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La violence aux temps du Covid19: La femme libanaise active face au défi du confinement


les 7 du quebec

Emmanuel Macron et Mustafa al-Kadhimi, Premier ministre

par Robert Bibeau

Par Marie Nassif – Debs[1]

Le 17 octobre 2019, plus d’un demi million de Libanais ont pris la rue afin de manifester leur colère contre une crise économique et financière galopante depuis plus de dix ans et qui avait attiré au seuil de la pauvreté la moitié de la population libanaise, évaluée à quatre millions et demi de personnes auxquelles viennent s’ajouter un demi million de réfugiés palestiniens et un million deux cents mille déplacés syriens, arrivés dans notre pays au lendemain de la crise de 2011 qui ensanglanta leur pays.

Les femmes surtout étaient omniprésentes dans ce soulèvement. Des femmes de tous les âges, mais plus précisément les femmes en âge d’activité, et parmi elles beaucoup de jeunes entre vingt et trente ans. Il y avait celles qui n’avaient pas encore trouvé de travail, mais aussi celles qui ont été obligées de se mettre au chômage, complet ou partiel, à cause de la fermeture de plusieurs dizaines de milliers de PME obligées de fermer leurs portes à cause de la crise et du refus des banques de leur prêter de l’argent… nous avons découvert, trop tard hélas, que ce refus était dû à des transactions hasardeuses mais aussi à la dilapidation des réserves de la Banque centrale suite à la corruption et aux mesures prises par le gouverneur de cette banque afin de permettre à certains hommes politiques d’amasser des fortunes qu’ils ont cachées dans les banques suisses et autres paradis fiscaux.

On n’était pas encore aux temps du Covid 19 qui vint, quelques mois plus tard, envenimer une situation qui avait déjà mis le Liban au bord de la faillite. En effet, les confinements successifs, mais aussi l’explosion criminelle du port de Beyrouth et l’envol du prix du dollar face à la livre libanaise ont achevé ce qui était déjà entamé et ont basculé plus de 78 pour cent de la population libanaise, dont une majorité de femmes, dans la pauvreté et l’indigence, et certains vont jusqu’à prédire la famine dans moins d’un an.

Quels sont les problèmes vécus depuis plus d’un an par les femmes libanaises ainsi que par les femmes syriennes déplacées et les réfugiées palestiniennes ?

Si nous voulons résumer la situation en quelques mots, nous dirons que le confinement visant soi-disant à les protéger de la pandémie, n’a pas beaucoup fait dans ce sens. Bien plus, il a envenimé les problèmes déjà vécus. Problèmes de travail, d’argent, mais aussi de violence conjugale et familiale et de stress, avec la mort au bout du chemin.

L’association « Egalité – Wardah Boutros pour l’action féminine », qui œuvre dans le but de mettre fin à la violence sous toutes ses formes, et qui avait déjà fait campagne contre la prostitution, le mariage des adolescentes et toutes les formes du commerce des femmes, a constaté que les taux de chômage, déjà élevés depuis le début de la deuxième décennie du XXIème siècle, augmentent à vue d’œil. Il nous suffit pour cela de nous référer à l’étude publiée en juillet 2020 par l’ONU sous le titre « Plan de relance pour l’égalité des sexes ».

Le chômage et l’exclusion :

Cette étude précise qu’avant 2019, près de 71 % des femmes libanaises étaient déjà vulnérables sur le marché du travail, soit à cause de la concurrence qu’elles doivent subir de la part des déplacées syriennes ou à cause de la crise dans certains secteurs, surtout celui de l’agriculture qui bat de l’aile depuis la fermeture des frontières terrestres entre la Syrie et la Jordanie, ou, encore, des services et de l’éducation… surtout qu’une grande partie des femmes actives travaillaient à temps partiel et étaient, donc, plus exposées à être licenciées. D’où l’estimation donnée par l’ONU d’une mise au chômage de 19% durant l’année 2019 à laquelle vient s’ajouter en 2020, selon notre estimation, plus de 25% à cause des mesures d’austérité dans les deux secteurs «féminins», à savoir l’éducation et la santé…

