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« L’abandon de la population de Gaza crée une bombe à retardement »


« L’abandon de la population de Gaza crée une bombe à retardement »

RTBF | mercredi 4 mars 2015

Pierre Krähenbühl dirige l’Unrwa, l’agence de l’ONU responsable des réfugiés palestiniens. Il s’agit de 5 millions de personnes, membres des familles qui ont dû fuir Israël en 1948 et éparpillés aujourd’hui dans la région. Les guerres à Gaza et en Syrie les frappent de plein fouet. Il nous dit son inquiétude pour la région.

A Gaza, cet hiver, des enfants sans abri sont morts de froid. C’est un signe que la situation continue à s’y détériorer, six mois après la fin de la guerre?

Pierre Krähenbühl : On connaît particulièrement bien un cas tragique. Une famille était retournée dans ce qui restait de leur maison, qui avait été largement détruite. Lorsqu’il a commencé à pleuvoir, et que les températures ont chuté, les enfants sont morts de froid pendant la nuit.

C’est un message de honte à l’ensemble du monde. Vous avez là une population qui est très éduquée, elle est passée par les écoles de l’Unrwa et les écoles palestiniennes. J’ai rencontré des entrepreneurs qui aujourd’hui sont dépendants de l’aide humanitaire. Une statistique qui me choque beaucoup, c’est que sur 1,8 million d’habitants, 1,1 million reçoit de l’aide alimentaire. Cela dans un endroit où les gens sont éduqués et étaient autosuffisants économiquement. Ce n’est pas acceptable et c’est possible de changer cela par une politique résolue et par une activité de reconstruction beaucoup plus énergique.

Comment expliquer l’hypocrisie des pays qui ont promis des milliards de dollars lors d’une conférence au Caire sur la reconstruction de Gaza et qui ensuite oublient leurs promesses?

Pierre Krähenbühl : L’Unrwa avait demandé 720 millions de dollars pour notre partie de la reconstruction. Il s’agissait à la fois de rebâtir des immeubles détruits et de réparations plus modestes. Nous avons reçu à ce jour des promesses pour 175 millions. Certains acteurs ont répondu, comme l’Allemagne.

Par contre, ça a été un choc pour moi, quatre mois après la conférence du Caire, de découvrir que l’argent reçu était déjà dépensé, que les contributions s’interrompaient et que nous devions mettre un terme à nos projets de reconstruction. Quatre mois après le Caire, c’était vraiment un choc.

La bonne nouvelle, c’est que les contributions ont aujourd’hui repris. Nous allons pouvoir relancer certaines de ces activités. Le mécanisme pour l’importation des matériaux de constructions commence à prendre un rythme de croisière, même si ce n’est pas encore suffisant. Donc, les perspectives s’améliorent un petit peu.

Avant la conférence du Caire, j’ai beaucoup entendu l’interrogation de savoir si c’est une bonne idée de réinvestir à Gaza pour que les investissements soient détruits dans le conflit suivant. On peut comprendre: c’est quand même de l’argent des contribuables. Mais si on hésite à investir pour la construction, il faut au moins s’engager politiquement. On ne peut pas observer une retenue à la fois humanitaire et politique. Ça ne laisserait aucune perspective à Gaza ni à la région.

Vous sentez le désespoir monter ?

Pierre Krähenbühl : Ce qu’il faut s’imaginer, c’est le cumul de ce que vivent les gens à Gaza. D’un côté, huit années de blocus imposé par Israël. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas d’emploi, parce qu’il n’y pas d’importations ni d’exportations. On a un taux de chômage de 45%, de 65% pour les jeunes, et plus de 80% pour les femmes. Il n’y a pas de liberté de mouvement et donc pas de perspective pour la population. Or, les deux tiers de la population de Gaza sont des jeunes de moins de 25 ans. Il faut imaginer ce que ça provoque comme tensions sociales pour l’avenir.

