La tragédie syrienne : La remise en cause de certaines certitudes
septembre 14, 2013
11 septembre 2013
Chems Eddine CHITOUR
Ce qui se passe en Syrie est tragique et le sera encore plus.
« L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde. » Albert Camus (Le Mythe de Sisyphe).
La tragédie syrienne est une réalité. Les fondements de la révolte – à l’instar des jacqueries arabes qui ont démarré à Sidi Bouzid – sont cousues de fil blanc. Cependant, cette tragédie à nulle autre pareille, va remettre en question beaucoup de certitudes, outre les petits qui vont une fois de plus être laminés, il y aura -si l’affaire de Damas tourne mal- de profondes remises en cause, un nouveau partage du monde et des influences.
Le monde occidental sur le déclin inexorable
On a cru un moment qu’après la disparition de l’empire soviétique sous le coup de boutoir de la CIA, du fait religieux à la fois d’un pape prosélyte, – souvenons-nous du fameux « n’ayez pas peur ! » et de Lech Walesa l’électricien de Gdansk – et d’un certain Ben Laden, hérault de la lutte en Afghanistan alimenté par des missiles Stinger fournis pas la CIA et qui auraient fait des ravages sur les chars, russes, allait selon les termes de George Bush père aboutir comme martelé lors de la deuxième guerre du Golfe de 1991, à l’avènement d’un monde plus juste. Ce ne fut pas le cas, l’empire soviétique et ses marches s’effritant, suite à des dépécements idéologiques, il fallait un nouveau moteur pour maintenir l’empire américain en tête. N’ayant plus d’adversaire à sa taille et étant véritablement sur le déclin en termes de matières premières et en termes d’énergie, il fallait s’en trouver un. Parallèlement, des idéologues comme Bernard Lewis qui a beaucoup analysé l’Islam et le Monde arabe, ou comme Samuel Huntington confortèrent une nouvelle vision des nouveaux défis de l’Empire. Ce fut le Pnac (Project for New American Century) un think tank néoconservateur américain. fondé au début de 1997 par William Kristol et Robert Kagan. Dont le but est de promouvoir le leadership mondial des États-Unis. Le Pnac pose en principe fondamental la considération selon laquelle le « leadership américain est à la fois bon pour l’Amérique et bon pour le monde » et apporte son soutien pour une « politique reaganienne de puissance militaire et de clarté morale ». Son influence fut très grande durant le mandat dû à la fois sur le plan militaire et sur la politique des affaires étrangères.
Le monde manichéen de George W.Bush et des néoconservateurs : « Qui n’est pas avec nous est contre nous », a semé le chaos aux quatre coins du Monde arabe et islamique. Tous les conflits actuels mettent aux prises des musulmans entre eux- la fable des printemps arabes- ou en lutte contre des agressions fomentées par l’Empire. La particularité de cette politique est qu’elle fait une place de choix à Israël, notamment sous l’influence des fondamentalistes du sionisme chrétien.
Il vient que la convulsion actuelle d’un des derniers dominos arabes non encore « normalisé » s’inscrit dans cette vision de fuite en avant d’un Empire devenant de plus en plus dangereux au fur et à mesure que ses moyens déclinent et jouant au poker sa survie. Souvenons-nous pour l’histoire, les États-Unis, après s’être créées en révolte contre la Grande-Bretagne ont pris la succession de l’Empire britannique dans une volonté de dominer le monde par le contrôle des mers. Une vision commune du monde partagée avec un fond ethnique et religieux a créé depuis la Première Guerre mondiale au moins ce qu’on appelle les Anglo-Saxons. Ce sont ces derniers qui imposent une vision très atlantiste à l’Europe continentale et qui, en fait, orientent les choix de la « communauté internationale » concept creux et sonore du fait que c’est un abus de langage.