Ainsi, le taux de chômage parmi les femmes entre 18 et 54 ans devient de plus en plus élevé, puisqu’il atteint plus de la moitié de celles–ci. Et, si nous y ajoutons celles qui continuent à travailler à temps partiel ou celles dont le salaire a diminué entre 30 et 50% à causes des deux crises économiques et sanitaires, notamment dans les secteurs de la restauration, des banques et de l’enseignement, nous verrons l’ampleur de la catastrophe qui s’abat sur nous… sans oublier pour autant le renchérissement de la vie à cause de la chute libre de la livre libanaise qui a perdu plus de 500 pour cent de sa valeur, à tel point que certains économistes ont commencé à nous prédire un sort semblable au Venezuela.

La violence domestique et le stress:

Dans de telles conditions d’exclusion et de violence dans le monde du travail, il est compréhensible que la violence domestique soit, elle aussi, en augmentation, surtout dans les ménages les plus pauvres où la femme et l’homme sont au chômage ou, encore, dans ceux où l’un des deux a un travail partiel.

Ainsi, les rapports du service des Forces de sécurité intérieure (FSI) chargé de barrer la route aux violences domestiques notent une augmentation croissante des appels téléphoniques de femmes violentées et battues, allant parfois à plus de 2000 par mois. Il nous faut signaler que ces appels constituent la partie visible de l’iceberg, parce que le nombre de jeunes filles et de femmes battues ou subissant d’autres formes de violence est de loin plus nombreux.

Quant à la mortalité des petites filles et de femmes des suites de la violence, il faut la multiplier par deux ou trois durant l’année révolue.

A tout cela, nous n’oublions pas d’ajouter toutes sortes de stress et de maladies psychologiques qui atteignent les femmes libanaises et qui sont le résultat de la précarité de l’emploi et de l’appauvrissement général. Maladie dues à la peur du lendemain, mais aussi à la peur de la faim dont le spectre plane sur notre pays, surtout que rien ne laisse prévoir une solution proche, vu le clientélisme à outrance, les divisions confessionnelles que l’on exacerbe et les problèmes de quotas qui empêchent, depuis plus de cinq mois, la formation d’un gouvernement capable de mettre un début de solution à la crise.
Voilà pourquoi nous assistons de nouveau à une prise de la rue par une partie de la population qui refuse de mourir de faim ou à cause de la Covid 19 qui se propage à vue d’œil à cause de l’incompétence des responsables politiques qui avaient ouvert le pays à tous vents pendant les fêtes de fin d’année, surtout l’aéroport par lequel sont passés les mutants du virus.

Quelles solutions préconiser face à cette situation catastrophique ?

Les syndicats, ouvriers surtout, ainsi que les organisations des femmes doivent aller de l’avant afin d’imposer les points suivants:

1- Revendiquer de la part du gouvernement une solution exceptionnelle pour six mois au moins, durant lesquels des subventions seraient rétribuées à la majorité de la population et aussi aux familles des réfugiés.

2- La signature de la loi 190 de l’Organisation mondiale du travail (OMT) et la promulgation rapide de mesures contre le licenciement des femmes actives, et surtout contre toutes les formes de violence pratiquées dans le monde du travail.

3- Criminaliser la violence domestique et interdire le mariage des adolescentes par la promulgation d’une loi stipulant que l’âge du mariage est 18 ans.

4- La création d’une chaine de solidarité féminine dans notre région, dans le but de permettre aux femmes violentées et marginalisées d’avoir le secours psychologique et politique nécessaire.

Agissons.

Beyrouth, le 29 janvier 2021

PS: Le soir du 28 janvier, une jeune femme de 30 ans Zeina Kanjo, fut étranglée par son mari. Depuis février 2020 vingt femmes, jeunes pour la plupart, furent déclarées mortes tuées par leurs conjoints; elles ne sont pas les seules.

[1] Présidente de l’Association Wardah Boutros pour l’action féminine

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