Ensuite, il y a eu le conflit de l’été passé. Avec le nombre de personnes tuées et blessées, dont des enfants qui subissent toujours les séquelles de la guerre, avec les sans-abris, 120 000 personnes qui ne peuvent pas retourner dans leur maison parce qu’elle est détruite, on a un mélange explosif. C’est une bombe à retardement pour la région. C’est renforcé par le fait que la population de Gaza n’a plus aucune relation avec les Israéliens. Il n’y a plus de connaissances personnelles ou d’interactions entre les uns et les autres. Et 42% de la population israélienne dit qu’elle n’a jamais rencontré un Palestinien.

Ces paramètres sont inquiétants pour l’avenir. Et le fait qu’il n’y ait pas eu d’action politique résolue pour s’attaquer au fond des problèmes – la levée du blocus, la fin de l’occupation – fait peser sur Gaza et sur toute la région une menace très importante.

La reproduction du scénario tir de roquettes palestiniennes – bombardements israéliens est-elle inévitable dans les prochains mois?

Pierre Krähenbühl : Quelque chose est inévitable si on ne s’y attend pas. Si on est en mesure de le prévenir par une action politique, on ne pourra pas dire « je ne m’y attendais pas ». Donc, il faut absolument agir maintenant politiquement et sur le plan humanitaire pour que ce scénario ne se déroule pas.

La situation est certes beaucoup plus grave qu’il y a un an, avant le dernier conflit, mais il est possible, par un engagement de la communauté internationale, de prendre en charge les problèmes de fond de façon sérieuse. Face à l’instabilité du Moyen-Orient, le monde doit se demander s’il peut s’offrir le luxe de négliger la question israélo-palestinienne. Je pense que non. Ce n’est pas acceptable d’un point de vue humain, de la dignité des populations et de la sécurité de la région et aussi de l’Europe. Nous avons aujourd’hui des Palestiniens qui quittent la région. Ils cherchent une vie meilleure ailleurs, en Europe en particulier. Quand on connaît les débats sur les migrations, il faut réfléchir à améliorer les conditions de vie sur place. On ne peut pas construire la sécurité de qui que ce soit sur le déni du droit et de la justice d’une population entière.

En Syrie, quelle est la situation aujourd’hui des réfugiés palestiniens qui subissent depuis près de quatre ans la guerre entre le régime et ses opposants?

Pierre Krähenbühl : Ce conflit a pris des proportions catastrophiques pour les Syriens, mais aussi pour les réfugiés palestiniens. 560 000 réfugiés palestiniens résidaient en Syrie avant la guerre. Plus de 60% ont été déplacés à l’intérieur du pays, d’autres ont fui à l’extérieur. Souvent, ils se sont déplacés plusieurs fois en fonction de l’évolution des lignes de front. Des camps sont pris en tenaille entre les parties combattantes.

Auparavant, cette population était relativement autonome. En Syrie, les réfugiés palestiniens avaient accès à l’emploi, ils participaient à la vie sociale. Aujourd’hui, ils sont totalement dépendants de l’Unrwa. Avec nos 4000 collaborateurs sur place, on arrive à avoir les accès nécessaires. Mais le drame, c’est qu’on ne voit aucune perspective de résolution à l’horizon. Les gens prennent alors le risque de passer par des régions instables pour fuir la Syrie.

De nouveaux réfugiés arrivent dans les pays voisins, où se trouvent des réfugiés palestiniens de longue date, comme au Liban et en Jordanie. Quel est l’impact dans ces pays?

Pierre Krähenbühl : 280 000 réfugiés de Palestine se trouvent au Liban depuis longtemps. 44 000 réfugiés palestiniens sont venus s’ajouter de Syrie dans les camps libanais. Nous les avons pris en charge. Mais le Liban subit une pression de réfugiés venus de Syrie invraisemblable. Chez nous, nous avons de gros débats dès qu’il faut accueillir 300 réfugiés, le Liban en accueille 1,5 million! L’Unrwa s’engage pour sa part, au Liban et en Jordanie, pour que les réfugiés palestiniens venus de Syrie bénéficient de nos services. Il y a aussi des milliers de réfugiés palestiniens en Turquie, en Égypte, en Algérie, en Europe et même en Asie. Cette guerre de Syrie provoque un éclatement de la communauté palestinienne, ce qui suscite des préoccupations en termes de survie, mais aussi d’identité.

Propos recueillis par Daniel Fontaine
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