Le « non » britannique à la guerre nous conforte qu’il y a une limite à l’aventure. Ceci est possible car la patrie de l’Habeas Corpus a encore des institutions avec des forces, des rappels. Jean Bonnevey écrit : « Est-ce aujourd’hui un nouveau tournant historique avec la fin de l’axe anglo-saxon ? Assurément, par rapport à l’Afghanistan, l’Irak et même la Lybie, il y a rupture. Le caniche a rompu la laisse. Une rupture imposée au gouvernement par les élus et l’opinion publique. C’est le camouflet politique le plus cinglant de l’époque actuelle ! La dernière fois que la Chambre des Communes a dit « non » à une intervention militaire proposée par un Premier ministre, cela remonte à 1782. A l’époque, le Parlement britannique avait refusé d’envoyer des troupes supplémentaires en Amérique pour la guerre d’indépendance, contre la volonté du chef du gouvernement, Lord North. Il a été contraint de démissionner un mois plus tard. Dans les deux cas, un Premier ministre conservateur va-t’en-guerre a été répudié par ses propres fidèles.(1)
La Grande-Bretagne, tout le temps le caniche des États-Unis dans les expéditions punitives, a laissé dernièrement sa place à la France qui se découvre une âme de redresseur de tort pour aller casser de l’Arabe, avec les muscles des États-Unis. On se prend à parier que la morale nouvelle de la gauche française ne lui permettra pas cependant d’aller guerroyer seule en Syrie en cas de renoncement des États-Unis…Pas folle la guêpe…
Avènement d’un monde véritablement multipolaire
On a tout dit du balancement du barycentre du monde vers l’Asie. Le monde regardera de plus en plus vers le Pacifique et l’hégémonie du monde atlantique est sur un déclin multidimensionnel, bien mis en évidence par le diplomate singapourien Kishore Mahbubani qui écrivait dans son ouvrage : « Le défi asiatique » : « « L’essor de l’Asie entraînera des transformations tout aussi importantes que celui de l’Occident…, qui devrait se réjouir de l’émergence asiatique, mais qui aura de grandes difficultés à s’y adapter. » (2)
Lors du dîner du sommet du G20, le plus petit dénominateur commun trouvé par les leaders du G20 aura été la simple condamnation générale de l’usage des armes chimiques. « La question pour certains était de savoir qui avait utilisé ces armes chimiques. Poutine n’y répond pas.
Dans cette tragédie syrienne, il ne faut pas croire comme le martèlent les médias occidentaux, qu’il y a une unanimité de 13 contre deux (les empêcheurs de tuer en rond que sont la Chine et la Russie) au Conseil de sécurité sur l’attaque de la Syrie. Les autres pays ne sont pas tous d’accord exception faite du Maroc pour aller porter le malheur au peuple syrien.
De plus, les pays du Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) jugent inacceptable une intervention étrangère armée dans le conflit syrien qui ne peut être résolu, selon eux, que par voie de négociations, a indiqué jeudi le conseiller indien à la Sécurité nationale, Shivshankar Menon. « Seuls les Syriens peuvent décider de leur avenir. D’autres pays ne peuvent intervenir qu’en intermédiaires lors des négociations », a déclaré M.Menon lors d’une conférence de presse à l’issue de la 3e réunion des hauts représentants chargés des affaires sécuritaires des pays du Brics à New Delhi, capitale indienne.
Et d’ajouter que seul un processus politique avec la participation de toutes les parties intéressées était acceptable en Syrie. Selon le responsable indien, la situation en Afrique de l’Ouest et en Afrique du Nord et en Syrie ont alimenté la discussion lors de laquelle la Russie était représentée par le secrétaire de son Conseil de sécurité, Nikolaï Patrouchev. Les participants à la réunion ont également abordé la lutte contre le terrorisme, la piraterie et la cybercriminalité.(3)
Implosion inexorable du Monde arabe
Que reste-t-il du monde dit arabe ? Il fut une époque où sa signification avait un sens. Quand Nasser parlait de l’unité arabe, il avait donné au départ une dimension aux Arabes et dans la foulée on s’est pris à rêver à une nouvelle Nahda non plus basée sur le fait religieux, mais véritablement sur un baath multidimensionnel. Michel Aflack, le fondateur du baâthisme se retournerait dans sa tombe en voyant ce qui reste du nationalisme arabe après les rodomontades de Nasser, puis de Saddam Hussein qui n’ont pas su ancrer l’alternance au pouvoir faisant de leur pays des propriétés privées se transmettant d’une façon dynastique ou par l’émeute. A côté de cette vision laïque du monde dit arabe, le plus grand malheur des Arabes vient des potentats rétrogrades réactionnaires mais disposant d’une rente pétrolière qui leur permet d’avoir les faveurs d’un Occident plus que jamais en ébriété énergétique.
Ce qui se passe maintenant avec la Syrie où curieusement, le peuple est à 70% derrière Bachar Al Assad selon l’analyse de l’Otan, est tragique et le sera encore plus à Dieu ne plaise si la boîte de Pandore, malheureusement inéluctable s’ouvrait et libérait des bombardements avec des dommages collatéraux du type de ceux de l’Irak avec plus d’un million de morts et une dynamique mortifère léguée par l’Empire à raison de 30 à 40 morts et une centaine de blessés par jour, cela fait un scoop de 20 secondes dans les médias occidentaux : « Cachez ce sein que je ne saurais voir ». Pourtant, ce sont des morts aussi « respectables et humains » que les autres.
Riyadh fait depuis longtemps figure de parrain du Conseil national syrien, la principale coalition anti-Assad, à qui elle fournit armes et argent. Ankara, quant à elle, plaide pour qu’une telle intervention ait pour objectif de renverser le régime, et pas seulement de sanctionner l’usage d’armes chimiques. Pourquoi ? L’Arabie des Saoud ne sait pas que son tour arrivera et que ce pays sera à sou tour divisé pour bien isoler les puits de pétrole de l’émirat religieux autour de La Mecque et de Médine..Un nouveau banthoustan qui permettra l’occupation de l’Empire entre les puits de pétrole.
