOR) est pour les puissances étrangères un moyen de contrôler l’issue du conflit, militairement d’une part (contrôle de la livraison d’armes, pilotage des opposants armés de l’ASL, …) et politiquement d’autre part (mise à l’écart de certains groupes tels que les Kurdes lors du remodelage du CNS en CNFOR, élection d’un expatrié Etasunien – Ghassan Hito – comme premier ministre, …).
En continuant d’armer l’ASL et en refusant toute négociation avec le régime, l’opposition écarte durablement toute possibilité d’apaisement. L’attaque chimique du 21 Août 2013 fait d’ailleurs figure de prophétie auto-réalisatrice après la menace d’Obama un an plus tôt (franchissement de la « ligne rouge »). Peu importe le manque de preuves, les déclarations de Carla del Ponte (ancienne procureur du TPI, membre de la commission d’enquête en Syrie) ou l’arrestation à la frontière Turque de membres du Front al-Nosra en possession de gaz Sarin ; c’est à mettre une fois de plus sur le compte de Al-Assad. Sauf que la situation n’a pas avancé sur le terrain où les djihadistes (non contrôlés par la CNFOR) semblent par ailleurs devenus la force d’opposition majoritaire. Après le refus du parlement Anglais de toute action militaire, les USA décident eux aussi d’attendre l’avis de leur congrès, tirent quelques missiles en Méditerranée (peut être pour tester la défense anti-aérienne de l’ennemi) puis acceptent finalement la proposition Russe de désarmement de l’arsenal chimique Syrien. Quant à la France, voyant écarté son projet de résolution particulièrement belliciste, elle n’en demeure pas moins déterminée à lutter contre la tyrannie … avec l’Arabie Saoudite.
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