L’acharnement des Saoud, notamment à travers le prince Bandar Ben Sultan, le chef d’orchestre du chaos syrien, ne s’explique pas. Pourtant, il y a peu de chiites en Syrie, la Syrie est une mosaïque de peuples et de religions différentes notamment les Chrétiens qui paradoxalement et à des degrès divers, sont derrière le pouvoir laïc de Bachar El Assad.
L’appel inaudible du pape
Décidément, ce pape n’est pas comme les autres ! Il défend au nom de la dignité de la personne humaine des musulmans, il est véritablement sur les traces de François d’Assise !
On apprend que le Saint-Siège déploie une offensive diplomatique pour une négociation politique. Le pape François a adressé une lettre au G20 appelant à la retenue militaire en Syrie, tandis que le Saint-Siège a exposé aux ambassadeurs accrédités les principes d’une solution politique. A l’appel du pape, une « chaîne de fraternité humaine » avec la Syrie. Samedi 7 septembre 2013, tous les « hommes de bonne volonté », croyants ou non, sont invités par le pape François à une journée de jeûne et de prière pour la paix en Syrie et au Moyen-Orient.Une manière de mobiliser « toute l’humanité »…Le Saint Siège a un rôle moral qui ne va pas au-delà des principes puiqu’il ne dispose pas de moyens de puissance.
« À tous les dirigeants présents (au G20 de Saint-Pétersbourg, Ndlr), à chacun d’entre eux, je fais un appel du fond du coeur pour qu’ils aident à trouver des moyens de surmonter les positions conflictuelles et d’abandonner la vaine prétention d’une solution militaire. » à « chercher, avec courage et détermination, une solution pacifique à travers le dialogue et la négociation entre les parties, qui soit soutenue de manière unanime par la communauté internationale ».(3)
Que font les religieux arabes ?
Il est évident qu’une assemblée de corrompus sous l’égide de l’Egypte,en l’occurrence la Ligue arabe, un reliquat de la Guerre froide, n’a aucun magistere moral quand elle appelle au meurtre d’autres Arabes et à la destruction de la Syrie. Mieux, les pays du Golfe veulent être dans la meute de la curée comme en 1991 et 2003 quand il s’est agi de démolir l’Irak. On se demande encore ce qu’elle représente, si ce n’est un appendice du ministère des Affaires étrangères, qui offre une retraite dorée avec l’argent des contribuables arabes, notamment algériens, à un ancien ministre égyptien des Affaires étrangères.
De plus, l’Islam est pris en otage par les pouvoirs arabes et nous n’avons pas vu jusqu’à présent d’appel des uléma de chaque pays, tétanisés qu’ils sont par leurs pays respectifs. Aucun appel à la paix, ni dans les mosquées ni ailleurs.
Pire que cela, comment voulons-nous que l’OCI (Organisation des Nations islamiques) appelle à la paix qui est prise en otage à la fois par l’Arabie Saoudite (le siège) et par la personnalité du secrétaire général lui-même turc et lui même dans la cohorte de l’expédition punitive. Ce qui laisse à penser du même coup le rôle pour le moins désastreux et suicidaire d’un gouvernement islamique en Turquie qui appelle à la mise à mort d’un autre pays islamique !
Il est à espérer que l’appel à la paix soit entendu et qu’une transition apaisée puisse avoir lieu. S’agissant des pays arabes, notamment du Golfe, si la géopolitique de l’énergie venait à consacrer l’indépendance américaine, nous verrons alors la réalité du pouvoir des ces potentats et peut-être qu’il y aurait un avenir pour les pays arabes, un avenir basé sur le savoir, l’effort, l’endurance et l’alternance au pouvoir seules voies pour exister dans ce XXIe siècle de tous les défis et de tous les dangers.
Dans le cas contraire, les Arabes, à l’instar des Indiens d’Amérique, disparaîtront en tant que nations et ce qui restera d’eux dans leur fatalité mortifère, c’est la nostalgie de l’âge d’or que l’on se racontera dans les chaumières.
1.http://metamag.fr/metamag-1500-Usa-Gb-La-fin-des-Anglo-saxons-.htmll
2. Kishore Mahbubani :The New Asian Hemisphere : The Irresistible Shift of Global Power to the East. Edt. Publics Affairs, U.S. (2009)
3.http://www.fr.rian.ru/world/20130110/197181064.html
http://www.legrandsoir.info/syrie-les-brics-pronent-un-reglement-negocie.html
4.http://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/Rome/A-l-appel-du-pape-…
URL de cet article 22306
http://www.legrandsoir.info/la-tragedie-syrienne-la-remise-en-cause-de-certaines-certitudes.html